La haine, l’injure, le fanatisme sont particulièrement détestables en démocratie. Et j’ai bien peur que nous soyons parvenus là-dessus à une sorte de point de non-retour, à une exaspération qui ne sait ou ne veut trouver ses démineurs. Les coups de poing et les gaz lacrymogènes n’y peuvent mais. Et les débats où les « lignes rouges » sont tracées d’avance risquent fort, je le crains, de n’apaiser personne.
Cela me donne envie de jeter un coup d’œil en arrière, et de noter combien l’aversion contre la « populace », contre la « canaille », est une constante de nos élites cultivées, aversion qui nourrit ce qu’elle dénonce. J’en veux pour témoin l’excellent livre de Paul Lidsky « Les écrivains contre la Commune » (La Découverte) qui vient d’être opportunément réédité.
Nous sommes en 1871, nous avons capitulé devant les Prussiens, et Paris s’est soulevé, Paris s’est voulu « Commune » (il y aura 30 000 fusillés). Hormis Vallès, Rimbaud, Verlaine, Villiers de l’Isle Adam, tous les écrivains, je dis bien tous, appellent à la répression contre les hordes ouvrières. Une exception cependant : Victor Hugo, qui n’approuve pas les insurgés, tant s’en faut, plaide, depuis l’étranger, pour la modération et l’amnistie.
Mais les autres ! Alphonse Daudet : « Paris était au pouvoir des nègres… » Flaubert : « Le peuple est un éternel mineur. Je hais la démocratie. L’instruction obligatoire et gratuite n’y fera rien qu’augmenter le nombre des imbéciles… » Zola : « Le bain de sang était peut-être une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres… » George Sand, naguère quarante-huitarde, qualifie les émeutiers « d’ânes bâtés » ou « de coquins de bas étage » : « La foule qui les suit est en partie dupe et folle, en partie ignoble et malfaisante… » Feydeau : « Ce n’est plus la barbarie qui nous menace, ce n’est plus la sauvagerie qui nous envahit, c’est la bestialité pure et simple… » Anatole France évoque « le crime et la démence ».
Au centre de la mire, les femmes qui, telle Louise Michel, ont bataillé, écrit, imaginé de nouvelles règles. Aucune épithète ne leur est épargnée, on les qualifie de « pétroleuses » (« mot hideux que n’avait pas prévu le dictionnaire », selon Flaubert). Et puis l’animal sauvage que devient la foule menaçante, une « hyène » selon Théophile Gautier.
Les mots qui tuent viennent d’abord des sommets. Méfions-nous.
Hervé Hamon, Le Télégramme, 13 janvier 2019commenter cet article …