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30 décembre 2016 5 30 /12 /décembre /2016 07:32
Conflit social à la fabrique de galoches de Rosporden - 1937 (archives Pierre Le Rose, PCF 29)

Conflit social à la fabrique de galoches de Rosporden - 1937 (archives Pierre Le Rose, PCF 29)

Manifestation du Front Populaire à Concarneau (archives Pierre Le Rose, PCF 29)

Manifestation du Front Populaire à Concarneau (archives Pierre Le Rose, PCF 29)

Un ouvrage collectif passionnant sur le Front Populaire en Bretagne, C'était 1936: le Front Populaire vu de Bretagne (sous la direction d'Erwan Le Gall et François Prigent, Editions Goater, 20€) vient de sortir.

On y trouve plusieurs articles, particulièrement ceux de Jean-Paul Sénéchal ("Front contre blocs: Luttes hégémoniques dans le Finistère au moment du Front Populaire") et celui de Christian Bougeard ("Le Front Populaire en Bretagne, une mise en perspective"), mais aussi ceux d'Alain Le Moigne ("La grève du 30 novembre 1938 à Brest ou la fin des illusions") et de Alban Barbain-Villeger ("Un mai de combat! La presse socialiste en Bretagne et le moment 1936") qui permettent de planter le décor du Front Populaire dans le Finistère, sa culture sociale et politique, sans adversaires, son contexte d'apparition en marquant les forces en présence, ses limites, les évolutions, les spécificités départementales.

Les années qui précèdent le Front Populaire dans le Finistère sont marquées par une faible mobilisation sociale du peuple de gauche, puisque en dehors des conflits sociaux des ports entre 1924 et 1927, il n'y a pas eu, signale Jean-Paul Sénéchal, depuis 1920, de fortes mobilisations ouvrières.

"Paradoxalement, écrit Jean-Paul Sénéchal, c'est la société la plus traditionnelle qui tient le haut du pavé. Le peuple qui descend dans la rue ne le fait pas derrière un drapeau rouge. Les manifestants sont des hommes qui marchent en rangs par six derrière Mgr Duparc ou Hervé Budes de Guébriant. Le Finistère de ces années-là est un Finistère de combat en réaction aux changements profonds qui bouleversent la société. La litanie des manifestations, à la tête desquelles se retrouve toujours un triumvirat alliant l'Eglise, les agrariens et les droites, reflète l'expression politique de ce bloc rural hégémonique" (C'était le Front Populaire, p.57). 

L'office central de Landerneau de Hervé Bides de Guébriant syndique les paysans sous l'égide de gros patrons conservateurs, des notables et du clergé. Il revendiquera en 1937 44 000 adhérents. L'office central de Landerneau abritera pendant la guerre une section du PSF, le Parti Social Français d'extrême-droite. 

Le Léon est quadrillé par la puissance FNC, Fédération Nationale Catholique, et la Ligue de défense et d'action catholique (LDAC) qui en est une émanation et qui revendique 42 000 membres en 1932. Pour la seule année 1937, les conférenciers de la LDAC ont tenu 480 réunions: c'est une force d'influence politico-religieuse considérable dans le monde rural.  

Dorgères, animateur au côté d'Hervé Budes de Guébriant d'une grande manifestation agrarienne qui rassemble 20 000 personnes le 29 janvier 1933 à Quimper, crée le mouvement insurrectionnel rural de droite des "Chemises Vertes", mouvement à tendance fasciste affirmée. Christian Bougeard écrit dans son introduction à C'était 1936 : 

"La modération traditionnelle des notables est battue en brèche par une certaine radicalisation politique d'abord incarnée dans les campagnes de l'Ouest, bientôt dans tout le pays, par Henri d'Halluin, dit Dorgères qui a pris l'Ille-et-Vilaine pour rampe de lancement. Depuis 1929, s'appuyant sur l'évêché et un journal agricole, Dorgères développe des comités de défense paysanne n'hésitant pas à faire le coup de poing contre les militants paysans de gauche dans les meetings ou des interventions contre des vente-saisies de fermes. En 1935, il fonde à Rosporden (Finistère) les Chemises Vertes, un mouvement pour le moins fascisant, qui bénéficie de l'appui des leaders agrariens et corporatistes des syndicats agricoles dont Hervé Budes de Guébriant, le dirigeant de l'Office central de Landerneau. L'activisme et l'antiparlementarisme virulent de Dorgères, nourris des nombreux scandales politico-financiers de la période, servent les intérêts d'élites rurales conservatrices qui ont perdu le pouvoir politique (députation, conseils généraux, la plupart des mairies sauf en Loire-Inférieure) mais tentent de conserver leur hégémonie économique et sociale sur un monde rural durement impacté par la crise" (p.22).   

A Bannalec, le congrès de fondation des Chemises Vertes rassemblent 11 000 paysans. Tanguy Prigent, à l'opposé, mène un véritable combat anti-fasciste dans les campagnes du Trégor.    

Dorgères (photo site Roscoff. quotidien.eu)

Dorgères (photo site Roscoff. quotidien.eu)

Tract en faveur de Dorgères (archives départementales du Morbihan) - C'était 1936, éditions Goater, p.23

Tract en faveur de Dorgères (archives départementales du Morbihan) - C'était 1936, éditions Goater, p.23

Le bloc de droite est majoritaire dans le Finistère, surtout dans le monde rural, même s'il n'est pas homogène, certains députés de droite catholique du Bloc national s'étant rapproché du Cartel des Gauches comme Charles Daniélou, ou d'autres se rapprochant d'un centrisme chrétien-démocrate comme le député de Brest-Landerneau Paul Simon, loin des outrances des ultra-traditionnalistes et anti-démocrates d'Action Française.

Le Finistère compte aussi dans les villes des élus radicaux comme Victor Le Gorgeu à Brest ou Pierre Mazé à Morlaix qui ne seront pas forcément favorables au Front Populaire.  

Le tournant du 6 février 1934

Les émeutes des Ligues nationalistes et d'extrême-droite à Paris réprimées par le gouvernement Daladier vont faire naître un regain de tension politique dans le Finistère, comme ailleurs, avec une droite attaquant violemment le gouvernement, et une gauche (SFIO, CGT, Ligue des Droits de l'Homme, PCF et CGTU) se mobilisant fortement contre le danger fasciste.

"Plusieurs personnes, écrit Christian Bougeard en reprenant les résultats de recherches de la thèse de Jean-Paul Sénéchal, se mobilisent dans les villes finistériennes du 8 au 11 février et descendent dans la rue (2500 à Brest, 12 000 à Concarneau, 1000 à Pont-L'Abbé, 1000 à Quimper, 400 à Morlaix, 700 à Pont de Buis)".  " Au nom de la défense de la République et de l'antifascisme, les Bretons, surtout les ouvriers, les employés et les petits fonctionnaires participent à la riposte organisée dans 346 villes de France: meetings, manifestations (248). Dans plusieurs villes, le PCF fait partie des rassemblements unitaires avant même l'appel à la grève de la CGT et la manifestation parisienne du 12 février. A la base, les responsables des organisations de gauche et d'extrême-gauche organisent la riposte en commun, souvent pour la première fois depuis 1920, sauf en Ille-et-Vilaine et à Rennes où PCF et CGTU d'un côté, SFIO et CGT de l'autre, manifestent séparément. Si la grève du 12 est inégalement suivie (4000 grévistes à Brest, 2000 à Morlaix selon la police), de grandes manifestations unitaires de milliers de personnes sont signalées partout: les chiffres discutables des sources militantes sont supérieurs à ceux des journées précédentes (de 6000 à 12 000 personnes à Brest, 20 000 à Nantes avec des incidents, 15 000 à Saint Nazaire...). Quoiqu'il en soit, la défense de la République repose sur une vraie base populaire" (C'était 1936, p. 26).     En Ille-et-Vilaine, seulement, les cortèges se font séparément entre SFIO et PCF, CGT et CGTU (communiste). 

La grève du 12 février 1934 mobilise assez fortement: 4000 grévistes à Brest, 2000 à Morlaix. La manifestation à Brest réunit entre 6000 et 12000 personnes. 

Dans huit villes du Finistère se mettent en place tout au long de l'année 1934 des comités de vigilance antifasciste fonctionnant "comme des cartels d'organisations politiques et syndicales" (Christian Bougeard): à Carhaix, Brest, Morlaix, Elliant, Pont L'Abbé, Concarneau, Lesconil, Quimper. "Au départ, ils s'appuient souvent, à l'image du Finistère, sur des comités de défense laïque qui modifient leurs statuts lors du congrès du 15 avril 1934 pour y accueillir les militants antifascistes en ajoutant "la défense des libertés républicaines et le maintien du régime démocratique".

Dès le printemps 1934, les militants de la SFIO et du PCF se rapprochent lors de réunions publiques. "Des socialistes, comme le secrétaire fédéral du Finistère, Guy Le Normand, et des militants syndicalistes paysans et socialistes (Tanguy Prigent, Philippe Le Maux) tiennent un discours de lutte des classes contre les dorgétistes et les grands agrariens qui cherchent à accroître leur hégémonie sur les campagnes à la faveur de la crise et des difficultés de la IIIe République.... Ce discours est bien accueilli par des communistes comme Pierre Guéguin à Concarneau, Paul Valière à Brest, Francis Marzin dans les Côtes-du-Nord".

Paysans communistes et socialistes dans le Trégor sont rassemblés dans la CGPT, la confédération générale des paysans travailleurs, mais Tanguy Prigent mène aussi une action de classe constructive avec le syndicat paysan socialiste de la CNP (Confédération nationale paysanne) qu'il crée en Bretagne en 1933-1934 avant d'être élu conseiller général de Lanmeur en octobre 1934 (invalidé car il n'avait pas 25 ans, réélu en 1935 en devenant maire de sa commune).

Un des premiers meetings communs anti-fascistes de France réunissant le PCF et la SFIO a lieu à Morlaix le 15 avril 1934, avec les députés Robert Jardel (SFIO) et Jean-Marie Clamanus (PCF).

Le 1er mai 1934, à Nantes, CGT et CGTU tiennent un meeting commun eux aussi, confortant les aspirations à l'unité exprimées à la base, et se traduisant les années plus tôt dans une action conjointe lors d'un certain nombre de mouvements sociaux, par exemple lots de la longue grève de la chaussure à Fougères en 1932.

Le PCF fait une proposition d'unité d'action à la SFIO à la mi-juillet 1934, un pacte est signé entre les deux partis le 27 juillet 1934. En octobre 1934, Maurice Thorez et Marcel Cachin proposent à Edouard Daladier, le leader à cette époque de l'aile gauche du parti radical-socialiste, une large alliance des gauches. "Au cours d'un meeting à Doulon, écrit Christian Bougeard, quartier populaire de Nantes, le 24 octobre 1934, Maurice Thorez lance officiellement l'idée d'un "Front Populaire de la liberté, du travail et de la paix" en appelant les "travailleurs radicaux" à le rejoindre. Après la signature du pacte d'unité d'action, militants de la SFIO et diu PCF commémorent ensemble le 20e anniversaire de l'assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet" (p.31). 700 personnes manifestent à Brest. Le rapprochement entre communistes et socialistes se fait aussi dans des organisations parallèles comme le Secours Rouge International qui vient soutenir les réfugiés républicains espagnols, ou des comités de chômeurs. 

En octobre 1934, des candidats communistes se désistent pour la première fois pour des candidats socialistes aux élections cantonales. A Concarneau, le processus unitaire va plus loin, avec un candidat commun aux communistes et aux socialistes, Pierre Guéguin, qui devient le seul et le premier conseiller général communiste élu en Bretagne avant 1945. 

Dans le Finistère, le Rassemblement populaire entre SFIO, PCF, Parti radical-socialiste, est célébré par 5000 manifestants à Brest le matin du 14 juillet, 3000 manifestants à Châteaulin en présence du communiste Pierre Guéguin et surtout du vieux sénateur radical-socialiste Georges Le Bail, ancien député du pays bigouden (1906-1928), qui prononce une "harangue enflammée" selon la police. Ce 14 juillet 1935, en Bretagne comme dans le reste de la France, le Front Populaire est vraiment acté.

En mai 1935, les élections municipales ne rendent pas possibles une progression de la gauche. Les socialistes gardent les communes de Landerneau (Jean-Louis Rolland), Lambézellec (Michel Hervé), Pont-L'Abbé. Le PCF gagne les communes de Concarneau, Beuzec-Conq, Le Guilvinec, Tréffiagat, mais perd Pouldavid. Daniel Le Flanchec est réélu à Douarnenez mais il s'oppose de plus en plus à la ligne du PCF. A Brest, le radical Victor Le Gorgeu, hostile au Front Populaire, est réélu avec les voix de la droite contre les socialistes. 

Le 4 août 1935, Tanguy Prigent organise chez lui la "Commune rouge de Saint-Jean-du-Doigt" avec les leaders politiques et syndicaux de la région. 

Christian Bougeard raconte le climat de conflictualité sociale accrue dans le Finistère dans lequel s'enracine ces débuts du Front Populaire.  

"Le Front populaire se développe en 1935 en particulier contre les ligues, la politique déflationniste, et surtout grâce aux luttes des salariés contre les "décrets-lois" du gouvernement de Pierre Laval. La mobilisation contre une première baisse de 4% des salaires des 6000 ouvriers de l'arsenal et des fonctionnaires prend une tournure dramatique à Brest, comme à Toulon, pendant l'été 1935. A Brest, 3000 personnes défilent le 19 juillet; ils sont 5000 le 23 et 6000 le 1er août. La colère ouvrière se transforme en véritable soulèvement à partir du 5 août, jour de la paie en baisse. Le lendemain, un millier de militaires en armes occupent l'Arsenal, lock-outé. A la suite d'un meeting intersyndical, bagarres et attaques de bâtiments militaires se développent pendant trois jours dans la cité du Ponant où des barricades sont édifiées dans un climat insurrectionnel. Malgré les appels au calme, les leaders syndicats CGT, CGTU et anarcho-syndicalistes sont débordés par une population qui réagit à la violente répression exercée sur l'ordre des autorités et de la Marine. Au matin du 6, l'ouvrier de l'arsenal Joseph Baraër a été tué à coup de crosse de fusil; dans la nuit du 7 au 8, Jean-Yves Le Deuffic, un ouvrier du bâtiment, est mortellement blessé, et le 10 le métallurgiste Pierre Gautron est abattu par un sous-officier. Ces affrontements se soldent par plusieurs centaines de blessés et de nombreuses arrestations. La sévère répression judiciaire renforce la solidarité militante et forge le Front populaire dans le sang".  

La réunification des deux CGT rivales, CGT socialiste et réformiste, et CGTU communiste, s'opère sur le terrain à la fin 1935 au Congrès départemental de Brest. En 1935, dans le Finistère, les effectifs de la CGT sont de 6200 à 6500 adhérents, ceux de la CGTU de 1000 adhérents (d'après les travaux d'Antoine Prost, cités par Christian Bougeard).

En 1936, 27 comités du Front Populaire existent dans le Finistère. Un rassemblement anti-fasciste se déroulera à Pleyben en février 1937 rassemblant 6000 à 10000 militants contre la tenue d'un rassemblement de la droite en présence des futurs leaders de la collaboration Xavier Vallat et Philippe Henriot.     

Le 26 avril 1936, les Partis de gauche partent séparément à la bataille des législatives en Bretagne tandis que la droite est le plus souvent unie. Comme sur le plan national, beaucoup de députés radicaux ne prennent pas clairement position pour le Front Populaire, ou s'en démarquent. Ils se maintiennent au second tour contre les candidats de gauche, socialistes ou communistes (Pierre Guéguin, opposé au candidat de la droite dure Hervé Nader dans la circonscription de Quimper I). Le Parti radical recule en Bretagne. Le PCF double ses voix par rapport à 1932, avec 4,1% des voix en moyenne dans la région. Tanguy Prigent est élu plus jeune député de France dans la circonscription de Morlaix 1 à 26 ans contre le radical Pierre Mazé. 

Dans "La Ballade des Salopards/ La Paysannerie en fête" (Le Breton socialiste, 9 mai 1936), un certain Mazoche magnifie le combat électoral entre le paysan socialiste Tanguy Prigent et le notable centriste Pierre Mazé:

"(à) Morlaix première;

Y a p'us rien à faire!

Tous les bons docteurs,

Et les sénateurs,

Se heurtent à la dent

Des durs paysans!"*

* Cité par Alban Barbain-Villéger dans l'article "Un mai de combat! La presse socialiste en Bretagne et le moment 1936".  

Des députés très à droite sont aussi élus dans le Finistère pendant la période du Front Populaire, comme Hervé Nader et Jean Crouan, proches du PSF, le Parti Social Français du colonel de La Rocque. 

Consécutives à la victoire du gouvernement du Front populaire de Léon Blum, les grèves réapparaissent dans le Finistère alors qu'elles avaient quasiment disparu dans les années 30 comme l'a montré Jean-Paul Sénéchal: 11 en 1931, 2 en 1932, une en 1933, 6 en 1934.

Avant même les grèves de l'usine Bréguet du Havre et de l'usine Latécoere de Toulouse, le Pays bigouden est touché par une grève générale du bâtiment. "Cette grève, écrit Jean-Paul Sénéchal, annonce le mouvement de fond à venir. 120 ouvriers de multiples entreprises fondent un syndicat le 5 avril pour appuyer une demande d'augmentation de salaire. Au bout d'un mois, la grève est déclenchée et pendant 4 jours les chantiers sont bloqués. Les ouvriers manifestent dans les rues du Guilvinec (municipalité communiste), drapeau rouge en tête en réclamant du pain. Les patrons finissent par céder le 9 mai. Cette première grève, offensive et victorieuse, est symptomatique de la politisation en cours" (p.63).

Mais la grande vague de grève va éclater après les accords de Matignon après le 7-8 juin 1936 pour obtenir leur application au plus vite. "Les grèves qui démarrent à Rosporden (13 ouvriers du bâtiment) le 9 juin, écrit Christian Bougeard, se poursuivent pendant près de quatre mois jusqu'au 28 septembre (30 ouvriers tailleurs de Quimper) lors de conflits en général de courte durée. Elles gagnent d'abord le Finistère sud (conserveries, metallurgie), puis Brest (27 grèves en juin, 1005 grévistes le 19), Morlaix, Douarnenez (conserveries) à la mi-juillet. A Brest, la grève dure 10 jours chez les dockers, 20 jours dans une compagnie de transport et 21 jours dans les tramways. A Concarneau, les conserveries et la métallurgie sont touchées le 12 juin. Dans le Finistère, les occupations d'usine sont limitées (20 sur 70) dont trois à Brest, en particulier l'usine à gaz. Compte tenu de la structure industrielle et de l'emploi, les principaux secteurs touchés sont le bâtiment (38,78%), la métallurgie (15,26%), la conserverie (12,81%), les ports et les docks (10,19%). Brest détient la palme des journées de travail perdues (16 180) devant Morlaix (3 405) et Concarneau (1 752)" (p. 46). Le taux d'occupation des usines est de 28,6% dans le Finistère, contre 51% en Ille-et-Vilaine. Les occupations ne durent que un à neuf jours.

Fin juin 1936, la grève touchait la ville de Morlaix presque intégralement et se diffusait à Saint-Pol-de-Léon. 

Dans les secteurs du bâtiment, de la boulangerie, des brasseries, des transports, de la distribution d'électricité, du commerce, les patrons préfèrent négocier vite plutôt que de voir commencer ou se prolonger la grève alors que les travailleurs salariés sont en position de force.     

Les effectifs syndicaux de la CGT unifiée triplent dans le Finistère de 1936 à 1938. 28 500 cartes sont remises à l'issue du bel été du Front Populaire, contre 6 500 adhérents avant la fusion de la CGT et de la CGTU. La CFTC et les syndicats satellites du PSF essaient de contenir cet essor du syndicalisme marxiste en Bretagne et dans le Finistère. La hiérarchie catholique pousse même à la syndicalisation pour faire contrepoids aux progrès de la CGT et éviter un éloignement du monde ouvrier et urbain de l'Eglise. 

Les effectifs de la SFIO augmentent fortement de 1935 à 1937 dans le Finistère; de 564 adhérents en 1935 à 1565 en 1938, et en Bretagne de 4269 adhérents à 9537 (chiffres donnés par Christian Bougeard). Sur la même période, de 1935 à 1937, les effectifs des adhérents du PCF en Bretagne passent de 1400 à près de 6000 adhérents. "La gauche marxiste se renforce en Bretagne avant que l'annonce de la "pause" des réformes par Léon Blum, puis des divisions internes de la coalition (sur l'intervention en Espagne) ne viennent enrayer un processus d'engagement militant encore limité dans une région catholique et rurale". "En dépit des divisions, villes et communes de Bretagne accueillent et prennent en charge des milliers de réfugiés espagnols, notamment des Basques et des Asturiens, lors des deux vagues de 1937 et 1939".      

Dans le Finistère, selon Jean-Paul Sénéchal, avec 550 adhérents en 1935, 1200 en 1936, 1800 en 1937, 2000 en 1938, à la fin de la période du Front Populaire  "le PCF dépasse la SFIO en nombre de cartes et consolide son implantation en créant des cellules spécifiques dans les différents milieux professionnels. A Brest, le parti compte 4 cellules d'entreprise et une cellule paysanne sur les 13 de la ville. Même constat pour les Jeunesses communistes qui apparaissent très rapidement et se développent en privilégiant les loisirs". 

"Le PCF bénéficie d'un apport considérable en adhérents. Contrairement aux socialistes, les communistes se retrouvent au premier rang des grévistes à partir de juin 1936. Pratiquant un langage unitaire très offensif, le PCF tente, avec la politique de la "main tendue", de faire oeuvre de syncrétisme. Son développement est fulgurant" (Jean-Paul Sénéchal).  

L'évolution des effectifs du PCF en Bretagne de 1935 à 1938 (tableau de Christian Bougeard d'après des sources communistes):

 

 

Décembre 1935

Décembre 1936

Septembre 1937

Décembre 1938

Côtes du Nord

?

1800

1600

725

Finistère

650

1925

1800

 

Morbihan

 

 

250

 

Ille et Vilaine (avec la Mayenne)

280

650

650

793 ou 900

Loire-Inférieure

285

1325

1621

1100

Bretagne

 

5700

5921

 

France

86 902

288 436

328 547

318 549

Parallèlement, la droite dure nationaliste anti-Front Populaire en Bretagne est également très forte: 12 000 adhérents pour le PSF dans le Finistère. "Le 6 août 1939, alors que le Front Populaire a disparu depuis plusieurs mois, La Rocque déplace encore 32 000 personnes lors d'une fête à Clohars-Fouesnant (sud Finistère)".   

     

   

     

 

  

Manifestation des ouvriers de l'arsenal de Brest en août 1935 devant l'hôtel des Postes, place Anatole France

Manifestation des ouvriers de l'arsenal de Brest en août 1935 devant l'hôtel des Postes, place Anatole France

Emeutes de Brest en août 1935

Emeutes de Brest en août 1935

Pierre Guéguin, premier conseiller général communiste élu en Bretagne en 1934, puis maire communiste et du Front Populaire à Concarneau

Pierre Guéguin, premier conseiller général communiste élu en Bretagne en 1934, puis maire communiste et du Front Populaire à Concarneau

Tanguy Prigent, leader syndicaliste paysan socialiste, élu Conseiller Général de Lanmeur en 1934 avant d'avoir l'âge requis, puis élu plus jeune député de France dans la circonscription de Morlaix contre un sortant radical hostile au Front Populaire, Pierre Mazé

Tanguy Prigent, leader syndicaliste paysan socialiste, élu Conseiller Général de Lanmeur en 1934 avant d'avoir l'âge requis, puis élu plus jeune député de France dans la circonscription de Morlaix contre un sortant radical hostile au Front Populaire, Pierre Mazé

En 1937-1938, le rapport de force s'inverse même si dès le mois de janvier 1937, de nombreuses corporations demandent des augmentations des salaires, le mois d'octobre 1937 dépassant le record de grèves dans le Finistère des années 1919-1920, selon Jean-Paul Sénéchal, avec 88 031 journées de grève, principalement dans le bâtiment et les travaux publics, la grève étant en recul dans les autres branches.

Mais "les employeurs n'hésitent plus à réprimer en licenciant les ouvriers au cours des grèves. De plus, la CGT a accepté que les différents puissent se régler dans le cadre de l'arbitrage mis en place par la loi du 31 décembre 1936. Cette loi balise la résolution des conflits en en prévoyant trois degrés d'arbitrage. La conciliation qui doit se conclure en 4 jours cède la place, en cas d'échec, à l'arbitrage puis au surarbitrage conduit par un arbitre choisi dans les grands corps de l'Etat en dernier recours. Cette loi devient un véritable piège pour les revendications: aucune sanction n'est prévue en cas de blocage patronal. Les conflits traînent donc sur des mois et si les salariés se laissent aller à la grève, celle-ci est déclarée illégale par l'employeur ou l'autorité de l'Etat".

Un conflit dans le bâtiment à Brest qui dure plus de 8 mois débouche sur une victoire, avec la signature d'une convention collective. A Quimper, les patrons du bâtiment cèdent aussi une augmentation de salaire de 9%.

Les ouvriers de l'arsenal, satisfaits de l'annulation des décrets loi réduisant de 15% leurs salaires, de la mise en place des congés payés et des 40 heures, ne manifestent pas et ne font pas grève du temps du gouvernement du Front Populaire, pas plus que les enseignants, qui soutiennent majoritairement le gouvernement et ne veulent pas le gêner.

"L'année 1938, écrit Jean-Paul Sénéchal, se traduit par un effondrement du nombre de grèves. Les employeurs s'attaquent aux nouvelles libertés syndicales en visant les militants et essayent de reprendre ce qui a été acquis lors de la première vague de grèves. Seul mouvement remarquable; 1764 ouvrières et ouvriers des conserveries de Concarneau font grève en juin pendant trois jours et reçoivent tous une lettre de licenciement. Le licenciement est levé en échange d'une reprise du travail et de l'attente d'une décision surarbitrale. Un cycle s'achève, miné à la fois par une fermeté patronale retrouvée, des procédures de négociation asphyxiantes et une situation internationale qui commence à peser très lourd" (p. 76).

Le 30 novembre 1938, la grève générale déclenchée par la CGT contre la remise en cause des 40 heures annoncée par le président du conseil Daladier, est un baroud d'honneur et un échec relatif.

Les jours suivants, les journaux régionaux réactionnaires titrent avec morgue et plaisir sur la mort du Front Populaire. Mais à la Manufacture des Tabacs de Morlaix, il y a eu 85,7% de grévistes tout de même (sur 570 employés), aux Poudreries de Pont-de-Buis, 81,8% de grévistes (sur 1100 employés)... 

Le gouvernement "use de tous les moyens de coercition de l'Etat en déployant la troupe, aux portes des arsenaux, dans les gares, et en réquisitionnant l'ensemble des agents de l'Etat, des communes, du département et des hôpitaux" (p.76). 2500 à 3000 ouvriers de l'arsenal sont sanctionnés par une mise à pied. Trois syndicalistes de l'arsenal, dirigeants de la CGT, sont révoqués. Le gouvernement voulait "décapiter la CGT".  

Les acquis sociaux, à l'exception symbolique des congés payés, seront dilués ou supprimés par la volonté de revanche sociale de la bourgeoisie exprimée en 1938, 1939, pendant l'Occupation, avant que les espoirs et pouvoirs découverts de 1936 ne débouchent sur un renouveau des conquêtes sociales à la Libération, suite au discrédit du Patronat et de la droite, à l'explosion de la popularité du Parti Communiste.       

Le Front Populaire dans le Finistère: C'était 1936, le Front Populaire vu de Bretagne

La table des matières de l'indispensable C'était 1936. Le Front populaire vu de Bretagne sous la direction d'Erwan Le Gall et de François prigent (Editions Goater, 2016, 20€)  envoyée par Jean-Paul Sénéchal, qui donne toute la mesure de la richesse de contenu de ce livre d'histoire à offrir pendant les fêtes: 

 

Introduction : Pourquoi le Front populaire en 2016 ? 

Par Erwan Le Gall et François Prigent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Espaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Le Front Populaire en Bretagne, une mise en perspective 

Par Christian Bougeard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Front contre blocs : Luttes hégémoniques dans le Finistère au moment du Front populaire 

Par Jean-Paul Sénéchal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

Le Morbihan contre le Front Populaire ? 

Par Yves-Marie Evanno . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

Conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

Les luttes sociales sur la côte d’Emeraude au temps du Front populaire 

Par Daniel Bouffort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  108

Un mai de combat ! La presse socialiste en Bretagne et le moment 1936 

Par Alban Bargain-Villéger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .132

La grève du 30 novembre 1938 à Brest ou la fin des illusions 

Par Alain Le Moigne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

Le lin de colère au pays de Saint Yves. Les luttes sociales dans les teillages de lin du Trégor (octobre 1936-mars 1937) 

Par Alain Prigent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .176

Milieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

Les luttes antifascistes dans les Côtes-du-Nord (1932-1936). A la recherche de l’unité, mouvement Amsterdam-Pleyel et comités paysans 

Par François Prigent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

Bretagne et congés payés. 1936, l’invention d’un nouveau marché touristique ? 

Par Johan Vincent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  236

Unis comme au Front (populaire) ? Les anciens combattants d’Ille-et-Vilaine et le scrutin du printemps 1936 

Par Erwan Le Gall . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  256

Les Bretons de Saint-Denis : acteurs du Front populaire contre Jacques Doriot 

Par Thomas Perrono . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .286

Conclusion : Nouvelles perspectives pour le moment 1936 

Par Erwan Le Gall et François Prigent . . . . . . . . . . . . . . . . . 309

Orientations bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . 325

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  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
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