Aux obsèques de Jean Dréan ce 6 septembre, nous avons lu cet hommage après l'intervention d'Hélène Fosset Dréan la fille de Jean et avant celle, très émouvante aussi, de Marion et Vincent, les petits-enfants de Jean et d'Annick.
Hommage à notre camarade Jean Dréan
Chers Hélène, cher Vincent, chère Marion, chers petits-enfants, et arrières-petits-enfants, chère famille et chers amis et camarades de Jean,
Et toi, notre cher Jean,
On t’aimait tant.
Tu étais toujours là, dans notre vie militante, homme d’action et de terrain, avec tellement d’aventures rocambolesques et de morceaux de bravoure au compteur, tellement d’entrain, d’humour.
Tu étais un roc, un socle solide sur lequel s’appuyer et continuer à bâtir, un passeur de mémoire, d’engagement et de savoir-faire militant pour les plus jeunes, un homme pour qui la retraite de l’implication sociale et politique et le repos étaient inenvisageables face à l’ampleur des injustices, des souffrances sociales, des attaques infligées aux services publics.
Jean le passionné, l’intranquille. Jean le têtu, l’homme libre et obstiné. Jean l’attentionné et le généreux aussi qui aidaient les autres.
Jusqu’au bout, à Morlaix et Plouigneau, à 80 ans encore, tu était toujours vert, toujours jeune et combatif, prêt à te battre pour tes idées, le droit à la santé, le droit à l’autonomie des personnes âgées, les conditions de vie dans les EHPAD, les services publics de proximité comme la Poste, la perception de Plouigneau.
Même si tu étais en maison de retraite depuis près de 10 ans, on pensait très souvent à toi. Tu nous manquais dans notre quotidien militant.
Comment t’oublier? Tu m’écrivais très souvent jusqu’à il y a un an et demi, deux ans environ. Avec des revues de presse sur la santé, les EHPAD, les cris d’alarme et de détresse des personnels, des usagers, des associations, la vie du rail, et des argumentaires personnels, les copies de tes lettres à la direction du parti, de la CGT, de l’Humanité, aux ministres et parlementaires, et même à l’Élysée.
Tu ne te décourageais pas. Tu étais infatigable. Tu avais pour toi le droit, la justice, la lucidité, et même si tu t’adressais aux autorités poliment, tu les mettais face à leurs responsabilités, et tu avais raison. J’ai gardé tes lettres, tes dossiers de presse – ils remplissent mes classeurs, mes étagères et mes placards - et ils ont été pour moi des guides en continu pour mes interventions dans les réunions nationales du Parti, les Congrès, et dans les assemblées d’élus, conseil municipal et conseil départemental où j’interviens très souvent sur les personnes âgées et les mobilités ferroviaires, la ligne Morlaix-Roscoff, toujours en pensant à toi, pour qui j’avais une très grande affection, un immense respect.
Tu incarnais un modèle d’intégrité et d’activisme.
« Jean c'était aussi Annick, jamais l'un sans l'autre et c'était beau de les voir ensemble » ont écrit nos camarades de la CGT et de la section PCF Morlaix Annie et Jean-Luc Le Calvez, qui connaissent Jean et Annick depuis le début des années 80 et qui s’excusent de ne pas être présents aujourd’hui, en vacances en Dordogne. D’autres aussi s’excusent comme Jean-Yvon Ollivier, camarade cheminot de la CGT, et sa femme Dominique, retenus par un rendez-vous médical. Gilbert Sinquin et Christian Beaumanoir, en réunion CGT.
Mais nous sommes ici nombreux, néanmoins, militants du Parti et de la CGT, de la CGT Cheminots, avec son secrétaire général finistérien Claude Le Page, présents pour exprimer notre sympathie pour Jean, notre reconnaissance pour ses décennies d’engagement sans relâche, d’implication au même niveau pour sa CGT et son Parti, deux organisations pour lui complémentaires et aux combats inséparables.
Christiane Caro, animatrice de l’atelier citoyen santé Bretagne, qui a fait un beau portrait de Jean Dréan dans le journal santé du Parti communiste A cœur ouvert, en mai 2019, et qui admirait beaucoup Jean, a aussi témoigné de son chagrin, comme Didier Le Reste, ancien secrétaire de la CGT Cheminots et camarade du PCF Paris, qui connaissait bien Jean lui aussi, comme du reste Laurent Brun, ancien secrétaire général de la CGT Cheminots, qui était venu voir Jean dans son EHPAD Thérèse Rondeau il y a quelques années, avec Christian Beaumanoir ici présent.
Signe que la fraternité, ça signifie quelque chose chez les camarades cheminots de la CGT.
Pensons aussi à notre camarade cheminot rennais Serge Brognard qui a écrit en apprenant la disparition de Jean : « c’est un personnage hors norme : sa stature, sa gouaille, son bon sens politique, ses manifs à Paris auront marqué tous les cheminots bretons. Jean, c’est un moment de notre histoire qui a marqué par son empreinte toute notre région. Je suis effondré de cette disparition ».
Saluons aussi le bel hommage rendu par la presse régionale, le Télégramme et le Ouest-France, et par L’Humanité mardi 3 septembre, son journal, qui écrit page 13, et puisque c’est dans L’Huma, c’est forcement vrai :
« Jean Dréan, militant infatigable, était doté d’un solide sens de l’humour, d’une gouaille et d’une détermination sans faille, malicieux, généreux, fraternel, toujours solide dans ses convictions sans être sectaire ».
Parlons donc de Jean Dréan militant. On ne dira pas tout, on ne connaît pas tout, même si Jean nous a raconté pas mal de choses, à Morlaix, dans son EHPAD de Quimper, et par écrit, et nous avions recopié certains de ses témoignages pour le Chiffon Rouge, le blog du PCF Morlaix.
Jean Dréan a été élu d’opposition communiste à Plouigneau, de 1986 à 1995, la première fois en remplacement de son ami Michel Prigent. Une grande joie pour lui de voir et savoir Plouigneau revenir à gauche après 40 ans de disette, avec notre camarade Roger Héré premier adjoint de la maire socialiste Joëlle Huon ! Jean n’aimait que modérément les socialistes mais était dans l’ensemble pour l’unité à gauche, au nom de l’efficacité et de la meilleure satisfaction des besoins de la population.
Bien avant cela, Jean a adhéré à 20 ans au PCF et à la CGT il y a 71 ans, en 1953, en pleine guerre froide, pendant la guerre d’Indochine, et un conflit social pour la défense du statut des cheminots. A l’époque 80 % des cheminots étaient à la CGT et le chef de gouvernement Joseph Laniel voulait supprimer leur régime particulier, déjà. La grève a duré un mois, le pays était totalement bloqué, et le décret a été annulé, Laniel a été contraint à la démission. Jean qui avait été licencié (apprenti, il était hors statut), a finalement été réintégré à la SNCF.
Apprentissage de la lutte des classes, mais le père de Jean était déjà cheminot communiste.
Jean m’écrivait il y a quelques années :
«Durant la guerre 39-45, quoique très jeune (il était né en 33) j'ai pratiqué la débrouillardise, le chapardage, le hors la loi. Il fallait survivre: on allait mon frère et moi traire les vaches pendant la nuit, étrangler les poules. Père cheminot – il entretenait les voies près de Rosporden – il a modestement participé au sabotage de son outil de travail. Ma mère était garde-barrière: les trains ravitaillant la troupe allemande à Brest s'arrêtaient devant chez nous: des cheminots complices nous indiquaient les wagons intéressants à piller: nous récupérions de l'huile, des matières premières que nous échangions ensuite avec les paysans, parfois contre des cochons que nous envoyons en boîte de conserve à des camarades de résistance parisiens. En 44, mes parents nous envoyaient mon frère et moi avec nos deux chiens ravitailler le maquis avec une brouette: en arrivant dans les bois auprès des résistants, quelle n'a pas été ma surprise en voyant que leur commandant était mon instituteur, Mr Le Corre. Celui-ci n'a même pas eu besoin de me faire promettre de garder le secret. L'ennemi: le boche. Les cheminots résistants de toujours ont été les premiers a déclencher la Grève insurrectionnelle. »
A la fin de la guerre d’Indochine, et au début de la guerre d’Algérie, appel sous les drapeaux. En caserne pendant son service militaire au Mont Valérien, Jean colle des affichettes avec 3 appelés cheminots et semble t-il des militants du FLN « pour la paix en Indochine » et « la paix en Algérie ». Lui et ses camarades sont dénoncés 3 mois après par des soldats du contingent. Ils écopent de 4 mois de prison. Jean est transféré à Guingamp, grâce à l’aide d’un commandant, dont Jean saura 10 ans plus tard qu’il était le fils d’un cheminot communiste, lui aussi, commandant qui écourte son séjour en prison et lui évite de partir faire la guerre en Algérie, en l’envoyant faire des tests aux appelés.
Après les accords d’Evian, en 1964, Jean s’engage en Algérie, avec Annick, et qui devient enseignante détachée en Algérie, enseignant à quarante gamins disciplinés, pour cinq années de coopération technique en Algérie, détaché de la SNCF à la « SNCFA », entre Constantine et Annaba. Seul européen parmi 600 cheminots algériens.
Ce sera une expérience de fraternité avec le peuple arabe et kabyle d’Algérie qui rendront toujours Jean résolument hostile à toute forme de racisme ou de nostalgie coloniale. Il gardera de la compréhension et de l’intérêt pour la culture arabe.
De retour en France en 69, Jean est transféré à Trappes (78). L'homme n'a pas froid aux yeux. Pour revenir en Bretagne, il écrit au président du Conseil. « Quinze jours après, j'étais transféré à Morlaix où j'ai pu rejoindre les camarades ».
D'autres batailles Parmi les « milliers » de manifestations à son actif, voici les plus marquantes : 1970, il se bat pour la défense de la ligne Morlaix/Roscoff. « On a fait grève trois semaines en décembre ». 1986-87: il lutte avec les cheminots. « On bloquait des trains en gare de Morlaix. À l'époque on était 300 ». 2010 : les retraites, c’est ma première bataille avec Jean, moi qui suis arrivé vivre et militer à Morlaix 6 mois plus tôt.
Sa femme Annick, épousée en 56, décédée en août 2018, militante de l’éducation populaire, de la pédagogie nouvelle et progressiste, à l’origine de l’école Jean Piaget de Kerfraval, qui a adhéré au PCF en 75 après avoir été compagne de route pendant des années, est restée catholique croyante et c’est dans un EHPAD catholique que Jean a accompagné quand elle a perdu son autonomie. A la maison de retraite Thérèse Rondeau allée de Kernisy à Quimper, il est devenu proche de l’aumônier Louis Biannic. Celui-ci est venu le saluer au bout de deux jours. "Tu es communiste, j'ai été curé à Huelgoat. Mon meilleur ami était le maire communiste Alphonse Penven, député-maire à la Libération. Une page d'histoire".
« Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas »… Vous connaissez les vers fameux d’Aragon dans « La Rose et le réséda ».
Dans sa maison de retraite Jean a continué à se battre pour améliorer le financement de la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie, pour humaniser les maisons de retraite, améliorer les conditions de travail des personnels, comme les conditions de vie et de restaurations des résidents, combats d'une actualité plus que criante.
Il y aurait tant à dire : les fêtes du Viaduc, les fêtes de l’Humanité, de l’Unité, de la Terre, les batailles homériques de Jean à Guerlesquin avec le patron Tilly et ses sbires, les batailles pour garder et sauver l’outil industriel, les contacts avec le milliardaire rouge Jean-Marie Doumeng, les voyages à Cuba, les épopées des grèves cheminotes.
Jean a laissé des traces de toutes ses belles heures de militantisme, mais rien ne remplacera jamais sa faconde, sa manière inimitable de raconter.
Aujourd’hui cher Jean nous sommes réunis avec toi et avec ta famille pour partager sa peine et la nôtre. Mais nous ne t’oublierons pas ! Ton souvenir restera toujours avec nous et cher à notre cœur. Et plus que ça, une source d’inspiration et de motivation.
Adieu camarade !
Pour toi, pour notre commun espoir et idéal, et comme toi, nous resterons toujours débout à lutter !
Ismaël Dupont, pour la fédération PCF du Finistère et la section de Morlaix du PCF
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