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LES GRANDS ENJEUX POUR NOTRE PLANÈTE, PAR GÉRARD LE PUILL
Beaucoup de gros serristes européens se sont installés au Maroc pour bénéficier de marges élevées grâce aux bas salaires payés sur place.
En 2012, l'Union européenne a conclu un accord de libre échange avec le Maroc. Il permet à ce pays d'exporter chaque année des millions de tonnes de tomates, concombres, courgettes, melons, poivrons et autres légumes dans tous les pays de l'Union européenne. La France a ainsi importé 340 000 tonnes de tomates marocaines pour la seule année 2014 et sans doute encore davantage en 2015. Ce faisant, notre pays importe beaucoup d'eau du Maroc puisque 95 % du poids de la tomate est de l'eau. Cette eau exportée s'ajoute à celle utilisée dans le circuit d'alimentation de la plante dans cette culture irriguée.
Ces dernières années, l'auteur de ces lignes a été l'un des rares journalistes, voire le seul, à dénoncer régulièrement ces prélèvements en eau dans un pays qui souffre de sécheresses récurrentes alors que beaucoup de serristes de l'Union européenne s'y sont installés afin de bénéficier de marges élevées grâce aux bas salaires payés sur place. La production marocaine augmente aussi les marges des grandes surfaces hexagonales, qui vendent des légumes marocains ayant parcouru plus de 2 000 kilomètres en camions frigorifiques.
Mais voilà que le tribunal arbitral européen a été sollicité récemment pour tenter de régler certains litiges commerciaux avec le Maroc. Il a été saisi par le Front Polisario, qui revendique en droit le Sahara occidental et accuse le Maroc de lui voler l'eau des nappes phréatiques fossiles du désert pour faire pousser ses cultures d'exportation. Ces nappes, comme celles de l'Arabie saoudite, disposent de réserves d'eau datant de plusieurs milliers d'années. Mais elles ne se rechargent plus depuis longtemps, compte tenu des conditions climatiques.
Le tribunal arbitral européen n'a pas voulu prendre parti sur les raisons pour lesquelles le Front Polisario conteste la présence d'exploitations marocaines au Sahara occidental. Il ne met donc pas en cause la légitimité de ces exploitations agricoles « contrôlées par des personnes étrangères non indigènes ».
Mais il a retenu le fait que ces exploitations agricoles seraient « exclusivement orientées vers l'exportation et reposeraient sur l'extraction d'eau issue de bassins non renouvelables et située en profondeur ». La justice va suivre son cours dans cette affaire et il est difficile de savoir ce qu'il en sortira, en fin de compte. Mais que ce tribunal arbitral ait sanctionné en première instance le pillage des eaux souterraines non renouvelables d'une région désertique est encourageant pour ceux qui dénoncent ce pillage, qui se fait aussi au détriment des générations futures.
C'est pourquoi le moment est sans doute venu pour les consommateurs français de ne plus acheter des tomates, des concombres, des melons et des fraises en provenance du Maroc. C'est aussi une manière de dire qu'il est grand temps de relocaliser ces productions légumières qui poussent en serre, puisqu'on peut les cultiver à proximité des grands bassins de consommation, comme nous l'avons montré récemment dans « l'Humanité Dimanche