Si vous avez quelques longues soirées d'hiver à occuper, courez chez votre libraire pour acheter ce très grand polar de Don Winslow qui parcourt 30 ans la guerre américaine contre la drogue en Amérique Centrale et ses faux-semblants.
Cette plongée très documentée, ultra-réaliste, et de grande ambition au coeur de la lutte de l'Etat américain contre les cartels mexicains est un chef d'oeuvre. Le livre de Don Winslow, où le cynisme froid de ces grands capitalistes que sont les organisateurs du trafic de guerre, intégrés dans les oligarchies latino-américaines, le dispute à l'extrême-violence, montre notamment comment le pouvoir américain et la CIA, du temps de Reagan et Bush notamment, à participer à l'organisation du commerce de la drogue pour financer la lutte armée des milices d'extrême-droite au service des trafiquants de drogue et des gros propriétaires terriens, contre les groupes de guérillas communistes au Nicaragua, au Chiapas, au Salvador, envoyant comme instructeurs des membres de la mafia américaine et des anciens du Vietnam reconvertis en Mercenaires, véritables tueurs n'hésitant pas à assassiner des travailleurs, paysans, syndicalistes, prêtres un peu trop rouges, comment en retour les groupes rebelles marxistes ont été obligés eux aussi d'utiliser le contrôle d'une partie du commerce de la drogue pour s'armer, les grossistes mexicains jouant alors double jeu.
Ce livre présente le Mexique en narco-Etat contrôlé par les Etats-Unis et les cartels de la drogue, où les pires criminels sont les plus grands financeurs des campagnes électorales.
Ce roman montre bien en quoi le capitalisme financier et la spéculation a en grande partie des origines criminelles et comment la violence endémique et perpétuelle en Amérique Latine, mais aussi au Proche et Moyen-Orient, procède de stratégies de prédation capitaliste et impérialiste.
A inscrire au livre noir du Capitalisme et de la lutte anti-communiste américaine.
On ne s'ennuie pas en lisant ce livre haletant aux personnages de roman noir bien plantés, mais on peut, en se collant à la noirceur du monde, en nourrir quelques cauchemars.
Un extrait significatif de la toile de fond politique du livre:
"Les zapatistes du Chiapas sont plus actifs que jamais, les rapports signalent que leurs rangs ont récemment grossi du fait de l'afflux de réfugiés au Guatemala voisin. Le potentiel existe donc pour une insurrection communiste qui risque de s'étendre à toute la région.
Un nouveau groupe d'insurgés de gauche, l'EPR, le Ejercito Popular Revolucionario, l'Armée Populaire de la révolution, a fait son apparition en juin dernier, lors d'un service funéraire à la mémoire des paysans de Guerrero tués par les milices d'extrême-droite. Il y a quelques semaines, l'EPR a lancé des attaques simultanées contre des postes de police à Guerrero, Tabasco, Puebla et même Mexico, tuant seize policiers et en blessant vingt-trois autres. Le Viêt-Cong a démarré plus petit que ça, songe Hobbs. A ses collègues des renseignements mexicains, il a offert son aide contre l'EPR, mais les mexicains, encore et toujours sensibles aux interférences néo-impérialistes des Yanquis, ont décliné.
Stupidement, car il suffit d'un coup d'oeil rapide sur la carte pour constater que l'insurrection communiste se propage vers le nord à partir du Chiapas, alimentée par le désastre économique après la crise du peso et les délocalisations causées par la mise en oeuvre de l'ALENA.
Le Mexique vacille au bord d'une révolution, et tout le monde le sait, sauf les Autruches des affaires étrangères... Non les Mexicains ne peuvent accepter l'aide militaire américaine que sous couvert de la guerre contre la drogue... Le syndrome du Vietnam empêche le Congrès d'allouer le moindre sou au financement de guerres déguisées contre les communistes, mais les députés accepteront sans rechigner d'ouvrir leurs coffres pour faire la guerre à la drogue...".
(p. 650-651, La Griffe du Chien - Don Winslow, Points).