Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 mars 2019 1 11 /03 /mars /2019 20:49
Zehra Doğan, journaliste turque libérée de prison : Une personne en lutte ne s’arrête jamais (Télérama, Julie Honoré, 11 mars 2019)
Zehra Doğan, journaliste turque libérée de prison : Une personne en lutte ne s’arrête jamais (Télérama, Julie Honoré, 11 mars 2019)
Zehra Doğan, journaliste turque libérée de prison : Une personne en lutte ne s’arrête jamais (Télérama, Julie Honoré, 11 mars 2019)

Sa détention avait mobilisé des artistes comme Banksy ou Ai Weiwei. Après deux ans passés derrière les barreaux en Turquie, celle qui est aussi artiste a recouvré sa liberté le 24 février dernier. Elle décrit les conditions de vie atroces des prisonniers et les entraves à la liberté de la presse et de l’art.

Zehra Doğan est une journaliste et artiste turque, originaire de l’Est du pays. Elle a été arrêtée en juin 2017, notamment pour avoir peint une toile représentant les destructions de l’armée turque dans la ville de Nusaybin, accusée d’appartenance à une organisation terroriste. C’est aussi la cofondatrice d’une agence de presse entièrement féminine, Jin news. Les artistes Ai Weiwei et Banksy avaient soutenu sa cause, n’hésitant pas à l’ériger en symbole des oppressions subies par les journalistes en Turquie. Si elle a été libérée le 24 février dernier, après avoir passé deux ans en prison, une quarantaine de journalistes sont actuellement derrière les barreaux en Turquie, selon Reporters sans frontières. Un chiffre provisoire, car, comme l’indique Erol Önderoğlu, représentant de RSF en Turquie, « des dizaines de journalistes vont devoir retourner en prison, cette fois-ci avec des sentences définitives ». Lui-même est dans l’attente du verdict de son procès, pour avoir collaboré avec un journal, Özgür Gündem, qui a été fermé depuis.

Quelles étaient vos conditions de détention ?
Les prisons turques sont parmi les plus arriérées du monde. Repas exécrables, lieux sales, prisonnières bien au dessus des capacités d’accueil, oppression psychologique... La liste est infinie. Les sanctions disciplinaires tombent sans cesse. Par exemple, des dizaines de dossiers ont été ouverts à l’encontre de mon amie, Nezahat Şingez, l’accusant d’appartenance à une organisation terroriste. Si tous ses dossiers aboutissent, elle restera en prison pendant des dizaines d’années. Ces dossiers ne sont pas légitimes. Mais, dans ce pays, le fait de ne pas respecter les lois ne présente aucun problème. J’ai connu trois prisons : celles de Mardin, Diyarbakır et de Tarsus. La pire était la prison fermée pour femmes de Tarsus. Nos amies y ont subi des tortures. Les gardiens ont par exemple marché sur le ventre d’une autre amie et elle a eu des saignements menstruels pendant des jours. De nombreuses amies ont été traînées sur le sol. Elles ont  été molestées par une vingtaine de gardiens qui se sont acharnés sur elles. Le corps de plusieurs détenues était couvert de bleus.

Qui pouvait vous rendre visite ?
Lorsque j’étais à Mardin et Diyarbakır, ma famille et trois ami-e-s journalistes pouvaient me rendre visite. Mais Tarsus était à plus de 500 km de chez moi et ma famille ne pouvait pas venir souvent.

“Dans la prison de Tarsus, une femme a été poussée au suicide”

Comment était l’atmosphère entre les prisonnières ?
Les quartiers des prisonnier-e-s politiques sont toujours préférables, du point de vue de la solidarité. Il y a des acquis installés depuis des années. Imaginez une ambiance, un quotidien, partagés par des journalistes, des politiques, artistes, activistes, défenseures de droits, députées, avocates, médecins, enseignantes, des maires des étudiantes révolutionnaires...  

Les prisonnières de droit commun sont aussi dans une démarches de solidarité. Mais elles sont méprisées. Nous étions continuellement témoins de ce que les gardiens les sortaient dans le couloir principal et les battaient. Nous protestions en frappant sur les portes. Dans la prison de Tarsus, une femme a été poussée au suicide.

Pourriez-vous nous en dire plus sur le journal Özgür Gündem Zindan (“actualités libres, éditions geôle) que vous avez créé en prison ?
Le 16 août 2016, certains journaux faisant partie de la tradition de presse kurde, furent interdits et fermés en Turquie. Je me suis dit que, comme la plupart des journalistes étaient en prison, éditer un journal aurait un sens.

Mes amies étaient partantes. Nous avons constitué des équipes, pour la rédaction, les conseils, la mise-en-page, la page en langue kurde… Je me suis chargée de la mise en page, de l’édition et des caricatures. Comme il nous était interdit de faire des photos, je ne pouvais pas photographier les personnes interviewées. Alors, je les ai dessinées. Nous avons travaillé pendant un mois. Le journal a beaucoup plu. Mais le Procureur de Mardin et le directeur de la prison étaient furieux. Il y a eu des fouilles et des perquisitions dans notre quartier. Mais, malgré cela, nous avons quand même réalisé un deuxième numéro, avec, en manchette : « Même si nous sommes prisonnières, nous ne vous lâcherons pas. »

Ai Weiwei et Banksy vous ont soutenue, en vous envoyant un courrier, mais pouviez-vous recevoir des lettres facilement ?
Je n’ai pas reçu leurs lettres. Car à la période où ils m’ont écrit, notre droit de communication téléphonique et de correspondance nous avait été confisqué car nous avions chanté. Je n’ai pu prendre connaissance de leurs courriers que bien plus tard. Lorsque je leur ai répondu, j’ai aussi dû le faire en cachette. Mais, malgré toutes les interdictions et sanctions, j’ai reçu des milliers de lettres. Des auteur-e-s membre du PEN, étudiant-e-s, artistes, enfants, réalisateur-trices et universitaires.... Leur soutien m’a rendue incroyablement forte.

Quels détails vous raccrochaient à l’extérieur ?
Depuis mon enfance, j’aime les étoiles. Toute petite déjà, j’écoutais les contes que ma mère me racontait, allongée sur le matelas déroulé sur le toit de notre maison, en contemplant le ciel. A Nusaybin [où Zehra Doğan a peint une toile pour laquelle elle a été condamnée ndlr], et dans d’autres endroits de conflit, dans les moments les plus difficiles, je levais mes yeux vers les étoiles, pour trouver la motivation grâce à elles. Lorsque j’ai été emprisonnée, je supportais mal de ne plus voir le ciel comme je voulais. Je m’en étais ouverte à des amis. Un jour, dans une lettre, j’ai trouvé une grande étoile plastique phosphorescente. Nous avons collé l’étoile dans un endroit visible par toutes mes co-détenues. Et nous nous sommes endormies toutes, en regardant dans le noir, cette étoile qui brillait. Elle était en plastique, mais elle nous rendait heureuse.

Quelle est votre priorité maintenant que vous êtes libérée ?
En prison, j’avais commencé une BD racontant l’histoire des prisons en Turquie, depuis les périodes de torture des années 80, jusqu’à aujourd’hui. Et, actuellement, les grèves de la faim initiées par la députée Leyla Güven, depuis la prison, se poursuivent. Je pense que tout le monde devrait faire quelque chose selon ses propres moyens. Moi, je peux écrire et dessiner. Dans ce monde qui nous donne mille et une raisons pour perdre la tête, le repos est un luxe, surtout pour nous, les femmes. Nous devons être actives, sans cesse. Une personne en lutte ne s’arrête jamais.

“Dans ce pays, il est très difficile de faire de l’art, à la fois d’un point de vue économique et politique”

Depuis deux ans, vos camarades de Jin News, l’agence féminine que vous avez co-fondée, ont de plus en plus de mal à survivre. Quel est votre sentiment maintenant que vous avez vu de vos yeux leur situation ?
Je savais les difficultés que mes amies journalistes subissaient, mais là, en sortant, je les ai vues de mes propres yeux. Les journalistes qui restent doivent travailler dans des conditions très difficiles. Les difficultés financières ont décuplé. Il y a un policier au dos de chacune d’entre elle.

Est-il encore possible de faire du journalisme en Turquie ? D’être artiste ?
Aujourd’hui, les gens, en livrant leur avis, sont prudents. Ils considèrent les journalistes comme s’ils étaient des personnes dangereuses. C’est terrible, et rend le travail extrêmement difficile. Avant que je sois emprisonnée, cette ambiance régnait déjà. Ma maison a été perquisitionnée et je suis restée clandestine, pendant quatre mois. Je me suis cachée.

Pour l’art, c’est pareil. Dans ce pays,  il est très difficile de faire de l’art, à la fois d’un point de vue économique et politique. Les expositions sont inspectées. Les œuvres politiques sont refusées dans des expositions. Les galeries ne veulent pas de votre travail.

Face à ce que nous voyons, il est impossible de rester silencieux. Mais il n’y a pas de réaction de masse. Pourquoi ? Parce que les populations sont endormies par des médias au service du pouvoir, par l’art auto-censuré, par l’éducation contrôlée, et par une politique à vomir.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le chiffon rouge - PCF Morlaix/Montroulez
  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
  • Contact

Visites

Compteur Global

En réalité depuis Janvier 2011