L’HUMANITE
Mercredi 4 janvier 2016
Christian cavaillé, professeur de philisophie a la retraiteet auteur de poesie
LETTRE OUVERTE DE JUAN MANUEL FANGIO *
Monsieur, j'ai suivi d'en haut vos performances de coureur automobile amateur et d'homme politique ambitieux. Vous conduisez assez bien et vous ne vous débrouillez pas trop mal. Dernièrement, vous avez spectaculairement et nettement remporté la primaire de la droite et du centre: encore en quatrième position deux tours avant la fin vous avez remonté et doublé tous vos concurrents. Vous savez négocier les plus sinueux virages et vous déclarez en même temps que vous mettrez en oeuvre une politique « radicale » entendons, particulièrement brutale , si vous parvenez au sommet de l'État. Vous ne ressemblez pas seulement à un pilote de course automobile, vous ressemblez aussi et surtout au conducteur du camion qui a foncé sur la foule à Nice, le 14 juillet, et à celui qui a perpétré un acte semblable à Berlin, le 19 décembre: amputation du temps et des moyens de vivre des travailleurs par augmentation du temps de travail sans compensation salariale, hausse de la TVA, nouveau recul de l'âge ouvrant droit à la retraite, démembrement par désétatisation de la Sécurité sociale, dispersion et volatilisation des services publics bradés au privé. Pendant ce temps, installés dans le camion, les bénéficiaires de la réduction des impôts payés par le capital et de la suppression de l'ISF sablent déjà le champagne.
Ne froncez pas les sourcils d'indignation devant ma comparaison: évidemment, vous n'êtes pas un terroriste prêt à faire couler le sang sur les avenues et les trottoirs, d'autant que vous arrondissez déjà les angles de vos pare-chocs économiques et que vous faites briller vos enjoliveurs souverainistes et traditionalistes, mais vous vous apprêtez à faire plus de victimes que les djihadistes car votre projet est bien de tailler dans la masse.
Avant de vous écrire, j'ai relu et revu le Camion, de Marguerite Duras, revu Duel, de Steven Spielberg, réécouté Putain de camion, de Renaud. Il faut dire que, depuis mon départ de votre monde, j'ai eu le temps de perfectionner ma culture littéraire et artistique, ma culture politique et ma pratique de la langue française.
Philippe Séguin, ce « gaulliste social » que vous avez bien connu, m'a beaucoup aidé et a corrigé cette lettre; il ne vous adresse pas ses voeux. Moi non plus. Je les réserve aux victimes survivantes de tous les camions écrabouilleurs et à ceux qui tentent d'en arrêter la course. Un dernier mot, monsieur Fillon, ne vous accordez pas trop d'importance, vous n'êtes pas le seul à concevoir et à pratiquer la politique comme la conduite d'un camion-bélier.
J'arrête là-dessus la lettre de non-voeux qui vous est destinée, en confiant au journal l'Humanité le soin de la transmettre et de la rendre publique.
bernard lamirand animateur du comite national ambroize croizat
MENACE SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE, CETTE CONQUÊTE DU MONDE DU TRAVAIL
Le candidat officiel de la droite et du patronat s'appelle François Fillon. Nous avons eu à le connaître quand il fut dans le gouvernement de Balladur, en 1993, puis de Raffarin, en 2002, et enfin comme premier ministre de Sarkozy, de 2007 à 2012. Une longue carrière antisociale. Ce personnage, conservateur libéral, admirateur de Margaret Thatcher, la Dame de fer premier ministre britannique, et de Gerhard Schröder, ancien chancelier allemand, qui ont démoli respectivement le système social de leur pays. En 1993 (il était déjà ministre), quand Balladur proclama les ordonnances ravageuses de la Sécurité sociale sur les retraites, notamment concernant la durée de cotisation nécessaire pour avoir droit à une pension à taux plein (de 150 à 160 trimestres concernant le calcul de la retraite du régime général et le calcul sur les 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures années), ainsi que le décrochage des revalorisations à partir de l'indice des prix à la consommation au lieu des salaires, Fillon approuva toutes les mesures prises par la droite de 1993 à 2012.
Ce personnage a le toupet de dire qu'il a toujours défendu le devenir de la Sécurité sociale. Des milliards d'euros ont été ainsi pris aux retraités pendant toutes ces années, contribuant à les appauvrir. Il fut l'ordonnateur de la remise en cause de la retraite à 60 ans et fut celui qui la fixa sous son gouvernement à 62 ans. Il participa à toutes les « saletés » faites concernant la Sécurité sociale, ce qui amènera des manifestations importantes dans le pays pour les retraites en 2010.
Il serait long de mettre en évidence tous les méfaits de ce gouvernant venu du gaullisme et ayant toujours en vue de mettre par terre la plus belle conquête du monde du travail, la Sécurité sociale, car il s'agit de cela, même s'il jure, la main sur le coeur, qu'il n'en est pas question. Cet homme déteste ce qui relève de la solidarité et de régimes sociaux à caractère collectif, et il fait partie de cette caste de dirigeants politiques liés au capital et aux forces de l'argent décidés à abattre cette grande conquête sociale. Ces gens-là n'ont jamais accepté qu'on passe d'un système inégalitaire où régnaient les assurances privées et les mutuelles avant guerre à un système solidaire et par répartition à la Libération avec le programme du Conseil national de la Résistance (CNR). De Gaulle ne l'a accepté que contraint et forcé par le rapport de forces qui donnait à la CGT et au Parti communiste un réel pouvoir pour imposer la Sécurité sociale. En 2007, dans la revue patronale Challenges, Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, indiquait ceci : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer (...). La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. »
La Sécurité sociale fut mise en place par Croizat et Laroque avec rapidité, et, devant les bienfaits qu'elle apportait aux travailleurs, ne put être remise en cause sur ses fondements par les pouvoirs successifs après le départ des ministres communistes en 1947. L'universalité de la Sécurité sociale proclamée par Croizat fut, dès 1946, l'objet d'une bataille pour en réduire la portée et, si elle fut votée, ne fut jamais appliquée parce que les forces de la réaction, notamment les professions libérales, les gros agriculteurs, les commerçants et artisans, n'en voulaient pas. L'arrivée, demain, au pouvoir de Fillon et la présence du FN aboutiraient à mettre un terme à cette grande conquête de la classe ouvrière qui fait encore la fierté de la France dans le monde malgré les coups de boutoir qui lui sont portés depuis plusieurs décennies. Cette Sécurité sociale, Fillon et ses acolytes du Medef ne peuvent plus la supporter et, dans le sillage des remises en cause de Hollande et de Valls, il s'agit, demain, d'en faire une sorte de valise de secours et de transférer la plus grande partie de l'assurance-maladie vers le privé. Ils entreprennent le dépècement en mille morceaux de la Sécurité sociale et de sa cuirasse, la solidarité intergénérationnelle. La Sécurité sociale deviendrait alors un système rabougri, inégalitaire et à plusieurs vitesses.
Il y aurait ceux et celles qui pourront se payer les meilleurs soins, et les autres, qui auraient le minimum vital, comme aux États-Unis. Le travail de sape engagé depuis plusieurs décennies nous montre que les droits ne sont plus à la dimension de ce que ses créateurs envisageaient, c'està-dire une Sécurité sociale remboursant tous les soins à 100 %. Derrière tout cela, se cache la main patronale, celle qui vise à se débarrasser de toutes
les cotisations sociales. L'objectif est aussi de placer la retraite à 65 ans du régime général ; une nouvelle attaque de grande ampleur qui pourrait coïncider avec une fusion du régime général avec les retraites complémentaires pour parfaire la réduction des prestations retraite. Une retraite à 65 ans qui conduirait à ce que des travailleurs n'ayant pas le nombre d'années de cotisations n'ayant pas le nombre d'années de cotisations suffisantes soient obligés d'attendre les 70 ans pour une retraite pleine et entière.
Cet homme est dangereux pour tous les travailleurs de ce pays, en particulier pour les générations qui vont accéder, dans les années prochaines, à la retraite dans les pires conditions et subiront une autre peine : des droits en matière de santé amputés et des allocations familiales réduites. La Sécurité sociale est née pour mettre un terme à des systèmes inégalitaires d'avant-guerre, des systèmes où demeuraient des formes de charité. Avec Fillon, réactionnaire et catholique orthodoxe, il ne restera pour les pauvres que d'aller, la sébile à la main, réclamer quelques pièces de la part de ces riches débordant de magnanimité après avoir détroussé le monde du travail. Cet homme est un danger public.
olivier caremelle president du collectif des elus démocrates et republicain pour l’education (cedre) – adjoint au maire de lomme (nord)
« LE PROGRAMME DE FRANÇOIS FILLON, C'EST UNE PURGE (...) JAMAIS PROPOSÉE DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE », A DÉCLARÉ HENRI GUAINO SUR EUROPE 1. LA REMISE EN CAUSE DU SERVICE PUBLIC D'ÉDUCATION
N'ayons pas la mémoire courte. François Fillon, alors premier ministre entre 2007 et 2012, a légué à la France et aux Français une immense dette éducative. Ses gouvernements, sous l'autorité de Nicolas Sarkozy, ont détruit pendant la période près de 200 000 postes de fonctionnaires, dont 80 000 pour l'éducation nationale. Ces retraits massifs ont eu des conséquences concrètes : fermetures de classes dans le primaire, fermetures de sections dans les lycées professionnels et d'options dans les lycées généraux et technologiques, quasi-disparition des Réseau d'aide à l'enfance en difficulté (Rased), éradication de la scolarité des moins de 3 ans, mise en place de l'école sur quatre jours, montée des effectifs par classe, fin de la formation des enseignants... Toutes ces conséquences ont, ellesmêmes, provoqué pendant dix ans des effets nocifs mis en lumière par le classement Pisa, qui évalue les acquis et les compétences des élèves. Comme les classements précédents, la nouvelle vague d'enquêtes met en lumière les inégalités scolaires, fruit des inégalités sociales et du déterminisme. Ce que Bourdieu appelait opportunément les « exclus de l'intérieur ».
Tous les efforts entrepris depuis 2012, notamment la loi de refondation de l'école, ont cherché à reprendre le fil du combat pour l'éducation et pour l'émancipation. Tous les efforts, incontestables, entrepris depuis 2012, ont permis de renouer avec la formation des enseignants, la réattribution, pour l'heure, de plus de 50 000 équivalents temps plein, la priorité au primaire par la réforme des rythmes scolaires et le dispositif « Plus de maîtres que de classe », le combat contre le décrochage et la promotion du raccrochage scolaire, ou encore la réforme du collège qui s'installe dans le paysage éducatif. Un lien entre tout cela ? La promotion viscérale de l'égalité et la vision claire d'un système éducatif qui doit être plus bienveillant et plus inclusif, en particulier sur les liens entre l'éducation, la formation et l'insertion sociale et professionnelle.
Oui, tout ce travail peut être réduit, demain, à néant avec les propositions de suppressions de fonctionnaires et la remise en cause du service public d'éducation. Combien d'enseignants, de personnels éducatifs pourtant indispensables ne seront ni remplacés, ni recrutés pour faire face aux difficultés d'une école massifiée et démocratisée ?
Propose-t-on, demain, de raréfier l'accès à l'école, de trier les élèves, de filtrer, voire empêcher les lycéens d'accéder à l'université, alors qu'est déjà sur la table la disparition des lycées professionnels ? Scandaleux ! Comment, demain, faire mieux avec beaucoup moins, alors que l'école, au sens large, sera vécue comme une variable d'ajustement budgétaire ? Faudra-t-il renvoyer une nouvelle fois aux familles la charge et le coût de l'éducation pour consolider la fortune des officines privées ou asseoir davantage le privé sous contrat ? Inacceptable !
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