
Depuis le 1er février, lycéens, étudiants et profs sont mobilisés contre les réformes du second cycle et d'entrée à l'université. Les sénateurs examinent, ce 8 février, le projet « Parcoursup » modifiant l'accès aux facs. Julie Le Mazier, docteur en science politique à Paris-I et syndicaliste SUD éducation (1), revient sur les conditions de la riposte aux projets de bouleversements de l'éducation nationale. Entretien.
HD. La réforme actuelle de la sélection pour l'entrée à l'université n'est pas la première. Elle succède à une longue histoire de réformes, dont elle s'inspire. Certaines ont été mises en échec grâce aux mobilisations étudiantes. Quelles grandes dates retenir ?
Julie le Mazier. Dès les an-nées 1960, les universités craquent du fait de l'afflux massif d'étudiants. Des projets sont donc formulés pour juguler ce flux, et éviter que les classes populaires s'emparent de l'université. En 1963, le ministre Christian Fouchet instaure certaines mesures sélectives. En 1967, Alain Peyrefitte veut mettre en place une sélection, mais elle est combattue dans la rue et n'est pas adoptée. Même chose avec la réforme de 1986. Un jeune étudiant, Malik Oussekine, est tué par la police. Les manifestations, déjà très importantes, prennent de l'ampleur, le ministre Alain Devaquet est contraint de démissionner. Ce fut un traumatisme pour les gouvernants.
Depuis, les gouvernements successifs s'y sont pris autrement : ils ont créé les conditions pour faire sauter le tabou de la sélection, c'est-à-dire rendre la situation suffisamment inacceptable pour faire passer cette solution comme la seule possible.
Ils ont asphyxié les universités en les rendant « autonomes » en 2007, c'est-à-dire en les laissant gérer leurs locaux et leur masse salariale, sans leur donner les moyens budgétaires de le faire. Puis, en 2008, ils ont délégué à l'algorithme APB (Admission post-bac) le soin de gérer la pénurie. On arrive, alors, à la situation de 2017, ave c 800 000 candidats inscrits sur APB pour 600 000 places. Le système ne pouvait qu'exploser... et la sélection s'imposer comme seul remède envisageable.
La réforme de Frédérique Vidal, Parcoursup, reprend l'esprit de celles de 1967 et celle de 1986. À la différence que le contexte actuel est aggravé par les réformes de 2003 et de 2007.
HD. Qu'est-ce qui fait que les mobilisations aboutissent, ou pas ?
J. le M. La dernière mobilisation dela jeunesse scolarisée victorieuse a été celle de 2006 contre le CPE (contrat première embauche, rémunéré en dessous du Smic à destination des moins de 26 ans NDLR). Plu sieu r s fac teu r s peuvent jouer dont le contexte politique. En 2006, c'était une fin de mandat, le gouvernement était assez divisé sur la façon de répondre à la mobilisation. Il y a aussi le fait que le CPE comme la sélection est une mesure simple à expliquer, à la différence de la loi sur la responsabilité des universités (LRU) de 2007. De plus, le CPE touchait plus directement le monde du travail, qu'un étudiant sur deux connaît, le plus souvent, dans le cadre de jobs d'été précaires. Et puis les étudiants de 2006, pour beaucoup, avaient vécu la grève de 2003. Celle-ci avait échoué sur la réforme licence-master-doctorat (LMD) mais elle avait fait reculer le gouvernement sur le projet de loi d'autonomie. C'est un élément important. Plus il y a de mobilisations, plus les étudiants savent se mobiliser, et plus les mobilisations ont des chances d'être victorieuses. Aujourd'hui le contexte est différent, la plupart des jeunes n'ont pas connu de grève. Certains se sont mobilisés en 2016 contre la loi travail mais n'ont pas connu de grève d'ampleur de la jeunesse scolarisée.
« Les gouvernements successifs ont asphyxié l'université pour faire de la sélection la seule solution possible. »
HD. Pour quelles raisons la loi LRU a-t-elle été plus difficile à expliquer et à mobiliser ?
J. Le M. Les conséquences concrètes de l'autonomie des universités sur les conditions d'études ne sont pas évidentes. Le travail de mobilisation des syndicats étudiants a été moins facile à faire malgré leurs alertes sur le fait que la LRU ouvrait la voie à la hausse des frais d'inscription, à une mise en compétition des universités et donc, à terme, à une sélection des étudiants. De plus, la mobilisation n'a pas été unitaire.
HD. Peut-on dire que le contexte est plus difficile aujourd'hui pour des grandes mobilisations victorieuses ?
J. Le M. Effectivement, la situation est moins favorable. Les difficultés à mobiliser ces dernières années dans la jeunesse scolarisée tiennent aussi aux mêmes raisons que celles qu'on observe dans le monde du travail. De la même façon que les politiques néolibérales brisent les collectifs de travail dans les entreprises, elles brisent les solidarités étudiantes.
On a transformé l'université sur le modèle de l'entreprise marchande. On met chaque formation et chaque élève en compétition avec les autres. On incite étudiants et lycéens à devenir autoentrepreneurs de leur parcours scolaire. Ils doivent en permanence être en quête de la meilleure formation, du meilleur stage. Je suis aussi enseignante dans un lycée, je le vois. Avec la plateforme Parcoursup, les lycéens sont sous pression. Soit ils s'organisent pour se battre, soit ils s'enferment chez eux pour travailler pour avoir les meilleures notes possibles tout en courant pour obtenir des recommandations et autres critères. Pourtant, se mobiliser ne fait pas rater ses études. Mais si, par ailleurs, ils n'ont pas l'habitude de voir les parents s'organiser pour se mettre en grève, alors ils baissent la tête pour travailler le plus possible pour s'en sortir individuellement.
L'autre élément important est le rôle des organisations syndicales. Une mobilisation ne naît pas seulement de la colère, elle naît du travail de fourmi des militants syndicaux pendant des semaines, des mois, voire des années. Si on était en janvier 2006, les jeunes en train de se mobiliser contre le CPE diraient que c'est très difficile de mobiliser la jeunesse, et pourtant, un mois après, ils ont réussi.
Aujourd'hui, nous en sommes exactement dans le moment où cela paraît très difficile. Les militants travaillent depuis plusieurs mois à informer, à alerter, mais sans voir encore de résultats alors que cela peut très bien porter ses fruits. Car ce qui se joue n'est pas seulement une réforme sectorielle, c'est une destruction du droit à l'éducation qui concerne toute la société
HD. Êtes-vous optimiste sur le fait que les mobilisations actuelles à la suite de l'appel à mobilisation lancé par les syndicats d'enseignants FSU, CGT, FO, SUD éducation, de lycéens et collégiens Unef, Solidaires, SGL, UNL et de parents d'élèves, FCPE se transforment en réel mouvement ?
J. Le M. Il s'est passé quelque chose de significatif le 1er février, malgré le rendu médiatique et même si la manifestation de rue n'était pas massive. Les assemblées générales (AG) moins visibles par les médias ont réuni plusieurs centaines de personnes dans une vingtaine d'universités. 700 personnes à Tolbiac (Paris), 800 le 30 janvier, puis près de 1 000 le 1er février à Toulouse, au Mirail, 400 à Nanterre... Cela correspond au chiffre qu'on obtient au bout de trois ou quatre AG. C'est plus que les débuts de la grève de 2010 contre la réforme des retraites. Surtout, on sent une volonté de s'organiser et un espoir de gagner. Il y a une mobilisation qui est en train de se construire, une volonté d'autoorganiser la lutte, de la prendre en main et de lui donner l'ampleur qu'il faudra.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LATIFA MADANI latifa.madani@humadimanche.fr
(1) Auteure d'une thèse sur les AG dans les mouvements étudiants en France (2015). Coauteure d'« Universités sous tension. Retours sur la mobilisation contre la loi pour l'égalité des chances et le CPE », Paris. Syllepse, 2011.
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