Dans les pages Finistère du Ouest France du vendredi 9 décembre, le député socialiste du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, s'indignait à juste de titre des conséquences de la décision prise par le gouvernement Fillon, dans le cadre du renforcement de la politique de rigueur, de doubler la taxe sur les mutuelles, remarquant que les 1,1 milliards de recettes fiscales supplémentaires ainsi prélevées sur les revenus des classes moyennes et populaires pesaient bien lourd par rapport aux 200 millions d'euros gracieusement concédés à titre exceptionnel par les très très grandes fortunes (plus de 500 000 euros de revenus par an) en échange bien sûr de la suppression de l'impôt sur les grandes fortunes (2 milliards de recettes en moins). Mais on fait croire que l'austérité qui s'imposerait à tous est équitablement répartie car les riches contribuent davantage à l'effort de l'austérité...
Cette surtaxe sur les mutuelles va entraîner une augmentation de leurs tarifs équivalant probablement en moyenne à un mois de cotisation supplémentaire pour les salariés, les retraités, et les précaires. Sachant que les déremboursements partiels progressifs par la Sécurité Sociale du 2003 du séjour hospitalier, de consultations médicales et de soins divers et de nombreux médicaments rendaient déjà les mutuelles plus chères, moins accessibles et pourtant toujours plus nécessaires pour faire face à la maladie ou la prévenir, cette nouvelle pression sur les mutuelles se répercutera fatalement sur leurs usagers et risque d'éloigner de leurs services des millions de français qui n'auront plus les moyens d'accéder aux complémentaires santé et hésiterons à engager de gros frais pour se soigner, ou ne le pourront tout simplement pas. L'accès au soin, affirme ainsi à raison M. Urvoas, devient « de plus en plus coûteux et inégalitaire. 50% des dépenses courantes de santé sont désormais à la charge des patients. Se soigner devient un luxe ».
Devant cette opposition résolue d'un responsable socialiste à la casse du système de santé publique français, on est plutôt rassuré et on se dit qu'il y a sans doute de bonnes choses à attendre d'une éventuelle victoire de la gauche en 2012, du moins dans ce domaine, mais il suffisait ce 9 décembre de revenir en page 4 du Ouest France pour lire en gros titre:
« La Cour des comptes s'alarme du trou de la Sécu »
Et en sous-titre, au dessus de la photo du très consensuel ancien responsable socialiste de la commission des Finances au Parlement du début de l'ère Sarkozy:
« L'hémorragie du déficit (30 milliards) est trop forte, affirme son président, Didier Migaud. Il préconise un traitement de choc sur les médicaments, l'hôpital, l'emploi...Aie, aie, aie! ».
On nous prévient déjà car il s'agit encore et toujours de fabriquer du consentement par l'appel à la raison, à la clairvoyance: c'est vrai que cela fera mal mais il n'y aura pas d'autre alternative que de se soigner moins ou de payer plus pour rester en bonne santé ou la retrouver car il y a un très gros trou (30 milliards d'euros...) dans la caisse de la Sécu, un déficit qui s'épand à la manière d'une hémorragie, et au final, il faudra bien l'éponger et c'est vous qui allez le faire, quelle que soit la majorité au pouvoir en 2012...
Et cela fera mal, très mal - aie, aie, aie... -mais il faut comprendre que la saignée s'impose en toute logique comptable, pour des raisons de bonne gestion.
Migaud et sa cour des comptes sont formels: le déficit de la Sécu n'est pas d'abord et avant tout la conséquence du chômage de masse, de la généralisation des bas salaires, de la dégradation des conditions de travail et des conditions de vie liée aux nouvelles formes de management et au stress dû à la précarisation des salariés, ou encore l'effet des baisses de cotisations patronales et de la crise économique qui balaie l'Europe depuis 2008 et les remous sur les marchés financiers rendus fous de spéculation par leur libéralisation, phénomènes créés ou aggravés par les politiques libérales menées depuis 30 ans.
Non, le déficit de la Sécu aurait essentiellement des origines culturelles, il renverrait à des traditions ou à un tempérament national à l'origine obscur qui rendrait les français « accros » aux consultations, drogués aux médicaments. Il va donc falloir les désintoxiquer et la meilleure manière de le faire, comme quand il s'agit de limiter la consommation de tabac, est de rendre ces services toujours plus onéreux. Le journaliste de Ouest-France, Paul Burel commente ainsi: « la Cour des comptes réclame du sang et des larmes ».
Pour preuve, Didier Migaud ne s'en tient pas à préconiser encore et une nouvelle fois des déremboursements, des réductions de prise en charge par la solidarité nationale. Non, il légitime et exige un renforcement de la réforme libérale de l'hôpital, pourtant souvent condamnée sur un plan local par les socialistes, comme à Morlaix lors du dernier conseil municipal en juin 2011: il faut de toute urgence une « cure d'amaigrissement pour l'hôpital...les marges de manœuvre sont considérables en matière de compétitivité et de restructurations ». Migaud préconise également de continuer à supprimer des postes de fonctionnaires à la Sécurité sociale (6000) en supprimant les feuilles de soins sur papier.
Le 18 décembre 2010, Le Télégramme présentait un dossier très instructif sur une pleine page dont le titre était « le luxe de se soigner ». Citons-le car il rappelle certains hauts faits passés presque inaperçus dans les médias (mais pas dans les pharmacies et les cabinets médicaux) des gouvernements de droite qu'il convient de se remettre en mémoire:
« Avril 2003. 617 produits pharmaceutiques voient leur taux de remboursement fondre brutalement. Et 80 autres sont déremboursés du jour au lendemain, car considérés comme peu efficaces dans le traitement de certaines pathologies. Mars 2006, 152 médicaments sont à nouveau recalés de l'arsenal thérapeutique remboursé. Avril 2010, de nouvelles mesures donnent naissance à la vignette orange qui estampille désormais 170 médicaments remboursés à hauteur de 15% au lieu de 35% précédemment. Étape intermédiaire avant de tomber dans les oubliettes des produits déremboursés... Cette action a... eu des répercussions désastreuses pour les foyers les plus modestes. Depuis quelques mois, il n'est pas rare d'avoir à se délester d'une trentaine d'euros au comptoir de la pharmacie pour guérir une bronchiolite, une angine ou toute autre affection hivernale souvent bien douloureuse ». Un pharmacien d'un quartier de HLM de Vannes, Ménimur, offre ensuite un témoignage intéressant: « selon lui, de nombreux déremboursements ont été fixés dans le but de faire des économies. « Certains médicaments visés sont vraiment efficaces. Je pense notamment aux sirops contre la toux, aux collutoires contre les maux de gorge, aux expectorants. On peut difficilement faire sans. Le discours sur leur inefficacité, c'est du pipeau. Si c'était vraiment le cas, les médecins ne les prescriraient pas... Il n'est pas rare (désormais) de voir des gens refuser de prendre un produit. Pour eux, ils sont souvent hors de prix » ». A Saint Brieuc, un autre pharmacien constatait il y a 8 mois que de plus en plus de gens « sautent la cause médecin » pour ne pas payer le prix de la consultation, sachant qu'il leur prescrira quantité de médicaments non ou faiblement remboursés. De ce fait, les disparités entre les patients sont de plus en plus flagrantes, regrettait cette pharmacienne : « Nous sommes inquiets car on s'oriente vers une médecine à deux vitesses. Les maladies du quotidien, qui sont parfois douloureuses, ne sont plus prises en charge. Seules sont remboursées les surinfections et les pathologies lourdes ».
S'attaquer à la prise en charge par la sécurité sociale, ce n'est pas se soucier des générations futures en réduisant une dette qui pèserait d'un fardeau écrasant sur elles... Elles naîtront peut-être moins nombreuses et vivront moins longtemps si on continue de la sorte. C'est plutôt réduire cyniquement, alors que les Français n'ont jamais produit autant de richesses par leur travail (lesquelles ont rarement été aussi mal réparties) les revenus indirects en termes de prestation sociale du grand nombre afin de faire passer toujours plus de pans de la dépense des familles de la prise en charge collective mutualisée par la Solidarité Nationale à la prise en charge privée par le biais de systèmes d'épargne ou d'assurance privée. Au final, ce sont les entreprises que l'on cherche à taxer moins en limitant au maximum les cotisations sociales et les revenus financiers que l'on cherche à doper à leur livrant en pâture la sécurité sociale comme on l'a fait avec la retraite par répartition.
Face à cette politique de classe qui démantèle la solidarité nationale pour confier toujours plus de secteurs de l'existence et de l'activité sociale aux marchés financiers, le Front de Gauche, dans son projet pour 2012 intitulé « L'Humain d'abord », entend imposer la prééminence du droit à la santé et du devoir de solidarité.
Les médicaments efficaces et les dépenses de santé seront à nouveau remboursés à 100%, tout comme les soins liés à la perte d'autonomie. Le financement des dépenses de santé individuelles sera garanti par un système fiscal redistributif donnant à chacun selon ses besoins et prenant à chacun selon ses moyens. Nous commencerons par en finir avec les 30 milliards d'euros annuels d'exonérations de cotisations sociales patronales sans réelle efficacité pour lutter contre le chômage, 30 milliards qui correspondent curieusement au poids du trou de la Sécu.
Le prix des médicaments sera contrôlé à travers le développement des médicaments non rentables par la recherche publique et la généralisation de leur prescription par les soignants. La création d'un pôle public du médicament y aidera et permettra un encadrement plus strict des pratiques commerciales des laboratoires pharmaceutiques. Nous contrôlerons également davantage les pratiques de dépassements d'honoraires des médecins. Nous établirons une couverture nationale de santé égale sur tout le territoire et reviendrons sur toutes les restructurations de l'hôpital public qui le fragilisent dans la concurrence avec les cliniques privés, l'éloignent des usagers et de leurs besoins au profit du triomphe des logiques comptables et de l'exigence d'auto-financement. Nous augmenterons le nombre d'étudiants appelés à devenir médecins et lancerons un grand programme de formation de toutes les disciplines de santé libéré de l'influence des laboratoires pharmaceutiques.
La santé est notre bien commun et pour la garantir à tous dans la mesure des possibles de la nature et des progrès de la science et de l'art humain, il faut un effort national reposant prioritairement sur les plus aisés.
Ismaël Dupont.
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