La flexicurité à la danoise a réduit son volet sécurité, tandis que la pauvreté touche désormais près de 18 % de la population, selon Christèle Meilland, chercheuse à l'Institut de recherches économiques et sociales
L'Humanité : COMMENT DÉFINIR LA FLEXICURITÉ À LA DANOISE ?
CHRISTÈLE MEILLAND
Le modèle de flexicurité danois fait cohabiter une grande facilité de licenciement pour les patrons et une forme de sécurité pour les demandeurs d'emploi qui sont bien indemnisés par l'assurance-chômage, à hauteur de 90 % de leur salaire. Il comporte aussi une politique du marché de l'emploi active, avec une formation professionnelle forte et qui s'étend tout au long de la vie. L'objectif de cette politique, lorsqu'elle a été mise en place dans les années 1990, était de diminuer le taux de chômage qui atteignait 10 %. Il est redescendu en quelques années à moins de 5 %. Le taux de rotation des emplois est devenu très élevé, mais les Danois n'avaient plus peur de perdre leur poste car ils avaient confiance dans leur système.
L'Humanité : COMMENT DÉFINIR LA FLEXICURITÉ À LA DANOISE ?COMMENT LE SYSTÈME A-T-IL SURVÉCU À LA CRISE DE 2008 ?
CHRISTÈLE MEILLAND
Entre 2008 et 2015,le taux de chômage a doublé au Danemark, mais est resté inférieur à 10 %. À partir de 2010, et particulièrement depuis 2015 et l'élection du nouveau gouvernement de droite, plusieurs mesures ont été prises pour le faire évoluer. La durée d'indemnisation du chômage a baissé de six à quatre ans, puis à deux ans. Mais l'indemnisation reste de 90 % du salaire. De plus en plus de Danois sont tombés dans le système de l'assurance sociale. Il a fallu créer un « statut tampon » pour accueillir tous ces chômeurs en fin de droits qui ne pouvaient plus toucher l'indemnisation. Il a fallu aussi des mesures spécifiques d'accompagnement des travailleurs les plus vulnérables, qui ont été plus particulièrement touchés par le chômage : les immigrés, les femmes et les jeunes.
Depuis 2015, le gouvernement a aussi limité les pensions d'invalidité, repoussé l'âge de la retraite et diminué les minima sociaux. Le taux de pauvreté au Danemark est passé de 16,3 à 17,7 % depuis 2008, ce qui est signifiant et concerne tout particulièrement les jeunes. Donc, oui, depuis la crise, le modèle a évolué, assurément vers un renforcement de la flexibilité et un affaiblissement du volet sécurité. Mais je ne pense pas qu'à l'heure actuelle, cela remette totalement en question le modèle danois.
L'Humanité : COMMENT DÉFINIR LA FLEXICURITÉ À LA DANOISE ?EN FRANCE, LE GOUVERNEMENT DÉFEND L'ACCORD D'ENTREPRISE POUR FLUIDIFIER LE DIALOGUE SOCIAL. COMMENT CELA FONCTIONNE-T-IL AU DANEMARK ?
CHRISTÈLE MEILLAND
Le taux de syndicalisation est très élevé au Danemark. La force de ces syndicats permet la négociation des droits des salariés à l'échelle des accords nationaux interprofessionnels ou cadres sectoriels. Ce sont eux qui forment l'ensemble du droit conventionnel. Ils régissent le temps de travail, les congés parentaux, le salaire minimum... Pas les accords d'entreprise.
L'Humanité : COMMENT DÉFINIR LA FLEXICURITÉ À LA DANOISE ?QUELLES SONT AUJOURD'HUI LES CONDITIONS QUI PERMETTENT À CE MODÈLE DANOIS DE FLEXICURITÉ D'EXISTER ?
CHRISTÈLE MEILLAND
La population reste limitée, il s'agit d'un petit pays de 5,6 millions d'habitants. Le système coûte aussi très cher et doit être entretenu par des investissements publics importants, le tout est financé par une fiscalité en conséquence très élevée. Le système de formation professionnelle tout au long de la vie est aussi fondamental, il est efficace et en constante évolution. C'est une philosophie, les gens n'hésitent pas à se former et à se reconvertir. Et tout cela est piloté par un service public fort et décentralisé.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR PI. M.
FRANCE ET DANEMARK, DEUX POLITIQUES OPPOSÉES DE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE
Le modèle social danois a un coût. C'est le pays développé à la fiscalité la plus élevée. L'impôt sur le revenu (de 41 à 60 % du salaire brut des Danois, prélevé à la source) représente 25 % du PIB, contre 2,8 % en France. Les modes de financement de la protection sociale sont aussi diamétralement opposés: ce que la France finance par des cotisations sociales (63 % des recettes de la protection sociale), le Danemark le finance par des impôts dans les mêmes proportions (62,4 %). Le Danemark consacre près de 2 % de son PIB à sa politique de l'emploi, contre 0,55 % dans les pays de l'OCDE.
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