Pierre Laurent SECRÉTAIRE NATIONAL DU PCF
STÉPHANE SAHUC ET CÉDRIC CLÉRIN
Notre société a besoin des idées communistes, la France a besoin du PCF, de ses idées et de son expérience, la gauche a besoin de la culture communiste.

Face au « président des riches », contre la tentative affichée de transformer le pays au service du capital, la résistance s'organise. L'alternative passe par la construction d'un nouveau projet, nous dit Pierre Laurent, qui lance la préparation d'un congrès extraordinaire pour réinventer le Parti communiste, « le placer à l'offensive ».
HD. Six mois après l'élection présidentielle, quel premier bilan tirez-vous de l'action du président et de son gouvernement ? Et que pensez-vous de son intervention du 15 octobre sur les deux piliers de la « révolution macronienne » : « libérer ; protéger » ?
PIERRE LAURENT. Sous couvert de pédagogie, il a affiché toujours la même arrogance. Il ne répond à aucune inquiétude du pays. Or on connaît aujourd'hui la réalité de la révolution qu'annonçait Macron. C'est une révolution libérale qui vise à libérer les plus fortunés et le capital financier de toutes les entraves. C'est une politique qui vise à encourager toujours plus l'accumulation de profits en exploitant plus durement le travail de l'immense majorité et en tapant très durement sur toutes les politiques publiques qui servent à faire du service public pour tous. Que ce soit les ordonnances pour casser le Code du travail, la mise en pièces de l'APL et la politique de logement social, les nouveaux cadeaux à ceux qui payent l'ISF, jusqu'à la scandaleuse décision de retirer l'État du capital d'Alstom pour le livrer aux actionnaires privés de Siemens, on est, dans tous les domaines, dans une politique de démolition du modèle social. C'est la généralisation de la précarité sociale et c'est open bar pour tous les profiteurs et les actionnaires. Cette politique ne relancera en rien l'activité économique et elle va creuser les inégalités. Ceux qui vont profiter de cette politique se moquent totalement de répondre aux besoins nationaux et aux urgences sociales de développement.
HD. Mais Emmanuel Macron affirme avoir été élu pour cela...
PIERRE LAURENT. Cet argument ne tient pas. Macron a certes annoncé ses projets mais en en maquillant les conséquences. C'est pour cette raison que des millions de gens aujourd'hui, y compris parmi ceux qui ont voté pour lui, découvrent la réalité de sa politique. Qui avait compris qu'il servirait avec une telle indécence les plus fortunés ? Il y a eu tromperie. De plus, une élection présidentielle, ce n'est pas la suspension de la démocratie pendant cinq ans. Macron a le droit de mettre sur la table des projets, mais quand ces projets entraînent une opposition majoritaire dans l'opinion, parmi les organisations syndicales, parmi les acteurs du logement social... il doit en tenir compte. Or la réponse, c'est le passage en force. Aucune élection ne donne ce droit. Le débat d'alternative entre projets différents, qui est l'essence de la démocratie, n'est pas suspendu par une élection.
Ce qui est frappant d'ailleurs, c'est que, si peu de temps après l'élection, le pouvoir soit mis en difficulté. Preuve que sa politique ne crée pas une adhésion majoritaire dans le pays. Nous sommes au début d'une contestation sociale multiforme qui va se développer sur tous les terrains.
HD. Quel rôle peut jouer le PCF dans cette contestation ?
PIERRE LAURENT. Le PCF a un très grand rôle à jouer. Nous sommes déjà présents avec nos militants, nos élus, nos parlementaires sur tous les fronts de mobilisation. Nous jouons un rôle actif pour révéler les mauvais coups du gouvernement. Mais nous voulons franchir une étape. Ces protestations sociales portent l'aspiration à une autre société. Pour Macron, la société de demain est une société de précarité dans laquelle les êtres humains sont réduits à se plier aux exigences du marché dans tous les domaines. Nous, nous voulons remettre au centre l'humain d'abord. Pour cela, nous venons de décider de tenir, le 3 février prochain à Paris, des états généraux du progrès social. Nous voulons démontrer que ceux qui sont mobilisés dans le pays ont des idées pour construire un nouveau type de progrès social, qui sache faire de la solidarité, créer de l'emploi en produisant autrement, allier le développement industriel et l'ambition écologique, et qui, pour cela, fasse reculer, en tous domaines, les prélèvements indus du capital.
Ce dont notre société crève, c'est des coûts du capital, cet argent créé par la richesse du travail et soustrait à la collectivité nationale pour nourrir des logiques de rentabilité à court terme. Nous présenterons nos propositions dans des cahiers du progrès social et nous ouvrirons ces cahiers aux propositions venues des citoyens pour faire converger tout cela sous la forme de nouveaux projets de loi. Nous voulons faire émerger un contre-projet face au désastre Macron.
HD. Et vous pensez que cela peut empêcher Macron d'aller au bout de son projet libéral ?
PIERRE LAURENT. Je pense que c'est possible. J'ai conscience que le niveau de confrontation dans lequel nous entrons est très élevé. La volonté du président, c'est, dès la première année de son quinquennat, de casser tous les piliers de notre modèle social. Face à cela, je crois que les communistes ne doivent fixer aucune frontière au rassemblement qu'il convient de construire. Dans les collectivités locales, des élus de toutes sensibilités peuvent converger pour demander d'arrêter le massacre des budgets publics. Face à ce qui se passe dans l'industrie, des femmes et des hommes de tous horizons peuvent dirent non au bradage d'un atout industriel aussi important qu'Alstom.
Mais, pour gagner, il convient aussi de faire grandir des objectifs alternatifs à ceux du gouvernement. Démonter qu'une autre politique est la condition pour lever des forces majoritaires. Il nous faut isoler au maximum le gouvernement. Car ce qui se joue c'est « projet de société libérale contre projet de société solidaire ».
HD. Mais cette vision des choses ne fait-elle pas débat notamment avec la France insoumise (FI) autour de leur stratégie basée sur le populisme et le dégagisme ? Et le résultat de la dernière séquence ne donne-t-elle pas raison à la FI ?
PIERRE LAURENT. Je suis certain que les électeurs de J.-L. Mélenchon et ceux de la FI et du PCF n'ont pas cherché à donner raison aux uns ou aux autres. Ceux qui ont utilisé ces bulletins ont dit de manière convergente qu'ils ne voulaient pas de cette société et qu'ils voulaient tourner le monde politique actuel vers un autre avenir. Les communistes ont été partie prenante de cette montée en puissance. Preuve en est, aux législatives comme aux sénatoriales, les électeurs ont dit qu'il fallait des groupes communistes. D'ailleurs ces électeurs nous demandent de converger pour travailler aux étapes suivantes.
La question qui se pose est autre : comment allons-nous construire les étapes suivantes, résoudre la question de l'alternative au pouvoir d'Emmanuel Macron ? Et là, nous avons effectivement un débat. La logique dégagiste, populiste a été poussée en avant lors de l'élection présidentielle par des candidats aux programmes totalement contradictoires comme Jean-Luc Mélenchon mais aussi Macron ou Le Pen. Donc, pour construire l'alternative, cette logique ne peut plus suffire. Maintenant, il s'agit de transformer la volonté de changer le système politique en un projet politique alternatif positif. Je crois que la convergence doit se construire sur du projet. Je crois également que nous devons cultiver le caractère démocratique de la vague qui monte dans le pays, c'est-à-dire donner le maximum de possibilité à l'initiative populaire de terrain, décentralisée. La réponse populiste ne peut tenir lieu de bonne réponse à ce besoin. Cette conception de la démarche politique à construire, nous la versons au débat non pas comme un objet de polémique, mais comme une contribution politique que nous considérons utile à la période.
HD. La FI semble chercher avant tout à être les meilleurs opposants...
PIERRE LAURENT. C'est une bonne chose de disputer la place d'opposant à la politique gouvernementale. Je vois bien au Sénat la manœuvre qui est celle de la droite et de Gérard Larcher qui osent se présenter comme le meilleur contre-pouvoir, alors même que la droite a voté comme un seul homme les ordonnances Macron. Des forces vont essayer de duper les gens. Il est donc très important de démontrer que l'opposition véritable se situe, non pas du côté d'une force politique, mais du côté de la gauche, du côté du camp qui prend partie pour le travail contre le capital. Nous devons porter d'une même main le drapeau de la résistance et du projet alternatif.
HD. Pourquoi un congrès « extraordinaire » du PCF ?
PIERRE LAURENT. J'ai parlé de la nécessité détenir un congrès extraordinaire parce que, dans une période aussi inédite que celle que nous vivons, la nécessité de la relance politique de notre projet communiste est très grande. Les responsabilités qui sont les nôtres sont énormes et il n'est pas si facile de les relever. Donc nous devons nous reposer toutes les questions fondamentales pour procéder à notre propre révolution politique pour nous placer à l'offensive. Nous avons décidé quelque chose d'inédit : commencer par une consultation directe de nos adhérents qui a pour objet de déterminer les thèmes et les méthodes de travail du congrès. Les communistes veulent un congrès différent, qui ne répète pas les mêmes débats, qui nous aide à approfondir des questions nouvelles, qui fait le bilan de notre action et ouvre la voie à des expérimentations nouvelles. Nous voulons inventer de nouveaux modes de débat collectif, construire des chantiers qui allient réflexions et actions concrètes.
Notre objectif est de parvenir au congrès non pas seulement avec des intentions de changements, mais avec des résultats concrets, palpables, sur la transformation de nos structures, sur les nouveaux réseaux d'actions que nous voulons mettre en place, sur un nouveau fonctionnement de notre direction, sur de nouveaux outils de communication, sur une nouvelle plate-forme numérique de mise en réseau des communistes... Nous allons nous atteler à tous ces chantiers avec l'objectif de construire une force communiste capable d'affronter les défis d'aujourd'hui. Nous n'allons pas refaire le congrès d'il y a dix ans pour savoir s'il faut un Parti communiste, cette question a été tranchée. Notre débat doit définir les transformations nécessaires pour que le Parti communiste joue pleinement son rôle.
HD. Cent ans après la révolution d'Octobre, n'est-on pas arrivé au bout d'un cycle ?
PIERRE LAURENT. Oui, nous sommes dans une époque politique nouvelle. À époque nouvelle, parti nouveau. Nous sortons de quarante ans d'union de la gauche et entrons dans une nouvelle période avec de nouveaux adversaires à affronter et de nouveaux partenaires à venir, donc notre rôle doit être réévalué. Mais je crois que cette volonté de réinvention ne nous conduit absolument pas au renoncement au projet communiste. Nous célébrons le 100e anniversaire de 1917, qui est une des racines du PCF, mais le PCF a des racines qui plongent encore plus loin dans l'histoire du pays : Révolution française, Commune de Paris, refus de la guerre 14-18... La crise du système capitaliste actuelle, d'une ampleur inédite, nous ramène aux anticipations de Marx sur le nécessaire dépassement du système capitaliste. Mais, pour être pleinement communiste, elle nous oblige à penser les conditions contemporaines de ce dépassement.
Notre congrès doit avoir sur cette question une ambition maximale. C'est une occasion qu'il ne faut pas rater. Notre société a besoin des idées communistes, la France a besoin du PCF, de ses idées et de son expérience, la gauche a besoin de la culture communiste. Nous avons la responsabilité de mettre ses idées à la hauteur des questions posées à la société française. Si nous n'y parvenons pas, ce n'est pas le PCF lui-même qui sera en difficulté, c'est la société française. Nous n'avons pas à avoir peur de notre ombre, soyons audacieux, car nous en sommes capables.
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