
D'ABORD débrider la croissance et relancer l'emploi ; le reste, on verra après : voilà le refrain qu'on entend partout. Aux Etats-Unis, Trump s'attaque à coups de décrets au Clean Power Act, le dispositif mis en place par Obama pour réduire les émissions de CO.., et renonce à fermer les centrales à charbon. De quoi, prétend Trump, donner du boulot à 100 000 mineurs.
En Russie, Poutine profite d'un forum international sur l'Arctique (en partie sous juridiction russe) pour annoncer qu'il considère cette région comme disposant d'« un potentiel économique colossal », avec son gaz et son pétrole, ses minerais, son trafic maritime naissant, et qu'en conséquence il compte bien l'exploiter à mort.
En France, le Medef pond un livre blanc anti-écolo dans lequel il avance 40 propositions pour « simplifier » - en clair, raboter - le droit de l'environnement. Par exemple, dès qu'un projet aurait reçu l'approbation des autorités publiques, plus personne n'aurait le droit de le mettre en cause devant les tribunaux. Le barrage de Sivens et l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes auraient ainsi été inattaquables dès leur déclaration d'utilité publique... Bref, les spécialistes de la courte vue s'en donnent à cœur joie.
Pendant ce temps-là, en Nouvelle-Zélande, les députés viennent d'accorder au fleuve Te Awa Tupua le statut d'« entité vivante ». Tout comme un humain, il sera doté d'une personnalité juridique, dont les intérêts pourront être défendus devant les tribunaux par des personnes qui le représenteront, parleront et agiront en son nom. Ils sont fous, ces Maoris ?
Peut-être. Mais il y en a d'autres : l'Inde vient de reconnaître le Gange et l'un de ses affluents, la Yamuna, deux fleuves affreusement pollués, comme personnes morales. Déjà en 2008 l'Equateur avait inscrit dans sa Constitution les droits de Pachamama, la terre mère. La Bolivie avait suivi. L'an dernier, les Kanaks des îles Loyauté ont fait en sorte que des éléments de la nature, et bientôt certains animaux totémiques comme le requin, la tortue, certaines plantes ou sites sacrés, puissent eux aussi jouir de ce statut (« Libération», 29/3).
Reconnaître des droits à la nature pour mieux la protéger sera-t-il efficace ? Les juristes en débattent. Le 29 mars, le Parlement européen a évoqué la possibilité de lancer une initiative citoyenne sur ce sujet. « Le climat s'est emballé, la biodiversité s'est effondrée, la pollution est omniprésente, et les conditions mêmes de la vie sur Terre commencent à être menacées. Nous ne pouvons plus rester spectateurs »,note la juriste Valérie Cabanes (« Le Monde », 31/3).
Quoi ? La priorité ne serait plus la croissance à tout prix ? Il faudrait que l'homme ne soit plus entièrement « maître et possesseur de la nature » ? Et reconnaisse que celle-ci a le droit de se défendre contre ses attaques, ses prédations, ses nuisances ? Et se demande à quoi sert d'avoir du boulot si c'est pour construire un monde invivable ? On entend d'ici le rire de Trump, Poutine, Gattaz &Co.
Jean-Luc Porquet (Le Canard Enchaîné)
commenter cet article …