Face au risque de voir arriver l’extrême droite à Matignon, l’accord du nouveau Front populaire a été conclu jeudi soir. Au vu des rapports de force électoraux issus des européennes, il semble le seul à même de batailler avec le RN pour obtenir une majorité le 7 juillet.
Chacun ne ressent pas le temps de la même façon. Depuis dimanche, c’est particulièrement vrai pour les responsables politiques de gauche et les sympathisants. Pour les premiers, les quatre jours d’intenses négociations pour créer le nouveau Front populaire ont semblé très courts tant les désaccords à surmonter étaient nombreux. Ces quatre journées ont, à l’inverse, paru interminables aux seconds.
Tout au long de la semaine, la question aura été la même : la gauche partira-t-elle unie aux législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, comme ses principaux dirigeants s’y étaient engagés dès lundi soir ? Souvent, le doute était permis tant chaque petit obstacle a pu paraître une montagne aux négociateurs.
Mais le nouveau Front populaire est né. Un accord a été conclu, après avoir patiné toute la journée de jeudi. L’acte de naissance a été signé en début de soirée par la France insoumise (FI), le Parti socialiste (PS), les Écologistes, le Parti communiste français (PCF), Place publique (PP), Génération.s et une myriade de petites formations, qui ont remisé au placard les tensions dans l’objectif de battre l’extrême droite en ne présentant qu’une candidature par circonscription.
La gauche seule à pouvoir mettre en échec Marine Le Pen
« La gravité du moment exige la responsabilité », écrivait Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, sur X dans l’après-midi. S’il venait à voir le jour, ce nouveau Front populaire pourrait bénéficier d’un large soutien du peuple de gauche : 96 % des électeurs de la liste portée par Manon Aubry (FI) sont favorables au rassemblement, comme 86 % et 77 % de ceux ayant respectivement apporté leur voix à Raphaël Glucksmann (PP-PS) et Marie Toussaint (les Écologistes).
Un élan qui devrait se vérifier dans les rues du pays ce samedi, où de nombreuses manifestations sont organisées à l’appel de l’intersyndicale (CGT, CFDT, Unsa, FSU et Solidaires) pour barrer la route au Rassemblement national (RN).
Parce que c’est mathématique : seule la gauche est aujourd’hui en capacité de mettre en échec Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Ciotti et consorts, à qui Emmanuel Macron a ouvert la voie vers le pouvoir en dissolvant l’Assemblée nationale.
Deux blocs relativement égaux se font désormais face. Aux européennes, le RN a récolté 7,8 millions de voix. Tout comme la gauche, alors que le chef de l’État (3,6 millions d’électeurs) voit son « bloc central » enseveli sous la re-bipolarisation de la vie politique, où l’extrême droite remplace peu à peu la droite traditionnelle. Contrairement à ce qu’il affirmait mercredi lors de sa conférence de presse, le chef de l’État ne peut plus s’ériger en rempart.
« Soit Jordan Bardella est au pouvoir, soit c’est le Front populaire », résume Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. Un sondage Elabe confirme l’analyse : 31 % des interrogés comptent voter pour le RN, 28 % pour l’union de la gauche et seulement 18 % pour le camp présidentiel. Si cette enquête d’opinion ne dit rien du rapport de force dans chaque circonscription, ses données donnent clairement l’affiche du match des législatives. D’après les calculs du Figaro basés sur le résultat des élections européennes, 536 duels sur 577 pourraient opposer l’extrême droite au nouveau Front populaire.
Organiser un calendrier d’action
La mobilisation de chaque camp sera la clé du scrutin pour espérer bâtir une majorité, dans une campagne très courte. Pour convaincre, l’union de la gauche a finalisé, jeudi en fin de journée, un programme commun comportant 140 mesures.
Au menu : abrogation de la réforme des retraites, indexation des salaires sur l’inflation, moratoire sur les méga-bassines, investissement dans les services publics, suppression de l’article 49.3, refus des contraintes austéritaires de l’Union européenne, abolition de Parcoursup, création d’un pôle public du médicament… Toutes ces propositions devaient ensuite être classées selon un contrat de législature fixant un calendrier d’actions.
Pourtant, parachever cet accord a paru un chemin de croix. Jeudi, les discussions n’ont pas buté sur l’identité du futur premier ministre alors que Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, Fabien Roussel et d’autres se sont déclarés, à divers degrés, disponibles tout en revoyant ce choix à la future majorité parlementaire. Mais sur le partage des circonscriptions et le projet. Visant la FI, les socialistes ont fait traîner les négociations, affirmant ne pas être satisfaits des formulations proposées sur l’antisémitisme, l’Ukraine ou encore le Hamas. « Il y a des lignes qu’on ne peut pas franchir. Nous devons être irréprochables, aucun flou n’est possible. On sera au microscope », explique, en direct, un cadre du PS.
« Ils ont proposé ”agir pour la libération des otages détenus depuis les massacres terroristes du Hamas, dont nous rejetons le projet théocratique”, et nous avons passé trois heures à passer en revue la nature des politiques qu’on pourrait mettre en place contre l’antisémitisme », assure un cadre FI.
Côté insoumis, on soupçonne alors les potentiels partenaires de se servir du fond pour justifier un désaccord sur la répartition des candidatures : « C’est bloqué sur les circonscriptions par les socialistes, qui instrumentalisent ces sujets pour maquiller le blocage », estime un autre. Le PS, qui a récupéré cent circonscriptions depuis 2022, espérait des territoires plus gagnables. « Les FI ont toujours eu du mal à comprendre le concept d’ancrage local, qui fait que certaines circonscriptions ne sont gagnables que par un socialiste, un communiste ou un écologiste », assure une socialiste.
Mais « les moments de tensions sont normaux dans la dernière ligne droite », juge un émissaire d’expérience, qui a vu tout le monde revenir à la table des discussions. Lesquelles ont été boostées par la reprise en main des chefs de parti – Manuel Bompard, Olivier Faure, Marine Tondelier et Fabien Roussel –, en milieu de journée, au siège parisien des Écologistes.
Dans la soirée, le communiqué commun annonçant l’accord était enfin publié alors que des appels à manifester sous les fenêtres des négociateurs avaient été lancés un peu plus tôt sur les réseaux sociaux. C’est cette même pression populaire qui avait accéléré la déclaration commune de lundi. C’est cette même pression populaire qui est attendue, ce samedi, dans les rues pour contrer le projet mortifère de l’extrême droite et aider à bâtir une majorité progressiste.