Footballeur à Argenteuil et au Red Star, Rino Della Negra avait participé à une quinzaine d’actions armées de la résistance. Archives de la famille Della Negra
Deux chercheurs préparent un ouvrage sur ce membre du groupe Manouchian fusillé par l’armée allemande il y a 75 ans. Et devenu, depuis peu, une icône des supporters du club audonien.
Une tribune du stade Bauer, à Saint-Ouen, porte son nom. Les traits de son visage apparaissent sur les banderoles et les maillots des supporters du Red Star. Mais que sait-on vraiment de Rino Della Negra, ce footballeur résistant durant la Seconde Guerre mondiale ?
Membre du groupe Manouchian, il a été fusillé par les nazis le 21 février 1944 au Mont-Valérien, il y a tout juste 75 ans.
Deux historiens, Jean Vigreux et Dimitri Manessis, ont décidé de se pencher sur son parcours. Leur ouvrage sortira cet automne. Le premier, spécialiste du communisme et enseignant à l’université de Bourgogne, est le maître de thèse du second, étudiant… et supporter du Red Star.
« Un jour, Dimitri portait une écharpe Tribune Rino Della Negra, raconte Jean Vigreux. Je lui ai demandé qui était ce Rino, et on a commencé à s’interroger sur les travaux qui avaient été menés sur lui. On avait sa biographie dans le Maitron des fusillés(NDLR : dictionnaire biographique des exécutés durant l’Occupation), mais elle était très incomplète. »
« Le Mbappé de l’époque »
Les deux chercheurs ont alors épluché les archives de la Seconde Guerre mondiale et reconstitué le parcours du jeune homme né le 18 août 1923 à Vimy (Pas-de-Calais). Son père, briquetier, était originaire d’Udine, dans le Frioul (Italie).
Rino et ses parents déménagent rapidement à Argenteuil (Val-d’Oise), dans le quartier de Mazagran, où vivent 3 000 habitants originaires du Nord-Est de l’Italie qui avaient fui le régime de Mussolini. « C’est très important car cette immigration s’était structurée autour d’un pôle antifasciste, explique Dimitri Manessis. Et si ses parents n’étaient pas particulièrement engagés, Rino va fréquenter beaucoup de gens qui vont l’acclimater à cette culture. »
Mais à 14 ans, il n’est encore qu’un apprenti ajusteur aux usines Chausson, à Asnières (Hauts-de-Seine). Et brille, sur son temps libre, dans tout un tas de disciplines avec le club omnisports d’Argenteuil. « Ce n’était pas qu’un footeux, poursuit le chercheur. Il avait notamment été chronométré 11 secondes au 100 m. » « Niveau vitesse, c’était un peu le Mbappé de l’époque ! » sourit Jean Vigreux.
On le savait aussi superstitieux. « Sa mère racontait qu’il embrassait toujours ses crampons avant les matchs, en disant qu’ils lui apporteraient la victoire », sourit Yolande Della Negra, la belle-sœur de Rino, qui habite toujours le Val-d’Oise.
Un « militant de choc » de la Résistance
Rino joue ailier droit lorsqu’il est repéré par le Red Star, l’un des plus grands clubs français de l’époque. Vainqueur du championnat en 1941, il avait décroché sa cinquième coupe en 1942. Rino y est transféré l’été suivant.
Si Léon Foenkinos, son capitaine à l’époque, disait de lui qu’il était alors « l’un des plus grands espoirs » du foot hexagonal, trop jeune, il ne jouera pas en équipe première lors de la saison 1942-1943.
Et sa carrière s’arrête en février 1943. Rino refuse sa convocation au STO, le service du travail obligatoire, et entre dans la résistance. Dans les archives de police, les historiens réalisent que le footballeur, connu sous plusieurs pseudos dont « Robin », avait participé à une quinzaine d’opérations armées entre mai et novembre 1943. « Ce qui en faisait un militant de choc sur la période », explique Jean Vigreux.
Une phrase de sa lettre de fusillé avait été effacée
Autre découverte, les auteurs ont pu reconstituer deux lettres envoyées par Rino à sa famille avant son exécution, à l’âge de vingt ans. Ses reproductions circulaient… Mais un bout avait été effacé. « C’est une phrase dans laquelle Rino demandait à ses proches de faire un banquet, explique Dimitri Manessis. Mais ensuite, il ajoute : Et prenez tous une cuite en pensant à moi ! »
Pourquoi ces mots ont-ils été cachés pendant 75 ans ? « Il y a plusieurs hypothèses, poursuit-il. Soit la famille avait voulu les enlever par pudeur. Soit ce sont des associations de résistance, ou même le Parti communiste, qui estimaient que cela ne correspondait pas à un certain modèle de la dernière lettre d’un résistant fusillé, et qui ont voulu gommer cette référence à la boisson. »
« IL A EU UN COURAGE EXTRAORDINAIRE »
Comment un footballeur n’ayant jamais joué un seul match avec le Red Star a-t-il pu entrer dans le cœur des supporters audoniens ?
Dans la « tribune Rino », on supporte l’Etoile rouge mais on se retrouve aussi derrière un engagement bien ancré à gauche, des chants antifascistes et des banderoles promptes à évoquer l’actualité, à dénoncer des violences policières comme à soutenir l’accueil de réfugiés en France.
Ce n’est qu’en 2004 qu’une plaque en mémoire de Rino Della Negra a été inaugurée à l’entrée du stade Bauer. « Mais pendant près de dix ans, il n’y avait qu’un dépôt de gerbe tous les ans », explique Vincent Chutet-Mezence, président du collectif Red Star Bauer, l’association des supporters du club.
Qui a souhaité, à partir de 2013, « rendre vivante » la mémoire de Rino. « On ne voulait pas que ces hommages restent sans lendemain », poursuit-il. Le collectif organise alors une conférence sur son parcours, et fait une demande pour que leur tribune soit officiellement renommée.
« Plus qu’un joueur de foot »
« Elle n’a jamais été refusée, mais elle est restée sans lendemain », regrette le président, qui compte bien remettre le sujet sur la table après la rénovation du stade.
« Rino Della Negra était plus qu’un joueur de foot, poursuit-il. Car au-delà de ses qualités sportives, ses valeurs nous touchent très profondément. Il aurait très bien pu faire sa carrière et ne jamais se mettre en danger. Non, il a choisi de s’engager et il l’a payé de sa vie. Il a eu un courage extraordinaire. »
Dans ce stade, qui porte déjà le nom d’un docteur juif résistant, fusillé en 1942, Dimitri Manessis voyait donc un « terrain propice » pour que l’esprit de Rino soit honoré : « Le club est marqué par sa culture communiste, ouvrière, populaire, bien inséré dans la banlieue rouge », explique le chercheur.
Il fut aussi propriété de Jean-Baptiste Doumeng, le fameux milliardaire rouge. « Et Georges Marchais, dont le gendre était gardien de l’équipe, fréquentait aussi les tribunes ».
A.L.
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