Pour leur deuxième débat, jeudi, les candidats à la primaire de droite et du centre s’exprimeront sur la lutte contre le terrorisme et ses implications internationales. À l’opposé de la diplomatie française, la plupart prônent un rapprochement avec la Russie, alliée du régime de Bachar al-Assad.
Ce sera l’un des sujets majeurs du deuxième débat de la primaire de la droite et du centre. Jeudi 3 novembre au soir, les sept candidats au scrutin de novembre retrouveront leur pupitre et leur temps de parole limité pour aborder plusieurs sujets d’ampleur, comme l’avenir de l’Europe, la lutte contre la délinquance ou encore l’éducation. Lors de cette nouvelle émission, diffusée cette fois-ci sur iTélé, BFM-TV et RMC, il sera également question de la lutte contre le terrorisme et de ses implications internationales.
Une question épineuse, sur laquelle les ambitieux de 2017 ont des idées bien arrêtées. Parmi eux, Nicolas Sarkozy, François Fillon et Alain Juppé qui, lorsqu’ils étaient encore au pouvoir, ont tous trois défendu, en 2011, la campagne de bombardements aériens en Libye, laquelle a favorisé le renversement de Mouammar Kadhafi. Respectivement président de la République, premier ministre et ministre des affaires étrangères, ce sont les mêmes qui avaient décidé, en mars 2012, de fermer l’ambassade française à Damas (Syrie), plongeant dans le désarroi l’opposition démocratique au régime de Bachar al-Assad.
À l’époque, les trois concurrents au scrutin de novembre étaient d’accord pour refuser toute forme de discussion avec le président syrien. « On a fait une erreur, s’est justifié Fillon, le 27 octobre. Tout le monde disait : “Bachar al-Assad va sauter dans les quinze jours”, parce que tout le monde pensait qu’on était en face d’une révolution populaire, comme en Égypte ou comme en Tunisie. » Quatre ans plus tard, l’ex-chef du gouvernement a changé d’avis. Prônant un rapprochement avec la Russie, il va jusqu’àaffirmer qu’il « faut aider le régime de Bachar al-Assad qui, avec tous les défauts qui sont les siens, est sur le point de tomber ».
Comme lui, nombreux sont ceux, au sein de LR (ex-UMP), à estimer que Poutine détient la clef du dénouement syrien et de l’anéantissement de l’État islamique (EI) ; d’aucuns, comme Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet, restant toutefois très critiques vis-à-vis du président russe. Bruno Le Maire quant à lui va même jusqu’à réclamer une opération terrestre en Syrie, se démarquant non seulement de ses adversaires, mais aussi de son ancien mentor, Dominique de Villepin. Passage en revue de ce que prépare la droite en cas d’alternance en 2017.
- Nicolas Sarkozy
« Nous avons besoin des Russes… » Nicolas Sarkozy est l’homme de tous les revirements. Président, il ouvrit grand les portes de l’Élysée au président libyen Mouammar Khadafi, avant de lui déclarer la guerre. Le président russe a, lui, fait le chemin inverse dans l’esprit de l’ex-chef de l’État. De paria – dans un entretien accordé au magazine Le Meilleur des mondes, en novembre 2006, il annonçait même qu’il ne serrerait pas les mains « tachées du sang des Tchétchènes » –, Vladimir Poutine est aujourd’hui devenu un interlocuteur incontournable pour dénouer le conflit syrien.
« On ne réglera pas le bourbier, le drame syrien sans la Russie, plus nous avons des désaccords avec monsieur Poutine, plus il faut discuter avec lui », a déclaré Sarkozy à Europe 1, le 20 octobre. À tel point que la Russie est devenue le principal angle d’attaque contre Hollande en matière de politique étrangère. « Je n'ai toujours pas compris pourquoi on avait annulé la visite de monsieur Poutine, je n'ai toujours pas compris pourquoi, la semaine dernière, monsieur Hollande ne voulait pas parler à monsieur Poutine et pourquoi il se précipite à Berlin pour parler avec lui. »
Durant son quinquennat, la relation de l’ex-chef de l’État à son homologue russe fut pourtant erratique : en octobre 2007, quelques jours avant sa première visite officielle à Moscou, Nicolas Sarkozy décrivait notamment la Russie comme « un pays qui complique la résolution des grands problèmes du monde », plutôt qu'un « facilitateur ». Mais depuis la fin de son mandat, l’ancien président a rencontré deux fois Vladimir Poutine. Et a visiblement recollé les morceaux.
Face à un conflit dont le développement dessine une partie de l’avenir du monde, Sarkozy tient à faire valoir son point de vue sur la question syrienne : le 20 octobre, toujours sur Europe 1, il estimait qu’« à l'évidence, il faut prolonger la trêve humanitaire à Alep », même si « tout le monde sait bien qu'elle ne réglera pas le problème de la Syrie ».
À part ça ? Comme il l’a annoncé, en juin dernier, dans un entretien accordé à plusieurs journaux européens, Sarkozy plaide pour l’organisation d’« une grande conférence » pour « reconstruire » la Syrie, avec « un nouveau style de gouvernance où la diversité est respectée ». Mais encore ? Bachar al-Assad « ne peut être l'avenir de la Syrie : il a 250 000 morts sur la conscience. Mais il ne faut pas refaire l'erreur de l’Irak. Saddam Hussein, dictateur sanglant, ne pouvait pas être l'avenir de ce pays, mais il fallait parler avec les membres du parti Baas. C'est la même chose pour la Syrie ». Et donc ? Il faut« des forces arabes au sol ».
Selon l’ex-chef de l’État, « il faut naturellement des forces au sol qui complètent le travail de la force aérienne », mais « il ne s'agit en aucun cas d'envoyer des troupes européennes. Ne rejouons pas une histoire de l'Orient contre l'Occident ». « Ce sont les peshmergas, ce sont les Kurdes qui ont des succès parce qu'ils ont le soutien de la coalition internationale dans les airs, ajoute-t-il. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut des forces arabes au sol. L'Arabie saoudite, les Émiriens et d'autres ont dit qu'ils y étaient prêts. Il faut les encourager. »
Rien de bien neuf donc dans les déclarations de Nicolas Sarkozy, sauf le fait de confier à Riyad et aux Émirats la résolution du conflit syrien. Problème : l’exemple du bourbier yéménite ne plaide pas franchement pour une telle mesure… Loin de résoudre le conflit, l’intervention de l’Arabie saoudite au Yémen à partir de 2015 est au contraire un véritable fiasco, dont Riyad – accusée de « crime de guerre » par des ONG – ne sait plus comment se sortir.
- François Fillon
« Quand on est en guerre, on doit choisir son principal adversaire, écrit François Fillon dans Vaincre le totalitarisme islamique (éd. Albin Michel). De Gaulle, pendant la Seconde Guerre mondiale, avait choisi : l’adversaire, c’était Hitler et il n’a pas hésité à s’allier avec les Russes pour le combattre. » Pour vaincre l’État islamique, l’ancien premier ministre prône le même rapprochement. « Il faut s’attaquer à ce mal, il faut le faire avec les Russes, il faut le faire avec les Iraniens, il faut le faire avec tous ceux qui sont prêts à nous aider à le réaliser », arguait-il lors du premier débat entre les candidats, le 13 octobre.
Quand on l’interroge sur les raids aériens russo-syriens contre les secteurs d’Alep-Est sous contrôle rebelle, qui ont fait environ 500 morts et 2 000 blessés depuis le 22 septembre selon l’ONU, il botte en touche et refuse de parler de « crimes de guerre ». « Il ne faut pas utiliser des mots comme ça, sans pouvoir vérifier », a-t-il affirmé, le 27 octobre, dans « L’Émission politique », sur France 2. La veille, des frappes aériennes sur une école située dans la province d’Idlib (nord-ouest de la Syrie) avaient tué 22 enfants et 6 enseignants, selon l’Unicef.
François Fillon veut en finir avec « les postures morales », le « politiquement correct » et l’« angélisme ». « Il y a deux camps en Syrie et non pas trois comme on le dit, assurait-il encore le 13 octobre. Le camp de ceux qui veulent mettre en place ce régime totalitaire islamique que j’évoquais tout à l’heure. Et puis, il y a les autres. Moi, je choisis les autres parce que je considère que ce danger-là est trop grave pour la paix mondiale et qu’il nécessite aujourd’hui que nous nous alliions à des gens que nous n’aimons pas ou dont nous n’approuvons pas l’organisation politique et économique. » En d’autres termes : il faut s’allier à Vladimir Poutine et à Bachar al-Assad pour lutter contre l’EI.
En écartant les rebelles syriens et en proposant une telle alliance, l’ancien premier ministre entérine le fait que les bombardements d’Alep relèveraient de la lutte contre le« totalitarisme islamique ». Et enterre un peu rapidement les conclusions de l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, qui estimait début octobre que sur les quelque 8 000 combattants de la rébellion à Alep, seuls 900 appartiennent à l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front Fateh Al-Cham (anciennement Front Al-Nosra,qui a renoncé cet été à son allégeance avec l’organisation d’al-Zawhari). Et se demandait si la présence de ces 900 combattants n’offrait pas à Moscou et Damas un « alibi facile »pour détruire la ville.
À aucun moment, François Fillon ne prend en compte le fait qu’une partie de la rébellion anti-Assad lutte elle aussi contre l’État islamique. Il oublie aussi comment le régime syrien a joué des années durant avec le djihadisme, comment il s’en est servi et comment il en a parfois favorisé l’émergence, avant et après le début de la révolution syrienne. Poussé dans ses retranchements, l’ancien premier ministre a fini par reconnaître, le 27 octobre, que « la Russie est un régime instable et dangereux », tout en réclamant la levée des sanctions contre Moscou. Pourtant, son tropisme russe est ancien. À Matignon, il a même profité de la défiance de Poutine vis-à-vis de Sarkozy, qui avait déclaré avant son élection qu’il ne lui serrerait jamais la main.
Depuis lors, les liens ne se sont jamais rompus. « Attention à l'excès de vodka », l’a d’ailleurs prévenu Alain Juppé sur France Inter. Rien d’étonnant à retrouver dans l’équipe de campagne de Fillon l’un des porte-voix de la Russie en France : Thierry Mariani, député LR (ex-UMP) des Français de l’étranger, vice-président du groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée et coprésident de l’association Dialogue franco-russe. C’est lui qui s’était rendu à Damas, au printemps dernier, en compagnie de quatre autres députés de l’opposition, dont deux soutiens de Fillon (Valérie Boyer, sa porte-parole, et Nicolas Dhuicq, député de l’Aube). Ensemble, ils avaient rencontré Bachar al-Assad et étaient rentrés en France pour vanter l’intervention russe en Syrie.
Cette position, en parfaite contradiction avec celle du gouvernement français, les députés Dhuicq et Mariani l’avaient déjà défendue en novembre 2015, lors d’un précédent voyage à Damas, organisé par SOS Chrétiens d’Orient, association qui se présente comme apolitique, mais compte dans ses rangs nombre de figures issues de l’extrême droite. L’ancien premier ministre a d’ailleurs fait du soutien aux chrétiens d’Orient l’un de ses marqueurs de campagne. « Bachar al-Assad est soutenu par beaucoup de chrétiens d’Orient, qui considèrent que l’arrivée des sunnites en Syrie serait soit le cercueil soit la valise », a-t-il encore précisé sur le plateau de « L’Émission politique ».
- Alain Juppé
« Ni Poutinophobe, ni Poutinolâtre », Alain Juppé estime qu’« il faut naturellement parler avec monsieur Poutine », mais surtout pour lui « dire franchement ce que l'on a sur le cœur ». « Profondément choqué par ce qui se passe à Alep », l’ancien ministre des affaires étrangères (de mars 1993 à mai 1995, puis de nouveau de février 2011 à mai 2012) dénonce clairement « un crime de guerre perpétré par le régime de Bachar al-Assad avec ses alliés russes ».
« Parler avec Poutine, ça consiste aussi à le mettre devant ses responsabilités, a dit celui qui refuse la levée des sanctions contre Moscou, lors du premier débat à la primaire, le 13 octobre. Il faut lui poser la question : quelle est la solution pour sortir de ce qui se passe en Syrie ? Est-ce que c’est de rétablir purement et simplement Bachar al-Assad au pouvoir ? Si c’est ça, la paix ne reviendra pas en Syrie. »
Dès octobre 2015, le maire de Bordeaux estimait, dans un billet de blog, que la situation en Syrie relevait de « notre fiasco ». « Nous avions […], Américains et Européens, un objectif clair : éliminer Bachar, responsable à nos yeux de l’écrasement de son peuple, de la radicalisation de son opposition et finalement de la montée en puissance de Daech. Et faciliter la transition vers une Syrie sans Bachar », écrivait-il à l’époque, déplorant que la diplomatie française ne se soit pas donné les moyens de cet objectif et qu’elle ait laissé Poutine l’emporter.
Après avoir longtemps été sur la ligne « ni Daech ni Bachar » du gouvernement français, le maire de Bordeaux estime aujourd’hui qu’il y a une « hiérarchie » dans les priorités et que la première d’entre elles est d’« écraser Daech ». Pour autant, « cela ne sert à rien de s’acoquiner avec Bachar », a-t-il affirmé dans « L’Émission politique », sur France 2, le 6 octobre.
Bien plus prudent que ses adversaires à la primaire, Juppé a grimacé en entendant Fillon plaider pour une alliance avec l’Iran, au cours du débat qui les opposait. « Il faut y aller avec une longue cuillère », lui a-t-il rétorqué, rappelant que « l’Iran soutient le Hezbollah, les milices chiites en Irak et également Bachar al-Assad contre toutes les formes d’opposition en Syrie ».
Le 17 octobre, lors d’un discours à l’Institut Montaigne, à Paris, il expliquait encore vouloir « élargir et consolider » la coalition internationale qui lutte contre l’EI. Mais pour ce faire, « les bombardements russes à Alep doivent cesser », a-t-il prévenu, accusant clairement Poutine de vouloir, aux côtés de Bachar al-Assad, « liquider toute opposition respectable au régime » syrien.
- Nathalie Kosciusko-Morizet
Les déclarations de Nathalie Kosciusko-Morizet sur le sujet sont assez rares. Comme les autres candidats à la primaire, la députée de l’Essonne a critiqué François Hollande pour son attitude vis-à-vis de Poutine, mais ne s’est guère exprimée sur le reste. Interrogé par Mediapart, son entourage explique qu’elle est contre une intervention terrestre, se méfie de la « russophilie » de ses concurrents et prône « un rapport de force et de bienveillance ». Sans doute développera-t-elle ses arguments lors du deuxième débat.
- Bruno Le Maire
Il est celui dont la position est la plus franche. La plus irréaliste et la plus dangereuse aussi, pour la région comme pour les intérêts de la France. Treize ans après l’invasion de l’Irak par les États-Unis, Bruno Le Maire veut réitérer et organiser une opération terrestre en Syrie, contre l’avis de son ancien mentor, Dominique de Villepin. Une opération terrestre contre Daech, et seulement contre Daech, promet-il. « Cette coalition, la France devrait y participer à sa mesure avec des troupes au sol », assurait-il dans Le Monde, en septembre 2015.
Outre le fait que la France n’a pas les moyens d’intervenir seule, notamment sans un appui militaire des États-Unis et des services de renseignement saoudiens, qui sont difficilement contrôlables et qui suivraient immanquablement leur propre agenda – ce que Le Maire conçoit d’ailleurs très bien quand il explique que « la France ne peut pas porter seule ce fardeau » –, l’ajout de forces étrangères sur le sol syrien ne manquerait pas de provoquer une nouvelle extension du conflit. Et non sa résolution.
Par quels moyens l’ancien ministre estime-t-il que les troupes de la coalition pourraient intervenir ? Avec les rebelles ? Dans ce cadre, comment considérer Fateh Al-Cham et ses 10 000 combattants djihadistes qui se battent aux côtés des rebelles contre les troupes de Bachar al-Assad et contre l’État islamique ? Comment, surtout, soutenir les rebelles sans s’aliéner l’armée du régime ? Ou alors avec l’armée syrienne ? Celle-là même qui produit massacre sur massacre depuis mars 2011, jusqu’à perdre le soutien de la majeure partie de la population ?
La Syrie n’est pas l’Irak, où une coalition internationale menée par l’armée irakienne est actuellement à l’œuvre pour reprendre Mossoul à l’EI. Contesté par une large partie de sa population, prêt à tous les crimes, notamment au bombardement de sa propre population au moyen de barils de TNT, pour se maintenir au pouvoir, le régime syrien lutte pour sa survie et utilise tous les moyens à sa disposition pour tenter de vaincre les rebelles. Depuis 2013, il n’a pas hésité à pactiser régulièrement avec l’État islamique, les deux parties ayant intérêt à ne pas se combattre pour concentrer leurs forces sur les révolutionnaires syriens.
L’armée syrienne n’est donc pas perçue comme un acteur légitime par une majorité des Syriens. La coalition menée par la France devra-t-elle alors intervenir seule, sans appui local ? Ce serait garantir son échec. La mise en place de la coalition pose en elle-même problème. Car on voit mal comment la France pourrait convaincre les États-Unis d’appuyer une intervention au sol, alors que Barack Obama a refusé de s’impliquer à une échelle bien moindre – en usant de frappes aériennes contre les troupes de Bachar al-Assad à l’été 2013 ou en instaurant une no fly zone à l’est du pays pour protéger les civils syriens.
On peut également s’interroger sur la réaction de la Russie et de l’Iran à une telle offensive, eux qui maintiennent littéralement en vie le régime de Damas. L’hypothèse d’une offensive générale et concertée contre Daech est le rêve de Poutine, à condition que lui-même la dirige. Ainsi, Moscou exigerait que la France s’aligne elle aussi sur les intérêts de Damas et laisse de côté les rebelles syriens.
On le voit bien, la perspective d’une offensive terrestre occidentale au cœur de la guerre civile syrienne est irréaliste dans sa mise en place, comme dans sa projection sur le terrain. Mais surtout, elle risquerait de produire des effets désastreux. L’un d’entre eux serait de redorer l’image de l’État islamique, en poussant les militants djihadistes du monde entier à la soutenir tant l’organisation apparaîtrait seule contre tous et pourrait ainsi alimenter sa propagande contre les « croisés ». Car l’EI n’est pas seulement une armée, c’est aussi une idéologie que la guerre ne peut que nourrir.
La proposition de Bruno Le Maire est également une aberration du point de vue des relations internationales. Croire que la France puisse convaincre la Russie et l’Arabie saoudite de coopérer dans une coalition à moyen terme est aussi absurde que d’imaginer qu’une intervention terrestre en Syrie puisse être limitée, dans un conflit larvé sur tout un territoire qui dure depuis plus de cinq ans, avec une très forte autonomisation des multiples acteurs locaux dont l’évolution des stratégies n’est pas toujours prévisible, et dont certains ne manqueraient pas de considérer l’entrée en guerre de la coalition comme une agression.
Une illusion aussi grossière que celle qui consisterait à émettre la possibilité de bombardements « propres », sans pertes civiles – les fameux « dommages collatéraux ». Cette rhétorique de l’« intervention limitée » risquerait enfin d’entraîner la France et ses alliés dans un bourbier dont elle aurait toutes les peines à s’extraire, sans même évoquer les multiples pertes humaines parmi les troupes de la coalition.
- Jean-Frédéric Poisson
Le président du Parti chrétien-démocrate (PCD, fondé par Christine Boutin) fait partie des parlementaires français qui ont rencontré Bachar al-Assad dans ses salons de Damas, contre l’avis du Quai d’Orsay. La première fois en juillet 2015, à l’initiative de l’association SOS Chrétiens d’Orient, la seconde au mois d’octobre suivant. « L’échange a duré 1 h 20 et s’est très bien passé. Il est courtois, souriant, moderne dans sa manière de parler, pas du tout guindé. Entre l’image de boucher et celui que j’ai rencontré, on ne doit pas parler du même homme », avait-il déclaré au Figaro, à son premier retour.
« Je ne serais pas allé en Syrie si j’avais considéré que l’État français faisait son travail, s’était-il encore justifié sur la webtélé d’extrême droite TV Libertés. Mais il ne le fait pas. Il traite le régime de Damas de façon légère, très imprudente, dans une ignorance totale de ce qui se passe sur le terrain. » Plus récemment encore, Jean-Frédéric Poisson s’est dit « attristé, extrêmement profondément, de ce qui se passe à Alep », tout en continuant de penser que la France a « autre chose à faire que de déboulonner le président syrien » et qu’il faut « d’abord s’occuper des mouvements terroristes ». Il est, sur ce point, sur la même ligne que François Fillon, dont il pointe la responsabilité de la situation actuelle quand il rappelle que « la décision de fermer l’ambassade de France à Damas avait été prise par Sarkozy, Fillon et Juppé en mars 2012 ».
- Jean-François Copé
« En politique, comme en diplomatie, il faut pourtant choisir le moindre mal. » Suivant ce précepte, Jean-François Copé, qui avait appelé en 2015 à « écraser militairement Daech », prône lui aussi la mise en place d’une grande coalition pour bombarder l’État islamique : « Sous mandat de l’ONU, les Russes et l’Otan pourraient apporter leur appui aérien tandis qu’une force internationale, composée notamment de troupes issues d’armées du Moyen-Orient (Turquie, Égypte, Arabie, Iran), pourrait intervenir sur le terrain, assure-t-il. Cela ne serait pas vu d’un mauvais œil par les populations locales, qui souffrent de la tyrannie de Daech dont de nombreux contingents sont étrangers (Européens, Caucasiens, Maghrébins…). »
Ce disant, le député et maire de Meaux commet la même erreur que Nicolas Sarkozy en négligeant les principes élémentaires des relations internationales et les oppositions d’intérêts. Copé le reconnaît d’ailleurs lui-même : « Il s’agirait pour cela de faire avancer, main dans la main, Iran et Arabie. Quel défi ! Leur rivalité est séculaire mais ils ont un intérêt commun : la fin de Daech. » Or l’Iran, qui n’a pas connu d’attentat sur son sol depuis l’apparition de l’EI, tire profit d’un Irak affaibli depuis l’invasion américaine en 2003. Il n’a également aucun intérêt à s’impliquer davantage en Syrie, où son effort de guerre est déjà significatif aux côtés de Bachar al-Assad.
De même, la Russie vendra cher son soutien à la mise en place d’une coalition et demandera un alignement général sur les intérêts de son allié, le régime syrien. Pour pouvoir largement bombarder Daech, il faudrait se rapprocher du responsable d’une guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts en Syrie depuis 2011. « Le moindre mal », nous dit François Copé. C’est justement cette politique du « moindre mal » qui conduit la France à s’associer à l’Arabie saoudite – accusée de crimes de guerre au Yémen –, dévoyant ainsi les principes au nom desquels elle mène la guerre contre Daech depuis 2014.
commenter cet article …