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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 19:38
Politique migratoire: le musée des horreurs français (Médiapart, Carine Fouteau, 3 janvier 2017)
Politique migratoire: le musée des horreurs français
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La politique migratoire menée par Emmanuel Macron est-elle la « pire » qu’ait connue la France depuis la Seconde Guerre mondiale ? Un retour en arrière montre qu’elle ne surgit pas de nulle part, mais s’inscrit au contraire dans un durcissement continu qui s’est accéléré au début des années 2000 avec l’arrivée place Beauvau de Nicolas Sarkozy.

Même le conservateur Washington Post l’affirme : malgré l’image humaniste et progressiste dont il aime se parer, Emmanuel Macron mène une politique migratoire d’une dureté « sans précédent », digne du Front national, à l’encontre des migrants. En France, le concert de louanges ne tarit pas… à droite et à l’extrême droite.« La droite n’est jamais allée aussi loin », s’est réjoui Christian Estrosi (LR), le 3 janvier sur France Inter, dans le sillage de Marine Le Pen, qui, dès le 18 décembre, s’est félicitée d’une « victoire politique » de son camp.

Il y a encore quelques semaines, les associations de défense des droits des étrangers s’en tenaient à la critique de l’action du ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, espérant secrètement que le président de la République finirait par redresser la barre. Les mesures ne cessant de se durcir, c’est désormais directement au chef de l’État, qui avait pourtant fait l’éloge du sens de l’hospitalité d’Angela Merkel lors de la campagne présidentielle, qu’elles adressent leurs griefs, ayant conclu que, plutôt qu’une répartition des rôles, une seule et même politique est en train de prendre forme sous leurs yeux.

Emmanuel Macron continue de cultiver un double langage : lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il a déclaré qu’« accueillir les femmes et les hommes qui fuient leur pays parce qu’ils y sont menacés » est un « devoir moral, politique », avant d’ajouter que « nous ne pouvons accueillir tout le monde » et que les « contrôles » sont une nécessité. Plus aucun doute, pourtant, ne subsistait depuis son discours devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, le 31 octobre, lorsqu’il a promis une« petite révolution » consistant à « être intraitable avec celles et ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile » et à « accélérer nos procédures de manière drastique pour qu’en six mois, recours compris, nous puissions y voir clair, que la décision prise soit notifiée »afin de « pouvoir efficacement reconduire dans leur pays celles et ceux qui n’ont pas ces titres à l’issue de la procédure ».

En quelques mois, effectivement, la France a retrouvé des réflexes rappelant les heures de la droite la plus raide au pouvoir, lorsque Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant se sont succédé place Beauvau. Lacirculaire du 12 décembre a mis le feu aux poudres, en autorisant les contrôles d’identité dans les centres d’hébergement d’urgence, remettant ainsi en cause le principe de l’accueil inconditionnel. Le tout-répressif est à l’honneur, avec la priorité donnée à l’enfermement et à l’expulsion, non seulement des étrangers en situation irrégulière, mais aussi des demandeurs d’asile déboutés et des demandeurs d’asile relevant de la convention de Dublin. Le projet de loi en préparation, qui prévoit le doublement de la durée de l’enfermement dans les centres de rétention, ne prend pas le chemin d’un assouplissement.

 

Cette ligne dure se ressent depuis plusieurs mois sur le terrain : à Calais et à Paris, les migrants vivant à la rue sont maltraités par les forces de l’ordre qui jettent leurs affaires à la benne, lacèrent leurs tentes et les privent de leurs couvertures, alors que les températures glissent en dessous de zéro. Les consignes sont claires : les empêcher de reformer des campements de fortune, au risque de les laisser dans le dénuement le plus total. Dans les Alpes et du côté de Menton, des adultes et des mineurs sont reconduits, de nuit, à la frontière, sans qu’ils aient eu la possibilité de demander l’asile. Partout en France, les centres de rétention sont remplis de familles, malgré l’engagement pris lors de la précédente mandature de leur éviter ce calvaire.

Face à ce mur qui s’élève, les associations de défense des droits des étrangers réagissent vertement. Lors de la journée internationale des droits de l’homme, le 10 décembre, Médecins du monde a répondu sèchement à un tweet du président de la République qui se félicitait de faire des libertés fondamentales son « combat, chaque jour » : « Au-delà des postures‪@EmmanuelMacron, vous organisez le tri entre les sans-abri, vous harcelez les migrants à Calais et ailleurs, vous poursuivez les citoyens solidaires. Vous vous apprêtez à ouvrir des brèches dans le droit d’asile. Difficile de célébrer ce jour. » Le ministre de l’intérieur a été contraint de renoncer à introduire la notion de « pays tiers sûr » dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, mais cela n’a pas suffi à calmer les esprits.

« Nous avons d’abord cru à un partage des rôles entre Emmanuel Macron et Gérard Collomb. Nous avons désormais compris qu’il n’en est rien : ils partagent avec cynisme la même conception d’une politique hyper brutale envers les migrants », nous indiquait Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International, à l’occasion de la publication d’un article relatant la forte mobilisation des associations et des « citoyens solidaires » en vue de l’organisation d’états généraux des migrations.

En réaction à la circulaire du 12 décembre, Patrick Weil, spécialiste des questions d’asile et d’immigration, a poussé la critique à son plus haut niveau, en affirmant sur Europe 1 qu’« aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». « On a un principe, qui nous vient peut-être de nos traditions chrétiennes : un enfant, on ne lui demande pas ses papiers quand on l’accueille à l’école, un malade, on ne lui demande pas ses papiers quand il a besoin d’être soigné à l’entrée de l'hôpital, et quelqu’un qui n’a pas de quoi se loger, on ne lui demande pas ses papiers à l’entrée d’un centre d’hébergement d’urgence. Monsieur Macron et monsieur Collomb ont violé ce principe », a insisté le chercheur.

Qualifier cette politique de « sans précédent » est toutefois discutable. Est-elle « pire »ou dans la continuité de celles mises en œuvre par ses prédécesseurs ?

« Nous ne pouvons pas dire que la politique migratoire menée actuellement par le gouvernement français est pire que celles menées par les gouvernements précédents. Ce qui ne veut pas dire bien évidemment qu’elle soit plus hospitalière », estime Olivier Clochard, membre du réseau européen et africain Migreurop, et chercheur-géographe à Migrinter (CNRS). « Employer le terme de “pire”, ajoute-t-il, renvoie nécessairement à comparer des politiques sur une période donnée. L’analyse ne doit pas se limiter à une vision à un court terme, souvent liée à un positionnement politique ; elle doit élargir le regard aux trente dernières années, période durant laquelle on a assisté à une succession de mesures et de dispositifs répressifs soulignant une continuité des politiques migratoires mises en place. Concernant l’accueil des migrants, les mesures mises en place actuellement sont toutes aussi nuisibles que celles établies par Brice Hortefeux ou Éric Besson avec le ministère de l’immigration et de l’identité nationale, ou avec Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur en 2002. »

Sans doute n’est-il pas inutile de remonter dans le temps et de rappeler quelques-unes des mesures les plus régressives prises au cours des dernières années pour comprendre à quel point la “ligne” Macron-Collomb s’inscrit dans un processus de longue durée de fermeture des frontières débuté dès le milieu des années 1970, après le choc pétrolier. Sauf à écrire une thèse, impossible de revenir sur l’ensemble de cet édifice législatif.

Quelques jalons toutefois : la décennie Sarkozy, depuis son entrée place Beauvau en 2002 jusqu’à la fin de son mandat comme président en 2012, a été particulièrement noire pour les migrants. Comme ministre de l’intérieur, l’ex-chef de l’État n’a eu de cesse de bannir l’immigration familiale, réduisant fortement les possibilités d’accès au sol français des familles d’étrangers ou de Français, quitte à remettre en cause le principe constitutionnel du « droit à mener une vie familiale normale ». Pas assumée comme telle, la portée de cette politique s’est avérée raciste puisque c’est en réalité l’immigration maghrébine et africaine, jugée trop nombreuse, qui était visée.

« Les gouvernements successifs – de droite comme de gauche – ont employé des méthodes similaires »

Instaurée à partir de 2003, la politique du chiffre concernant l’expulsion des sans-papiers a été menée telle une guerre. Elle a abouti à une suractivité des services de police qui se sont mis à “chasser” les sans-papiers, dans les centres d’hébergement d’urgence, déjà, mais aussi aux guichets des préfectures et jusque dans les écoles ! Les reconduites à la frontière se sont multipliées, déchirant des familles, et poussant des enfants à se cacher pour empêcher le retour forcé de leurs parents.

À deux reprises, dans ses lois de 2003 et 2006, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à toucher au Code civil, pour rendre plus difficile l’accès à la nationalité française, au nom de la lutte contre les mariages blancs.

En 2007, après avoir fait campagne sur son slogan « La France, on l’aime ou la quitte », le candidat de l’UMP a remporté l’élection présidentielle et créé, dans la foulée, un ministère de l’immigration et de l’identité nationale aux relents vichyssois. Cette décision a eu un effet dévastateur sur l’opinion publique, en légitimant une méfiance généralisée à l’égard des étrangers. À cette occasion, huit universitaires, parmi lesquels Nancy Green, Gérard Noiriel, Patrick Simon et Patrick Weil, avaient démissionné des instances de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour signifier leur profond désaccord. « Les mots, écrivaient-ils alors, sont pour le politique des symboles et des armes. Or il n’est pas dans le rôle d’un État démocratique de définir l’identité. Associer “immigration” et “identité nationale” dans un ministère n’a jamais eu de précédent dans notre République : c’est, par un acte fondateur de cette présidence, inscrire l’immigration comme “problème” pour la France et les Français dans leur être même. Ce rapprochement s’inscrit dans la trame d’un discours stigmatisant l’immigration et dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers, dans les moments de crise. »

C’est au cours de cette période, sous la houlette de Patrick Stefanini, alors secrétaire général du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, que le ministère des affaires sociales et le quai d’Orsay ont été exclus de la tutelle de la politique migratoire, celle-ci ne relevant plus dès lors que du ministère de l’intérieur, chargé originellement d’assurer l’ordre public et la gestion des frontières. Le pouvoir discrétionnaire de l’État s’en est retrouvé renforcé, ce qui a provoqué une multiplication des décisions arbitraires.

Certes, Nicolas Sarkozy n’est pas parvenu à faire entrer dans la législation les tests ADN ni les quotas, mais il a réussi à imposer dans l’espace public une distinction entre “bons” et “mauvais” migrants, qui persiste encore aujourd’hui, même si les rôles ont changé.

Transfuge du PS, Éric Besson s’est évertué, en tant que ministre de l’immigration et de l’identité nationale, à rendre « étanche » le Calaisis aux exilés. Après avoir détruit, déjà, la « jungle » en septembre 2009, il a fait renvoyer plusieurs Afghans, ce qui lui a valu des critiques jusque dans sa majorité, les députés Étienne Pinte (UMP) et Françoise Hostalier (UMP) dénonçant l’« illégalité » de « méthodes fascisantes » et de « pratiques coloniales ». « La situation des exilés dans le Calaisis est un exemple notoire, indique Olivier Clochard. Les gouvernements successifs – de droite comme de gauche – ont employé des méthodes similaires : destruction du camp de Sangatte en 2002 et d’une grande partie de la jungle en 2009, fermeture des squats et campements éparpillés dans la ville de Calais durant l’hiver 2015, évacuation à l’automne 2016 du bidonville de Calais que les autorités avaient accepté, quelques mois auparavant, de créer, en poussant les migrants à se regrouper autour de l’espace Jules-Ferry. »

Au bout du compte, à force de mesures répressives, Nicolas Sarkozy a construit le socle d’une politique hostile aux étrangers suffisamment solide pour résister… au manque de volonté de son successeur socialiste. Malgré la rupture annoncée par François Hollande, c’est en effet sur les mêmes bases que s’est poursuivie la politique migratoire lors de son mandat, à partir de 2012. Débuté en 2010, le débat sur la déchéance de la nationalité a trouvé sa traduction cinq ans plus tard avec un projet de loi porté par Manuel Valls, auquel il a dû toutefois renoncer sous la pression des opposants à cette mesure.

La politique anti-Roms n’a pas non plus connu d’interruption, au contraire. Lancée symboliquement en septembre 2010 par une circulaire, signée par Brice Hortefeux, ciblant expressément cette population, elle a été reprise tambour battant par le mêmeManuel Valls, qui a élevé à son plus haut niveau le rythme des expulsions.

Face, enfin, à l’exode de réfugiés syriens fuyant la guerre, la France n’a pas su se montrer à la hauteur de cet enjeu international. Laissant l’Allemagne en première ligne, elle n’a fait qu’entrouvrir la porte, et en a profité pour justifier de supposées indispensables contreparties : c’est comme cela qu’est née la distinction, désormais hégémonique dans le débat public, entre « réfugiés » qu’il faudrait accueillir sous peine de perdre « notre honneur » et « migrants économiques » devenus indésirables.

Les fondations sur lesquelles s’appuie Emmanuel Macron sont donc profondément ancrées. La surprise aurait été que le chef de l'État fasse le pari de s’en dégager.

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