Fermé à la fin des années 1980, le site d’extraction minière du Valenciennois a recouvré une seconde jeunesse. Transformée en lieu dédié à l’image et aux nouveaux médias numériques, l’ancienne mine, dans laquelle a été tourné Germinal, de Claude Berri, a réussi sa reconversion en conservant les vestiges parfaitement rénovés de son passé ouvrier.
Les trois chevalements d’Arenberg percent toujours le ciel bas du Valenciennois. Comme un défi à la mémoire, une invitation à se souvenir des milliers de gueules noires qui, des entrailles de cette fosse, remontèrent près de 32 millions de tonnes de charbon en près d’un siècle d’exploitation.
Ce 31 mars 1989, les journaux télévisés ont le ton mâtiné de nostalgie, alors que le seul site du bassin minier de Valenciennes encore en activité ferme définitivement ses portes. Les caméras et les appareils photo des journalistes se pressent pour graver sur pellicule l’ultime sortie des derniers mineurs de fond d’Arenberg. « C’est triste, oh oui, c’est triste. Mais c’est comme ça, il faut bien que ça se termine », lâchera l’un d’eux dans un sourire forcé, le casque grisâtre sur la tête et le visage encore noirci des poussières de charbon.
La récession des années 1970
À l’aube d’une nouvelle décennie, s’écrivent ce jour-là les derniers mots d’un illustre chapitre de notre histoire industrielle ouvert en 1899, lorsque la Compagnie des mines d’Anzin inaugure la fosse d’Arenberg, quatre ans avant sa mise en exploitation effective en 1903. Très vite, le site devient la colonne vertébrale des activités de la compagnie. Le fleuron du bassin minier atteint des productions record dans la première moitié du xxe siècle, dégageant des tréfonds plus de 450 000 tonnes par an au tournant des années 1930. Dans les années 1960, plus de 2 000 mineurs s’affairent sur le site d’Arenberg. Mais bientôt la récession des années 1970 conjuguée à l’épuisement naturel des ressources et la décision politique de mettre un terme à l’activité extractive des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais – ces entités nationalisées à la Libération qui gèrent les anciennes concessions privées – auront raison de la fosse d’Arenberg. Les trois puits sont remblayés dans la foulée et les imposants bâtiments de briques rouges, laissés à l’abandon.
Pourtant, loin de devenir l’une de ces friches industrielles vaguement évocatrices d’un passé glorieux, le site minier situé sur la commune de Wallers est parvenu à renaître. Une deuxième vie, qui, aux ténèbres de la mine, verra succéder les lumières du septième art. Aujourd’hui, plus de trente ans après la dernière remontée des gueules noires, les trois chevalements d’Arenberg marquent désormais l’entrée du site d’Arenberg Creative Mine, lieu de tournage, pôle d’études et de conférences dédiées à « l’image et aux arts numériques d’avenir ». Un destin tout tracé, un trait d’union entre réalité et fiction esquissé ici dès 1992, lorsque Claude Berri, trois ans à peine après la fermeture de la mine, a fait d’Arenberg le décor idéal de son célèbre Germinal. « Il y a une logistique très importante, on ne fait pas Germinal comme ça, en deux minutes, il faut s’y prendre des mois et des mois à l’avance », confie le réalisateur en ce 18 janvier 1992 alors qu’il effectue, sur le site de l’ancienne mine, un sixième repérage avant tournage, flanqué de son directeur de la photographie, du chef décorateur et de Renaud, chanteur populaire qui campe dans Germinal, aux côtés de Miou-Miou et de Gérard Depardieu, le rôle d’Étienne Lantier, un jeune chômeur devenu mineur. Face à la caméra de FR3, le réalisateur lance même un appel aux téléspectateurs, potentiels figurants : « Lisez, relisez Germinal et écrivez pour dire : j’ai lu le roman et je crois que je serai bien pour ce rôle. » Pendant que Berri balise son tournage, Renaud, fils d’une mère ayant vécu à Valenciennes et petit-fils de mineur à Lens, s’imprègne des lieux et du personnage dont, « pour des raisons historiques et familiales », il se sent « proche ». Au micro de FR3, l’acteur-chanteur poursuit en confiant : « Par son itinéraire d’éducation, par son itinéraire politique, Lantier me fascine. »
Si Germinal a su rendre à la mine d’Arenberg toute la splendeur de son architecture, le site, inscrit aux monuments historiques depuis 1992, n’en reste par moins menacé. Il aura fallu l’indéfectible mobilisation d’anciens mineurs et d’acteurs locaux, au premier rang desquels le maire communiste de Saint-Amand-les-Eaux, Alain Bocquet, pour acter la sauvegarde d’un tel patrimoine ouvrier. En sa qualité de président de la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut – qui ira jusqu’à installer son siège sur le site minier en 2001 –, l’élu participera à l’impulsion d’une véritable dynamique de revitalisation du bassin minier. C’est dans cette perspective qu’en 2002 la communauté d’agglomération lance un vaste appel à projets, dont la plupart se trouvent tournés vers l’image et le cinéma.
Au patrimoine mondial de l’humanité
En 2005, débutent de colossaux travaux de rénovation du site de Wallers-Arenberg. D’abord, les bâtiments les plus anciens, puis « les parements des bâtiments datant du xixe siècle. Les maçonneries sont en brique locale couronnée de cordon en pierre de Lunel originaire des carrières du Boulonnais », détaille la plaquette d’Arenberg Creative Mine. Deux ans plus tard, le clos et le couvert (qui assurent l’étanchéité à l’eau et à l’air) du bâtiment des recettes, surmonté de son chevalement, sont également restaurés, ainsi que la passerelle, le bâtiment sanitaire et la salle des pendus – vestiaire où les mineurs suspendaient leurs vêtements au plafond. Ce type de pièces qui comprenaient aussi des douches a équipé la grande majorité des sites d’extraction du début du xxe siècle. En tout, plus de 11,5 millions d’euros seront investis dans la rénovation des lieux et leur transformation. Cette nouvelle page de l’histoire de la mine s’ouvre officiellement en 2015, par l’inauguration de ce nouveau lieu consacré à l’image et aux médias numériques, en partenariat avec l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC), en présence du réalisateur Costa-Gavras et d’un millier d’invités. Ce jour-là, Alain Bocquet ne cache pas sa fierté de voir le projet aboutir. « Mon rêve, c’est qu’ici il y ait beaucoup d’étudiants, beaucoup de personnes qui viennent visiter (le site), que des gens viennent manger dans ce qui sera demain le restaurant, que s’y tiennent des séminaires d’entreprise, qu’il y ait de la vie », déclarera l’élu communiste.
Entre-temps, le 30 juin 2012, l’Unesco inscrit 353 biens du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l’humanité. Parmi eux, le lot numéro 15, le plus vaste en termes d’envergure, comprend, entre autres, Wallers et la fosse d’Arenberg des mines d’Anzin.
Trois décennies après la mise à l’arrêt définitif de son activité, le site nordiste a réussi sa reconversion. Plus de 50 films, téléfilms et clips y ont été tournés. Pari réussi. À Wallers-Arenberg, la mémoire des mineurs côtoie le cinéma, l’innovation et les nouvelles technologies. Et des briques rouges de ses monumentaux bâtiments, transpire désormais ce subtil équilibre où se conjuguent le passé et l’avenir.
Les terrils d’arenberg, l’un préservé, l’autre exploité
L’exploitation de la fosse d’Arenberg pendant quatre-vingt-dix ans a créé, aux abords du site, deux terrils – immenses amas de résidus miniers issus de l’excavation et composés de schistes –, l’un conique, l’autre plat. Ce dernier, mesurant 20 mètres de hauteur sur quelque 2 kilomètres d’envergure, est entièrement préservé. En 2012, il faisait en effet partie du lot 15, classé, au même titre que 353 autres lieux du bassin minier, au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. En revanche, le terril conique, monumental, a quant à lui été exploité dès 1980. Atteignant 105 mètres de haut pour 77 000 mètres carrés de superficie au sol et lourd d’au moins 2,5 millions de mètres cubes de matériaux, il a fourni, entre autres, plus de 800 000 tonnes de terres de remblais aux entreprises du BTP œuvrant, à l’époque, à la construction de l’autoroute Lille-Valenciennes. Le terril conique d’Arenberg fut vendu, comme beaucoup d’autres, par les houillères gestionnaires à une société concessionnaire pour trente ans. Au début des années 1980, il en coûtait aux entreprises acheteuses de ces schistes de première qualité de 5 à 10 francs la tonne (de 0,76 à 1,52 euro).
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