
L’absorption d’Alstom par Siemens et la prise de 50 + 1 % du capital de STX par Fincantieri ne relèvent pas du bradage de circonstance. Elles s’inscrivent dans la mise en œuvre systématique d’orientation politique dans le domaine des industries stratégiques que sont l’aérospatiale, la navale, l’armement, le ferroviaire, les télécommunications, l’énergie. Il s’agit de la continuation d’une stratégie initiée par Emmanuel Macron dès son accession au ministère de l’Économie et de l’Industrie en 2014.
Ainsi, en 2014, Macron, sous prétexte qu’il n’y aurait pas d’autres solutions viables, accepte la cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric afin de constituer un champion mondial dans le domaine, on emploie déjà l’expression d’Airbus de l’énergie.
En 2015, dans le domaine de l’armement terrestre, Macron procédait à laon de Nexter1 avec l’allemand KMW2. Créant la société NKDS détenue à 50 % par l’État français et à 50 % par KMW. L’objectif était « de faire un Airbus de l’armement terrestre ».
La même année, dans le domaine des équipements de télécommunication, le même Macron se faisait le militant de l’absorption d’Alcatel Lucent par Nokia, en déclarant notamment que ce rapprochement « allait faire naître un Airbus des équipements de télécom ».
Mai 2016, Macron approuve la fusion de Technip avec le texan FMC, car cela permettra de créer « un Airbus du parapétrolier ». L’opération tourne au drame pour les salariés français, la fusion n’ayant été qu’un moyen pour FMC d’éliminer un concurrent et de récupérer les brevets3.
Juin 2017, dans le domaine de l’armement naval, DCNS devient Naval Group, avec la volonté de constituer à terme un « Airbus de la navale » avec STX, et les Italiens Fincantieri et Léonardo4.
Juillet 2017, Macron et Merkel annoncent leur volonté de développer plusieurs systèmes d’armement, dont un avion de combat européen destiné à remplacer à “long terme” les Typhon et les Rafale.
L’argument utilisé est toujours le même : constituer des champions ayant la taille critique pour affronter la concurrence mondialisée.
Pour justifier toutes ses fusions qui privent notre pays de ces outils industriels stratégiques, il est invoqué, comme une formule magique, la « constitution d’un Airbus de… ». Cette référence est mensongère car, historiquement, le GIE d’Airbus n’a pas été le produit de fusions et d’absorptions d’entreprises. Il s’est d’abord construit, avec le soutien des États, à partir d’un projet de coopération inter-entreprise de construction d’un avion de ligne, en l’occurrence l’A300, et puis du programme du monocouloir A320 qui a représenté une véritable rupture technologique permettant le succès commercial d’Airbus. En 2000 la structure de GIE5 fut abandonnée au profit d’EADS6 produit de la fusion des Français Aérospatiale et Matra, de l’Allemand Diamler et de l’Espagnol CASA. Aujourd’hui, sur fond de désengagement de l’État français, de retrait des actionnaires historiques privés Lagardère et Diamler, et d’entrée au capital des banques publiques des Landers, EADS est devenu Airbus group. Les plans de restructuration sous pression de la soif de dividendes des 73,62 % d’actionnariat privé flottant sont devenus un vrai handicap pour le développement et l’avenir d’Airbus.
Ainsi, si l’on voulait faire un Airbus du rail, les coopérations seraient plus à chercher entre Alstom et Bombardier qu’avec Siemens.
Pour STX, les questions se posent en termes de diversifications des productions et des activités dans le cadre de multiples coopérations avec des partenaires français et européens.
A contrario d’Airbus, c’est-à-dire d’un vrai projet industriel, les fusions de Nexter, Alstom, Alcatel, Technip, STX ne sont que des opérations de concentration financière qui répliquent la même matrice : à savoir, prise de contrôle d’au moins 50 % du capital par un groupe concurrent, désengagement partiel ou total de
l’État de l’actionnariat et de la gouvernance. La durée des « garanties » sur l’emploi, la pérennité des sites et la gouvernance est indexée sur le carnet de commandes7. Cette matrice conduit à un pillage des brevets fruit du travail des salariés et de l’argent public, à des destructions d’emplois, des fermetures de sites, au démantèlement de son tissu d’équipementiers et de sous-traitants. Elle entraîne des pertes de savoir-faire irrémédiables.
In fine cela aggrave le déficit commercial du pays en conduisant à importer ce que nous ne concevons et ne produisons plus.
Un complexe militaro-industriel
Avec ces opérations, Macron vise deux objectifs :
- La constitution d’un « système global de sécurité » européen intégré à l’OTAN, avec comme matrice un puissant complexe militaro- industriel essentiellement privé dont le socle serait constitué par l’Allemagne et son hinterland, la France et l’Italie.
- Rendre irréversible sous couvert de « souveraineté européenne » la transformation de la zone euro en une zone économique fédérale, en s’appuyant sur des conglomérats industriels taillés pour mener la guerre économique dans le cadre des traités de libre-échange, et essentiellement dominés par le capital privé allemand, la France se recentrant sur les startups et les services numériques.
À cette vision d’une industrie européenne asservie à la finance et aux ambitions militaro-sécuritaires, le PCF se doit d’opposer celle d’une renaissance industrielle autour de grands, de moyens et de petits projets utiles afin de répondre aux grands défis qui se posent à notre pays, à l’Europe et au monde avec les quatre grandes transitions : écologique, urbaine, démographique et numérique. Cette renaissance implique de penser un continuum entre industrie et service, en particulier quand ceux-ci sont publics. Elle nécessite une appropriation sociale des brevets en en faisant des Communs protégés par des licences de réciprocités. L’investissement dans la Recherche & développement, dans la formation, dans la transmission des savoir faire entre générations, dans l’emploi, est décisif. La puissance publique doit reprendre la main sur les industries stratégiques, y compris par des nationalisations partielles ou totales, pour imposer les choix politiques stratégiques nécessaires, avec le concours actif des salariés et des citoyens représentés par leurs élu.e.s. Ils ne peut y avoir de politique énergétique, d’aménagement, de défense ou de transport sans avoir les moyens industriels de les mettre en oeuvre, sinon les élu.e.s de la commune à l’Europe sont condamné.e.s à mettre en œuvre des politiques que les grands groupes industriels leur proposent sur l’étagère. Cette renaissance industrielle sera porteuse de coopération européenne et internationale à la mesure des défis à relever et avec le souci de mutualiser les coûts en recherche, en développement et en capital.
Yann Le Pollotec
Membre du CEN
1. Le groupe national d’armement terrestre issu du GIAT qui lui-même tire son origine des arsenaux et manufactures d’armes.
2. Groupe privé d’armement appartenant à la famille Bode-Wegmann.
3. https://www.lesechos.fr/11/05/2017/LesEchos/22443-072-ECH_technipfmc---la-fusion-tourne-a-l-avantage-des-americains.htm
4. Conglomérat industriel italien dont l’activité principale est l’armement.
5. Groupement d’intérêt économique.
6. European Aeronautic Defence and Space company.
7. Alstom a un carnet de commandes rempli pour 4 ans et comme par hasard les garanties sur l’emploi sont fixées sur 4 ans.
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