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12 novembre 2020 4 12 /11 /novembre /2020 20:10
Persécution et résistance des communistes sous Vichy en 1941 - Mendès France témoigne dans ses "Ecrits de Résistance" rédigés pendant les heures sombres de l'occupation

J'ai eu beaucoup de plaisir il y a quelques mois à lire cette nouvelle édition intégrale des "Écrits de résistance" de Pierre Mendès France (publiés par les éditions du CNRS en 2018), qui fut le plus jeune député de France, élu dans l'Eure, puis un soutien et ministre du Front Populaire, raison pour laquelle, en plus de ses origines juives et de sa volonté de continuer le combat après l'occupation de la France par les Nazis, il fut emprisonné d'abord au Maroc, puis en Algérie et à Clermont-Ferrand, jugé et condamné de manière complètement arbitraire pour désertion et trahison alors qu'il avait rejoint l'Afrique du Nord pour continuer la lutte à bord du "Massilia", avant de s'évader de prison, de vivre en clandestin pourchassé pendant plus de six mois en France occupé, puis de rejoindre Londres et la France Libre, pour laquelle il servira avec beaucoup de courage comme pilote, comme Émile Ajar dit Romain Gary. Son témoignage sur l'héroïsme et le pittoresque des équipes de pilote de la France Libre, comme celui de Romain Gary dans La Promesse de l'Aube, est passionnant et émouvant, d'autant plus que la majorité de ces hommes sont morts en mission de combat. En 1942, Mendès France raconte sa captivité et son procès, et à cette occasion il se fait chroniqueur de la persécution qui frappait les communistes en 1941. Ces quelques lignes qui en disent long sur son admiration et son empathie à chaud vis-à-vis des communistes dans la Résistance méritent d'être cités à l'heure où des donneurs de leçon prêts à tous les révisionnismes historiques, comme Michel Onfray, voudraient nier l'implication précoce des communistes dans la Résistance Nationale.

Ismaël Dupont

Témoignage de première main de Mendès France sur la persécution visant les communistes dans la région de Saint-Etienne et Clermont Ferrand en 1941:

« Pendant les derniers mois de mon séjour à Clermont-Ferrand, j'ai vu arriver à la prison de plus en plus de prévenus communistes. C'était le début de la période durant laquelle les militants communistes, ou qualifiés communistes, furent traqués d'une manière impitoyable, période qui atteignit son apogée à partir de la guerre germano-russe, c'est-à-dire, après mon évasion.
Un jour, c'était un jeune instituteur, orphelin de guerre, bien noté, qui était condamné à cinq ans de prison pour une distribution de tracts assez insignifiants.
Un autre jour, c'était cet enfant de dix-neuf ans dont j'ai parlé, que Perré faisait condamner à vingt ans de travaux forcés. D'ailleurs, les soldats qui étaient poursuivis pour désertion, pour manque de respect à leurs supérieurs, pour vol, etc, faisaient toujours l'objet de recherches spéciales au cours desquelles on essayait d'établir qu'ils étaient ou avaient été communistes ; on n'était pas exigeant pour les preuves ! Si l'on pouvait réunir quelques éléments de présomptions d'une affiliation, même ancienne, au parti, la condamnation était automatiquement doublée ou triplée.
Le tribunal militaire de Clermont-Ferrand jugea ainsi un jour une tenancière de café, veuve de guerre, qui n'avait jamais eu la moindre activité politique. Des consommateurs qui étaient venus dans son établissement avaient abandonné sur une table, en s'en allant, un tract communiste, soit par négligence, soit dans l'espoir que quelqu'un le ramasserait et le lirait. Quelques minutes plus tard, des  gendarmes consommant à leur tour, constatèrent la présence du tract et dressèrent procès-verbal contre la propriétaire du café. Celle-ci fut inculpée de « reconstitution de ligue dissoute » ! (C'était la qualification classique de tous les faits de propagande communiste.). Le tribunal la condamna à six mois de prison et à la fermeture de son établissement, c'est-à-dire à la perte de son gagne-pain. La pauvre femme, qui n'avait jamais été communiste jusque-là, l'est certainement devenue après pareille mésaventure.
 
(…) Le même jour, le tribunal avait à examiner le cas d'un vieux bonhomme qui était le maire d'une petite commune du Puy-de-Dôme. Il avait été communiste autrefois, s'était incliné devant la dissolution du parti et avait continué à administrer paisiblement son village. Il était revenu de l'autre guerre avec la croix de guerre et avec la médaille militaire et était âgé d'environ soixante-cinq ans. Un habitant de la commune, ancien communiste, lui aussi, étant mort, il l'avait accompagné jusqu'au cimetière ; là, il avait lu un petit discours pour saluer le défunt, rappeler qu'ils avaient partagé les mêmes sentiments et exprimer l'espoir que, plus tard, les circonstances étant devenues meilleures, leur idéal pourrait enfin se réaliser. Une lettre anonyme dénonça ce discours – prononcé sur le bord d'une tombe, et qui n'avait provoqué sur l'instant ni protestation, ni incident – comme un acte de propagande communiste. Le vieux maire fut inculpé, à son tour, de reconstitution de ligue dissoute et, en dépit de son âge, jeté en prison.
 
(…)
Généralement, les sanctions étaient sévères, surtout dans les derniers temps de mon séjour à Clermont-Ferrand. Presque tous les jours, nous voyions arriver à la prison deux, trois, quatre ouvriers venant de Saint-Etienne, du Puy, de Thiers ou de Clermont-Ferrand même. On les renvoyait rapidement devant le tribunal et les peines distribuées s'élevaient, le plus souvent, à plusieurs années de prison, et parfois, à dix, quinze ou vingt ans de travaux forcés.
Les militants communistes manifestaient, il faut le dire, un magnifique courage. Leur attitude était en tous points parfaite. Ils se tenaient très bien, n'avaient jamais d'incidents avec les gardiens ou avec d'autres détenus, leurs cellules étaient toujours les plus propres. Ils avaient entre eux une sorte de discipline et de solidarité que l'on ne prenait jamais en défaut. Un nouveau venu arrivait-il, il était aussitôt entouré, aidé, encouragé. On le rassurait, on lui venait en aide. Les prévenus communistes recevaient tous des colis alimentaires qui arrivaient avec une régularité exemplaire. Leurs femmes et leurs enfants étaient soutenus, au besoin, pécuniairement. Nous avions pour cette organisation silencieuse une véritable admiration ».
 
Mendès France, Liberté, liberté chérie… (1940-1942), Écrit en 1942 (chapitre 5, En Prison) publié dans Pierre Mendès France , Écrits de résistance, Biblis Inédit, CNRS Editions, 2018 p.161 à 163

 

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