Bernard Friot: affronter la production de la valeur capitaliste et affirmer sa production communiste
Bernard Friot, sociologue marxiste audacieux politiquement, universitaire, membre du PCF et de son réseau salariat, auteur de L'enjeu du salaire en 2012, de L’enjeu des retraites en 2010, et, toujours aux éditions La Dispute, de Émanciper le travail - Entretiens avec Patrick Zech en 2014, collaborateur du film de Gilles Perret "La Sociale" sur la naissance de la Sécurité Sociale tout dernièrement a écrit une tribune parue dans L'Humanité du lundi 10 octobre sur le thème, débattue entre plusieurs intellectuels "Le revenu de base est-il un outil efficace pour lutter contre le chômage et la précarité?".
Affronter la production capitaliste de la valeur et affirmer sa production communiste.
"Le projet de revenu de base poursuit le projet capitaliste de remplacer le salaire socialisé par les deux "piliers de ressources" que préconise l'Union Européenne: un premier pilier, financé par l'impôt, de revenus du travail, d'indemnisation du chômage, de pension de retraite, de couverture de coûts de famille, de santé et de formation professionnelle: c'est ici que s'inscrit le revenu de base à 800 ou 1000 euros par mois qui se substituerait à tout ou partie du SMIC (et du bénéfice des indépendants), du régime général (et de ses équivalents) de l'Unedic, des minima sociaux. Un second pilier, lié aux performances du travailleur sur le marché du travail ou celui des biens et services, consigné dans des comptes individuels et adossé au marché des capitaux: rémunération à la tâche des autoentrepreneurs et des employés en contrat de mission ou d'objectif, revenu contributif (cf. Stiegler), mutuelles, Agirc-Arrco et autres comptes individuels (jours, formation, pénibilité) regroupés dans le CPA.
Sortir de notre échec face à la mise en oeuvre de ce projet depuis vingt-cinq ans suppose que nous poursuivions ce qu'ont fait nos anciens lorsqu'ils ont commencé à remplacer la production capitaliste de la valeur grâce à sa production communiste grâce au régime général, à la fonction publique et aux nationalisations. Ils ont ainsi commencé à sortir le travail de son carcan capitaliste et à imposer une production de santé, d'éducation, d'urbanisme, de transports, d'énergie par des travailleurs payés à vie et des investissements subventionnés, et non pas livrés à la propriété et au crédit capitalistes.
D'une part, la propriété des entreprises par les travailleurs peut faire des progrès décisifs: interdire les marchés publics aux entreprises à propriété lucrative et les réserver aux seules entreprises qui sont la propriété de leurs salariés; créer une cotisation économique (par exemple, de 20% de la valeur ajoutée marchande, si nous voulons collecter 260 milliards) qui ira à des caisses gérées par les travailleurs et chargées de subventionner l'investissement, en plus de l'autofinancement. Cette cotisation nouvelle sera à coût constant pour les entreprises car elle sera compensée par le non-remboursement des 260 milliards de leurs dettes (ou, si elles sont cotées, le non-versement de dividendes): la lutte contre l'illégitimité des dettes contractées par les entreprises pour l'investissement est aussi importante que celle que nous menons à propos de la dette publique. En créant cette cotisation et en ne remboursant pas les prêts à l'investissement, nous commençons à créer les conditions indispensables au changement de propriété de l'outil de travail.
D'une part, les travailleurs doivent sortir du chantage au chômage, au contrat de mission ou à l'autoentreprenariat par l'extension du salaire à vie. Si, par la même opération blanche, nous augmentions également la cotisation sociale de 20% de la valeur ajoutée marchande en compensant le surcoût que cela représente par un non-remboursement de dettes, nous pourrions affecter ces 260 autres milliards à l'augmentation des titulaires des services publics, à la baisse de l'âge de la retraite - et, au passage, à l'augmentation de toutes les pensions inférieures à 1000 euros -, au maintien du salaire des licenciés, à l'attribution aux 18-22 ans et primo-demandeurs d'emploi du premier niveau de qualification (et du salaire à vie lié à cette qualification), à celle sur épreuve de qualification d'un salaire à vie aux travailleurs indépendants et coopérateurs investis dans des productions marchandes non capitalistes, au paiement des salaires des entreprises reprises par leurs salariés jusqu'à ce qu'elles trouvent leur assiette économique. Ce sera d'ailleurs la seule façon de contrer l'attraction qu'exerce le projet de revenu de base sur ceux qui vivent avec les minima sociaux et ceux qu'exclut le marché du travail ou qui le refusent".
Bernard Friot
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