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26 décembre 2022 1 26 /12 /décembre /2022 06:53
Aragon et Elsa

Aragon et Elsa

Aragon dans les tourments du siècle

Il y a quarante ans, le 24 décembre 1982, disparaissait Louis Aragon. Sa vie, son œuvre épousèrent les espoirs et les désillusions du XXe siècle. Envers et contre tout, il demeure l’un des plus grands écrivains de son temps.

Publié le
Vendredi 23 Décembre 2022

Y a-t-il un mystère Aragon ? Quarante ans après sa mort, comment comprendre son œuvre littéraire sans se (re)plonger dans la tourmente du XXe siècle ? Son engagement en littérature, ce goût prononcé pour la modernité, celle qui marque des ruptures essentielles dans tous les arts comme en politique, sont indissociables. Sa vie fut aussi tumultueuse que le siècle qui le vit grandir.

Il découvre, à 20 ans, les horreurs de la Première Guerre mondiale. C’est au Chemin des Dames qu’il commence l’écriture d’Anicet ou le panorama, roman. Démobilisé, il retourne à Paris. Aragon fréquente les milieux littéraires. Entre des amours tumultueuses, contrariées ou trahies, il se lance à corps perdu dans l’écriture comme un remède à cette mélancolie teintée de rage qui traverse sa génération. Dadaïste, surréaliste, il s’insurge contre la littérature bourgeoise, qu’il veut jeter à la Seine, rien de moins. Période prolifique. Paraîtront le Paysan de Paris, le Con d’Irène (qui lui vaudra les foudres de la censure), des poèmes (Persécuté persécuteur), des essais (Traité du style). Avec André Breton, ils adhèrent au Parti communiste. Mais le climat entre les deux écrivains s’envenime. Breton quitte le PCF. Ils se retrouveront pourtant en 1931 pour dénoncer l’exposition coloniale, « ce carnaval de squelettes ».

Un engagement communiste couplé à un antifascisme viscéral

Aragon a rencontré Elsa Triolet, belle-sœur de Maïakovski, qui se suicide en 1930. Avec Elsa, ils séjournent fréquemment en Union soviétique. Les années 1930 sont constellées d’engagements politiques et esthétiques vigoureux, d’affrontements rudes alors que l’Europe sombre dans le fascisme. Le soutien aveugle et indéfectible à l’Union soviétique se conjugue cependant avec l’engagement antifasciste face à des droites qui préfèrent Hitler au Front populaire. Aragon est de tous ces débats. Il prend la plume comme journaliste à l’Humanité et à Ce soir. Il obtient le Renaudot pour les Beaux Quartiers en 1936.

En 1939, il est de nouveau mobilisé. Après la défaite, il entre en résistance. En publiant clandestinement les Lettres françaises, il rallie, bien au-delà de la sphère communiste, les intellectuels qui refusent de capituler. À la Libération, Aragon acquiert une nouvelle dimension. Après avoir été l’une des figures du surréalisme, le romancier engagé, le poète de la Résistance, il est consacré poète national. La guerre froide, les interventions soviétiques à Budapest, à Prague provoquent des ruptures sans retour parmi les intellectuels français. Aragon est souvent ébranlé mais ne renoncera jamais. En Mai 68, à la Sorbonne, il est chahuté par les étudiants. Une blessure de plus.

La politique, la littérature : Aragon a mené de front ces deux engagements. Avec le Roman inachevé, Olivier Barbarant estime qu’il « réintègre la communauté littéraire » (lire ci-contre). L’avait-il jamais quittée ? À la fin de sa vie, Aragon affiche son homosexualité, porte des masques. « Je ne suis pas celui que vous croyez », laisse-t-il entendre. Son œuvre est dense et cruelle, comme le siècle qui l’a inspirée, avec sa cohorte de trahisons et de désillusions, ses remises en question, y compris dans ses périodes les plus sombres. Et s’il revendique dans Épilogue « le droit au désespoir », il ajoute : « Le chant n’est pas moins beau quand il décline. Il faut savoir ailleurs l’entendre qui renaît comme l’écho dans la colline. »

Aragon, de la flamme à la brûlure

Acquis à la révolution russe et au soutien de l’URSS dès les années 1930, Aragon prend ses distances dans les années 1950, d’abord à mots couverts puis ouvertement, tout en restant fidèle au PCF dans une visée démocratique.

Publié le
Vendredi 23 Décembre 2022

Septembre 1968. Trois mois seulement se sont écoulés après le grand mouvement de mai avec, dans la rue, la jeunesse et les usines. Aragon est allé à la rencontre des étudiants malgré, pour une part d’entre eux, son image de stalinien. Un mois depuis l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes de l’Union soviétique et le pacte de Varsovie, mettant fin à sa démocratisation, pour, dit-on alors, un socialisme à visage humain. Dans les Lettres françaises, dont il est le directeur, Aragon publie un article sans concession contre cette intervention, qu’il intitule « J’appelle un chat un chat », reprenant une phrase de Boileau. C’est une réponse directe à la Literatournaïa Gazeta de Moscou commentant et critiquant une déclaration du Comité national des écrivains condamnant l’agression soviétique. « J’ai la certitude, écrit-il, que l’odieux est du côté de ceux qui donnent un nom mensonger à l’invasion brutale de la Tchécoslovaquie, à la rupture brutale de la fraternité entre les partis communistes, au recours à la force comme méthode de discussion. » Dans la période précédente, les Lettres françaises ont déjà apporté leur soutien aux écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel, traduits en justice à Moscou pour des écrits satiriques sur la vie en URSS… Il soutient Rostropovitch, un ami personnel, le cinéaste Paradjanov.

Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1931, alors qu’il a déjà adhéré au PCF, Aragon publie le poème Front rouge. Son excès de zèle révolutionnaire y éclate en formules chocs. « Descendez les flics, camarades, descendez les flics, feu sur les ours savants de la social-démocratie ! » L’Humanité désavoue le poème, qui fait crépiter aussi les lettres SSSR, comme un tir de mitrailleuses. Faut-il le dire, malgré ou avec ses excès, c’est en même temps un superbe poème, faisant écho à ceux de Maïakovski. « Quand les hommes descendaient des faubourgs / et que place de la République / le flot noir se formait comme un poing qui se ferme / les boutiques portaient leurs volets à leurs yeux pour ne pas voir passer l’éclair… »

Dès lors, toutefois, Aragon apparaît comme un écrivain dévoué à la révolution, telle qu’elle s’incarne alors dans l’Union soviétique, aux yeux de millions de communistes. Il a rompu avec André Breton et les surréalistes, voyage en URSS en 1934 avec André Malraux et Jean-Richard Bloch. Il marque cependant une distance avec le réalisme socialiste qui y prévaut désormais en parlant de réalisme français, de Courbet, Poussin, Flaubert… Résistant, il va faire circuler ses poèmes, renvoyant souvent à l’histoire même de la France, y compris avec ses figures emblématiques comme celle de Jeanne d’Arc, « quand Jeanne vint à Vaucouleurs » dans ses « chants de la France malheureuse »…

Les années d’après guerre voient le Parti communiste, grandi par son rôle dans la Résistance, à la première place des débats politiques et intellectuels. Le couple Aragon-Elsa Triolet en est un des phares. Bien au-delà de ses militants, l’Union soviétique et Staline jouissent d’un prestige considérable. Pourtant, peu à peu, les certitudes se fissurent. En 1953, Aragon et Elsa reviennent de Moscou en plein doute alors qu’y a lieu le procès de médecins juifs dit « du complot des blouses blanches », accusés du meurtre de dirigeants soviétiques. L’affaire tombera deux mois après la mort de Staline, cette même année.

« Pour ce qu’on a fait de nous /prenant tout pour de l’eau pure »

En 1956, Aragon publie, dans le recueil le Roman inachevé, le poème la Nuit de Moscou. « On sourira de nous d’avoir aimé la flamme / au point d’en devenir nous-mêmes l’aliment. » Un an plus tard, dans la Semaine sainte, il met sa désillusion dans la bouche du peintre Géricault et règle son compte au réalisme socialiste. En 1963, dans le Fou d’Elsa, œuvre aux entrées multiples, sa tristesse se lit de page en page : « Pour ce qu’on a fait de nous / prenant tout pour de l’eau pure. » En 1972, quand ferment les Lettres françaises, il écrit : « J’ai gâché ma vie et c’est tout. » Il n’en est pas moins et toujours membre du comité central du PCF, et s’implique pleinement dans ses débats, pour la liberté de création, l’ouverture, la diversité…

« Homme de demain, soufflez sur les charbons / À vous de dire ce que je vois. »

 Aragon dans les tourments du siècle - Marie José Sirach et Maurice Ulrich, L'Humanité, 23 décembre 2022
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