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21 mai 2018 1 21 /05 /mai /2018 07:39
Patrick Chamoiseau

Patrick Chamoiseau

Lire aussi: 
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Patrick Chamoiseau : « Réaffirmer l’éthique, hurler ce qui est juste »
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MURIEL STEINMETZ
VENDREDI, 18 MAI, 2018
L'HUMANITÉ
Patrick Chamoiseau Écrivain
 

Une forte levée de boucliers contre la loi asile et immigration fait l’objet d’un livre de solidarité. Il sera présenté à l’occasion du festival Étonnants Voyageurs. Entretien avec l’un des initiateurs.

Un an après la parution de l’ouvrage de Patrick Chamoiseau Frères migrants, sous son impulsion et celle de Michel Le Bris (qui préside le festival Étonnants Voyageurs, qui aura lieu les 19, 20 et 21 mai à Saint-Malo), trente écrivains, artistes et personnalités politiques se sont regroupés sous le mot d’ordre d’Osons la fraternité ! (1). Une telle levée de boucliers revêt une valeur manifeste, d’une importance peu commune, à l’exacte mesure de la honte éprouvée devant l’instauration de la loi asile et immigration. Chacun des signataires (voir ci-contre) a livré par écrit sa vision du phénomène migratoire. Ces textes sont d’une extrême diversité. Il y a des récits qui traitent de l’exil, d’exode, de familles et de vies brisées, d’espoirs trahis ou réalisés. Il en est aussi d’anticipation et d’autres d’humour, par exemple celui dans lequel on envisage que les mots d’origine étrangère s’envolent du dictionnaire… Le tout constitue un bouquet de paroles insurgées appelant à une fraternité neuve et qui dénoncent les violences inhérentes aux guerres d’identité. Les droits d’auteur seront reversés au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Cet acte artistique d’engagement fort s’accompagne, en fin d’ouvrage, d’une « déclaration des poètes », dont Patrick Chamoiseau est l’auteur.

Chacun est présent dans l’ouvrage avec un texte de son cru. Il y a une grande variété de tons sur le thème donné, ce qui témoigne de l’absolue liberté laissée à l’imaginaire…

Patrick Chamoiseau Michel Le Bris et moi-même sommes persuadés que les arts de la littérature sont un mode indispensable de connaissance de notre réel, tout autant que tous les autres arts. Ce phénomène migratoire n’est pas seulement une catastrophe humanitaire ni une urgence de politique mondiale sur la question de l’hospitalité. Il est véritablement l’amorce encore illisible d’une autre manière d’habiter le monde et d’habiter au monde. Il faut tenter de l’envisager en étendue et profondeur. Dès lors, l’exploration sensible devient pertinente, tout en dénonçant, tout en refusant l’inacceptable, elle dégage, elle ouvre, elle cherche, elle crée des flots d’images et des lignes de fuite. C’est toujours la bonne manière d’aborder un phénomène : tenter de deviner, sous un déploiement de l’imaginaire, ce qu’il nous enseigne. Chacun était appelé à vision et à création, donc la liberté – liberté de forme, liberté d’approche – était consubstantielle à la démarche. Nous aurions aimé y croiser les arts de la littérature avec les arts graphiques, la photographie… mais le temps nous a manqué.

Êtes-vous conscient que l’appel à une nouvelle fraternité que vous lancez ainsi à plusieurs risque de ne rencontrer qu’une indifférence feinte de la part du pouvoir ?

Patrick Chamoiseau Ce texte ne s’adresse pas au pouvoir dont vous parlez. Un pouvoir qui laisse mourir, qui traque, qui humilie, qui enferme des enfants et qui bafoue les droits humains appartient déjà au passé. Il n’y a pas à s’adresser à lui. Il nous faut juste nous occuper de notre hygiène mentale : réaffirmer l’éthique, hurler ce qui est juste, dégager en nous de nouvelles voies, de nouveaux possibles, faire émerger en quelque sorte « une puissance ». La puissance est la matrice des pouvoirs à venir.

Votre texte, Lampedusa. Ce que nous disent les gouffres… , part en effet du lieu de l’arrivée en Europe du plus important flot de migrants. Vous êtes-vous rendu sur les lieux, tel un journaliste, ou les avez-vous imaginés en écrivain ?

Patrick Chamoiseau Non, je n’y suis pas allé. Je ne suis pas allé à Calais non plus. J’ai surtout le souci du devenir, le goût de l’invisible. Aujourd’hui, le moindre phénomène déclenche de l’invisible qui se déploie sur la totalité du monde. Les migrations massives n’échappent pas à cette règle. Comprendre ce que ces déchirements humains, ces flux intraitables, ce mélange d’espoir et de tragique, de fragilité et de vouloir intraitable signifient. Qu’est-ce que cela annonce du devenir de notre monde ? En quoi cela réactive des parties oubliées de nous ? En quoi cela installe des dynamiques déterminantes que nous ne savons pas lire ? Certains actionnent cette approche au cœur de l’action et du terrain, moi il me faut les médiations de la distance, les libertés de l’émotion.

Vous parlez de mondialité. Pouvez-vous établir un distinguo entre ce terme et celui de mondialisation, car nous sentons bien que ce n’est pas du pareil au même ?

Patrick Chamoiseau En pleine période de décolonisation, Édouard Glissant s’est préoccupé de la globalisation du monde. La colonisation, pour lui, avait réalisé l’ultime jonction des humanités en leurs civilisations, leurs cultures et leurs imaginaires. Cela créait désormais un « Tout-Monde ». Ce Tout-Monde est infiniment complexe, infiniment chaotique. C’est d’abord une émulsion globale, quasi totalitaire, alimentée par l’appétit capitaliste et ses hystéries financières. Mais c’est aussi une conscience ouverte du monde dans la moindre de ses parties, et chacune de ces parties se trouve en inter­action avec toutes les autres dans un maillage numérique et des accélérations technoscientifiques vertigineuses. La mondialisation serait la partie verticale, prosaïque, économique, consumériste, néolibérale du Tout-Monde, avec son arche de régressions, ses atteintes à la dignité humaine et à la planète tout entière. La mondialité, elle, plutôt horizontale, serait d’essence poétique. Il ne faut pas s’empresser de trop la définir. Disons qu’elle serait une extension irréversible de la conscience individuelle à la totalité du monde. Cette extension est faite de rencontres, d’émulsions, d’amitié, d’amour, de liberté, de musique, de chants, d’arts, de questionnements humains et de réalisation de soi en relation désirante ou non désirante avec toutes les réalités du monde. Dans le Tout-Monde, mondialisation et mondialité s’entrechoquent, se confrontent de manière imprévisible et chaotique, toujours inattendue. Les flux migratoires surgissent des vieux corsets territoriaux, et se répandent dans les dessèchements barbelés de la mondialisation comme des flots d’oxygène, des hoquets de sang désirant. Je les perçois comme un des tressaillements de la mondialité.

Patrick Chamoiseau

Écrivain

(1) Osons la fraternité ! Les écrivains aux côtés des migrants, collectif, sous la direction de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris. Éditions Philippe Rey, 304 pages, 19 euros. Parmi les autres signataires, Kaouther Adimi, Pascal Blanchard, Patrick Boucheron, Mireille Delmas-Marty, Ananda Devi, Laurent Gaudé, Lola Lafon, JMG Le Clézio, Claudio Magris, Achille Mbembe, Léonora Miano, Maya Mihindou, Jean Rouaud, Lydie Salvayre, Elias Sanbar, Boualem Sansal, Christiane Taubira…
Festival Étonnants Voyageurs de St Malo, manifeste des écrivains et personnalités pour le droit d'asile: grand entretien avec Patrick Chamoiseau dans l'Humanité: "réaffirmer l'éthique, hurler ce qui est juste" (18 mai 2018)
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