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13 septembre 2018 4 13 /09 /septembre /2018 05:17
« RACHID TAHA A DONNÉ CHAIR AUX COMBATS D’UNE GÉNÉRATION »
Mercredi, 12 Septembre, 2018
Naïma Huber-Yahi est historienne, spécialiste de la musique algérienne et maghrébine en France. Elle revient sur le parcours de Rachid Taha et son apport à la chanson française.
En quoi l’irruption du groupe Carte de séjour, en 1981, marque-t-elle une rupture dans l’histoire de la chanson de l’immigration ? 
 
Naïma Huber-Yahi. Cette irruption est nourrie en amont par plusieurs années de mobilisations auprès des militants des luttes portées par les quartiers dès le début des années 1970. Ce « cri » en provenance de la banlieue lyonnaise, ce « rock beur » est né d’un mélange de mobilisations contre les crimes racistes et sécuritaires et de l’engouement pour la musique d’outre-manche. L’avènement de ce « London Calling » à la Française marque une rupture générationnelle forte avec les aînés qui chantaient les affres de l’exil et la nostalgie de la terre natale. Avec Carte de Séjour, les dimensions politiques et esthétiques changent radicalement : le message sera : « On est ici chez nous » et le métissage rock n’roll et langue arabe dialectale propose une nouvelle fusion d’avant-garde réjouissante.
 
Rachid Taha a tout aussi bien puisé dans le patrimoine musical français que dans la tradition algérienne. Comment cette double filiation a-t-elle influencé d’autres artistes ?
 
Naïma Huber-Yahi. C’est le premier artiste à revendiquer un patrimoine de l’exil et à permettre sa transmission au plus grand nombre. Ses reprises de « Douce France »  (1985) de Charles Trenet puis de « Ya Rayah » (1991) de Dahmane El Harrachi résument à elles seules sa démarche patrimoniale : à la fois d’ici et d’ailleurs,  il a fait de sa lutte contre le racisme et les discriminations sa source d’inspiration. En cela, il a permis à plusieurs générations d’artistes issus de l’immigration  de se réapproprier cette richesse culturelle et patrimoniale dans leurs créations.  Je pense ici à de grands artistes comme Mouss et Hakim, qui rencontrent le succès avec Zebda, pointure du patrimoine musical français et qui n’hésitent pas à se réapproprier le répertoire algérien de l’exil en 2007, pour l’offrir en partage à leur public. Suivra la génération des rappeurs comme le 113, le M.A.P., puis HK et les Saltimbanks et bien d’autres qui inscriront leur création dans cette démarche de réappropriation et de patrimoine.
 
Avant de se consacrer à la chanson, Rachid Taha travaillait à l’usine, il était syndicaliste. Cette expérience sociale a-t-elle marqué son parcours artistique ?
 
Naïma Huber-Yahi. Rachid Taha a connu la vie d’un jeune prolétaire à la chaîne. C’est le fameux O.S. étudié par le sociologue Abdelmalek Sayad : il a échappé à cette fatalité inscrite dans la trajectoire des Algériens de France pour prendre la parole et raconter l’histoire d’un enracinement dans notre pays alors que les immigrés eux-mêmes ne l’avaient pas vu venir.  Cette génération « beur » dont il fut le symbole et sa musique, sa bande-son, luttait pour briser les déterminismes sociaux et dire son droit de cité en France. De fait,  cette expérience sociale a marqué durablement le jeune Rachid au point que, même quand il accède à la notoriété, il se tourne vers le répertoire des chanteurs de l’immigration algérienne, ouvriers le jour, comme Dahmane el Harrachi, et troubadours de l’exil la nuit, pour perpétuer leur tradition.  Sa reprise de « Ya Rayah »  a été traduite dans 68 langues, il en a fait un tube planétaire et de ce fait, a permis de rendre universelle l’expérience de l’immigration algérienne en exil.
 
Il s’inscrivait, au tournant des années 80, dans le vaste mouvement initié par la Marche pour l’égalité. Quel fut, dans ces luttes politiques, le rôle des artistes issus de l’immigration ? 
 
Naïma Huber-Yahi. La préhistoire de la Marche contre le racisme et pour l’égalité fut marquée par de nombreuses mobilisations culturelles : du théâtre, de la presse, des radios libres. Des chanteurs ont donné chair aux combats portés par cette génération, balbutiante en politique, mais qui luttait contre les expulsions dites de la « double peine » avec des grèves de la faim ou qui organisait des mobilisations culturelles comme « Rock against police » alliant spectacles et meetings contre les violences subies par les jeunes des quartiers populaires. Rachid, avec ses acolytes de Carte de Séjour, a chanté avec fougue et poésie les problématiques de cette jeunesse : avec « Zoubida » pour le conflit de valeurs que subissaient les filles maghrébines, ou avec « Ramsa» sur le racisme au quotidien.
 
Quelle empreinte laisse-t-il dans l'histoire récente de la chanson française?
 
Naïma Huber-Yahi. La disparition de Rachid Taha laisse d’abord un immense vide du fait même de sa singularité et de l’importance de son œuvre. Son engagement sans faille contre le racisme et les discriminations, son travail acharné pour faire connaître au plus grand nombre le répertoire de l’immigration algérienne ou le répertoire arabe, font de Rachid Taha un artiste indispensable et important du patrimoine culturel français. Avec lui, entre dans la mémoire collective et le patrimoine national, la création de l’immigration en exil et le génie rock d’un jeune « gône » de la banlieue lyonnaise, arrivé d’Algérie à l’âge de 10 ans. En définitive, fier de ses origines ouvrières et algériennes, il a ouvert la porte à de réjouissantes créations métissées, et aux générations suivantes qui voudront rappeler à la France que oui, l’on peut être à la fois français et maghrébins.
 
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui
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