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21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 08:00
Liban: le calvaire des réfugiés syriens (Le Télégramme, Thomas Abgrall, 21 janvier 2018)

Certains réfugiés syriens passent leur sixième hiver au Liban. Depuis leur arrivée au pays du Cèdre, en 2012, leur situation n'a fait qu'empirer. Sans, pour l'instant, d'espoir de retour dans leur pays. 

De notre envoyé spécial. « Regardez dans quel endroit on vit, tout est sale ici ! », lance Amina, le visage cerclé d'un voile blanc, recouvert par une ample capuche de survêtement gris. Son regard perçant balaie ce qu'il reste encore du camp de tentes de Delhamiyeh, dans la plaine de la Bekaa, non loin de la frontière syrienne. Des briques de parpaing jonchent le sol boueux, au milieu de tuyaux en plastique, de cabines de toilettes en tôle défoncée, de vieux pneus. Le chaos au milieu des champs de culture d'oignon et de persil, avec, à l'horizon, les crêtes enneigées de la chaîne de l'Anti-Liban. Amina, mère de trois enfants, est sur le point d'être évacuée du camp qui comptait encore plusieurs centaines de réfugiés syriens, il y a un mois. « L'armée libanaise nous a prévenus à la mi-décembre que nous devions partir. Le soir de Noël, ils sont venus déloger de force des dizaines de personnes », raconte-t-elle en versant quelques brindilles dans un feu de camp. Il ne reste plus qu'une dizaine de tentes. Le motif invoqué par l'armée libanaise : tous les camps informels se situant dans un rayon de six à neuf kilomètres autour de la base aérienne de Riyak doivent être vidés pour « raisons de sécurité ». Pour Amina, c'est un prétexte. « Les autorités libanaises font tout pour nous faire repartir en Syrie. En six ans, nous avons été déplacés quatre fois. Nous sommes fatigués. »

« Nous restons ici pour nos hommes »


 

 

L'évacuation d'une dizaine de camps autour de Riyak a débuté en avril dernier. C'est le premier grand déplacement de masse de réfugiés au Liban. Selon le Haut-commissariat aux Nations unies pour les réfugiés (HCR), il a concerné près de 13.000 personnes. La maman de 32 ans rêve de retourner en Syrie, « plus belle que la France », mais ne partira pas du Liban tant que Bachar al-Assad restera au pouvoir. « Nous restons ici car nous avons peur pour nos hommes. Ils n'ont pas fait leur service militaire et iraient immédiatement en prison à leur retour. Même les plus vieux n'osent pas rentrer, de peur qu'on les utilise comme monnaie d'échange. » Toutes les familles du camp sont originaires de Homs ou de sa banlieue. Ironie du sort, une route nationale située à quelques centaines de mètres du camp mène directement à la « capitale de la révolution syrienne ». « La situation n'est pas encore revenue à la normale là-bas. Nos proches, restés sur place, parlent encore de bombardements, d'arrestations », explique une autre femme qui fait flamber une grosse pomme de terre sur les braises.

Moins de trois dollars par jour


« Le mois de septembre dernier a été le plus meurtrier depuis le début du conflit en Syrie. Seulement 10.000 réfugiés sur un million enregistrés au Liban sont retournés dans leur pays », affirme Lisa Abou Khaled, responsable de la communication au HCR. Tenter la traversée vers l'Europe ? Ils n'y pensent même pas. « Nous n'avons même pas les moyens de payer un loyer de 300 euros par mois, alors où trouver l'argent pour payer des passeurs avec tous nos enfants ? », s'esclaffe Karim, un jeune homme âgé de 22 ans, qui s'est joint à la discussion. Alors, ils sont coincés là, au Liban, à tuer le temps entre cafés, pauses « Cedars » (les cigarettes libanaises bon marché »), vivant de peu. Les hommes, pour la plupart, ne travaillent pas, ou bien au noir pour de petits salaires, car ils sont à 70 % sans papiers au pays du Cèdre. Depuis janvier 2015, le gouvernement libanais exige en effet que chaque réfugié de plus de 15 ans paye 200 dollars par an pour un permis de résidence. Une somme rédhibitoire. Et ceux qui veulent travailler doivent renoncer aux aides des Nations unies et se faire parrainer par un garant libanais (« kafeel »), souvent moyennant une somme importante. Les Syriens ne peuvent, de toute façon, travailler que dans trois secteurs : l'agriculture, la construction et le gardiennage. Ils restent cantonnés dans les camps pour éviter les check-points. « Il y a trois barrages militaires autour du camp. Si on est arrêté, on risque la prison, et on ne peut être libéré qu'en régularisant sa situation », explique Omar, un jeune père de famille, qui sirote du maté sur le seuil de sa tente reposant sur une fragile charpente en bois. Les réfugiés vivent surtout grâce à l'aide alimentaire de 27 dollars par personne et par mois du Programme alimentaire mondial et à quelques subsides temporaires du HCR ou d'associations caritatives. En décembre 2017, une étude publiée par les Nations unies a révélé que 58 % des réfugiés syriens au Liban résidaient dans une situation d'« extrême pauvreté », soit avec moins de 2,87 dollars par jour.
 

L'équivalent de 25 % de la population libanaise

Fin décembre 2017, le nombre de réfugiés syriens enregistrés par l'Onu au Liban est pour la première fois, descendu en dessous de la barre du million, une bonne partie d'entre eux ayant émigré vers l'Europe ou en Turquie. Le gouvernement libanais évalue, lui, leur nombre à 1,5 million, représentant environ 25 % de la population libanaise. Mais c'est la Turquie qui accueille le plus de Syriens avec près de 3,5 millions de réfugiés enregistrés. Après le Liban, la Jordanie est le troisième pays d'accueil, avec 655.000 personnes enregistrées. Au Liban, on les considère comme des « déplacés » car le pays n'est pas signataire de la Convention de 1951 relative au statut de réfugié. Si leur niveau de pauvreté a augmenté en 2017, cela s'explique notamment par la baisse de l'aide internationale. Les promesses de financement de la communauté internationale aux Nations unies, budgétées à hauteur de 450 millions de dollars pour 2017, n'ont été honorées qu'à hauteur de 56 %, compromettant jusqu'au dernier moment les aides d'urgence prévues pour aider 800.000 réfugiés à passer l'hiver. « Nous n'avons pas eu d'autre choix que de diminuer nos aides en cash aux familles », explique Lisa Bou Khaled, du HCR. La moitié environ des jeunes Syriens au Liban ne va pas à l'école, mais l'année 2017 a vu augmenter de près de 20 % le nombre d'enfants de 6 à 14 ans scolarisés. Un point positif dans la grisaille ambiante.


 

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