L’HUMANITE
Jeudi 5 janvier 2016
PIERRE DUQUESNE
LA PAUVRETÉ EXPLOSE. LES ASSOCIATIONS S’INDIGNENT. L’URGENCE S’IMPOSE DANS LA CAMPAGNE ÉLECTORALE.
QU'EST-CE QU'ÊTRE PAUVRE ? EN FRANCE MÉTROPOLITAINE, UN INDIVIDU EST CONSIDÉRÉ COMME PAUVRE QUAND SES REVENUS MENSUELS, APRÈS IMPÔTS ET PRESTATIONS SOCIALES, SONT INFÉRIEURS À 840 EUROS OU 1 008 EUROS, SELON LA DÉFINITION DE LA PAUVRETÉ UTILISÉE (SEUIL À 50 % OU À 60 % DU NIVEAU DE VIE MÉDIAN).
1 MILLION C'EST LE NOMBRE DE « TRAVAILLEURS PAUVRES », LES PERSONNES EN FRANCE QUI EXERCENT UN EMPLOI MAIS DISPOSENT D'UN NIVEAU DE VIE INFÉRIEUR À 840 EUROS.
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«Les associations en ont assez d'être sages », a prévenu Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre et porte-parole du Collectif des associations unies (CAU). Ce dernier, qui regroupe 14 000 structures qui luttent, sur le terrain, contre le mal-logement et le sans-abrisme, ne cache plus sa colère contre la montée inexorable de la pauvreté en France.
Avec le collectif Alerte, fédérant de son côté 38 grandes associations de lutte contre l'exclusion (Secours catholique, Aurore, Croix-Rouge française, Banques alimentaires...), ces associations ont décidé d'entrer de plain-pied dans la campagne de 2017. Quitte à organiser, s'il le faut, « des mobilisations citoyennes devant les QG ». Un site Internet va être lancé dans les prochains jours pour « dénoncer les contrevérités » et « l'instrumentalisation de la misère humaine à des fins politiciennes », explique Florent Gueguen, à la tête de la Fnars, fédérant 840 associations gérant des centres d'hébergement et de réinsertion.
Une « autre campagne », donc, avec un objectif : éviter que les 8,8 millions de personnes vivant avec moins de 60 % du revenu médian, soit un revenu inférieur à 1 063 euros, ne soient « exclues du débat politique, exclues des propositions et des priorités des principaux candidats à l'élection ».
INÉGALITÉS LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ, UNE URGENCE POLITIQUE
UN MILLION DE PAUVRES EN PLUS DEPUIS DIX ANS. FACE À CE CONSTAT DRAMATIQUE, LE MILIEU ASSOCIATIF A DÉCIDÉ D'ENTRER DE PLAIN-PIED DANS LA CAMPAGNE.
C'est l'un des pires hivers depuis cinq ans. « À Lyon, dans les quinze premiers jours de décembre, 1800 personnes qui n'ont pas pu obtenir d'hébergement par le 115, chargé de mettre à l'abri en principe toute personne qui y fait appel. Cette situation critique n'a pas suscité la moindre réaction politique », explique Florent Gueguen.
La cote d'alerte a pourtant été dépassée depuis plusieurs années. « Notre pays compte 1 million de pauvres de plus en dix ans. Le nombre de SDF a augmenté de 50 % entre 2001 et 2012. Les expulsions locatives ont vu leur nombre croître de 24 % l'an dernier. (...) La moitié des demandeurs d'emploi ne perçoivent pas d'allocation chômage », rappelle Christophe Robert, dans une bien triste énumération. Le dirigeant associatif dénonce un terrible « décalage » entre la réalité vécue par une grande partie de la population et les discours politiques de ce début de campagne.
À première vue, pourtant, le sujet n'est pas totalement absent des débats. Le revenu universel, ou de base, est l'un des points de clivage sur lesquels s'affrontent déjà les candidats de la primaire du PS et de ses alliés. La dernière émission de Jean-Luc Mélenchon sur sa chaîne YouTube, Pas vu à la télé, a été consacrée à la pauvreté et mise en ligne fin décembre. Lors de la convention de la France insoumise, à Lille, une mère célibataire était venue raconter son quotidien à la tribune, et ses interventions sur le sujet ne manquent pas dans ses meetings.
Quant à François Fillon, son premier déplacement de l'année 2017 a été effectué dans un centre Emmaüs Défi dans le 19e arrondissement de Paris. Bien sûr, une telle opération n'était pas dénuée d'arrière-pensée politique, après l'indignation suscitée, dans de larges pans de la société, par ses propositions sur la Sécurité sociale. Devant des personnes en insertion, travaillant dans cette boutique solidaire, François Fillon a néanmoins annoncé qu'il mettrait en œuvre, s'il est élu, « une grande loi de programmation pluriannuelle » contre la pauvreté et a joué un couplet de charité chrétienne dont il a le secret. Ajoutant même, devant les journalistes, que ses parents avaient participé à la création d'un centre Emmaüs au Mans après l'hiver 1954.
« Il y a des visites dans les centres d'hébergement », reconnaît Florent Gueguen. Mais pour l'instant, « il n'en sort pas grand-chose ». Porte-parole du collectif Alerte, et ancien président du Secours catholique, François Soulage est encore plus sévère vis-à-vis du programme du candidat de la droite et du centre : « Quand certains annoncent qu'ils remettront en cause la généralisation du tiers payant, nous, les associations, on sait très bien à qui cela profite. » Le militant, qui tient à se dire lui aussi « chrétien », insiste sur la nécessité d'agir sur les « causes » de la pauvreté. Florent Gueguen dénonce aussi la dégressivité « des allocations chômage », la suppression de l'aide médicale d'État pour permettre aux étrangers de se soigner, une « menace pour la santé publique », ou les attaques contre les protections sociales... François Soulage, de son côté, alerte sur les annonces qui peuvent sembler à première vue séduisantes, mais qui sont dangereuses. Notamment la proposition de François Fillon de créer une « allocation sociale unique».
« Quand on constate qu'il veut y inclure les allocations logement, qui sont dans l'œil du viseur depuis plusieurs années, il y a de quoi s'inquiéter. » Voilà donc les non-dits que les associations veulent mettre au jour dans les prochaines semaines, à l'image du travail amorcé depuis plusieurs années par ATD Quart Monde. Et ces idées reçues, très nombreuses, se propagent très vite dans l'opinion publique : « La protection sociale coûte trop cher et ne sert à rien ? », « Mieux vaut être migrant que sans-abri français » « Tant qu'une majorité de citoyens ne sauront pas que le RSA ne permet pas d'avoir une vie digne, il y aura toujours des responsables politiques qui pourront surfer sur l'idée que les personnes aux minima sociaux sont des profiteurs. Si on veut parvenir à l'augmenter, il faut mener une bataille culturelle », explique François Soulage. Et d'ajouter : « Tant que l'on ne répétera pas que la fraude fiscale représente 20 milliards d'euros, et la fraude au RSA 20 millions d'euros, certains responsables politiques pourront continuer de dénoncer l'assistanat. »
François Fillon a dû infléchir son propos. Le Sarthois a en effet dénoncé, dans son livre, et dans de nombreux meetings, les « discours très durs sur les assistés qui resteraient à la maison aux frais de ceux qui travaillent et paient des impôts se sont multipliés ces dernières années ». Son approche est plus pernicieuse, s'appuyant sur la pauvreté pour attaquer le modèle social qui a pourtant limité les effets de la crise de 2008. Quand certains, comme François Fillon, prennent prétexte de l'aide aux plus pauvres pour défaire la protection sociale, qui protège un grand nombre de Français, l'extrême droite, elle, quand elle évoque la pauvreté, c'est surtout pour exclure une autre catégorie de la population en difficulté. Pour connaître ses propositions sur la pauvreté, il faut se lever tôt. Le dernier communiqué du FN sur le sujet date 9 juin 2015...
« Décrypter les intox et le fact checking n'a pas empêché l'élection de Trump et le Brexit, prévient toutefois Jean-Christophe Sarrot, d'ATD Quart Monde. La tentation d'exclure l'autre pour s'en sortir est un récit qui fonctionne, encore plus que le discours de vérité. Pour contrer de discours, il faut inventer un autre récit, un rêve, celui de créer une nouvelle société qui profiterait à tous, et pas uniquement à la catégorie des plus pauvres. »
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DES FAMILLES PLUS INQUIÈTES « LA CRAINTE DE BASCULER UN JOUR DANS LA PRÉCARITÉ ET DE VOIR SES ENFANTS CONNAÎTRE LE MÊME SORT TOUCHE UNE PART DE PLUS EN PLUS LARGE DE LA POPULATION. » JULIEN LAUPRÊTRE, PRÉSIDENT DU SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS.
LE « PIRE HIVER » POUR LE 115 MALGRÉ LA MISE EN PLACE DU PLAN GRAND FROID, LE NOMBRE DE PLACES D'HÉBERGEMENT D'URGENCE RESTE LARGEMENT INSUFFISANT. SELON LA FNARS, LA MOITIÉ DES 24 375 PERSONNES QUI ONT APPELÉ LE 115 EN NOVEMBRE N'ONT PAS OBTENU DE RÉPONSE. SOIT UNE HAUSSE DE 6% PAR RAPPORT À 2015. LA FNARS REDOUTE « LE PIRE HIVER DEPUIS LONGTEMPS ».