La baisse des aides personnelles au logement de 5 euros au 1er octobre a relancé la polémique sur l'efficacité de ces aides. Leurs contempteurs les trouvent inflationnistes et inefficaces. Mais les APL n'ont pas que des défauts et les réduire sans politique alternative relève de l'inconscience
Feu sur les aides personnelles au logement (APL) ! La décision du gouvernement de couper de 5 euros par mois les APL (et les autres aides personnelles au logement) à partir du 1er octobre a lancé à nouveau la polémique sur leur efficacité. Ces critiques sont récurrentes depuis plusieurs années, notamment à l’initiative de la Cour des comptes qui, en 2015, avait remis un rapport très négatif au Sénat sur le sujet, rapport qu’elle cite à nouveau dans son audit sur les finances publiques transmis le 29 juin dernier au premier ministre. Ces critiques se divisent en deux accusations majeures : le caractère coûteux et inefficace des APL. Qu’en est-il vraiment ?
Certes, les aides personnelles au logement coûtent cher au budget de l’État. En 2016, leur montant a avoisiné les 17,7 milliards d’euros, soit 43,2 % de l’ensemble des dépenses publiques consacrées au logement (41 milliards d’euros). Cette masse importante place ces aides directement dans le viseur d’un gouvernement qui semble entièrement concentré sur la baisse des dépenses publiques. Du reste, dès jeudi, Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, avait prévenu que l’action de l’exécutif portera dans les prochains mois « sur l'amélioration de l'efficacité des politiques du logement, de formation professionnelle et d'intervention sociale ». Les APL, à la confluence des politiques du logement et de l’intervention sociale, étaient donc naturellement visées. Et cette baisse de 5 euros pourrait donc n’être qu’un premier pas.
Évolution des mesures d'aides au logement © Commissariat général au développement durable, compte du logement 2016
Le coût des APL est souvent jugé explosif. La Cour des comptes évoque une « inflation des coûts ». Et en effet, en volume, les dépenses liées aux APL ont augmenté de 25 % depuis 1994 avec une progression de 10 % des bénéficiaires. Mais ces chiffres doivent être relativisés. D’abord, ils ont accompagné la croissance équivalente de l’économie. Ensuite, comme le souligne sur son blog hébergé par Alternative économiques l’économiste de l’OFCE Pierre Madec, la France ne fait plus figure d’exception. Avec moins de 1 % du PIB consacré aux APL, la France est très en deçà de la politique britannique, pourtant parcimonieuse, qui y consacre 1,5 % du PIB et proche de celle du Danemark (0,8 % du PIB). Certes, on est loin de l’Allemagne et de l’Espagne, avec 0,5 % du PIB, mais ces deux pays ont des structures assez différentes de celles de la France. Outre-Rhin, le parc locatif privé est pratiquement deux fois plus important qu’en France et en Espagne, la priorité est donnée à l’accès à la propriété (avec des conséquences parfois désastreuses). Dans les deux cas, la démographie est moins dynamique qu’en France.
Certes, la politique du logement participe à hauteur de 0,5 point de PIB à l’écart de dépenses publiques entre la France et la zone euro, selon la Cour des comptes. Mais cet écart n’est d’abord qu’une faible part de l’ensemble de l’écart (5,9 % des 8,5 points de PIB d’écart) et il peut aisément s’expliquer par la situation démographique française, très différente de celle de la moyenne de la zone euro, ainsi que par les structures du marché du logement en France (concentrations métropolitaines, pénuries de logement, faiblesse du parc locatif privé). La contribution des APL à cet écart est donc réduite, et justifiable.
Ensuite, comme on l’a vu, le coût des APL rapporté à la richesse nationale est stable depuis plus de 20 ans. Cela signifie qu’il n’y a pas « d’inflation » de la dépense comme l’avance l’institution de la rue Cambon. Si la dépense publique progresse en regard du PIB, elle ne le doit pas aux APL. Or cela représente un réel problème puisque, parallèlement, depuis 1994, les dépenses de logement des ménages ont progressé de deux points de PIB. Ce qui signifie très simplement que l’État a d’ores et déjà choisi de contrôler ses dépenses en laissant aux ménages locataires le poids de l’augmentation de la hausse des loyers depuis 1994. Un choix qui s’est fait par une sous-estimation des loyers dits plafonds utilisés pour le calcul des prestations. Pierre Madec souligne ainsi qu’entre 2000 et 2010, le loyer moyen des allocataires a progressé de 32,3 % alors que les loyers-plafonds ont progressé de 16,3 % seulement. Bref, il n’y a pas « d’explosion » du coût des APL. Selon le rapport de la commission des comptes du logement, le mouvement s’est même accentué en 2016. En revanche, les aides personnelles au logement représentent une dépense importante en volume, et c'est ce qui suscite l’intérêt de ceux qui veulent trancher dans le vif des dépenses publiques.
Aussi ces derniers avancent-ils l’argument d’inefficacité des APL, qui imposerait de cesser de dépenser rapidement ces 17,7 milliards d’euros. Pour ce faire, trois arguments sont formulés : celui des difficultés persistantes de la situation du logement en France malgré les APL, celui de l’effet inflationniste de ces prestations sur les prix et celui de la captation de ces aides par les bailleurs. Chacun de ces trois arguments repose sur un des classiques de ce que le sociologue et économiste étasunien Albert Hirschmann appelait la « rhétorique réactionnaire », et plus précisément « l’effet pervers ». Selon ce discours, le remède serait pire que le mal. En tentant de donner accès aux logements aux plus fragiles par les APL, on les en priverait. Conclusion : il faudrait donc supprimer le remède. La critique des aides personnelles au logement fonctionne sur ce ressort.
Mais qu’en est-il en réalité ? L’inefficacité globale de la politique du logement a été avancée notamment par Édouard Philippe dans son discours de politique générale. Et il est vrai que la France est frappée par le mal-logement qui, selon l’enquête nationale de l’Insee, toucherait au sens large près de 12 millions de personnes. Mais faut-il en accuser les APL ? Pour Pierre Madec, le procès en inefficacité oublie que ces aides ont également eu des effets positifs, notamment sur la qualité des logements loués qui est globalement meilleure qu’ailleurs en Europe. Pour lui, le vrai problème est que l’on a organisé, pour des raisons budgétaires, l’inefficience des APL. « En déconnectant les aides du montant des loyers pour faire des économies, on a réduit de fait leur efficacité, mais si elles sont inefficaces, ce n’est pas parce qu’elles sont trop élevées, mais bien parce qu’elles sont trop faibles », explique Pierre Madec. Baisser les APL sous prétexte d’une inefficacité organisée n’a donc pas de sens.
Par ailleurs, il convient de ne pas oublier que le problème du logement en France est aussi un problème de construction et d’investissement. Or les « aides à la pierre », la partie de la politique du logement qui soutient l’offre, sont plus élevées que les aides personnelles qui soutiennent la demande… avec une efficacité toute relative. « Les dispositifs de soutien à l’investissement locatif comme les lois Scellier ou Pinel sont coûteux et n’ont guère permis de développer l’offre », remarque Pierre Madec. Bref, cibler les aides personnelles au logement sous prétexte d’inefficacité de l’ensemble de la politique du logement est peu recevable.
Un effet inflationniste néfaste ?
Qu’en est-il alors de la politique inflationniste et du transfert de richesse vers les bailleurs ? L’argument est simple : les APL sont en réalité une subvention aux bailleurs puisqu’elles ne sont destinées qu’à ce type de dépense. Dès lors, il s’agit d’un transfert du budget de l’État vers les bailleurs, qui incite ces derniers à augmenter leurs loyers pour capter l’essentiel de cette subvention. Cet argument a du poids, c’est sans doute celui qui fait le plus mouche dans la mesure où il révèle un effet pervers particulièrement injuste non seulement pour les bénéficiaires des aides, mais aussi pour les autres locataires qui sont victimes de la hausse des loyers. Cet effet inflationniste a été assez bien montré par plusieurs études.
Pourtant, comme le souligne Pierre Madec, il convient de rappeler qu’il a surtout été fort dans les années 1990, lorsque le système a été mis en place et, particulièrement, lorsqu’on a intégré les étudiants dans ces aides. Ce sont d’ailleurs sur les années 1990 que portent les études qui mettent en relief l’effet de hausse sur les prix. Depuis, cet effet inflationniste est plus contestable, précisément parce que le calcul des aides est déconnecté du prix du marché. Or, alors « que l’on sous-indexait les aides, les loyers ont continué à augmenter fortement », remarque Pierre Madec. Il est difficile d’attribuer aux APL la paternité de la hausse des loyers lorsque neuf dixièmes des bénéficiaires paient déjà un loyer supérieur au plafond et prennent donc à leur charge toute hausse des prix.
Évolution de la part du logement dans les dépenses des ménages © Commissariat au développement durable : comptes du logement 2016
Mais en réalité, la question doit être posée différemment : faut-il réduire les APL pour obtenir une baisse des loyers ? Ce serait faire preuve d’une certaine naïveté. L’offre restant sous-dimensionnée par rapport à la demande, les bailleurs, par ailleurs contraints par la politique d’encadrement des loyers dans plusieurs grandes villes, n’auraient sans doute aucune envie de baisser les loyers. Pour obtenir une telle baisse, il faudrait que les locataires puissent être en capacité d’exercer une pression sur les bailleurs. On n’y est pas. « Une expérience de ce type a été tentée au Royaume-Uni et elle a échoué », rappelle Pierre Madec qui souligne que l’existence d’un effet inflationniste n’induit nullement une élasticité à la baisse des loyers avec les APL. Aucun des auteurs des études soulignant l’effet inflationniste ne recommande d’ailleurs une baisse des prestations.
Enfin, la véritable question, jamais réellement évoquée, est celle de la capacité de logement des bénéficiaires des APL sans ces aides. En dépit de l’effet inflationniste sur les loyers de ces aides (qui est très difficilement quantifiable), il n’est pas certain qu'elles soient inefficaces au sens où les locataires pourraient, sans elles, se loger dans les mêmes conditions. Ces aides personnalisées sont en effet fortement redistributives : les trois quarts des bénéficiaires sont concentrés dans les trois premiers déciles de revenus. Quand bien même – et aussi scandaleux ce phénomène soit-il – cette prestation finirait-elle dans les poches des bailleurs, elle permettrait de donner accès au parc privé de logement aux plus faibles revenus. Rien ne prouve qu’en l’absence de ces aides, cet accès serait garanti. En l’absence d’investissement majeur de l’État sur le parc social et de la situation globale du mal-logement, ce n’est pas là anecdotique, mais central.
Il y a bien ainsi un effet de soutien au pouvoir d’achat des plus modestes. L’enquête nationale logement de l’Insee soulignait ainsi, rappelle Pierre Madec, que les aides personnelles au logement permettaient de réduire le taux d’effort des ménages allocataires, autrement dit la part des revenus consacrée aux loyers et charges, de 12,6 points en moyenne. Si l’on ajoute que cela leur permet d’avoir accès au parc privé, c’est une clé essentielle de la politique sociale française. Aussi, toute ponction sur ces aides est une ponction sur leur pouvoir d’achat et il est évident que cela ne contribuera nullement à une réduction des inégalités, mais plutôt à leur creusement. Il en serait de même de la solution souvent avancée de fusionner APL et minima sociaux comme le RSA. Il n’est pas certain que cette mesure réduirait l’effet inflationniste et continuerait à assurer un accès au parc locatif privé des premiers déciles.
In fine, l’inefficacité des aides personnelles semble plus problématique que ce que les raccourcis de leurs adversaires prétendent. L’effet pervers n’est pas évident : si l’on supprimait les APL, on n’aurait aucune garantie que les prix généraux du logement baisseraient et que la situation du logement s’améliorerait pour les plus modestes. Bien au contraire.
Cela ne signifie pas qu’il ne convient pas de repenser le dispositif qui est, certes, loin d’être parfait, notamment concernant les modulations régionales du dispositif et son efficacité pour réduire le taux d’effort des ménages. Mais toute remise en cause des APL devrait nécessairement s’accompagner, dans un souci d’efficacité, d’un contrôle accru de l’évolution des loyers et d’une politique active de construction de logements sociaux. Tout autre alternative serait une politique conduisant encore à la dégradation des conditions de logement dans le pays, alors même que le gouvernement mène une politique hautement inflationniste sur les loyers en région parisienne avec sa volonté d’attirer le secteur financier londonien.
Mais une baisse uniforme de la prestation n’a pas d’autre sens que celle d’une ponction sur les revenus des plus modestes, puisqu’il est évident que les loyers ne réagiront pas à la baisse. Autrement dit : la rente ne sera pas mise à contribution, seulement les revenus des bénéficiaires qui, rappelons-le, appartiennent pour trois quarts d'entre eux aux trois premiers déciles. Son caractère injuste est renforcé par la nature forfaitaire de la baisse qui en fait une forte de poll tax, d’impôt forfaitaire unique recueilli sur les plus pauvres. Cette mesure est un grand classique de la pensée néolibérale qui cherche en permanence à transférer une partie des revenus des plus pauvres vers les plus riches, comme l’a montré Laurent Mauduit dans son article ISF vs APL : cadeaux pour les ultra-riches et ponction sur les plus pauvres. Le gouvernement ne cherche pas même à améliorer le système, à le rendre plus efficace, il se contente de couper les prestations. Preuve d’un manque de vision, d’ambition et de réalisme. Après cette mesure, non seulement la situation du logement ne sera pas améliorée, mais les objectifs de finances publiques ne seront pas atteints.
Car, compte tenu de la faiblesse des recettes de cette hausse – 400 millions d’euros en année pleine alors qu’il faut trouver 5 milliards d’euros cette année et 20 l’an prochain –, cette mesure a d’abord un caractère vexatoire et politique. Ce que l’on cherche à montrer, c’est que les maux de la France proviennent d’assistés qui jouissent de la dépense publique aux dépens des créateurs de richesse. On se garde bien de toute réforme d’envergure. Là encore, c’est un grand classique de la politique néolibérale à laquelle le couple exécutif semble s’être définitivement rallié.
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