Pas de pitié pour ceux que le monde capitaliste du travail met à l'écart...
Le chômage tue! Une étude de l'INSERM le montre: le chômage est un facteur important de surmortalité. Sans compter les 584 suicides recensés entre 2008 et 2010 qui pourraient être attribués à la hausse du chômage selon une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Car au-delà de ces actes exceptionnels, la réalité est encore plus glaçante : le chômage tuerait "entre 10.000 et 20.000 personnes par an", selon une estimation de Pierre Meneton (Inserm), auteur d'une étude sur la santé des chômeurs. Entre 1995 et 2007, le scientifique a suivi 6.000 volontaires âgés de 45 à 64 ans pour observer les effets du chômage sur la santé cardiovasculaire et la mortalité globale. À partir des résultats obtenus, le chercheur a réalisé des projections publiées en décembre 2014 dans la revue International Archives of Occupational and Environmental Health.
(Science et avenir: https://www.sciencesetavenir.fr/sante/10-000-a-20-000-morts-par-an-dues-au chomage_28753?fbclid=IwAR2EoCT_8dAz8b1AOe4GBi2ML4jNgKZl8doaZyruBDcGJjO6fvjF2vMRsmU)
Et pourtant...
La réforme de l'assurance chômage annoncée le 18 juin dernier par Muriel Penicaud, ex DRH de Danone et actuelle ministre du travail, pénalisera un chômeur indemnisé sur deux, 1, 2 million de personnes sur 2,6 millions qui touche chaque mois une somme de Pôle Emploi (1022€ en moyenne).
Il s'agit de faire 3 milliards d'euros d'économies supplémentaires sur les chômeurs.
Bien sûr, il s'élèvera toujours, jusqu'au sein même des salariés, des voix pour justifier ce recul historique. Les chômeurs seraient des « fainéants », en quelque sorte « responsables » de leur situation.
Exit les délocalisations, les fermetures de commerces, les suppressions de postes...
Mais la réalité reviendra comme un boomerang. Les plus jeunes travailleurs enchaînent les CDD courts et les stages non-rémunérés dans les années qui suivent la fin de leurs études, y compris supérieures ; ils seront les premiers touchés par la réforme. Dans un document, l'Unedic estime le nombre d'impactés à 1,2 million de chômeurs ; c'est une estimation bien basse et, en réalité, la population des privés d'emploi concernée par cette régression, dans un contexte de précarisation et de périodes de travail hachées de tous les salariés, ne fera que croître d'années en années.
La vraie cible des décideurs politiques et économiques n'est autre que la Sécurité sociale. L'assurance chômage en est un des piliers, au même titre que la retraite, elle aussi gravement attaquée par l'instauration d'un système par points. C'est le principe même de la Sécu, la socialisation d'une partie des richesses créées par les salariés allant vers les travailleurs malades, retraités ou privés d'emploi, qui est insupportable aux yeux de la grande bourgeoisie industrielle et financière : c'est une part de la richesse nationale qui échappe totalement à sa rapacité. Après les complémentaires-retraites, les complémentaires-santé, pourquoi pas les complémentaires-chômage ?
La réforme s'appliquera progressivement, avec des conséquences humaines d'une gravité croissante, à partir de 2020.
Il s'agit de faire 3 milliards d'euros d'économies supplémentaires sur les chômeurs. La réforme s'appliquera progressivement, avec des conséquences humaines d'une gravité croissante, à partir de 2020. Aujourd’hui, pour accéder à l’assurance-chômage dans le régime général (hors annexes 8 et 10), il faut avoir travaillé au minimum 4 mois sur les 28 derniers mois. Avec la réforme, la période minimale de travail pour accéder à l’indemnisation sera donc ramenée à 6 mois sur 24. Quand vous êtes un salarié avec des pratiques discontinues, c’est beaucoup ! Il faudra 6 mois désormais pour recharger ses droits en cas d'interruption d'indemnisation et non plus un mois. Ce durcissement des conditions d’accès empêchera des centaines de milliers de travailleurs de bénéficier de l’assurance-chômage. Muriel Pénicaud a créé un nouveau statut de "permittents", (intérimaires, CDD, saisonniers etc.) dont on ne tolèrera plus qu'ils puissent avoir des périodes d'inactivité, qui correspondent pourtant aux variations saisonnières et à la demande des employeurs, et qui devront donc trouver des emplois toute l'année. Au delà de ça : Les indemnités chômage seront désormais calculées sur le revenu mensuel moyen du travail, et non sur les seuls jours travaillés comme aujourd’hui.
Actuellement, quelqu’un qui travaille 1 jour sur 2 au Smic jour a son indemnité calculée sur la base du Smic jour. Donc, le jour où il a un mois entièrement chômé, son indemnisation mensuelle sera basée sur le Smic. Et il en va de même s’il travaille 1 jour sur 3. Pour calculer l’indemnité journalière (IJ), on se base sur son revenu de journée travaillée. Dorénavant, avec la réforme, ce salarié à travail discontinu aura son indemnité calculée sur la base d’un demi-Smic s’il travaille 1 jour sur 2, d’un tiers s’il travaille 1 jour sur 3, etc. Si ce mode de calcul était mis en place pour les intermittents, l’immense majorité des indemnités journalières ne dépasserait pas 20 euros, soit 600 euros par mois en cas de mois entièrement chômé ! On ne perçoit plus ses indemnisations chômage qu'en fonction des jours effectifs travaillés et non plus par rapport au salaire mensuel ou hebdomadaire qui comprenait les jours de congé hebdomadaires. Ainsi et c'est une énorme régression les journées non travaillées ne seront plus indemnisées.
Outre le durcissement des conditions d'accès au régime dès le 1er novembre, avec l'obligation de travailler six mois sur 24 contre quatre mois sur 28 aujourd'hui, à partir d'avril 2020, le changement de calcul de l'indemnisation va toucher en priorité les travailleurs alternant emplois et allocations. 850 000 personnes avec des périodes non travaillées entre deux contrats percevront une allocation plus faible de 22% en moyenne.
Auparavant, tu travaillais 3 mois, tu avais une interruption de 3 mois puis tu retravaillais trois mois, tu étais indemnisé. Ce ne sera plus le cas!
La chute sera encore plus dure pour 190 000 personnes travaillant entre un quart et un mi-temps, elles perdront 50% de leur allocation, passant de 868€ à 431 €.
Il s'agit d'une attaque d'une gravité exceptionnelle contre les droits des chômeurs, mais ce n'est qu'un nouveau palier franchi dans l'inacceptable! Fabien Roussel, député communiste et secrétaire national du PCF, rappelait il y a trois mois: "Ce dimanche 28 juillet, en plein cœur de l'été, le gouvernement a publié le décret consacré à l'assurance chômage. A l'abri des regards, il a ainsi officialisé la casse d'un système de protection sociale, issu du Conseil national de la Résistance. Durcissement des conditions d'accès aux indemnités, réduction de leur montant, multiplication des contrôles et des sanctions... Ces dispositions permettront de réaliser 2,85 milliards d'euros d'économies d'ici 2021 sur le compte des demandeurs d'emploi, dont 50% sont déjà aujourd'hui privés de toute forme d'indemnisation. Cette réforme injuste et rétrograde, adoptée sans débat et en l'absence d'accord des partenaires sociaux, fera de 2019 un « été meurtrier » pour celles et ceux qui perdent leur emploi ou qui subissent les contrats à durée déterminée... Au lieu de chasser les chômeurs, le gouvernement ferait mieux de chasser le chômage !"
Un agent public de Pôle Emploi nous a longuement exposé la dégradation des conditions de travail à Pôle Emploi, et plus encore des missions et relations vis-à-vis des chômeurs.
Voilà ce que nous avons retenu de cet entretien avec ce salarié de Pôle Emploi:
Syndiqué à la CGT, il fait partie des derniers survivants du service public de l'emploi, avec un contrat de droit public.
Il n'y a plus que 189 emplois de droit public en Bretagne: plus de concours, plus d'augmentations pour ceux arrivés en fin de carrière, ni de progressions pour eux. Plus de 90% des salariés de Pôle Emploi, et tous les jeunes, souvent recrutés sur des niveaux de qualifications inférieurs à leurs aînés et plutôt centrés sur le commercial, sont en droit privé. La rupture historique s'est faite en 2011 avec la fusion sous la présidence Sarkozy de l'Assedic (chargée de l'indemnisation des chômeurs) et de l'ANPE (chargée de la recherche d'emploi, formation, orientation, et conseil).
Il y a eu de la part de l'encadrement un fort encouragement à accepter les contrats de droit privé: pression, incitation de salaires sur 14 mois et demi, au lieu de 12 mois seulement pour ceux qui gardaient le statut public.
Dans la réforme à venir, Pôle Emploi supprimera 4000 emplois mais recrutera 1000 CDD principalement affectés aux services entreprise, visant à fournir en main d’œuvre les entreprises locales.
Les services civiques y sont légion - 3 ou 4 par agence - malléables à l'envie, à qui l'on donne les tâches les plus dures avec un salaire de misère. Un agent de pôle emploi gère de 300 à 1000 dossiers de demandeurs d'emplois, selon que les demandeurs d'emploi sont considérés comme très éloignés de l'emploi (modalité renforcée), à guidée, ou méritant un simple suivi (plus autonomes et plus proches de l'emploi).
Il doit répondre pour ce portefeuille d'usagers aux mails arrivant 24h sur 24, en 72h maximum de délai d'attente. Et doit proposer au moins un rendez-vous tous les 6 mois pour les modalités suivi et bien plus pour les autres modalités, ce qui est en pratique irréalisable.
Les demandes de formation prennent parfois 3 ou 4 heures à être instruites, tant les dossiers sont complexes et doivent prévoir des cofinancements.
La pression est énorme. Mais au-delà du stress et de la charge de travail, la pénibilité vient de la dénaturation du sens du travail : il ne s'agit plus d'aider les chômeurs à trouver du travail (c'est de plus en plus délégué à des organismes privés de placement, comme les centres de formations).
Quant aux formations dignes de ce nom, il est loin le temps où on pouvait en proposer sur 3 ans et vraiment qualifiantes...
Il faut désormais faire illusion, contrôler, surveiller, punir, radier...
Les agents, les agences, les régions sont de plus en plus mises en concurrence les uns avec les autres en fonction d'indicateurs chiffrés renvoyant aux rendements les plus discutables: nombres de demandeurs d'emplois contrôlés, radiés...
On pratique à Pôle Emploi le "lean management": ça vient de Toyota, ou comment faire plus avec moins de moyens. Le maître mot est l'efficience ! Les radiations augmentent énormément ces derniers mois : ce sont souvent des équipes de volontaires, constituées de salariés de droit privé, complètement acquis aux valeurs impitoyables du "marche ou crève" et de la culpabilisation des chômeurs.
Ces équipes de contrôle radient sans jamais recevoir les demandeurs d'emploi, mais simplement en vérifiant derrière leurs écrans s'ils font assez de recherche ou pas. Les cibles privilégiées et les plus faciles : les personnes les plus âgées avec les réformes successives des retraites, nombre de personnes de 60-61 ans et bientôt plus se retrouvent obligées de s'inscrire à pôle Emploi pour toucher une allocation avant de pouvoir bénéficier de leur retraite, on compte aussi les handicapés, les invalides...
Quand on n'a pas de place pour quelqu'un d'handicapé en CAT, en ESAT, en atelier protégé, cette personne peut subir une double peine en étant radiée et en perdant ses allocations.
Conclusion...
"Macron n'en a rien à faire de ces gens là".
Moins de 50% des demandeurs d'emplois touchent une allocation de Pôle Emploi (d'autres ont le RSA, d'autres rien). Le recours accru à l'intelligence artificielle dans le calcul des droits rend de plus en plus difficile l'accès aux demandeurs d'emploi à un juste droit tel qu'il était calculé auparavant par les agents expérimentés de l'indemnisation, aujourd'hui remplacés par des machines.
L'inscription, même quand elle ne donne pas lieu à indemnisation, accorde néanmoins des garanties de protection sociale, l'accès aux contrats aidés. Bien sûr, le chômage réel reste beaucoup plus important que le nombre d'inscrits à Pôle Emploi. Les contrôles et radiations se font sur la base d'un premier tri de dossier que Pôle Emploi dit aléatoire, mais qui se base plus sûrement sur des signalements de collègues zélés. Les conseillers sont désormais clairement encouragés à faire de la délation. Notre informateur note qu'une partie des collègues, qui n'a plus la culture du service public, et qui est acquise aux crédos managériaux, assimilés sans aucun recul, se conduit de manière irrespectueuse avec les demandeurs d'emploi. L'humain est évacué, les propos plein de préjugés et parfois xénophobes ne sont pas évités chez certains. Les formations sur la déontologie vis à vis des demandeurs d'emploi qui étaient auparavant un préalable avant d'exercer ne sont plus incontournables...
De manière générale, les chômeurs allocataires sont infantilisés : on va faire la morale à quelqu'un qui a Bac + 5 et qui n'a pas trop envie d'aller ramasser des échalotes. On le menace de radiation. Dans un proche avenir pourrait d'ailleurs se généraliser le carnet de bord du chômeur sur internet : il devra lui-même s'auto-contrôler sous le regard de Big Brother : noter toutes les démarches qu'il fait pour trouver un emploi.
On se croirait dans le film de Ken Loach : « Moi, Daniel Blake... »
Les entretiens pour s'inscrire comme demandeurs d'emploi seront à terme réalisés sous forme d'informations collectives et non plus individualisés, ni centrés sur une recherche véritable d'orientation et de formation. C'est déjà le cas dans certains dispositifs expérimentaux, comme au Pôle Emploi de Carhaix.
Les directions territoriales, bras armés de Macron, incitent le management à rentrer dans les objectifs du chiffre à tout prix et des bonnes conduites néolibérales, et obligent les demandeurs d'emploi à passer toute une journée à Pôle Emploi à suivre des ateliers en groupe, qui ne répondent pas à leur demande individuelle.
A Cherbourg, on expérimente la suppression de l'accueil au public dans 2 agences de Pôle Emploi sur 3, celles-ci ne font plus que du back office: mail, visio, formation collective... Certains voient l'avenir des activités de Pôle Emploi sous la forme de "France service", le regroupement des activités CAF, Sécu, Impôts, Pôle Emploi avec un conseiller itinérant dans un bureau, la personne devant répondre à tout toute seule, premier guichet en prise avec les souffrances sociales, avec pour seule consigne de diriger le demandeur d'emploi sur internet pour y trouver les réponses à ses questions, sans tenir compte de la fracture numérique qui handicape beaucoup d'usagers...
Ces modes de management, la mise à distance de l'humain et du sens dans la relation aux employés de Pôle Emploi, comme aux allocataires, la remise en cause des salariés qui ne rentrent pas dans le rang et les plans de cadres obsédés par leurs bilans chiffrés, tout cela produit beaucoup de départs en pré-retraites et de ruptures conventionnelles à Pôle Emploi, parfois à 40-45 ans, ruptures conventionnelles que Pôle Emploi accepte facilement pour purger ses effectifs, et se purger d'éléments ne rentrant pas dans le nouveau cadre de l'activité. Les dépressions, burn-outs, les suicides ou tentatives de suicide se multiplient chez les salariés de Pôle Emploi, comme il y a 15 - 20 ans à France Telecom, au moins 17 suicides depuis 2014 pour "harcèlement moral" sur les salariés rien qu'en septembre 2017.
Un article est d'ailleurs paru sur une jeune conseillère harcelée par sa hiérarchie et dont les parents ont porté plainte après son suicide, elle ne sortait pas de chez elle sans avoir une corde dans son sac à main...
Les petits chefs décérébrés et obsédés par leur vision utilitariste du métier, la performance, le résultat font rage, mais derrière, c'est l'organisation du travail et les orientations du gouvernement avec les moyens attribués qui sont bien sûr en cause. La nature humaine, pas toujours très reluisante, s'engouffre dans les failles délibérément ouvertes par l'institution. Beaucoup d'agents avec une conscience sociale et humaine, formés à l'esprit du service public de l'emploi, vivent des conflits éthiques forts à travailler dans leurs établissements, ayant l'impression que leur boulot devient de plus en plus "sale", "aliénant", vide de sens, soumis aux nouvelles sémantiques paradoxales et peu compréhensibles de la novlangue du management qui tend à vampiriser les services publics. Euphémismes, antiphrases, paradoxes, néologismes déréalisant, tout est fait pour cacher cette misère que l'on ne saurait voir.
Voici un certain nombre de liens avec des articles édifiants sur la souffrance au travail à Pôle Emploi:
Aujourd'hui, on donne des objectifs du type : contrôle de 33% des demandeurs d'emplois. Les radiations se font dans des centres locaux et non plus régionaux, fermés au public et avec des effectifs d'agents pour la plupart volontaires et à courte échéance sans information préalable au conseiller qui reçoit les demandeurs d'emploi. Les usagers sans ressources, illettrés, âgés ou handicapés se voient pénalisés dans leur accès aux ordinateurs et au numérique et sont lourdement impactés par les radiations. Des agents ont pourtant alerté sur les risques de suicides ou dépressions que courent les demandeurs d'emploi les plus fragiles, suite à ces contrôles. La Direction n'a pas répondu à ces alertes. En réaction, des comités de chômeurs ont envahi plusieurs centres de contrôle de recherche d'emploi en France et notamment à Rennes, pour manifester leur mécontentement.
Mes remerciements à cet agent de Pôle Emploi, syndicaliste, qui a accepté de témoigner de son expérience d'un univers de plus en plus "totalitaire" pour les salariés comme les usagers, comme dans bon nombre d'entreprises à gestion managériale néo-libérale, et de plus en plus brutal et vide de sens pour les chômeurs inscrits.
Évidemment, seules peuvent renverser la donne, des orientations politiques qui remettent l'humain, le travail pour tous et le partage du temps de travail contre le tout-marché et le tout profits privés!
Ismaël Dupont, 24 octobre 2019
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