Overblog Tous les blogs Top blogs Politique Tous les blogs Politique
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
3 août 2019 6 03 /08 /août /2019 05:32

 

Depuis 2012, l’ONG Global Witness s’attelle à recenser les crimes commis à l’encontre des militants environnementaux. L’an dernier, 164 personnes ont été tuées à travers le monde.

Il s’appelait Julian Carrillo, et c’est sur son histoire que Global Witness, ONG internationale de défense des droits humains et environnementaux, ouvre son dernier rapport. Le 24 octobre 2018, le corps de ce militant mexicain, vif opposant aux exploitations minières qui phagocytent l’État du Chihuahua, a été retrouvé criblé de balles. C’est le sixième membre de sa famille à se faire assassiner dans des circonstances similaires en deux ans, le quatorzième à l’être au Mexique en un an, son nom s’ajoute donc à un macabre inventaire. À son instar, rapporte Global Witness, 163 activistes environnementaux ont été tués en 2018 à travers le monde pour avoir défendu leurs terres, leur eau, leurs forêts et plus généralement leurs droits. Selon l’ONG, 40 meurtres au moins impliquent des forces de sécurité étatiques. En moyenne, l’an dernier, « plus de trois personnes ont été assassinées chaque semaine », résume l’organisation qui, depuis 2012, s’attelle à opérer le décompte des harcèlements et homicides dont sont victimes les militants écologistes.

Les Philippines, où on dénombre au minimum 30 personnes assassinées, sont le pays qui détient désormais le record des exactions meurtrières. Des exécutions pour moitié liées au développement de l’agrobusiness, et généralement perpétuées par de véritables milices – au service d’industriels – sur lesquelles les autorités ferment les yeux, quand elles ne leur prêtent pas main-forte.

Les populations indigènes payent le plus lourd tribut

Si l’archipel asiatique détrône pour la première fois le Brésil en la matière, la situation n’y est pas nouvelle pour autant, pas plus qu’elle n’est exceptionnelle dans le monde. Plus de la moitié des meurtres constatés en 2018 l’ont été en Amérique latine, qui, depuis que l’ONG a commencé à publier ses rapports, s’est constamment rangée en tête des régions les plus affectées par ce type d’exactions, entre autres du fait d’une « forte tradition de militantisme pour les droits humains ».

Globalement, le secteur de l’agriculture industrielle arrive en deuxième position de ceux auxquels le plus de crimes sont associés (21 morts en 2018), juste après celui de l’extraction minière (43 morts). L’eau, enfin, se hisse de façon fracassante au rang des ressources pour lesquelles on tue le plus. Global Witness constate « une escalade des meurtres de défenseurs liés à sa protection ». De 4 en 2017, leur nombre est ainsi passé à 17 en 2018.

Côté victimes, ce sont les populations indigènes qui payent le plus lourd tribut, suivies de près par les petits paysans. Encore tous ces chiffres ne reflètent-ils qu’une part de la vérité. « Le bilan réel est probablement bien plus élevé, dans la mesure où beaucoup de cas ne peuvent être recensés » et que les enquêtes, localement, sont rarement menées jusqu’au bout.

Enfin, si le nombre global de meurtres identifiés en 2018 s’affiche moindre qu’en 2017 – on comptabilisait alors 207 morts –, cela ne doit pas laisser croire à une tendance durable. En juillet 2019, « les signes sont préoccupants et indiquent que la situation empire pour l’environnement et ses défenseurs », prévient l’ONG. La hausse du nombre de dirigeants populistes contribue à juguler toute velléité de protestation et, avec elle, l’usage plein et entier des droits.

Pour la première fois, Global Witness s’est ainsi attachée à recenser la criminalisation étatique de leurs actions. « Les conséquences sociales et politiques sont généralement désastreuses. » C’est le cas au Brésil, où le nouveau président, Jair Bolsonaro, a promis d’ouvrir les réserves indigènes à l’agro-industrie et à l’extraction minière.

Marie-Noëlle Bertrand

 

Les démocraties occidentales criminalisent les militants

On s’y fait nettement moins tuer, mais tout n’y est pas rose : les démocraties occidentales aussi se font épingler par Global Witness. Pour la première fois, l’ONG accorde un large chapitre aux cas de criminalisation d’activistes environnementaux. Et d’en siter plusieurs exemples. Aux États-Unis, Red Fawn Fallis, représentante indigène et opposante au Dakota Access Pipeline, a été condamnée à 57 mois de prison, accusée d’avoir brandi un revolver alors qu’elle était plaquée au sol par les forces publiques. Plus proches de nous, en Grande-Bretagne, trois militants anti-gaz de schiste se sont vu condamner à 15 et 16 mois de prison après avoir manifesté aux abords d’un site dirigé par la firme Cuadrilla… dont le Financial Times a rapporté qu’elle aurait dépensé plus de 253 millions de dollars pour obtenir le droit de produire commercialement du gaz de schiste au Royaume-Uni.

 

Partager cet article
Repost0
3 août 2019 6 03 /08 /août /2019 05:20

 

Alors que la rencontre des sept chefs d’État se concluait, Oxfam France alertait, hier, quant aux reculs enregistrés à Biarritz. Rien de concluant pour la lutte contre les inégalités. Entretien.

Engagée dans la lutte contre les inégalités, Oxfam France a fait le choix d’avoir un pied au G7 pour y porter son plaidoyer, un pied dans le contre-G7 pour y joindre sa voix. Hier, à l’heure où le sommet était en passe de se conclure, l’ONG de développement manifestait son désarroi concernant ce qu’il en sortira.

 

À l’ouverture du G7, Oxfam affichait son scepticisme quant à ce que l’on pouvait en attendre. Qu’en est-il à l’heure de la clôture ?

ROBIN GUITTARD Nous sommes définitivement déçus. Vu l’agenda ambitieux que le président Macron s’était fixé, nous pouvions espérer quelques actes en matière de lutte contre les inégalités. Mais rien ne sortira de Biarritz sur cette question. Pire : tout indique que le logiciel à travers lequel nos chefs d’État voient le monde ne change pas. Vendredi, par exemple, des multinationales ont promis de se mobiliser contre les inégalités. Or, laisser les grandes entreprises s’autoréguler, c’est laisser faire le système qui a généré les crises dans lesquelles nous nous trouvons. Ce que nous demandons, ce n’est pas la charité, ni des contributions volontaires de la part des multinationales. C’est que soient mises en place des règles contraignantes pour que les plus riches paient leur part.

 

Des règles de justice fiscale, par exemple ?

ROBIN GUITTARD Oui. Voilà des mois que nous défendons le principe de nouvelles règles internationales de taxation minimale des entreprises, pour que celles-ci paient leurs impôts là où elles réalisent leurs bénéfices. C’est une mesure essentielle de lutte contre les paradis fiscaux et les inégalités qu’ils génèrent. L’évasion fiscale coûte près de 180 milliards de dollars aux pays en voie de développement. Pourtant, ce sujet n’a pas vraiment été à l’agenda du G7. L’approche des problèmes y a été morcelée et débouche sur des déclarations sans cohérence. C’est d’autant plus dommageable que, ces dernières années, le G7 avait su prendre quelques initiatives contre la pauvreté. Celui de Biarritz, celui du président Macron, marque, lui, l’abandon des questions de développement international.

 

Le soutien aux pays d’Afrique était cependant au cœur de ce G7…

ROBIN GUITTARD Les annonces faites, ­dimanche, lors d’un point commun entre la chancelière Merkel, le président Macron et le président Kaboré, du Burkina Faso, qui préside le G5 Sahel, témoignent précisément de ce renoncement. Toutes ces bonnes intentions affichées se concluent par un partenariat qui n’implique au final que la France et l’Allemagne et porte uniquement sur les questions militaires.

Or, l’enjeu du développement est particulièrement emblématique au Sahel. Les inégalités sont à la base de toutes les crises que la région traverse. Elles y génèrent un sentiment d’injustice sociale extrêmement fort, lequel provoque à son tour des tensions extrêmes. Nous attendions du G7 qu’il soutienne les politiques sociales des pays du Sahel, aujourd’hui pressurées par l’augmentation incessante de leurs budgets militaires. Les sept puissances auraient pu créer un fonds dédié au développement de l’éducation, de la santé, de la protection sociale… À l’inverse, ils ont choisi d’alimenter le cercle vicieux de la militarisation.

 

Le G7 avait aussi promis d’être féministe. Qu’en reste-t-il ?

ROBIN GUITTARD Il semble que le mieux que l’on obtiendra à ce sujet sera la présentation d’une liste de bonnes pratiques des pays du G7 sur les questions de genre, et une invitation faite aux pays africains d’adopter une de ces mesures dans les prochains mois ou prochaines années. Peu de chance que le droit des femmes s’en trouve bouleversé à partir de demain…

 

Y a-t-il encore quelque chose à attendre de ce type de sommet ?

ROBIN GUITTARD Nous assumons pleinement notre choix de continuer à porter des recommandations au niveau du G7. Mais nous tenons aussi à faire entendre notre voix à travers les contre-G7, comme il vient de s’en tenir un. Ce sont eux, les laboratoires permettant d’inventer de nouvelles options pour une société plus humaine. C’est là que les idées se créent.

 

Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand

 

Partager cet article
Repost0
30 juillet 2019 2 30 /07 /juillet /2019 05:19
Immigration: le drame de l'année au large des côtes libyennes ( L'Humanité, Emilien Urbach, 29 juillet 2019)
Immigration. Le drame de l’année au large des côtes libyennes
Lundi, 29 Juillet, 2019

150 exilés sont morts jeudi en mer. SOS Méditerranée sera sur zone dans quelques jours, pour reprendre ses opérations de sauvetage.

 

Trois navires chargés de plusieurs centaines d’exilés africains auraient quitté les côtes libyennes jeudi, lorsque l’un d’entre eux a commencé à sombrer. À son bord, près de 300 personnes. 145 d’entre elles, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ont été secourues, avant d’être reconduites vers l’enfer libyen où on estime que 5 200 personnes se trouvent dans des centres de rétention inhumains, gérés par des factions armées. Entre 110 et 150 personnes, selon les sources, auraient rejoint les profondeurs. Ce nouveau naufrage devrait porter à 600 le funeste décompte de personnes ayant péri en mer depuis le mois de janvier. « La pire tragédie en Méditerranée cette année vient de se produire, a annoncé le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, sur les réseaux sociaux. La reprise des opérations de sauvetage en mer, la fin de la détention des réfugiés et des migrants en Libye, la multiplication des voies de sortie sûres hors de la Libye sont nécessaires maintenant. »

Ce drame intervient deux jours seulement avant que le nouveau navire de SOS Méditerranée, l’Océan Viking, ait passé le détroit de Gibraltar, samedi matin, pour rejoindre l’axe migratoire le plus mortel au monde, au large de la Libye. « Le bateau devrait être sur la zone de sauvetage dès les premiers jours d’août », a annoncé vendredi soir Jean-Pierre Lacan, administrateur de l’ONG, lors d’une soirée organisée avec les électriciens et gaziers de la Ccas, dans l’Hérault. « Ce navire est votre navire, a-t-il martelé. Un navire citoyen. »

Face à la xénophobie du gouvernement italien et à l’hypocrisie des autres dirigeants européens, les navires des ONG ont de plus en plus de mal à intervenir en Méditerranée centrale. « Si les tendances actuelles se maintiennent, nous risquons de voir plus d’un millier de personnes perdre la vie sur la Méditerranée pour la sixième année consécutive, ce qui est une sombre perspective pour nous », a pour sa part ajouté le porte-parole du HCR, Charlie Yaxley.

Ses appels comme ceux de l’OIM ne parviennent pas à infléchir la logique criminelle dans laquelle se sont engagés, depuis plusieurs années, les États membres de l’Union européenne.

Émilien Urbach
Partager cet article
Repost0
29 juillet 2019 1 29 /07 /juillet /2019 05:54

 

Trump est égotiste, raciste, mais il n’est pas fou. Le culte de la personnalité qu’il suscite, sa stratégie d'omniprésence médiatique, sa brutalité, sont typiques des régimes autoritaires, estime Ruth Ben-Ghiat, professeure d’histoire à la New York University, spécialiste du fascisme.

New York (États-Unis), de notre correspondant.– « Go back. » Donald Trump a choqué de nombreux Américains avec une série de tweets contre quatre congresswomen, toutes des femmes de couleur de nationalité américaine. Ces élues de la gauche du parti démocrate, Trump les a enjointes à « rentrer » dans « les endroits totalement en faillite et infestés de crimes d’où elles viennent ».

Mercredi 17 juillet, en meeting en Caroline du Nord, Trump a laissé ses supporteurs chanter « Renvoyez-la » à destination de la représentante Ilhan Omar, élue au Congrès et d'origine somalienne. Pour Ruth Ben-Ghiat, spécialiste du fascisme et professeure à la New York University, il s'agit bien d'une « escalade notable » vers un régime de plus en plus autoritaire, qui emprunte des éléments au fascisme. Donald Trump a d'ailleurs récidivé en s'en prenant à l'élu noir de Baltimore (Maryland) Elijah Cummings, président de la Commission de la justice à la Chambre des représentants.

 

En 1989, Donald Trump achète une page de publicité dans le New York Times pour réclamer la condamnation à mort de cinq jeunes hommes noirs après une agression à Central Park. Ils seront plus tard innocentés.

 

Après le « Renvoyez-la » chanté par ses partisans à l’attention d’Ilhan Omar, Donald Trump a fait mine de s’excuser. Mais il ne s’agit pas de ses premiers propos racistes, loin de là. Quelle est la différence cette fois ?

Ruth Ben-Ghiat : C’est une escalade notable. Le racisme a toujours fait partie de l’ADN de Donald Trump, depuis des décennies, alors qu'il était homme d'affaires à New York [la mini-série Dans leur regard, diffusée actuellement sur Netflix, rappelle que Trump avait acheté en 1989 une page de publicité dans le New York Times pour exiger la condamnation à mort de cinq jeunes Noirs accusés, à tort, du meurtre d’une joggeuse à Central Park. Le New York Times rappelle aussi ses saillies racistes dans The Apprentice, la téléréalité qui l’a rendu célèbre – ndlr].

Mais en tant que président, il n'avait jamais désigné ainsi une personne de couleur par son nom. Tout en Ilhan Omar, Noire, ancienne réfugiée, musulmane, enrage les nationalistes blancs. Venant du président des États-Unis, il s'agit d'une immense menace, une menace physique, qui met en danger la sécurité d'une élue du Congrès. Trump cherche à faire d'Omar le symbole de tout ce que l'Amérique est censée détester.

Meeting de Trump à Greenville (Caroline du Nord), le 17 juillet. Il laisse la foule clamer « Renvoyez-là » à propos d'Ilhan Omar, représentante élue au Congrès, réfugiée née en Somalie, naturalisée américaine. © PBS

 

Ce régime est-il en train d'évoluer vers quelque chose qui n'est déjà plus une démocratie ?

Aux États-Unis, nous avons eu la ségrégation, les lois racistes dans le Sud. Mais nous n'avons pas été occupés par les nazis, nous n'avons pas eu de régime communiste, pas de coup d'État militaire. Notre idée d'un régime autoritaire, ce sont les Chemises noires de Mussolini, un coup d'État, etc.

Les Américains ont donc du mal à concevoir qu'un régime autoritaire peut en réalité s'installer peu à peu, même avec une apparence de démocratie, comme c'est par exemple le cas avec Orbán et Poutine. Mais il est indéniable que Trump emprunte au fascisme. Prenons par exemple son comportement pendant les meetings, sa relation à la foule, la façon dont il laisse son auditoire exprimer sa joie d'avoir un ennemi. Cette joie de la haine, autorisée par l'État, c'est extrêmement puissant. 

 

Faut-il donc parler de moment fasciste – c'est le mot qu'a utilisé Ilhan Omar en réponse à l'attaque présidentielle ? Ou bien « juste » d'une escalade raciste, une de plus ?

Les gens attendent souvent un signe magique où l'on pourrait dire, « ça y est, le fascisme est arrivé ». Mais cela ne se passe pas comme ça. Clairement, la façon dont il orchestre la foule lors de ses meetings, la désignation d'une cible, les tweets haineux, l'absence quasi totale de réaction au sein du parti républicain, tout cela marque une évolution, un durcissement, qui était d'ailleurs prévisible.

Trump a très tôt exigé la loyauté de ses supporteurs. Il a décidé de se constituer une base de loyalistes fanatiques. Il nourrit sa base plus qu'il ne cherche à l'étendre. Pour eux, il est un héros charismatique. Son ancienne porte-parole, Sarah Huckabee Sanders, a dit que Trump est président à la suite de l'intervention divine. Cette élévation au rang de quasi-divinité est absolument typique des régimes autoritaires. Par ailleurs, il a réussi, avec Fox News [et d’autres médias, comme la chaîne d’extrême droite OneAmerica – ndlr] à installer ce qui s'apparente à une machine de propagande étatique.

 

Avant de vous parler, j'ai échangé avec l'historien américain Robert Paxton, l'auteur de La France de Vichy, qui a forcé la France à voir la collaboration de Vichy avec les nazis. Comme vous, Paxton trouve que « certains aspects du style de Trump et de son langage ressemblent au fascisme ». Mais que d'autres, et non des moindres, s'en distinguent, comme « sa méfiance du pouvoir étatique et sa volonté de laisser les hommes d’affaires avoir ce qu’ils veulent ». Hitler ou Mussolini, dit-il, « forçaient les milieux patronaux à accepter la planification centralisée de l’économie, dans le but de réarmer et de mener une politique étrangère et coloniale agressive ». Paxton estime donc que le meilleur terme pour définir l'administration Trump est « oligarchie », davantage que fascisme.

Il y a bien sûr cet élément d'oligarchie. Trump est même le dirigeant d'une grande démocratie le plus corrompu depuis Berlusconi, à la tête d'un gouvernement constitué de millionnaires et de milliardaires qu'il a choisis. Avec la détention des migrants, l'existence de camps à la frontière, Trump précipite clairement les États-Unis vers une démocratie du XXIe siècle qui n'est plus libérale.

Là où je diffère un peu de Paxton, c'est qu'il s'intéresse moins à ce que les gens disent qu'à ce qu'ils font. Pourtant, à travers ses discours, Trump rend la violence plus acceptable. Il prépare les Américains à accepter de plus en plus de répression.

Beaucoup disent que Trump est fou, qu'il n'a pas de stratégie. Mais c'est toujours le cas des leaders autoritaires. On disait à l'époque la même chose de Hitler ou de Mussolini. Penser qu'il n'a pas de stratégie, que tout ce qu'il fait n'est que chaos, c'est à mon avis du déni. Comme tout leader autoritaire, Trump cherche à nous coloniser. À coloniser l'État, la société, les médias.

Trump est une brute. Les leaders autoritaires veulent que nous ayons peur d'eux. Trump veut nous intimider. Il utilise l'armée comme un outil politique [à la frontière ou bien avec son tout nouveau défilé militaire, inspiré du 14-Juillet français – ndlr]. Il cherche à humilier, à soumettre la société.

« Le réveil de la société civile reste possible »

 

Là encore, jusqu’où cette humiliation veut-elle aller ? S'agit-il juste d'un « ego trip » autoritaire, pour l'heure contenu par les institutions, ou de la manifestation, désordonnée mais bien réelle, d'un projet de société réactionnaire, nationaliste, destiné à restaurer la suprématie blanche ? Après tout, Trump est parfois entravé par les tribunaux, mais pas toujours, comme le prouve l'autorisation du « muslim ban » par la Cour suprême. La droite dure est organisée derrière lui. Trump a déjà nommé 125 juges, désignés à vie. Il est en train de changer pour longtemps le système judiciaire, souvent amené à approuver ou retoquer des décisions de l'administration.

Trump est très impulsif, narcissique, dans l'autoglorification permanente. Dans tout ce qu'il fait, il y a du chaos, comme chez tous les dirigeants autoritaires, Mobutu, Kadhafi ou Mussolini. Tous ces hommes ont fonctionné au chaos. Mais ils avaient aussi des principes, et ils ont mené des politiques. Et chez Trump, derrière les tweets, il y a une grande continuité. Il est très clair sur sa volonté d'établir un État nationaliste blanc, où l'on peut détenir et expulser les gens de couleur, les musulmans. Regardez aujourd'hui, ses politiques ont un impact sur la vie de millions de personnes.

J'admets bien volontiers qu'il soit difficile pour les Américains d'accepter l'idée que nous bougeons dans cette direction… Quand je parle de cela, du déclin de la démocratie libérale, d'un futur plus autoritaire, les Américains sont en général très énervés, ils ont du mal à le digérer, parce que c'est trop effrayant. L'Amérique, disent-ils, est le pays des hommes libres. Les gens de couleur, eux, sont sans doute moins étonnés, car la démocratie n'a pas été aussi égale pour eux. Trump force les Américains à regarder leur pays d'une nouvelle façon, leur propre histoire, et aussi leur présent.

Avec Fox News, la chaîne One America est un des nouveaux relais de propagande de Donald Trump. Sans aucune nuance.

 

À quoi faut-il s'attendre d'ici la présidentielle ? Et après novembre 2020, si d'aventure Donald Trump était réélu ?

Trump suggère qu'il pourrait rester à son poste malgré la défaite. Lorsque son ancien confident et avocat Michael Cohen dit que dans ce cas, « la transition du pouvoir ne sera pas pacifique », je le crois. Le nom de sa fille et conseillère, Ivanka, est déjà avancé pour une candidature en 2024. Ils ont besoin de créer une dynastie. Leur présidence est un système de corruption, qui sert à les enrichir. Et par ailleurs, Trump n'a aucune envie d'aller en prison.

 

Trump envisage d'ailleurs sérieusement d'organiser le sommet du G7 de l'an prochain dans un de ses golfs en Floride, à deux pas de sa résidence hivernale de Mar-a-Lago, dans le ghetto pour riches de Palm Beach

Trump fera tout, même lancer une guerre s'il le faut, pour rester à son poste. Il est guidé par son seul intérêt personnel.

 

Certains évoquent une évolution substantielle des institutions ou de la Constitution si Trump est réélu, sans parler de la Cour suprême qu'il pourrait alors définitivement ancrer très à droite. Il dit déjà, faussement, que la Constitution américaine lui permet de faire « tout ce qu’il veut »

Les dirigeants autoritaires disent toujours ce qu'ils vont faire. Ils lancent des ballons d'essai, ils disent des choses affreuses, ils attendent les réactions. Il a parlé d'emprisonner des journalistes, de lois contre la liberté d'expression, je pense qu'il se sentira en capacité de le faire s'il est réélu.

 

Vous écrivez actuellement un livre sur la fascination exercée par les « hommes forts ». Vous évoquez dans ce livre des personnages différents, dans des contextes différents, de Mussolini à Hitler, de Poutine à Erdogan et Trump. Au-delà des différences, vous soulignez des similarités, dans le rapport aux médias, les stratégies de répression, le culte de la personnalité, une masculinité exacerbée… À qui Trump vous fait-il penser ?

Berlusconi, pour la corruption. Et Mussolini. Sa première femme, Ivana, a dit qu'il avait sur sa table de chevet deux livres, son propre livre, The Art of the Deal, et les discours d’Hitler.

 

Comment les peuples peuvent-ils terrasser ces hommes forts ?

Ces gens sont leur pire ennemi. Beaucoup sont incompétents et cherchent à contrôler les médias pour le cacher. Ils n'écoutent personne, créent des bunkers où ils s'entourent de courtisans ou de proches. Cela finit parfois par précipiter leur fin. Ils veulent rembobiner l'histoire en arrière.

Actuellement, même dans des régimes autoritaires comme la Russie ou la Turquie, la société résiste. C'est absolument le cas aux États-Unis aussi, où les gens manifestent et s'organisent, même si cela est trop peu raconté par les médias. Avec des institutions démocratiques, le réveil de la société civile reste possible.

 

Partager cet article
Repost0
29 juillet 2019 1 29 /07 /juillet /2019 05:51

La colonisation de la Cisjordanie par les autorités israéliennes s'accélère depuis la décision des États-unis de transférer leur ambassade à Jérusalem et d'encourager l'occupation israélienne des territoires palestiniens afin d'annihiler toute chance de paix juste et durable.

 

 

Benjamin Netanyahu s'est engouffré dans cette nouvelle violation de la légalité internationale et a ordonné la destruction de dix immeubles dans le quartier de Sour Baher à Jérusalem-Est, un territoire censé être sous le contrôle de l'Autorité palestinienne. 350 personnes sont chassées de leur maison dans le silence puisque les observateurs et les journalistes sont tenus à l'écart par d'importants dispositifs militaires. Refusant de délivrer des permis  de construire aux Palestiniens qui ne peuvent plus se loger, Israël organise leur éviction de leurs terres. Ces démolitions devraient au total concerner 100 bâtiments.

Les autorités françaises ont le devoir de s'élever contre ce nouvel acte de violence coloniale perpétré depuis ce matin à Sour Baher, et reprendre l'initiative pour mettre un coup d'arrêt à l'occupation.

D'autant que pendant que les familles palestiniennes sont mises à la rue, une délégation de parlementaires français parade à Jérusalem-Est à l'invitation d'une association d'extrême droite, Elad, engagée dans la colonisation israélienne de la ville. Ces parlementaires foulent aux pieds la position française et les résolutions internationales. C'est indigne !


Le PCF condamne ces violences et démolitions par l'armée israélienne, la colonisation illégale de la Cisjordanie et de Jérusalem Est, et les souffrances imposées aux populations gazaouies par le blocus de la Bande de Gaza.


Tandis que Washington dénie, en dépit de toutes les résolutions internationales, aux Palestiniens le droit de disposer de leur propre Etat, la France et les pays de l'Union européenne restent inertes. La France et l'UE ne doivent pas se laisser entraîner dans cet engrenage voué à l'échec.


C'est le parti d'une paix juste et durable qu'il faut faire entendre ; cela passe par la suspension de tout accord bilatéral avec Israël tant que les droits humains des Palestiniens seront bafoués, et cela passe par la reconnaissance officielle de l'État de Palestine par la France.

 

 

Partager cet article
Repost0
27 juillet 2019 6 27 /07 /juillet /2019 07:19

 

Installés à Londres, où Boris Johnson s’apprête à devenir, aujourd’hui, premier ministre, les géants de la banque et de l’assurance ont mis toutes leurs capacités d’influence pour supprimer les règles au profit de la haute finance.

La City revient dans la course. Le célèbre centre financier de Londres avait été pris à contre-pied par le Brexit, qu’il avait combattu initialement, le considérant comme un empêcheur d’étendre son emprise sur une Europe où il a acquis une place prépondérante. Il s’inquiétait des conséquences de la perte du passeport qui lui permettait de vendre librement ses services financiers sur le grand marché européen. Mais la City s’est adaptée. Elle a même tiré parti de la situation, dans la plus grande discrétion. Au point de faire de ce Brexit non plus un handicap, mais une opportunité. Son secret : le déploiement d’un réseau d’influence de très gros calibre. Un rapport publié en juin par une association d’ONG spécialisées de longue date dans l’observation des lobbys en Europe et regroupées sous le sigle Enco (European Network of Corporate Observatories, Réseau européen des observatoires du très grand patronat) (1) révèle ses redoutables méthodes pour prendre la main sur l’après-Brexit et booster encore au passage une financiarisation qui lui est si favorable.

Tout d’abord, il faut bien cerner ce qu’est le nom du mastodonte basé à Londres. Il est loin de constituer une entité purement britannique. Les figures de proue des services financiers qui y sont regroupés appartiennent au monde global de la finance. Et, parmi eux, ceux qui ont acquis le poids le plus prépondérant viennent de l’autre côté de l’Atlantique. Ils s’appellent Goldman Sachs, Morgan Stanley ou BlackRock. Des acteurs européens comme l’allemand Deutsche Bank ou le français BNP Paribas figurent aussi dans l’organigramme de la « City of London Corporation », « l’organe de gouvernance » de la City, relèvent les enquêteurs du réseau Enco, mais ils sont loin d’y avoir la « place décisive » des champions de la finance états-unienne. Ce sont ces derniers qui y font la pluie et le beau temps.

La principale « avancée », la « coopération réglementaire »

L’engagement des lobbyistes de la City est monté en puissance après le référendum de 2016 qui a scellé le Brexit. Ils ont multiplié les interventions dans toutes les capitales, augmentant leurs dépenses ad hoc de quelque 175 %. Au chapitre des inflexions obtenues, les enquêteurs du réseau Enco relèvent singulièrement combien la France d’Emmanuel Macron a été réceptive à leurs « arguments » en baissant la fiscalité sur les plus grandes fortunes, les actionnaires et les entreprises. Sans que cet effort, qui fut parfois présenté comme le moyen d’attirer les traders vers la Place de Paris dans une course à la récupération du rôle de la City, n’ait jamais été vraiment suivi de transferts massifs des activités financières des rives de la Tamise vers celles de la Seine. Autrement dit : si les géants de la finance ont profité à plein des nouvelles réglementations françaises, ils restent persuadés que Londres, en prise avec Wall Street, saura continuer de leur offrir les meilleures garanties.

La principale « avancée » obtenue par les lobbyistes de la City pour gérer la période post-Brexit au mieux de leurs intérêts porte un nom : la « coopération réglementaire ». Derrière le vocable un peu aride se cache la recherche de moyens destinés à rendre compatibles, voire à harmoniser des normes en vigueur dans les différents marchés et systèmes financiers. Les géants de la City possèdent un outil très performant pour imposer le type de régulation qui leur soit le plus profitable : l’International Regulatory Strategy Group (IRSG ou Groupe international de stratégie régulatrice).

Omniprésents parmi les « conseillers » du gouvernement de Londres mais aussi de Paris, Berlin et d’autres capitales européennes, les représentants de l’IRSG ont réussi à se tailler une place de choix auprès de Michel Barnier, le commissaire européen chargé pour l’UE de la négociation du Brexit. Dans leurs investigations, les ONG observatrices de l’action des lobbys ont comptabilisé « pas moins de 67 rencontres entre l’équipe du négociateur français » et des organismes « d’experts » directement issus du monde de la City. Soit, soulignent-ils, « plus encore que les meetings consacrés par les mêmes aux ministres et officiels du Royaume Uni ».

La coopération réglementaire offre un avantage considérable pour façonner les futures relations entre les marchés et les grandes places financières de la planète. Elle garantit là encore la discrétion, cette seconde nature cultivée par la City. Intervenant a posteriori du tumulte médiatique autour des futures relations, politiques et commerciales entre le Royaume-Uni et ses anciens partenaires européens, elle pourra permettre de prendre des décisions mûries dans le secret d’un monde de spécialistes opportunément dépêchés par les géants de la finance.

Les enquêteurs de l’ONG Enco tirent la sonnette d’alarme

La méthode de la coopération réglementaire offre de plus l’avantage non négligeable qu’elle semble être frappée au coin du bon sens. N’est-il pas souhaitable de gérer au mieux les divergences apparues entre différentes zones ? D’autant que le Royaume-Uni et l’UE étaient autrefois membres d’une même entité. Le problème, c’est que, pilotée de fait par la finance, la recherche de deals réglementaires « pragmatiques » risque de s’apparenter à un massacre des garde-fous et autres protections des consommateurs, mis en place ici et là pour essayer de tirer enseignement des dérives qui ont conduit au krach de 2007-2008.

Les enquêteurs d’Enco tirent la sonnette d’alarme. Ils soulignent combien une certaine coopération réglementaire, instaurée au milieu de la décennie 2000, a contribué à l’effondrement financier de l’époque. Ils pointent les circonstances de la descente aux enfers de l’assureur états-unien AIG (American International Group), qui avait pu accumuler des produits à haute teneur spéculative baptisés « credit default swaps » (CDS, contrats d’échange sur défaillance de crédit). Ce qui a conduit à la seconde plus grosse faillite de l’époque après celle de Lehman Brothers. Signe particulier, relèvent les auteurs de l’enquête d’Enco, un deal dit de « reconnaissance mutuelle » passé au nom de la coopération réglementaire avait permis à l’assureur de se saisir des « normes » financières les plus « permissives ». Au prix du gonflement de monstrueuses bulles spéculatives.

Parmi les outils que les lobbyistes voudraient accrocher à la coopération réglementaire post-Brexit figure une extension du recours potentiel à des tribunaux d’arbitrage privés pour « régler » des litiges opposant un des géants de la finance à l’UE ou à un État. On irait ainsi plus loin que dans l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada (Ceta), qui exclut encore les services financiers de la possibilité de se pourvoir en justice contre la puissance publique.

Les recommandations des lobbyistes de la City peuvent cadrer parfaitement avec les choix du très faussement hétérodoxe Boris Johnson, champion hors catégorie dans l’usage de la démagogie et de la xénophobie durant la campagne du référendum qui a conduit au Brexit. Quant à Donald Trump, qui le soutient bruyamment, ne présente-t-il pas lui aussi de grands avantages, aux yeux des financiers londoniens ? N’a-t-il pas contribué à créer une dynamique sur les marchés quand il a liquidé aux États-Unis les modestes tentatives de régulation, comme la loi Dodd-Frank, instaurée à la suite du krach de 2007-2008... La convergence des deux chefs d’État désireux d’entraîner le monde vers un tournant national-libéral ne fait assurément plus peur à la City.

(1) Ont coopéré à cette enquête au sein d’Enco les ONG : Observatoire des multinationales, Spinwatch, Corporate Europe Observatory (CEO) et Lobby Control. Elle est disponible en intégralité à l’adresse Internet suivante : https://multinationales.org/IMG/pdf/brexit.pdf

Bruno Odent

 

Partager cet article
Repost0
26 juillet 2019 5 26 /07 /juillet /2019 05:17
Droits humains. Colombie, rouge du sang des acteurs sociaux
Jeudi, 25 Juillet, 2019

Depuis les accords de paix de 2016, on compte 482 assassinats politiques. Des ONG parlent de 700 victimes. Journée de mobilisation, le 26 juillet.

 

Ces cris d’effroi ont noué les tripes. On y entend la peur, le désespoir et la tristesse d’un garçon de 9 ans qui vient d’assister à l’assassinat de sa mère. Ce matin du 21 juin, Maria del Pilar Hurtado Montano s’apprête à quitter le domicile familial situé dans la municipalité de Tierralta, dans le sud du département de Cordoba. Deux sicaires à moto se plantent alors devant elle. Après deux détonations, la femme de 34 ans s’écroule à terre. Le gamin, lui, explose de douleur. La vidéo où on le voit gémir a fait l’effet d’un uppercut. Le crime a été qualifié d’« odieux » par Ivan Duque, le chef de l’État de droite extrême, tandis que des membres de son gouvernement cherchaient à en réduire la portée politique. Aussitôt, le mouvement Défendons la paix a appelé à la tenue de marches « pour la vie », le 26 juillet (1).

la toute-puissance des paramilitaires

L’homicide de Maria del Pilar a profondément choqué ses voisins qui connaissaient bien cette mère de famille de quatre enfants. Elle était arrivée sur ces terres du nord-ouest du pays, il y a quatre ans, fuyant le département du Cauca où l’on enregistre encore aujourd’hui le taux le plus effrayant de meurtres politiques, en dépit de la signature des accords de paix, en 2016, entre l’ancienne guérilla des Farc-EP et l’État présidé alors par Juan Manuel Santos. À Tierralta, elle s’était impliquée dans la récupération de terres afin d’y faire construire des habitations pour les trop nombreux déshérités de cette région. Elle n’était pas syndicaliste, ni militante d’un parti politique ; c’était une leader communautaire, comme l’on dit en Colombie. Son engagement lui avait valu des menaces de mort de la part des Autodefensas Gaitanistas de Colombie, connues également comme Clan du golfe, un groupe armé qui tient la ville entre ses mains et contrôle jusqu’au moindre détail de la vie de ses 100 000 habitants. Ces paramilitaires, comme les autres qui sévissent ailleurs, vivent du commerce de la drogue et des trafics en tout genre, du racket de la population… Dans cette zone où les forces publiques ne maîtrisent rien, les « paracos » font la pluie et le beau temps au détriment des droits les plus élémentaires.

Depuis la mort de Maria del Pilar, Défendons la paix dénonce les décès de dix autres responsables sociaux – politiques, syndicalistes, paysans, Indiens, environnementalistes, défenseurs des droits humains –, du fait de leurs activités. « Les assassinats de ces dix leaders sociaux constituent dix raisons supplémentaires pour sortir dans les rues et les places publiques (…) pour la vie de ceux qui défendent la vie et la paix dans les territoires », déclare cette ONG. Les voyants sont au noir. Entre janvier 2016 et mai 2019, la Defensoria del Pueblo – une institution gouvernementale chargée de la protection des droits civils – a recensé 482 assassinats. Pas moins de 982 leaders sociaux ont été la cible de menaces entre avril 2018 et avril 2019. L’ONG Indepaz estime, quant à elle, que les victimes s’élèvent à plus de 700. « La persistance des violences armées est étroitement liée à la stigmatisation et aux discours de haine contre une vraie paix, sans impunité et comportant des alternatives aux modèles violents d’accumulation de richesses. Elle est également liée à la lenteur des réponses de l’État dans les territoires directement visés par des groupes armés irréguliers, là où les Farc-EP détenaient une grande influence et où l’appareil militaire a cessé d’être présent en raison de la démobilisation. Dans ces territoires, beaucoup de groupes d’intérêts ont renforcé leurs actions pour défendre leur position et des avantages dans une réorganisation des dynamiques d’accumulation des richesses et de la reproduction du pouvoir », analyse Camilo Gonzalez Posso, le directeur d’Indepaz, dans un document rendu public le 10 juillet, à l’occasion de la visite d’une délégation onusienne chargée de vérifier la mise en œuvre des accords de paix.

Derrière la guerre des chiffres, la guerre sale...

Depuis, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont fait part de « leur sérieuse préoccupation quant aux assassinats persistants de leaders sociaux et communautaires, ainsi que des ex-membres des Farc-EP », qui s’élèvent désormais à plus de 140, leurs anciens responsables désormais reconvertis à la vie politique parlant même d’un plan d’extermination. Au terme des rencontres sur le terrain, la délégation a certes reconnu « les efforts du gouvernement pour aborder ce problème », avec la mise en place d’un « plan de protection » de ces acteurs, mais elle insiste sur « la nécessité que les mesures se traduisent par des résultats concrets pour prévenir les attaques et traduire les responsables en justice ».

Dans un récent entretien accordé à El Espectador, le président Ivan Duque faisait, lui, valoir un bilan positif de son programme, revendiquant une réduction de 30 % des assassinats des acteurs sociaux durant les six premiers mois de l’année. Il s’agit là d’un « mirage », a rétorqué sèchement Human Rights Watch. L’ONG rappelle que les autorités ne comptabilisent pas l’ensemble des cas d’homicides politiques tant qu’ils font l’objet d’une enquête des Nations unies. Une guerre des chiffres pour ne pas évoquer la guerre sale et ses raisons.

(1) Des rassemblements sont également prévus en France : à Paris, parvis du Trocadéro, à 18 h 30, ainsi qu’à Lyon, place Bellecour, à la même heure.
Cathy Dos Santos
Droits humains. Colombie, rouge du sang des acteurs sociaux - Cathy Dos Santos, jeudi 25 juillet - L'Humanité
Partager cet article
Repost0
25 juillet 2019 4 25 /07 /juillet /2019 13:25
En Irlande du Nord, l’inquiétude accompagne le tracé de la future frontière européenne (Audrey Parmentier, Médiapart, 24 juillet 2019)
En Irlande du Nord, l’inquiétude accompagne le tracé de la future frontière européenne
Par Audrey Parmentier

En cas de Brexit, leur destin au sein de l’Union européenne prendra fin et ces villes resteront à seulement quelques mètres de la forteresse bruxelloise. Un coup dur pour les frontaliers. Balade nord-irlandaise à Newry, Belcoo et Strabane. 

Newry, Belcoo et Strabane (Irlande du Nord), envoyée spéciale.–  « Je veux mourir européen. Voilà ce que j’ai répondu à ma femme lorsqu’elle m’a demandé pourquoi je voulais un passeport irlandais. » Donal O’Donnell est un ancien journaliste nord-irlandais. Il sillonne le marché de Newry, petite ville de 27 000 habitants à cheval sur la frontière avec l’Eire. Lorsqu’il évoque le Brexit, le regard du petit homme chauve s’allume. « C’est un véritable bordel au Parlement, je n’ai jamais vu ça ! »

Donal O’Donnell raconte avoir couvert les remous de la politique nord-irlandaise « pendant plus de 30 ans ». À cette époque, le conflit – les Troubles (1968-1998) – entache la province britannique. Durant cette guerre civile, les protestants unionistes attachés à la couronne britannique étaient opposés aux nationalistes républicains en faveur d’une réunification des deux Irlandes. « Les Anglais penseront toujours qu’ils sont au sommet de tout le monde. Ils se sentent même au-dessus des Français », s’exclame Donal O’Donnell avant de trancher : « Aujourd’hui, il faut combattre le nationalisme anglais. »

Le journaliste à la retraite critique vivement le Parti unioniste nord-irlandais (DUP). Cette formation très conservatrice s’est positionnée il y a maintenant trois ans en faveur d’une sortie de l’Union européenne (UE). Devenu un allié du gouvernement minoritaire, le DUP est la clé de voûte des négociations sur le Brexit. Lors des trois votes sur l’accord négocié par la première ministre britannique Theresa May, le parti unioniste s’est distingué par son refus du backstop – filet de sécurité qui permettrait à l’Irlande du Nord de rester dans le marché unique européen en cas de Brexit.

 

« Le DUP ne prend pas en compte le souhait des Nord-Irlandais. La population a voté pour rester dans l’Union européenne », déplore Donal O’Donnell. Mais le DUP est le seul parti nord-irlandais à se faire entendre à Westminster. De l’autre côté de l’échiquier politique, l’historique Sinn Fein, nationaliste et républicain, favorable à la réunification des deux Irlandes, refuse de siéger au Parlement. « Il n’y a personne pour se lever et défendre notre cause », proteste l’ex-reporter avant de s’arrêter devant l’un des maraîchers. « Vous ne pourrez pas parler à un homme plus raisonnable », s’arrête-t-il en pointant du doigt John Bradley.

Cet ancien professeur des écoles, sexagénaire, tient depuis une vingtaine d’années un stand d’antiquaire au marché de Newry. Anciennes revues, médaillons et bibelots sont disposés sur une table en bois dépliée devant lui. « Je pense que l’Union européenne devrait dire au DUP de dégager », fustige John Bradley, qui quitte son stand quelques instants pour exprimer ses craintes : « Le retour d’une frontière dure serait un pas en arrière. J’ai peur de ce qu’il peut se passer en cas de Brexit. » Et il n’est pas le seul.

Financée par l’Union européenne, l’organisation Action Mental Health suit de près les avancées du Brexit. Situé à quelques mètres du marché, cet organisme accompagne les personnes atteintes de troubles mentaux. Dirigé par Brian Huge, le centre accueille actuellement 145 personnes. « La moitié de nos financements provient de l’Union européenne », déclare le directeur. En cas de Brexit, l’organisation perdra ces fonds européens. « Cependant, le gouvernement britannique a promis de débloquer de l’argent d’ici 2020-2022 », rassure Brian Huge. Mais cela n’empêche pas les patients du centre d’être très inquiets, à l’instar de Dell Rogers : « Où allons-nous aller si le centre vient à fermer ? »

À une dizaine de kilomètres de Newry, les pêcheurs de moules de Warrenpoint, deuxième port de l’Irlande du Nord, voyagent eux aussi en eaux troubles. Hank Waverton, un marin hollandais, fume une cigarette à l’entrée d’un pub. « Ici, il n’y a que des pêcheurs de moules. Mais la plupart des compagnies sont irlandaises ou hollandaises. Je crois que 95 % des revenus de la pêche sont reversés aux entreprises hollandaises », explique-t-il en regardant le port.

Hank Waverton témoigne des changements apportés par le Brexit. « Depuis quelque temps, la frontière est plus surveillée. Il y a deux mois, un bateau de Kilkeel, premier port d’Irlande du Nord, a été attrapé par la marine irlandaise », raconte le Hollandais. Les contrôles à répétition des deux côtés de la frontière font fuir les pêcheurs irlandais, « qui ne se rendent plus en Irlande du Nord ». Hank Waverton prend pour exemple ce qui est arrivé à l’un de ses amis : « Il avait amarré son bateau au port alors qu’il n’était pas référencé. Ça lui a coûté plus de 15 000 euros ! » Il marque une pause pour jeter son mégot : « Malheureusement, personne ne sait où se trouve la frontière. »

À l’instar des pêcheurs, les agriculteurs seront en première ligne en cas de Brexit dur. John Sheridan en est conscient. Ce fermier nord-irlandais habite à Belcoo, un petit village frontalier niché dans le comté de Fermanagh, au nord-ouest de Newry. Ce comté nord-irlandais dépend économiquement du tourisme et de l’agriculture. Depuis trois ans, cet éleveur de moutons avoue avoir gelé tout investissement pour faire face à l’incertitude liée au Brexit.

« On ne mord pas la main qui nous a nourris »

« Pour vendre de la viande, nous avons besoin d’une vingtaine de marchés pour une seule carcasse. Et ces vingt marchés n’existent pas au Royaume-Uni », se plaint John Sheridan. Il estime qu’en cas de no deal « ses moutons pourraient être taxés à 75 % ». Au volant de sa Jeep, cet éleveur de moutons roule sur les sentiers escarpés. « On traverse la frontière au niveau du pont entre Belcoo et Blacklion, en République d’Irlande. Quand j’étais enfant, les forces britanniques étaient postées au niveau de la frontière », raconte le fermier de 56 ans, sans quitter la route des yeux. Né au début des années 1960, John Sheridan a connu les Troubles, dont il garde un souvenir impérissable. « Dès qu’on voyait une boîte en carton sur la route, on se demandait s’il s’agissait d’un colis piégé », se remérore le fermier protestant.

En 1998, l’accord du Vendredi saint met fin à une guerre qui aura marqué l’Irlande du Nord pendant trente ans. « C’est un accord fantastique, très rare et unique. J’espère qu’il va continuer à nous protéger », confie John Sheridan, qui remercie l’Union européenne pour avoir facilité le processus de paix. « Bruxelles a injecté plus de 7 milliards de livres entre 2007 et 2020. C’est en partie grâce à Michel Barnier – à l’époque ministre délégué aux affaires européennes – si tout cet argent a été débloqué. On ne mord pas la main qui nous a nourris. » L’éleveur confie que sa ferme a été financée par l’Union européenne. « Je me considère comme un bébé européen », dit-il en souriant.

Un peu plus loin, il y a la bourgade de Ballyshannon, de l’autre côté de la frontière, en République d’Irlande. C’est là que vit Patrick Rooney, éleveur de moutons et de vaches laitières. « Je ne suis pas d’accord avec tout ce que l’UE a fait mais je pense que Bruxelles a coopéré correctement avec l’Irlande », estime-t-il. Le fermier irlandais craint l’arrivée sur le marché britannique des bœufs sud-américains. « Ce sont des produits inférieurs aux nôtres et dotés d’une moins bonne traçabilité », maugrée-t-il.

« En Irlande, nous avons des produits uniques et si le Royaume-Uni impose des tarifs à hauteur de 15 à 30 %, alors cela devrait détruire l’agriculture irlandaise », prédit Patrick Rooney, qui se revendique comme « européen mais irlandais dans le sang ». Lui aussi traverse régulièrement la frontière. Pour l’éleveur, son contrôle total serait impossible sans fermer les routes secondaires. « Nous allons devenir le seul pays européen qui partage une frontière terrestre avec le Royaume-Uni », continue-t-il.

Une frontière qui pourrait de nouveau séparer les villes de Strabane et Lifford. La première est nord-irlandaise et la seconde appartient à la République d’Irlande. Aujourd’hui, les voitures circulent librement entre les deux villages frontaliers. Certaines se garent au supermarché Asda implanté à Strabane. L’enseigne accueille 40 % d’Irlandais parmi sa clientèle. « S’il venait à y avoir une frontière européenne, ça nous affecterait directement, car les clients auront besoin de leur passeport pour venir faire leurs courses », explique l’une des gérantes du magasin, qui tient à rester anonyme.

Si une frontière européenne venait entraver les échanges entre Lifford et Strabane, le supermarché s’en trouverait affaibli. En effet, une partie des produits vendus dans le magasin viennent de l’Union européenne. Le retour à une frontière dure inquiète un certain nombre de commerçants à Strabane. Cette ville de 18 000 habitants est la deuxième du comté de Tyrone, après la cité d’Omagh. À Strabane, les rues du centre-ville sont bordées d’affiches électorales à l’effigie du Sinn Fein.

Le centre-ville se concentre autour de deux ou trois rues principales. Dans l’une d’elles, à l’entrée d’un magasin d’électroménager, un vendeur éclate de rire quand on lui parle du Brexit : « Ça n’arrivera pas, c’est impossible ! » Il part à la recherche du propriétaire de l’échoppe, Conor Devan. La trentaine passée, le directeur raconte l’impact du retour d’une frontière dure. « On livre beaucoup d’électroménager de l’autre côté. Avec le Brexit, on risque de connaître des difficultés en termes d’assurances. »

Mais comment se préparer au pire ? C’est la question à laquelle ne peut pas répondre Conor Doherty, le fils d’une fleuriste, à quelques pas du magasin d’électroménager. « C’est dur de se préparer car il y a trop d’incertitudes, du moins jusqu’à ce qu’une décision soit prise », explique le jeune Nord-Irlandais de 24 ans. Il reprend : « Le débat à Westminster est une vaste blague. Personne ne sait ce qu’il veut », poursuit-il.

À l’instar de Conor Devan, le fils de la fleuriste craint pour le commerce de sa mère, dont une partie se trouve en Irlande. « Nous livrons des bouquets dans le comté de Donegal [dans le nord de la République d’Irlande – ndlr] et une grande partie de nos fleurs viennent des Pays-Bas », explique le jeune homme. Il réajuste ses lunettes et reprend : « Déjà qu’on lutte contre les supermarchés qui proposent des fleurs à des prix très bas, alors le Brexit ne risque pas d’arranger les choses. »

Comme beaucoup de villages frontaliers, la ville de Strabane a voté massivement pour rester dans l’UE. Le 30 mars dernier, une centaine de personnes ont marché jusqu’à la frontière pour protester contre le Brexit. Conor Doherty aurait aimé faire partie du cortège « mais [il avait] un empêchement ». Né après les Troubles, le jeune homme avoue vouloir vivre dans l’unité. « J’ai grandi après la guerre civile et cela a affecté ma vision des choses, dit-il. Dans ma tête, je suis irlandais. Et davantage européen que britannique. »

Partager cet article
Repost0
25 juillet 2019 4 25 /07 /juillet /2019 06:21
Territoires palestiniens. Bulldozers israéliens contre droit des Palestiniens (Pierre Barbancey, L'Humanité, 25 juillet 2019)
Territoires palestiniens. Bulldozers israéliens contre droit des Palestiniens
Mercredi, 24 Juillet, 2019

Israël a détruit, lundi, des logements jugés illégaux au sud de Jérusalem, alors qu’ils sont sous l’administration de l’Autorité palestinienne. La communauté internationale condamne, mais n’agit pas.

 

Depuis lundi, les autorités israéliennes procèdent à la démolition de plusieurs immeubles à Wadi Houmous dans le village de Sur Baher, quartier résidentiel à cheval entre Jérusalem-Est et la Cisjordanie, territoires palestiniens occupés depuis 1967. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), 10 bâtiments, dont la plupart sont encore en construction, sont concernés par l’opération israélienne de démolition. Un immeuble inachevé de huit étages a été partiellement détruit à l’explosif. Environ 350 personnes sont impactées et 17 autres seront déplacées, toujours selon l’Ocha. « Je veux mourir ici ! » criait un homme, après avoir été évacué de force.

A priori, malheureusement, rien de très nouveau, puisque, dans le cadre de sa politique de judaïsation de Jérusalem, Israël installe de force des colons dans la partie orientale, notamment dans les quartiers de Silwan et de Cheikh Jara’h, et refuse tout permis de construire aux familles palestiniennes, forcées de détruire elles-mêmes leurs maisons sous peine de devoir payer en plus l’utilisation des bulldozers par l’occupant.

Une opération « destinée à couper Jérusalem de Bethléem »

Ce qui se passe à Sur Baher est pourtant encore plus grave. Wadi Houmous a une situation administrative particulière : il se trouve à la fois dans les zones A, B, sous contrôle civil de l’Autorité palestinienne, et C, sous contrôle israélien comme défini par les accords d’Oslo. De plus, bien que considéré comme appartenant à la Cisjordanie, il se trouve du « bon » côté du mur de séparation construit par les Israéliens, c’est-à-dire que les habitants peuvent se rendre sans entrave à Jérusalem même. Ce que les Palestiniens considèrent comme un « mur de l’apartheid », constitué de barbelés, de clôtures électroniques et de blocs de béton atteignant jusqu’à neuf mètres de haut, est jugé illégal par la Cour internationale de justice et doit s’étendre sur 712 kilomètres. Son tracé se trouve à 85 % en Cisjordanie occupée et isole 9,4 % du territoire palestinien, selon les cartes de l’ONU.

Israël affirme maintenant que les immeubles visés ont été construits trop près du mur (sic). Les Palestiniens accusent de leur côté Tel-Aviv d’utiliser la sécurité comme prétexte pour les contraindre à abandonner la zone, ce qui semble totalement en adéquation avec les plans ­israéliens d’expulsion, voire de nettoyage ethnique dans le cadre d’une reconfiguration de la Cisjordanie (notamment l’annexion de la zone C) et de Jérusalem-Est. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a condamné ces démolitions comme « une dangereuse escalade contre le peuple palestinien sans défense ». Pour sa part, le ministre palestinien chargé de la surveillance des colonies israéliennes, Walid Assaf, dénonce une opération « destinée à couper Jérusalem de Bethléem », dans le sud de la Cisjordanie.

Une vingtaine de diplomates, pour la plupart de pays européens, se sont bien rendus, le 16 juillet, dans le quartier touché, où des responsables palestiniens les avaient appelés à empêcher Israël de démolir ces habitations. Mais, visiblement, Benyamin Netanyahou et son gouvernement considèrent que les lois internationales n’existent que pour les autres pays (notamment l’Iran), tout comme les mesures coercitives. La question se pose pourtant avec acuité. À quoi sert, pour l’ONU, de déclarer que « la politique d’Israël de détruire une propriété palestinienne n’est pas compatible avec ses obligations au regard du droit humanitaire international », si rien n’est fait pour l’y contraindre ? Que vaut l’injonction de l’Union européenne à Israël d’« arrêter immédiatement les démolitions en cours », estimant que la politique israélienne « affaiblit la viabilité de la solution à deux États et les perspectives d’une paix durable », si elle ne se donne pas les moyens de faire cesser ce déni du droit du peuple palestinien ? Que vaut l’action de la France qui « condamne » ces démolitions, quand Emmanuel Macron reçoit en grande pompe Benyamin Netanyahou, et Anne Hidalgo, le maire israélien de la Jérusalem occupée ? Seuls des actes forts, politiques et économiques, comme la suspension de l’accord UE-Israël ou le développement de la campagne BDS, seront à même de faire plier le gouvernement israélien.

Pierre Barbancey
Partager cet article
Repost0
19 juillet 2019 5 19 /07 /juillet /2019 07:26
Disparition. Johnny Clegg, guerrier pacifiste du combat anti-apartheid
Jeudi, 18 Juillet, 2019 -L'Humanité

Un riche legs musical et un engagement exemplaire. L’artiste activiste sud-africain est mort mardi à l’âge de 66 ans. Il nous laisse des souvenirs émouvants, comme ses concerts à la Fête de l’Humanité.

En 1990, la Fête de l’Humanité célébrait la libération de Nelson Mandela. En ce samedi soir du 15 septembre, la Grande Scène battait un de ses records. Nous étions au moins 100 000 mélomanes citoyens à écouter Johnny Clegg et son groupe Savuka (dont le nom signifie « Nous nous sommes réveillés », en zoulou)   Je me souviens de la clameur qui s’est élevée de la mer humaine, pour saluer l’arrivée, sur le plateau, du chanteur et de ses musiciens sud-africains. Frissons… Je me souviens de l’océan de briquets qui se sont allumés, quand ont retenti les premières notes de l’hymne Asimbonanga (« Nous ne l’avons pas vu »), que le leader avait dédié à Mandela, maintenu par le pouvoir dans ses geôles depuis 1962. Je me souviens que, lorsque Johnny a entonné le couplet en l’honneur de Nelson Mandela, Steve Biko et Victoria Mxenge, le peuple de la Fête de l’Humanité s’est transformé en gigantesque chœur. Certains et certaines d’entre nous, le poing levé, versaient des larmes d’émotion…

Le spectacle splendide de ce groupe, qui, sans peur et sans reproche, bravait la ségrégation raciale, entrait en résonance avec l’espoir porté par la libération de Mandela survenue en février 1990. Mais nous avions conscience que, pour le moment, n’était coupée qu’une seule tête de l’hydre apartheid. « Il ne faut pas encore interrompre les sanctions économiques, s’était exclamé le lucide Johnny Clegg, dans les coulisses. La lutte est loin d’être terminée. Il faudra énormément de temps pour réparer, ne serait-ce que partiellement, les ravages dus au racisme institutionnalisé en 1948 et la misère dans laquelle a été emmurée tout particulièrement la population noire. »

Le 16 juillet 2019, l’ancien professeur d’anthropologie à l’université à Johannesburg, devenu artiste activiste, est décédé d’un cancer à l’âge de 66 ans, à Johannesburg. Il est mort comme il a vécu : avec la lucidité, la simplicité et la générosité chevillées à l’âme. Nous adressons nos sincères condoléances à sa famille et à son équipe, en particulier à son manager français, Claude Six. « Je garderai de lui le souvenir d’un homme brillant, généreux, fidèle à son idéal de justice, mais aucunement naïf, Johnny avait un regard acéré sur le monde, nous souffle Claude Six, chamboulé, qui travaillait avec le regretté musicien depuis 1986. Il a été enterré hier, à Johannesburg, près de sa maman ». 1986, année où nous l’avons découvert en France, à Musiques métisses d’Angoulême, grâce au directeur du festival, Christian Mousset, qui l’avait programmé… Foudroyante a été la révélation de cet artiste révolutionnaire, dont la musique multicolore traversait les murailles de l’apartheid et qui, avec le danseur et percussionniste Dudu Zulu, faisaient la nique à l’apartheid au gré d’ancestrales danses guerrières zouloues. Dudu Zulu paiera de sa vie les spasmes du système, il sera assassiné le 4 mai 1992.

« Il a joué un rôle important pour la démocratie en Afrique »

Dans la musique de Savuka s’embrassaient rythmes africains, guitares rock, claviers électriques et, à la manière d’un pont entre toutes ces cultures, un accordéon puisant aux traditions sud-africaines et occidentales. Clegg s’était initié à la langue et aux rythmes zoulous auprès de Sipho Mchunu. En 1976, année des émeutes de Soweto, Clegg monte, à 23 ans, la formation Juluka (« sueur », en zoulou). Mais Sipho ayant décidé de retourner vivre au village, Johnny lance Savuka. La suite, on la connaît. En 1987, Asimbonanga offre à Clegg une gloire planétaire.

Dans notre édition du 13 septembre 1994, Patrick Apel-Muller et Zoé Lin écrivaient, après le second concert de Johnny Clegg à la Fête de l’Humanité, qui saluait l’élection de Mandela à la présidence de la République : « Ce devait être un concert, ce fut un hymne à la joie, à la liberté recouvrée, pour fêter en musique la nouvelle Afrique du Sud ». Pour Angélique Kidjo, qui a participé au dernier disque de Johnny Clegg, King of Time (2018), il n’y a aucun doute. « Johnny a joué un rôle important dans l’histoire de la musique, mais aussi pour la démocratie en Afrique. Ce qui me touchait, chez lui, c’était son authenticité. Un homme parmi les plus sincères que j’ai jamais rencontrés. »

Fara C.

King of Time, ultime album du Zoulou blanc

Se sachant condamné par le cancer, Johnny Clegg nous a gratifiés, fin 2018, d’une offrande : son album King of Time, abordant le thème du temps qui règne sur toute destinée. Sur le premier single, Color of My Skin, il a eu l’excellente idée d’inviter Angélique Kidjo, tandis que son fils Jesse, musicien de 29 ans, est convié dans I’ve Been Looking. De Johnny, on retrouve le mélange afro-rock reconnaissable entre tous. Sa chanson Oceanheart a été choisie par l’Unesco comme hymne pour la campagne de préservation des océans. CD King of Time (chez Oceanbeat/BMG) johnnycleggsa/

Johnny Clegg. « J’ai fait mon ­apprentissage d’homme à travers une autre culture »
Jeudi, 18 Juillet, 2019

Au fil des années, suivant la situation en Afrique du Sud, le chanteur nous a fait part dans l’Humanité de ses sentiments sur l’évolution de son art, la découverte de la langue zouloue, ses liens de fraternité avec le peuple et les changements politiques dans son pays.

 

21 juillet 1994 :

« La première danse zouloue que j’ai pratiquée, c’était la danse baka. Les employés noirs municipaux qui dégageaient les ordures dans les camions avaient l’habitude de la danser. J’ai appris auprès d’eux. Dès l’âge de 14 ans, j’étais fasciné par la culture zouloue. J’ai étudié le zoulou en autodidacte. J’avais rencontré un guitariste de rue. Il ne parlait pas l’anglais et je ne connaissais pas un mot de zoulou. J’ai appris avec lui en enregistrant ses chansons sur un magnétophone et en les répétant phonétiquement. Je ne savais pas ce que je chantais ! Mais dès que j’ai commencé à maîtriser la langue, je l’ai aimée. À l’âge de 16 ans, j’ai rencontré Sipho, avec lequel, plus tard, j’ai fondé le groupe Juluka. J’ai alors rejoint sa troupe de danse, qui était très cotée. Avec Sipho, j’ai vécu une amitié extraordinaire, une rare fraternité. Sans en être conscient, j’allais contre le système de l’apartheid. »

10 août 1994 :

« Quand vous grandissez dans trois pays d’Afrique différents, que vous êtes né en Angleterre, que votre mère est divorcée… J’ai eu une éducation totalement folle et, à un moment donné, j’ai commencé à m’intéresser aux sociétés ­traditionnelles, parce qu’elles m’apportaient un foyer, une identité (…). J’ai fait mon ­apprentissage d’homme à travers une autre culture, parce que celle qu’on m’offrait dans ma propre société était en pleine banqueroute. »

18 juillet 2007 :

« La Fête de l’Humanité est un symbole important, un événement que j’associe à des valeurs d’égalité. Très différent de tous les spectacles que je fais en tournée, d’autant plus que c’est un moment chargé d’histoire. La première fois que je me suis produit à la Fête de l’Humanité, c’était en 1987 ou 1988… Je garde de très bons souvenirs de cette époque. Nous étions très conscients de la situation en Afrique du Sud, de l’apartheid et de toutes les autres situations où perdurent des dictatures. »

9 décembre 2013 :

« Pour ma famille, pour moi, pour le peuple sud-africain, Nelson Mandela incarne la longue et persévérante pérégrination qui s’est avérée nécessaire pour que notre pays atteigne, enfin, la rive rêvée : celle de la démocratie et d’une Afrique du Sud délivrée de l’apartheid. La décennie 1990 a été secouée par des tourmentes, mais ni le massacre du 17 juin 1992 dans le township de Boipatong (perpétré par des membres armés de l’Inkatha Freedom Party – NDLR), ni l’assassinat, en 1994, de Chris Hani, secrétaire général du Parti communiste sud-africain, ni les autres atrocités qui ont pu être commises n’ont pu arrêter les négociations pour une Afrique du Sud libre et démocratique. Parfois, le doute ou la peur s’emparait de nous. Mais dès que Nelson Mandela s’exprimait à la radio ou à la télévision, sa voix, à la fois puissante et irradiante d’amour, nous redonnait courage. Madiba avait, en outre, un grand sens de l’humour, qu’il savait conjuguer avec les vertus de sa bravoure. Il accordait une oreille attentive et respectueuse à ses interlocuteurs, y compris à ses adversaires. Des qualités particulièrement précieuses dans un contexte où primaient le racisme et la démagogie. Nelson Mandela a été le capitaine qu’il fallait à notre Afrique du Sud malmenée par la tempête. Son héritage continuera de nous inspirer profondément. Au revoir, papa. Hamba kahle, Tata ! »

Disparition. Johnny Clegg, guerrier pacifiste du combat anti-apartheid (L'Humanité, 18 juillet 2019)
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le chiffon rouge - PCF Morlaix/Montroulez
  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
  • Contact

Visites

Compteur Global

En réalité depuis Janvier 2011