Des soupçons de détournements d’actifs pèsent sur la gestion de Tilly-Sabco, après que l’entreprise a été « sauvée » fin 2014 par trois repreneurs. Une enquête préliminaire pour « abus de biens sociaux » et « banqueroute » est en cours.
L’offre était tombée du ciel, providentielle. Le 5 décembre 2014, trois repreneurs, la CCI de Morlaix, le breton Olmix et MS Foods, une société anglaise se présentant comme « l’un des principaux fournisseurs de produits halal du Royaume-Uni et de la région parisienne » sauvaient in extremis le volailler morlaisien et 202 de ses 330 salariés. Avec un ambitieux projet : produire des poulets nourris aux algues, sans antibiotiques.
« Dire que Tilly était sauvé, c’est tout ce qui importait »
Moins de deux mois plus tard, une enquête du Télégramme révélait l’inquiétant profil d’Idris Mohammed, le représentant du repreneur anglais : ennuis avec les douanes, avec la justice (procédure pour travail clandestin, taxes impayées), fuite en avant avec changement de nom de société et déménagements successifs du siège social français, fiche de recherche européenne, fiasco en Hongrie après la reprise d’un… abattoir de volailles en 2010 (liquidation en 2012, dettes non réglées, salariés et fournisseurs non payés…).
Côté français, que ce soit du côté politique, judiciaire ou administratif, personne n’avait rien vu. Ou rien voulu voir. « Comment un entrepreneur avec un tel pedigree a-t-il pu reprendre Tilly Sabco ? ! », s’étonne aujourd’hui une source proche du dossier.
« Cette reprise providentielle, après une désastreuse vague de licenciements dans l’agroalimentaire breton (Gad et 800 emplois, près de 1 000 chez Doux…) permettait de dire que des emplois (202) étaient sauvés. C’est tout ce qui importait semble-t-il », analysait, dans notre enquête de février 2015, un spécialiste des dossiers financiers.
Payé 15 000 € par mois
« Idris Mohammed est un super professionnel (…) Tout se passe très bien, y compris sur le plan financier », objectait à l’époque Jean-Paul Chapalain, président de la CCI de Morlaix. « Ces procédures sont le lot commun de tout entrepreneur, surtout dans les activités de négoce », réagissait de son côté Daniel Sauvaget, ex P-DG de Tilly-Sabco.
Six mois plus tard, l’entreprise était en cessation de paiements. Alors que la loi impose de le signaler dans les 45 jours, ce dépôt de bilan ne sera finalement acté… qu’un an plus tard, fin juillet 2016.
Idris Mohammed ? « Il est venu tous les quinze jours pendant les premiers mois. Mais on ne l’a plus jamais revu ensuite », rapporte un ancien représentant syndical qui souhaite conserver l’anonymat. Après le désengagement de l’investisseur Olmix en novembre 2015, le représentant anglais, payé 15 000 € par mois (versés sur un compte au Luxembourg) en tant que président du directoire de Tilly-Sabco, finira par démissionner en juillet 2016 (*).
Notes de frais, factures et ventes suspectes
Mais il n’y a déjà plus aucun pilote dans l’avion « depuis des mois ». « On s’est autogéré pendant trois à quatre mois », révèle l’ancien syndicaliste. Le 29 juillet, l’entreprise est placée en redressement judiciaire avec, à la clé, «un passif de plusieurs millions d’euros».
En novembre 2016, l’administrateur judiciaire, désigné par le tribunal de commerce quelques mois plus tôt, alerte le parquet de Brest de possibles fautes de gestion et de faits susceptibles de caractériser des abus de biens sociaux : factures adressées à MS Foods non réglées (au moins 66 000 € repérés, alors que l’entreprise bretonne est en cessation de paiements), notes de frais d’Idris Mohamed suspectes ou contestables (13 700 € de frais pour un déplacement à Dubaï par exemple), ventes et prestations suspectes (au profit d’Halal Foodservice, propriété de MS Foods en France)…
Ces faits suspects, et d’autres, sont-ils avérés ? C’est ce que la justice va déterminer. Le parquet de Brest a ouvert une enquête préliminaire en mai 2017 pour « abus de biens sociaux » et « banqueroute ». Confiée à l’antenne PJ de Brest, celle-ci a débuté début 2018. Sa conclusion n’est pas attendue avant la fin de l’année.
(*) Selon nos informations, Idris Mohammed poursuit ses activités, au Luxembourg.
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