CSG contre cotisations sociales, un grand pas de plus vers la liquidation du système de financement de la protection sociale pensé à la Libération.
Le projet de modification du financement de la sécurité sociale par une hausse de la CSG compensée pour certains par une baisse des cotisations a été présentée par gouvernement comme un moyen de gagner du pouvoir d’achat.
Une entourloupe
La manœuvre du gouvernement est astucieuse. D’une main, il rehausse la CSG pour tous ou presque, puisque l’assiette de cet impôt s’applique à tous les types de revenus : salaires du privé, du public, retraites, épargne, allocations chômage. Seuls les retraités percevant une pension de moins de 1 200 euros pour une personne seule et 1 800 euros pour un couple ne seront pas assujettis à la hausse de 1,7 point, ainsi que les chômeurs. De l’autre main, il rend une part de cet argent en baisse de cotisations sociales aux salariés du privé (les fonctionnaires et retraités n’étant pas concernés par cette mesure) pour que le solde sur leur salaire net soit positif, c’est à dire que le montant de la baisse des cotisations dépasse légèrement celui de la hausse de la CSG.
Mais le gouvernement a annoncé qu’il étalerait en 2018 la baisse des cotisations sociales des salariés du privé, alors que la hausse de la CSG, elle, s’appliquera dès le 1er janvier.
Bilan : la promesse de « hausse » du pouvoir d’achat se transforme en purge au nom de l’austérité.
Ce qu’ont fait remarquer de nombreuses personnalités politiques de tous bords.
Ainsi Eric Woerth (LR) de dire : « L’augmentation des impôts c’est pour tout de suite, la baisse des cotisations c’est pour après, on dirait de la vieille politique. », ou encore le député PS Stéphane Le Foll estimant que la hausse de la CSG va servir à faire « de la trésorerie. (…).
Les Français « vont faussement gagner du pouvoir d’achat. On va leur donner ce qu’on leur prend dans leur poche. (…) Tout cela est une arnaque », a indiqué le député de la France insoumise Éric Coquerel
C’est vrai que depuis le début ça sent l’arnaque : faire supporter aux salariés du privé eux-mêmes une partie de la « hausse » de leur salaire net en piochant dans leurs cotisations, c’est-à-dire dans la partie brute de leur salaire. Les retraités et fonctionnaires étant mis à contribution pour financer l’autre partie. Une « opération blanche » pour le pouvoir d’achat total des Français, puisque les sommes distribuées d’un côté devaient être exactement compensées par la hausse de la CSG pour tous. Dans l’opération certains (retraités et fonctionnaires) verront surtout une baisse nette et franche de leur pouvoir d’achat. Le capital, quant à lui, n’est que très peu mis à contribution grâce à la future taxe forfaitaire plafonnant l’imposition de leurs revenus à 30 % tout compris, inclus les prélèvements sociaux comme la CSG, ce qui les mettra à l’abri d’une mauvaise surprise fiscale. La répartition des richesses produites entre salaires et capital promet ainsi de ne pas être affectée par la mesure, à la différence de vraies augmentations de salaires. Dans l’histoire, certains ne gagneront rien, mais d’autres perdront beaucoup !
Une arnaque, certes, mais, pire, une grave remise en cause du système de financement
Car au-delà de la tentative de tour de passe-passe, c’est un transfert supplémentaire du financement de la protection sociale depuis les entreprises vers les ménages.
C’est André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) à l’Assemblée nationale qui pointe les véritables enjeux.
Clairement, il met en exergue qu’au delà de l’arnaque, ce choix met à nu en réalité « les vraies priorités » du gouvernement.
« Une fois le voile déchiré de l’effet trompeur sur le pouvoir d’achat, reste un projet de liquidation du système de financement de notre protection sociale par la substitution de la CSG aux cotisations sociales. C’est la porte ouverte à une prise en main par l’État de la Sécurité sociale et à la baisse de ses recettes pour ouvrir petit à petit le secteur au privé », dit ainsi l’élu PCF du Puy-de-Dôme
Le CNR avait conçu un système qui consistait à financer la protection sociale par des prélèvements (part ouvrière et part patronale) opérés à la source de la création des richesse (à l’entreprise).
La CSG, mise en place en 1991 par le gouvernement ROCARD, et essentiellement supportée par les salaires, constituait une grave attaque contre ce système, en faisant glisser le financement depuis la source de la création des richesses vers les revenus distribués, principalement les salaires. Le CNPF de l’époque en profitait pour exiger un allègement de la part patronale, ce qu’il obtiendra d’ailleurs, entre autres, par un allègement considérable de la cotisation de la branche famille qui était à sa charge. Ainsi, de 16,75 % sur les salaires sous plafond en 1951, le taux de la cotisation patronale est passé à 5,4 % déplafonnés en 1991.
Puis, de 1,1 % en 1991 le taux de CSG est désormais passé à 7,5 % (8,2 % pour certains revenus), sans compter que se sont rajoutés la CRDS (0,5%), un prélèvement social de 4,5 % et divers autres prélèvements suivant la nature des revenus.
Manifestement, en ouvrant la boîte de Pandorre, les socialistes de l’époque, et tous ceux qui ont pris part à cette décision, directement ou indirectement (ou ont laissé faire), ont pris une lourde part de responsabilité dans le détricotage du système de financement de la protection sociale mis en place à la Libération.
Rappelons qu’en novembre 1990, les députés communistes ont combattu jusqu’au dernier moment le projet défendu avec acharnement par le Premier ministre. Ils se sont fait ainsi les interprètes de tous ceux qui, majoritaires dans le pays, combattaient ce mauvais coup contre la sécurité sociale, Ils ont voté la censure pour s'opposer à ce nouvel impôt frappant essentiellement les salariés, chômeurs et retraités.
Macron, en digne fils spirituel du social-libéralisme et fort du soutien sans faille du grand capital, poursuit et amplifie tout naturellement ce détricotage.
Ainsi, alors que ne subsisterait que la seule part patronale en matière de cotisations sociales, le MEDEF aurait beau jeu d’en demander la diminution et ce jusqu’à sa suppression.
C’est d’ailleurs ce qu’il obtient petit à petit. En effet, en ce moment-même, le gouvernement envisage de pérenniser le CICE par le biais d’un « allègement » des cotisations sociales (improprement appelées «charges» puisqu’il s’agit d’un salaire socialisé). Le MEDEF fait donc d’une pierre deux coups : d’une part pérenniser le cadeau royal qu’est le CICE, et d’autre part se débarrasser progressivement du carcan d’un système de financement d’inspiration marxiste dont il n’a pas pu empêcher la mise en place en 1945 du fait de son attitude de collaboration sous l’occupation.
Et pour parachever la casse du système, il ne resterait donc plus qu’à obtenir la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, que d’aucuns à droite et à gauche (et même certains qui ne s’en réclament pas) appellent de leurs vœux et prônent dans leurs programmes.
On se trouverait alors dans un système entièrement fiscalisé, sous la coupe totale de l’état, au lieu d’un système d’assurances sociales financé par un prélèvement à la source sur les richesses créées et géré par les assurés sociaux eux-mêmes, ce qui avait été pensé et voulu par le CNR.
Certes ça s’appellerait toujours la Sécurité sociale, mais ce serait clairement la fin de l’histoire d’un système d’assurances sociales à la française, que le monde entier nous a longtemps envié, les grands perdants étant les assurés sociaux, dont principalement les salariés, et le grand gagnant le MEDEF et son taux de marge regonflé (1).
Roger Héré - militant de la section PCF de Morlaix, élu à Plouigneau
(1) le taux de marge mesure le pourcentage de la valeur ajoutée conservé par les entreprises après versement des salaires, cotisations sociales et des impôts liés à la production
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