9 OCTOBRE 2016 | PAR ELLEN SALVI
Nicolas Sarkozy a tenu dimanche 9 octobre son grand meeting de campagne pour la primaire de la droite et du centre. Devant un parterre de fans réunis au Zénith de Paris, l’ex-chef de l’État s’en est pris vertement à l’« élite » française et a dégainé ce qui ressemble fort à ses derniers atouts. La période faste du sarkozysme semble désormais révolue. Dans la forme, comme dans le fond.
Il faudrait le croire sur parole, mais la chose n’est pas aisée. Dimanche 9 octobre, en fin d’après-midi, Nicolas Sarkozy a livré sa « vérité » devant près de 6 000 personnes réunies au Zénith de Paris, vérité qu’il présente comme universelle, face à l’aveuglement de cette « élite » française qu’il conspue, cette « élite qui ne prend pas le métro, [qui] voit les trains de banlieue en photo, [qui] regarde avec une larme à l’œil les collèges de ZEP[et qui] n’a jamais mis les pieds dans les exploitations agricoles au bord du gouffre même si elle aime, avec son panier en osier, aller acheter des œufs frais, le matin chez la fermière (sic) ».
Pendant une petite heure, devant un parterre de fans et de proches, dont l’ami de toujours Patrick Balkany, l’ex-chef de l’État a déroulé sa vision de la France telle que lui seul semble capable de la percevoir : « La France de la vie réelle qui est regardée de haut, cette France majoritaire, qui se sent incomprise, qui se sent maltraitée, qui se sent bafouée, qui ne se sent plus représentée, qui n’est plus considérée. » Et dont il n’hésite pas à s’autoproclamer « porte-parole ».
En grande difficulté face à son principal adversaire à la primaire, Alain Juppé, et confronté aux fantômes de son quinquennat, l’ancien président comptait sur ce meeting pour redonner du souffle à une campagne qui n’en finit pas de décélérer. Tout avait été prévu : des bus venus d’un peu partout en France, un océan de drapeaux bleu, blanc, rouge, des invités triés sur le volet et quelques symboles, à l’image d’Ingrid Betancourt, otage des Farc de 2002 à 2008, qui a prononcé sur scène un plaidoyer ubuesque en faveur de son champion.
« J'étais enchaînée à un arbre au fin fond de la jungle amazonienne, mes ravisseurs et moi avons entendu la voix de Nicolas Sarkozy, au travers d’une radio rafistolée qui pendait à la branche d'un arbre, a raconté l'ancienne otage franco-colombienne. J’ai vu la peur se dessiner sur le visage de mes geôliers, sous l’effet de la force des mots que ce jeune président de la France, Nicolas Sarkozy, leur adressait. » Dans la salle, un ange est passé, avant de se fondre dans les drapeaux tricolores et les applaudissements du public.
Dix jours après la diffusion de l’enquête d’“Envoyé Spécial” consacrée à l’affaire Bygmalion, impossible de ne pas penser, dans une telle enceinte, au prix de ce grand meeting. « 120 000 euros en tout, dont 30 000 euros de location de salle », ont rapidement tranché les équipes de Nicolas Sarkozy. Soit cinq fois moins que celui organisé au même endroit, le 18 mars 2007, pour la campagne présidentielle : 641 876 euros. Mais tout de même plus que le montant déclaré à la commission des comptes de campagne (100 104 euros) pour la réunion dispendieuse de Marseille, le 19 mars 2012 –qui dans la réalité avait coûté 770 677 euros.
Cette fois-ci, pas de grands effets de lumière, pas de grue télescopique, pas de scène impériale, mais un simple vidéoprojecteur, quelques chaises… et le sentiment que la période faste du sarkozysme est désormais révolue. Dans la forme, comme dans le fond. Car après avoir écouté ses soutiens – Philippe Goujon, Laurent Wauquiez, Gérald Darmanin, François Baroin… – s’en prendre eux aussi aux « élites », à la gauche, aux« commentateurs » et à la « bien-pensance », Nicolas Sarkozy est à son tour monté sur scène pour tenter de s’imposer comme le représentant de « l’alternance déterminée ». Mais sans grande conviction.
En faisant du « déclassement » le fil rouge de son discours, l’ex-chef de l’État a répété ses propositions en matière d’économie (baisse de l’impôt sur le revenu de 10 %, rétablissement des heures supplémentaires défiscalisées, baisse des charges sur le travail de 34 milliards d'euros, dégressivité des allocations chômage…) et a de nouveau fustigé ce « communautarisme qui s’immisce à l’école, à l’université, dans l’entreprise, dans les piscines, sur les plages ». « Nos ancêtres, il y a les Gaulois, il y a Aimé Césaire aussi, a-t-il encore affirmé en écho à la polémique suscitée par ses propos de Franconville (Val-d’Oise). Toute personne qui veut entrer dans la communauté nationale doit faire sien notre récit national. »
L’ancien président est également revenu sur sa volonté, déjà exprimée au 20 heures de France 2 vendredi soir, de proposer deux référendums, l’un sur la suspension du regroupement familial et l’autre sur l’incarcération des fichés S « les plus dangereux ».« Je solliciterai l’avis des Français par le référendum, car cela sera à eux de décider, et à personne d’autre, a-t-il martelé. Regardez-les. Écoutez-les. En appeler au peuple ! Quel scandale ! Quel populisme ! Et encore une fois, les juristes, les spécialistes, l’État de droit, le Conseil d’État… »
C’est pourtant bien le même Nicolas Sarkozy qui, encore marqué par le référendum de 2005, théorisait en 2007 son opposition à la gouvernance par consultation. « Croyez-vous que, si je suis élu, je vais aussitôt dire aux Français : “Excusez-moi, j'ai besoin de vous demander votre avis sur un autre sujet ?” » demandait-il à l’époque dans un entretien accordé à L’Express. Il faut croire désormais que oui. Depuis qu’il s’adresse à la « majorité silencieuse », celle qui lui a préféré Marine Le Pen en 2012, l’ex-chef de l’État dit tout et n’importe quoi dans l’espoir de récolter ses suffrages. Assimilation, communautarisme, Gaulois… Dimanche, tous les thèmes susceptibles de draguer l’électorat frontiste figuraient à son discours.
« J’entends déjà la voix de ceux pour qui dénoncer le déclassement serait dresser un portrait trop sombre d’une France qu’ils imaginent si heureuse », a-t-il indiqué, en référence au concept d’« identité heureuse » d’Alain Juppé. « La France est trop malade pour qu’on la soigne à doses homéopathiques », a-t-il poursuivi, accusant – sans le nommer – le maire de Bordeaux d’« être le représentant d’une élite pour qui tout va bien », qui croit la France « raciste, sécuritaire, xénophobe » et qui trouve qu’elle« manque de hauteur de vue, qu’elle manque de grandeur morale, qu’elle manque d’humanité et par-dessus tout qu’elle n’est pas moderne ».
Qu’importe si les propositions de l’ancien président – notamment en matière de lutte contre le terrorisme – sont moquées jusque dans les services de renseignement ; qu’importe aussi si elles sont critiquées par les constitutionnalistes, qui doutent que ses projets de référendum n’entrent dans le champ 11 de la Constitution ; qu’importe enfin si nombre d’entre elles vont à l’encontre de l’État de droit, l’ancien président se veut très clair sur le sujet : « J’en ai assez que l’État de droit soit brandi comme prétexte à l’immobilisme. Le propre de l’État de droit, c’est de s’ajuster, pas d’opposer sa rigidité. »
De façon plus générale, des Gaulois aux fichés S, Nicolas Sarkozy adapte tellement son discours à l’air du temps et au public auquel il s’adresse, qu’il est difficile de savoir s’il croit sincèrement en ce qu’il dit. Car à bien des égards, ses différentes sorties paraissent coller à une pure stratégie de campagne, résumée en ces termes à Mediapart par l’un de ses proches, le sénateur LR (ex-UMP) Roger Karoutchi : « Cet été, je lui ai dit qu’il fallait qu’il fasse comme en 2007 : lancer des sujets pour que les autres suivent, même si c’est pour lui scalper la tête. »
Cette stratégie explique bien des mouvements de girouette de l’ex-chef de l’État. Le dernier en date : sa crainte de voir des électeurs de gauche participer au scrutin de novembre. « On ne rassemble pas la France sur l’ambiguïté, a-t-il encore affirmé au Zénith. Je ne veux pas que la primaire de la droite et du centre devienne celle de la droite, du centre et de la gauche, parce que si on cherche à se faire élire avec les voix de la gauche, on trahit l’essence même du vote. » Fin septembre 2014, le même Sarkozy déclarait pourtant sa candidature à la présidence de l’UMP sur Facebook, en expliquant qu’il souhaitait créer « les conditions d’un nouveau et vaste rassemblement qui s’adressera à tous les Français, sans aucun esprit partisan, dépassant les clivages traditionnels qui ne correspondent plus aujourd’hui à la moindre réalité ».
Dimanche, il était tout aussi étrange d’entendre Gérald Darmanin, son coordinateur de campagne, prétendre à la tribune que la gauche ne s’était pas déplacée pour voter à droite « aux municipales, aux départementales et aux régionales », lui qui a été élu au conseil régional des Hauts-de-France en décembre 2015, aux côtés de Xavier Bertrand, précisément grâce aux voix de la gauche, qui souhaitait faire barrage au Front national dans le Nord, comme en région Paca. Mais il s’agissait alors d’une autre époque. D’une autre situation. Et sans doute aussi d’une autre vérité.
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