Ce 5 juin est la journée mondiale pour le climat. Elle se déroule deux semaines après la journée mondiale pour la biodiversité qui avait lieu le vendredi 22 mai. Histoire de donner à penser qu’elle prend en compte de tels dossiers, la Commission européenne a récemment publié un texte sur axé sur la protection de la nature intitulé « Biodiversité » et un autre intitulé « De la ferme à la fourchette ». Ce second texte doit inspirer les ministres de l’Agriculture des 27 pays membres de l’Union européenne dans leurs débats sur la prochaine réforme de la Politique agricole commune (PAC). Mais le premier préconise de laisser en friche 10% des terres agricoles en Europe, ce qui se traduirait par plus d’importations et donc de déforestation en Amazonie et ailleurs !
Au fil des ans et des élargissements de l’Europe, la Politique agricole commune devient de moins en moins commune et de plus en plus incohérente. Ainsi, selon le texte intitulé « Biodiversité », dont la charge a été confiée au vice-président de nationalité néerlandaise Frans Timmermans, la biodiversité sera favorisée en Europe en laissant 10% des terres agricoles européennes sans la moindre culture. Parallèlement, 25% de la surface agricole utile passerait en agriculture biologique d’ici 2030, une préconisation qui semble ignorer que les conversions dépendent du nombre de paysans se sentant capable de sauter le pas chaque année, ce qui suppose aussi d’avoir de marchés en face. Toujours selon la Commission, l’usage des produits de traitement des cultures diminuerait de 50% en cinq ans tandis que la plantation 3 milliards d’arbres augmenterait les superficies forestières en Europe.
Une course à handicap pour les paysans européens
Avec toutes ces mesures mises bout à bout, la production agricole européenne reculerait sensiblement. De plus, une Europe qui imposerait de telles mesures à ses paysans handicaperait la compétitivité de ces derniers par rapport à ceux des pays tiers qui exportent des céréales, des viandes, du soja, du sucre de canne, de l’huile de palme, de l’éthanol et du diester en Europe. D’autant que la Commission continue de négocier des accords de libre échange avec de nombreux pays tiers. Le CETA conclu avec le Canada est entré en vigueur dès sa signature, avant même d’avoir été ratifié par les pays membres de l’Union européenne. L’accord conclu en juin 2019 entre la Commission européenne et les pays de Mercosur permettra à ces quatre pays d’Amérique du sud, dont le Brésil de Bolsonaro, d’exporter des volumes accrus de viandes bovines, porcines et de volailles en Europe sans prélèvements douaniers aux frontières communes de l’Union. S’y ajoute un accord de même type qui vient d’être conclu entre le Mexique et la Commission. Parallèlement, cette dernière négocie toujours avec l’Australie et la Nouvelle Zélande qui veulent aussi exporter des quantités croissantes de viandes et des produits laitiers en Europe.
La Commission n’a pas calculé ce que seraient les conséquences d’un recul sensible de la production agricole en Europe. Elle semble ignorer que nous sommes dans un monde où le réchauffement climatique accroît l’insécurité alimentaire. Laisser 10% des terres agricoles européennes en friche et étendre la superficie forestière sans même évoquer l’agroforesterie est pour le moins incohérent. De plus, la Commission occulte- de manière totalement cynique, où par une totale méconnaissance de réalité- le fait que pratiquer de la sorte revient à ruiner les paysans européens en les soumettant à une concurrence encore plus déloyale que celle qu’ils subissent aujourd’hui. Car les exportateurs des pays tiers que nous avons cités n’ont pas ces contraintes environnementales à respecter. Cette double peine obligerait les paysans européens à moins produire via le gel des terre et la réduction des fertilisants. Mais elle leur imposerait des prix plus bas, en même temps, via la concurrence des produits importés depuis des pays pratiquant le dumping social, fiscal et environnemental.
Incompétence et lobbying potentiellement corrupteur
Pendant que l’Europe planterait 3 milliards d’arbres dans les 27 pays membres, ses importations accrues de viande bovines, porcines et de volailles auxquelles s’ajouteraient le sucre de canne et le soja, cette politique d’importations accrues depuis le Brésil se traduiraient par plus de 3 milliards d’arbres supplémentaires abattus dans la forêt amazonienne. Dès lors se posent plusieurs questions. Faut-il attribuer ces propositions de la Commission à une incompétence globale du collège des commissaires ? Doit ajouter que cette incompétence et le cynisme qui va avec sont aggravés par le poids des lobbyistes potentiellement corrupteurs qui agissent en permanence dans les locaux de la Commission comme dans ceux du Parlement européen ?
Car le lobbying est une pratique admise de longue date auprès de la Commission européenne, comme auprès du Parlement européen. Pour le «moraliser», la Commission et le Parlement ont même créé le 23 juin 2011 « un registre de la transparence, commun et public, en vue de fournir des informations sur ceux qui cherchent à influencer les politiques européennes». Ecrire cela c’est déjà reconnaître que ces lobbyistes ont des intentions plutôt louches et ce rappel figure dans une note récente du Parlement européen. Cette note nous indique aussi qu’en « janvier 2020, 11.882 organisations étaient inscrites au registre, dont 7.526 personnes accréditées auprès du Parlement européen. L’inscription à ce registre est obligatoire pour obtenir un badge d’accès en tant que lobbyiste pour le Parlement européen », lit-on dans cette note. Mais on n’y trouve aucune information sur les méthodes utilisées par ces lobbyistes pour tenter d’influencer la politique de la Commission et du Parlement en faveur d’intérêts très particuliers.
Ne pas confier à des pyromanes la mission de pompier
A Paris, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu public le 27 mai dernier son avis intitulé «Le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre la déforestation importée ». La déclaration du CESE indique que « la déforestation en Amazonie atteignait un nouveau record, avec la disparition de 1.202 kilomètres carrés de forêt de début janvier à la fin janvier 2020, soit une augmentation de 55% par rapport à la même période l’année dernière, selon les données de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE) ». Du coup, « le CESE préconise d’adopter en 2020 un Plan d’action de l’UE contre la déforestation importée sous la responsabilité du Conseil européen, dont le suivi et la coordination seront confiés au vice-président de la Commission européenne en charge du Pacte vert pour l’Europe, sous la supervision et le contrôle du Parlement européen ».
Cette préconisation semble cohérente a priori. Mais elle semble ignorer les conséquences à venir du « Pacte vert » de Bruxelles sur « la déforestation importée ». Agé de 59 ans, l’actuel vice-président de la Commission européenne en charge du Pacte vert pour l’Europe est le social-démocrate néerlandais Frans Timmermans. Sa carrière débute en 1987 comme diplomate, mais il rejoint la Commission européenne den 1994 comme assistant du commissaire Hans van den Broek . De 2007 à 2014, il a été ministre des Affaires étrangères de son pays avant de devenir commissaire européen en 2014, puis vice-président depuis 2019 dans le cadre de son second mandat.
C’est donc à cet homme que le CESE demande d’arrêter « la déforestation importée».
Le CESE demande donc au pompier Frans Timmermans d’éteindre l’incendie en Amazonie en ne voyant pas que ce qu’il préconise pour l’Europe fait de lui un pyromane en Amérique du sud et ailleurs.

commenter cet article …