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25 avril 2025 5 25 /04 /avril /2025 04:43
Vernis -  édito de la revue Cause Commune mars/ avril 2025 par Guillaume Roubaud Quashié
Vernis
 
édito de la revue Cause Commune n°43 mars/ avril 2025 par Guillaume Roubaud Quashié
 
Je ne sais quel est votre âge, lectrice, lecteur, mais si vous avez plus de 25 ans, il y a de grandes chances que vous ayez bien en mémoire les nombreuses couches de vernis patiemment appliquées pour masquer des intérêts souvent peu reluisants. Les guerres du Golfe ? La défense de la liberté contre l’axe du mal, bien sûr. Et tout un petit monde s’agitant du matin jusqu’au soir pour porter la bonne parole : guerre juste et sainte croisade au service de nobles causes.
Évidemment, l’abîme entre les grandes envolées et le pur appât du gain pouvait être particulièrement agaçant mais, somme toute, il avait un côté rassurant : le rapport de forces idéologiques était donc de notre côté puisqu’il fallait s’embarrasser d’une foule de justifications pour dissimuler pillages et massacres. Cet embarras, en validant des principes humanistes, rendait possibles quelques prises de judo : on pouvait condamner l’action entreprise en la mettant en regard des valeurs proclamées. On pouvait faire jouer la contradiction.
« La langue de Trump ne s’encombre pas des grandes sérénades habituelles. C’est le capital qui parle, sans filtre. »
Avec Donald Trump, tout est plus simple et plus compliqué à la fois : il n’y a, pour ainsi dire, plus de vernis ! Je ne sais si vous avez pris le temps d’écouter Donald Trump à l’occasion, par exemple, de ses conférences de presse – fascinées par ces shows assez exotiques, les « chaînes d’information en continu » les relaient bien souvent ; les extraits les plus saisissants font pour leur part la joie des réseaux sociaux. De l’humiliation de Zelensky en direct aux tranquilles revendications du Groenland devant un dirigeant de l’OTAN quasi mutique en passant par les mots fleuris choisis pour parler du Canada qui « nous a arnaqués pendant des années », l’Europe, la Chine… la langue de Trump ne s’encombre pas des grandes sérénades habituelles. C’est le capital qui parle, sans filtre.
À certains égards, c’est extrêmement inquiétant. Au temps T, cela semble indiquer un rapport de forces si dégradé dans les consciences qu’il n’est plus même besoin de vernis pour masquer la hideur bête de la quête exclusive du profit. Plus grave, en perspective : si cette langue du capital trouve un écho, si les esprits s’en accommodent, finissent par l’incorporer bon gré mal gré, comment continuer à se parler, à convaincre si un socle minimal de principes n’est pas partagé ? (Je ne parle pas ici de diplomatie entre États mais de politique : comment trouver l’oreille de celles et ceux qui soutiennent Trump s’ils acceptent de le suivre sur ce terrain où seul le profit compte ?) Ce ne sont pas là de minces questions.
Dans le même temps, les choses sont enfin claires et apparaissent pour ce qu’elles sont à la face du monde, avec tout ce que cela implique de possible surcroît de conscience. C’est Le Manifeste qui nous parle sans la moindre ride naissante : Partout où elle [la bourgeoisie] a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du « paiement au comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.
« La réponse réellement nécessaire est autrement ambitieuse : elle appelle, avec urgence, de centrer enfin les efforts sur les besoins humains et les questions environnementales, de déployer une ambition inédite en matière de diplomatie et d’exigence de désarmement. »
En un sens, notre combat se fait plus simple car la brutalité « ouverte, éhontée, directe » et absurde face aux défis de notre humanité, n’a pas à cette heure une majorité de Terriens pour la révérer. Elle heurte, elle choque, elle scandalise largement de par le monde, rendant disponibles pour l’action un nombre croissant d’individus. (Notons qu’au passage, ce que nous n’avons cessé de dire depuis 1949 sur la nécessité de sortie de l’OTAN, se trouve radicalement validé.)
Pour autant, avec ou sans Trump, l’enjeu d’incarner une alternative tangible et crédible reste décisif. On peut être effrayé par ce qui se passe et ne pas voir quoi faire ou foncer tête baissée dans de sûres impasses… (Cela appelle aussi des gestes d’organisation : nous adressons-nous partout où nous le pouvons à ces gens qui, réalisant le pire, cherchent une voie d’action et d’engagement ?)
Le piquant de la situation, vu de France, est qu’à ce grand coup de dissolvant appliqué outre-Atlantique répond ici une débauche de vernis. Comme si, par vases communicants, tout ce que l’Amérique en comptait se trouvait chez nous déversé. Nous n’en manquions pourtant pas mais nous voici à présent presque noyés sous tous ces flots écarlates.
Plus laqués que jamais, Macron et ses relais nous rebattent les oreilles du matin jusqu’au soir de Droit, de Justice, de Liberté, de Valeurs démocratiques… Quoi qu’il en coûte, le rempart européen s’élèvera pour protéger l’Ukraine, etc., etc. (Ajoutez au besoin, pour faire bonne mesure, trémolos, applaudissements debout, indignation cabotine et kits de survie.)
Pourtant, ce sont les mêmes qui, notant que le Maroc était un partenaire commercial plus important que l’Algérie, s’assoient très tranquillement sur les aspirations des Sahraouis à la liberté et à l’autodétermination. Les mêmes qui, depuis les sanctions contre la Russie, ne sont qu’amour pour les grands démocrates qataris et les Azéris qui massacrent les Arméniens… Faut-il évoquer le sort des Palestiniens ? On s’étonne chaque jour de découvrir de nouvelles sanctions mises en place ou sérieusement envisagées quand il s’agit de la Russie mais quel silence de mort quand le gouvernement israélien viole si terriblement le droit international ! Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de défendre la Russie de Poutine qui a envahi un pays souverain, ni de légitimer en rien la barbarie du 7 octobre ; simplement de constater que cette débauche de vernis et de bons sentiments est pour le moins sélective. Affaire de cosmétique plutôt que de politique. Au fond, il s’agit avec tout cela de faire passer la création d’une armée européenne, le bond dans le fédéralisme, l’austérité aggravée et, si possible, de se refaire une petite popularité pour continuer une politique antisociale avec onction électorale.
« Pourtant, ce sont les mêmes qui, notant que le Maroc était un partenaire commercial plus important que l’Algérie, s’assoient très tranquillement sur les aspirations des Sahraouis à la liberté et à l’autodétermination. »
Assurément, le problème Trump – qui est lui-même, pour une part, l’expression des contradictions violentes dans lesquelles le capital états-unien se trouve plongé – appelle des réponses mais il n’est nul besoin de vernis – ni de donner des centaines de milliards à l’industrie d’armement US sous couvert d’une « souveraineté européenne » devenue soudain impérieuse. Non, la réponse réellement nécessaire est autrement ambitieuse : elle appelle, avec urgence, de centrer enfin les efforts sur les besoins humains et les questions environnementales, de déployer une ambition inédite en matière de diplomatie et d’exigence de désarmement. Cela n’interdit pas de mettre en œuvre une véritable politique de défense – avec tout ce que cela implique de changements radicaux en ce qui concerne notre pays – mais en gardant en tête qu’un monde avec plus d’armes sera toujours plus dangereux qu’un monde qui en compte moins. Comme nous le disions il y a bien longtemps déjà : si vis pacem, para pacem (si tu veux la paix, prépare la paix).
Autrement dit, moins de vernis mais une volonté, des moyens, de la démocratie.
 
Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de Cause commune.
Cause commune n° 43 • mars/avril 2025
 
Guillaume Roubaud Quashiésera à Morlaix pour présenter le livre co-écrit avec Côme Simien "Haro sur les Jacobins! Essai sur un mythe politique (XVIIIe-XXIe siècle) pour une conférence-débat avec Côme Simien au local du PCF Morlaix le mardi 10 juin à Morlaix avec les Mardis de l'Éducation Populaire
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