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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 19:52
Pendant près d’un an, l’artiste subira tortures, humiliations et menaces dans la plus totale promiscuité. Julien Jaulin/Hanslucas

Pendant près d’un an, l’artiste subira tortures, humiliations et menaces dans la plus totale promiscuité. Julien Jaulin/Hanslucas

Témoignage. Autoportrait d’un prisonnier d’Assad
STÉPHANE AUBOUARD
MERCREDI, 3 JANVIER, 2018
L'HUMANITÉ

Le peintre syrien Najah Albukaï, réfugié politique en France depuis dix-huit mois, tente de faire connaître une œuvre majeure et bouleversante sur son expérience carcérale.

"Je suis né deux mois avant le coup d'Etat de Hafez el Assad en 1970. Année après année le pire s'est invité, dans nos quartiers, dans nos maisons. Et quand le pire s'invite, le pire s'installe". 

Au milieu des piliers de béton de l'université Diderot transformé le temps d'un week-end en galerie, les mots du peintre et dessinateur syrien Najah Albukaï résonnent de tout leur poids. C'est la première fois, depuis son arrivée en France il y a 18 mois, que l'artiste expose à Paris, en catimini, une oeuvre aussi majeure que nécessaire, vestiges enfouis de sa propre expérience dans le milieu carcéral syrien. Autour de lui, dans un espace qui rappelle l'enceinte d'une prison, une quarantaine d'encres, de gouaches et d'aquarelles peintes sur de simples feuilles cartonnées recouvrant les murs. Extraite à coup de kalam (crayon utilisé en calligraphie) et de pinceau, la souffrance humaine s'étale devant nos yeux comme autant de clichés photographiques en noir et blanc pris de l'intérieur.

Là, sous le regard éteint des cadavres, une centaine d'hommes décharnés attendent pour aller aux toilettes. Ici, un mégot fumant aux lèvres, un militaire pose ses pieds sur le dos d'un homme nu et agenouillé ployant sous le poids des bottes. Plus loin, un grand tableau rectangulaire raconte la promiscuité des corps tête-bêche, par centaine enchevêtrés, rappelant La Porte de l'enfer de Rodin, mais reflétant simplement la nuit sans sommeil de prisonniers allongés sur le lit de ciment. Là encore, un homme attaché par les mains et les pieds est encastré dans une chaise. "On nommait cette torture la chaise allemande" , se souvient Najah en "hommage" au nazi Aloïs Brunner, responsable du camp de Drancy près de Paris et responsable de l'assassinat de quelque 130 000 juifs d'Europe. "Un jour, un prisonnier m'a appris que lorsque le parti Baas était arrivé au pouvoir en 1966 en Syrie, Brunner avait été embauché par le régime pour enseigner son savoir-faire en matière de maintien de l'ordre", évoque celui qui fut aussi professeur d'arts plastiques à Damas. La puissance du trait traverse aussi l'histoire de l'art. Formé aux Beaux-Arts de Damas puis à Paris, Najah Albukaï en est imbibé. Sur certaines gouaches qui évoquent les camps de concentration nazis, les visages aveugles rappellent l'univers de Munch. Des fusains aux corps suspendus font écho à des études de crucifixion du 16e siècle italien. Otto Dix et ses masques à gaz s'invitent également. Des saillies dignes de caricatures de périodique se mêlent aussi à ce musée de l'horreur humaine. Mais le tout n'imite jamais et s'impose dans une unité personnelle par la force même du peintre dont les souvenirs brûlants refont surface.

"J'ai été incarcéré une première fois en 2011 pendant le printemps arabe. J'avais soutenu une manifestation d'étudiants. Mais l'expérience de la prison, je l'avais vécue une première fois enfant. Mon père, qui était ouvrier dans une raffinerie de pétrole, était communiste mais discret sur ses engagements auprès de nous. Un jour, il ne revint pas à la maison pendant une semaine. Quand il fut de retour, il avait le visage souriant mais tuméfié et ses pieds étaient gonflés. Ce n'est que bien plus tard que je compris ce qui s'était passé". En mai 2011, Najah est relâché, mais en juillet 2012, le couperet tombe à nouveau. "Je revenais de l'université en bus. Il y avait un check-point. Un soldat a pris nos passeports, il avait une liste de noms inscrits sur une feuille, le mien en faisait partie". 

L'artiste, qui avait osé moqué l'Etat syrien via ses dessins sur internet passe cette fois-ci un mois dans les geôles du régime.  "J'étais accusé de troubles à l'ordre public et affaiblissement du sentiment national!" se souvient-il. Après que sa femme a pu trouver les 1000 dollars nécessaires pour que le juge le libère, il passe les deux années suivantes en quasi-clandestinité, mais continue, sous pseudonyme, de publier ses textes et dessins sur un compte Facebook.  

"En 2014, j'ai été dénoncé. J'ai voulu partir. Un passeur m'a demandé 4000 dollars pour sortir du pays. J'ai été arrêté". Commence alors une plongée de onze mois au cœur de la folie ordinaire...." 

Procès expédié et bâclé : « Un juge me posait des questions et il notait l'inverse de mes réponses. Vous filmez des manifs, Monsieur ? Vous philosophez beaucoup, Monsieur ? » Puis l'incarcération dans la prison principale d'Aadra de Damas. « Imaginez que tous ces lieux de torture- les centres 227, 48 ou 215 – dont la simple évocation fait trembler tout Syrien, sont situés à 100 mètres de la faculté de lettres, à 60 mètres du ministère de l'Education, à 500 mètres de l'opéra ! » Pendant près d'un an, Najah subira tortures, humiliations, et menaces dans la plus totale promiscuité. « Nous étions 3000 personnes dans des espaces ne pouvant en contenir que 300. A moitié nus pour ne pas s'échapper. Mal nourris, objets de toutes sortes de maladies. Nous nous occupions tous les matins de porter les cadavres et souvent nous nous demandions quand notre tour arriverait ». Seul l'amour indéfectible de sa famille et de son épouse en particulier a permis aujourd'hui à Jajah Albukaï de nous offrir ce témoignage essentiel à la mémoire des hommes. « Ma femme a dû réunir 20 000 dollars – 100 fois son salaire- pour réussir à convaincre juges et geôliers de me sortir de là. Et obtenir l'exil. ». En octobre 2015, le peintre et sa famille ont obtenu pour 10 ans le statut de réfugié politique en France. Aujourd'hui cet artiste au talent immense tente de faire connaître son œuvre. Ce serait l'honneur de la France de l'y aider.

Stéphane Aubouard

          

 

Témoignage. Autoportrait d'un prisonnier d'Assad (Stephane Aubouard, L'Humanité - mercredi 3 janvier 2017)
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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 19:48

Un petit moment d’insolence sur France Inter, cela arrive, avec une fulgurance pleine d’humour de Pierre Lemaitre, auteur d’Au revoir là haut ! à l’occasion des vœux 2018

C’est réjouissant !

 

https://www.youtube.com/watch?v=VyKh17VM-Zg

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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 19:38
Politique migratoire: le musée des horreurs français (Médiapart, Carine Fouteau, 3 janvier 2017)
Politique migratoire: le musée des horreurs français
 PAR 

La politique migratoire menée par Emmanuel Macron est-elle la « pire » qu’ait connue la France depuis la Seconde Guerre mondiale ? Un retour en arrière montre qu’elle ne surgit pas de nulle part, mais s’inscrit au contraire dans un durcissement continu qui s’est accéléré au début des années 2000 avec l’arrivée place Beauvau de Nicolas Sarkozy.

Même le conservateur Washington Post l’affirme : malgré l’image humaniste et progressiste dont il aime se parer, Emmanuel Macron mène une politique migratoire d’une dureté « sans précédent », digne du Front national, à l’encontre des migrants. En France, le concert de louanges ne tarit pas… à droite et à l’extrême droite.« La droite n’est jamais allée aussi loin », s’est réjoui Christian Estrosi (LR), le 3 janvier sur France Inter, dans le sillage de Marine Le Pen, qui, dès le 18 décembre, s’est félicitée d’une « victoire politique » de son camp.

Il y a encore quelques semaines, les associations de défense des droits des étrangers s’en tenaient à la critique de l’action du ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, espérant secrètement que le président de la République finirait par redresser la barre. Les mesures ne cessant de se durcir, c’est désormais directement au chef de l’État, qui avait pourtant fait l’éloge du sens de l’hospitalité d’Angela Merkel lors de la campagne présidentielle, qu’elles adressent leurs griefs, ayant conclu que, plutôt qu’une répartition des rôles, une seule et même politique est en train de prendre forme sous leurs yeux.

Emmanuel Macron continue de cultiver un double langage : lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il a déclaré qu’« accueillir les femmes et les hommes qui fuient leur pays parce qu’ils y sont menacés » est un « devoir moral, politique », avant d’ajouter que « nous ne pouvons accueillir tout le monde » et que les « contrôles » sont une nécessité. Plus aucun doute, pourtant, ne subsistait depuis son discours devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, le 31 octobre, lorsqu’il a promis une« petite révolution » consistant à « être intraitable avec celles et ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile » et à « accélérer nos procédures de manière drastique pour qu’en six mois, recours compris, nous puissions y voir clair, que la décision prise soit notifiée »afin de « pouvoir efficacement reconduire dans leur pays celles et ceux qui n’ont pas ces titres à l’issue de la procédure ».

En quelques mois, effectivement, la France a retrouvé des réflexes rappelant les heures de la droite la plus raide au pouvoir, lorsque Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant se sont succédé place Beauvau. Lacirculaire du 12 décembre a mis le feu aux poudres, en autorisant les contrôles d’identité dans les centres d’hébergement d’urgence, remettant ainsi en cause le principe de l’accueil inconditionnel. Le tout-répressif est à l’honneur, avec la priorité donnée à l’enfermement et à l’expulsion, non seulement des étrangers en situation irrégulière, mais aussi des demandeurs d’asile déboutés et des demandeurs d’asile relevant de la convention de Dublin. Le projet de loi en préparation, qui prévoit le doublement de la durée de l’enfermement dans les centres de rétention, ne prend pas le chemin d’un assouplissement.

 

Cette ligne dure se ressent depuis plusieurs mois sur le terrain : à Calais et à Paris, les migrants vivant à la rue sont maltraités par les forces de l’ordre qui jettent leurs affaires à la benne, lacèrent leurs tentes et les privent de leurs couvertures, alors que les températures glissent en dessous de zéro. Les consignes sont claires : les empêcher de reformer des campements de fortune, au risque de les laisser dans le dénuement le plus total. Dans les Alpes et du côté de Menton, des adultes et des mineurs sont reconduits, de nuit, à la frontière, sans qu’ils aient eu la possibilité de demander l’asile. Partout en France, les centres de rétention sont remplis de familles, malgré l’engagement pris lors de la précédente mandature de leur éviter ce calvaire.

Face à ce mur qui s’élève, les associations de défense des droits des étrangers réagissent vertement. Lors de la journée internationale des droits de l’homme, le 10 décembre, Médecins du monde a répondu sèchement à un tweet du président de la République qui se félicitait de faire des libertés fondamentales son « combat, chaque jour » : « Au-delà des postures‪@EmmanuelMacron, vous organisez le tri entre les sans-abri, vous harcelez les migrants à Calais et ailleurs, vous poursuivez les citoyens solidaires. Vous vous apprêtez à ouvrir des brèches dans le droit d’asile. Difficile de célébrer ce jour. » Le ministre de l’intérieur a été contraint de renoncer à introduire la notion de « pays tiers sûr » dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, mais cela n’a pas suffi à calmer les esprits.

« Nous avons d’abord cru à un partage des rôles entre Emmanuel Macron et Gérard Collomb. Nous avons désormais compris qu’il n’en est rien : ils partagent avec cynisme la même conception d’une politique hyper brutale envers les migrants », nous indiquait Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International, à l’occasion de la publication d’un article relatant la forte mobilisation des associations et des « citoyens solidaires » en vue de l’organisation d’états généraux des migrations.

En réaction à la circulaire du 12 décembre, Patrick Weil, spécialiste des questions d’asile et d’immigration, a poussé la critique à son plus haut niveau, en affirmant sur Europe 1 qu’« aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». « On a un principe, qui nous vient peut-être de nos traditions chrétiennes : un enfant, on ne lui demande pas ses papiers quand on l’accueille à l’école, un malade, on ne lui demande pas ses papiers quand il a besoin d’être soigné à l’entrée de l'hôpital, et quelqu’un qui n’a pas de quoi se loger, on ne lui demande pas ses papiers à l’entrée d’un centre d’hébergement d’urgence. Monsieur Macron et monsieur Collomb ont violé ce principe », a insisté le chercheur.

Qualifier cette politique de « sans précédent » est toutefois discutable. Est-elle « pire »ou dans la continuité de celles mises en œuvre par ses prédécesseurs ?

« Nous ne pouvons pas dire que la politique migratoire menée actuellement par le gouvernement français est pire que celles menées par les gouvernements précédents. Ce qui ne veut pas dire bien évidemment qu’elle soit plus hospitalière », estime Olivier Clochard, membre du réseau européen et africain Migreurop, et chercheur-géographe à Migrinter (CNRS). « Employer le terme de “pire”, ajoute-t-il, renvoie nécessairement à comparer des politiques sur une période donnée. L’analyse ne doit pas se limiter à une vision à un court terme, souvent liée à un positionnement politique ; elle doit élargir le regard aux trente dernières années, période durant laquelle on a assisté à une succession de mesures et de dispositifs répressifs soulignant une continuité des politiques migratoires mises en place. Concernant l’accueil des migrants, les mesures mises en place actuellement sont toutes aussi nuisibles que celles établies par Brice Hortefeux ou Éric Besson avec le ministère de l’immigration et de l’identité nationale, ou avec Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur en 2002. »

Sans doute n’est-il pas inutile de remonter dans le temps et de rappeler quelques-unes des mesures les plus régressives prises au cours des dernières années pour comprendre à quel point la “ligne” Macron-Collomb s’inscrit dans un processus de longue durée de fermeture des frontières débuté dès le milieu des années 1970, après le choc pétrolier. Sauf à écrire une thèse, impossible de revenir sur l’ensemble de cet édifice législatif.

Quelques jalons toutefois : la décennie Sarkozy, depuis son entrée place Beauvau en 2002 jusqu’à la fin de son mandat comme président en 2012, a été particulièrement noire pour les migrants. Comme ministre de l’intérieur, l’ex-chef de l’État n’a eu de cesse de bannir l’immigration familiale, réduisant fortement les possibilités d’accès au sol français des familles d’étrangers ou de Français, quitte à remettre en cause le principe constitutionnel du « droit à mener une vie familiale normale ». Pas assumée comme telle, la portée de cette politique s’est avérée raciste puisque c’est en réalité l’immigration maghrébine et africaine, jugée trop nombreuse, qui était visée.

« Les gouvernements successifs – de droite comme de gauche – ont employé des méthodes similaires »

Instaurée à partir de 2003, la politique du chiffre concernant l’expulsion des sans-papiers a été menée telle une guerre. Elle a abouti à une suractivité des services de police qui se sont mis à “chasser” les sans-papiers, dans les centres d’hébergement d’urgence, déjà, mais aussi aux guichets des préfectures et jusque dans les écoles ! Les reconduites à la frontière se sont multipliées, déchirant des familles, et poussant des enfants à se cacher pour empêcher le retour forcé de leurs parents.

À deux reprises, dans ses lois de 2003 et 2006, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à toucher au Code civil, pour rendre plus difficile l’accès à la nationalité française, au nom de la lutte contre les mariages blancs.

En 2007, après avoir fait campagne sur son slogan « La France, on l’aime ou la quitte », le candidat de l’UMP a remporté l’élection présidentielle et créé, dans la foulée, un ministère de l’immigration et de l’identité nationale aux relents vichyssois. Cette décision a eu un effet dévastateur sur l’opinion publique, en légitimant une méfiance généralisée à l’égard des étrangers. À cette occasion, huit universitaires, parmi lesquels Nancy Green, Gérard Noiriel, Patrick Simon et Patrick Weil, avaient démissionné des instances de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour signifier leur profond désaccord. « Les mots, écrivaient-ils alors, sont pour le politique des symboles et des armes. Or il n’est pas dans le rôle d’un État démocratique de définir l’identité. Associer “immigration” et “identité nationale” dans un ministère n’a jamais eu de précédent dans notre République : c’est, par un acte fondateur de cette présidence, inscrire l’immigration comme “problème” pour la France et les Français dans leur être même. Ce rapprochement s’inscrit dans la trame d’un discours stigmatisant l’immigration et dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers, dans les moments de crise. »

C’est au cours de cette période, sous la houlette de Patrick Stefanini, alors secrétaire général du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, que le ministère des affaires sociales et le quai d’Orsay ont été exclus de la tutelle de la politique migratoire, celle-ci ne relevant plus dès lors que du ministère de l’intérieur, chargé originellement d’assurer l’ordre public et la gestion des frontières. Le pouvoir discrétionnaire de l’État s’en est retrouvé renforcé, ce qui a provoqué une multiplication des décisions arbitraires.

Certes, Nicolas Sarkozy n’est pas parvenu à faire entrer dans la législation les tests ADN ni les quotas, mais il a réussi à imposer dans l’espace public une distinction entre “bons” et “mauvais” migrants, qui persiste encore aujourd’hui, même si les rôles ont changé.

Transfuge du PS, Éric Besson s’est évertué, en tant que ministre de l’immigration et de l’identité nationale, à rendre « étanche » le Calaisis aux exilés. Après avoir détruit, déjà, la « jungle » en septembre 2009, il a fait renvoyer plusieurs Afghans, ce qui lui a valu des critiques jusque dans sa majorité, les députés Étienne Pinte (UMP) et Françoise Hostalier (UMP) dénonçant l’« illégalité » de « méthodes fascisantes » et de « pratiques coloniales ». « La situation des exilés dans le Calaisis est un exemple notoire, indique Olivier Clochard. Les gouvernements successifs – de droite comme de gauche – ont employé des méthodes similaires : destruction du camp de Sangatte en 2002 et d’une grande partie de la jungle en 2009, fermeture des squats et campements éparpillés dans la ville de Calais durant l’hiver 2015, évacuation à l’automne 2016 du bidonville de Calais que les autorités avaient accepté, quelques mois auparavant, de créer, en poussant les migrants à se regrouper autour de l’espace Jules-Ferry. »

Au bout du compte, à force de mesures répressives, Nicolas Sarkozy a construit le socle d’une politique hostile aux étrangers suffisamment solide pour résister… au manque de volonté de son successeur socialiste. Malgré la rupture annoncée par François Hollande, c’est en effet sur les mêmes bases que s’est poursuivie la politique migratoire lors de son mandat, à partir de 2012. Débuté en 2010, le débat sur la déchéance de la nationalité a trouvé sa traduction cinq ans plus tard avec un projet de loi porté par Manuel Valls, auquel il a dû toutefois renoncer sous la pression des opposants à cette mesure.

La politique anti-Roms n’a pas non plus connu d’interruption, au contraire. Lancée symboliquement en septembre 2010 par une circulaire, signée par Brice Hortefeux, ciblant expressément cette population, elle a été reprise tambour battant par le mêmeManuel Valls, qui a élevé à son plus haut niveau le rythme des expulsions.

Face, enfin, à l’exode de réfugiés syriens fuyant la guerre, la France n’a pas su se montrer à la hauteur de cet enjeu international. Laissant l’Allemagne en première ligne, elle n’a fait qu’entrouvrir la porte, et en a profité pour justifier de supposées indispensables contreparties : c’est comme cela qu’est née la distinction, désormais hégémonique dans le débat public, entre « réfugiés » qu’il faudrait accueillir sous peine de perdre « notre honneur » et « migrants économiques » devenus indésirables.

Les fondations sur lesquelles s’appuie Emmanuel Macron sont donc profondément ancrées. La surprise aurait été que le chef de l'État fasse le pari de s’en dégager.

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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 07:12

 

En ces temps si incertains, si troublés, nos souhaits de bonheur, de santé et de paix pour l'année nouvelle ne peuvent qu'être accompagnés de vœux combatifs et fraternels. En effet, si le bonheur reste une idée neuve, elle s'évanouit vite lorsqu'elle est éprouvée au cœur d'un océan de malheurs et qu'une infime minorité conditionne la vie des autres.

Nier le fort mouvement de reflux des idées et combats progressistes n'aurait aucun sens. Mais refuser de voir que germent des luttes nouvelles porteuses d'émancipation non plus. Un mouvement mondial des femmes, inédit, se lève. L'aspiration à la justice sociale et écologique contre les paradis fiscaux et l'enfer d'une planète qui se consume grandit. La solidarité, et l'hospitalité, avec les migrants, malgré des gouvernements sans cœur, est là. Le refus des guerres et des tensions alors qu'un peu partout retentissent les bruits des canons se fait entendre. Des expériences nouvelles pour des projets sociaux, coopératifs, écologiques, numériques alternatifs, portés par des salariés, ouvriers, cadres, ingénieurs, chercheurs comme par des paysans, des jeunes nourris d'audace et d'inventivité, se multiplient. Oui, l'aspiration à « autre chose », à inventer la société et le monde de demain, est bien réelle mais pas encore assez puissante. Qui peut, en effet, accepter ou justifier que les plus riches de la planète viennent d'engranger mille milliards de dollars supplémentaires quand galopent les inégalités, que se répand la pauvreté et que le chômage est une plaie béante sur le front du capitalisme financier ? Une large unité de l'immense majorité de celles et ceux qui subissent ce système peut être possible. Elle est d'autant plus indispensable que, dans les semaines à venir, les travailleurs, les privés d'emploi, les retraités, les collectivités locales vont commencer à subir les effets des premières décisions désastreuses du pouvoir macronien. C'est maintenant qu'il nous faut être à leurs côtés pour réagir dans l'unité et mettre d'autres choix en débat.

Le cynique jeu du président de la République, cherchant l'unité nationale derrière les puissances d'argent, peut être mis en échec. Il compte sur une vie politique anémiée, un débat public sclérosé, une gauche divisée, des syndicats affaiblis pour avoir les coudées franches afin de s'attaquer au salaire minimum, ouvrir la chasse aux chômeurs, brader à nouveau les actifs publics, laisser pourrir la situation à l'hôpital ou dans les transports publics pour les offrir au privé, présenter une loi scélérate sur l'immigration, renforcer l'Europe de l'argent et provoquer une révision constitutionnelle qui vise à réduire le périmètre d'une démocratie déjà bien malade. Nous pouvons compter sur notre nombre, notre aspiration démocratique et notre soif de justice.

Malgré ses difficultés et ses moyens trop insuffisants, l'Humanité veut non seulement vous accompagner dans l'année qui vient et vous être utile, mais se portera au-devant des débats et des combats à venir. Elle veut être plus et mieux le journal du rassemblement de toutes celles et ceux qui ont pour ambition d'imposer des reculs et de changer le système. Source originale d'informations, d'analyses et force de propositions, l'Humanité s'efforcera de décupler le retentissement des combats pour l'émancipation sociale, écologique, démocratique, politique, culturelle.

Formons pour cette année nouvelle des vœux qui nous obligent toutes et tous : celui de l'unité populaire, dans la riposte sociale et politique, pour que reculent pauvreté et inégalités, et celui d'entendre le silence des armes pour écouter, enfin, le si beau chant du monde. Bonne année !

 

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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 07:06

Emmanuel Macron veut une réforme de l’audiovisuel public. Ce projet pourrait créer une holding rassemblant toutes les entreprises, ce qui renforcerait la mainmise du pouvoir. Le chef de l’État se méfie des journalistes et va jusqu’à s’afficher avec Cyril Hanouna, sanctionné pour homophobie et sexisme.

 

Depuis plusieurs jours, c’est la question dont se délectent tous les journalistes médias : recevant le lundi 4 décembre les députés de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron leur a-t-il bel et bien confié qu’à ses yeux l’audiovisuel public était « la honte de la République », comme l’ont rapporté peu après L’Express ou encore Télérama ? Ou bien faut-il donner quelque crédit au démenti de l’Élysée, assurant qu’on a prêté au chef de l’État des propos qu’il n’avait pas tenus ? Avouons-le : comme nous n’avons pas assisté à l’échange, nous n’avons pas de certitude quant à l’exactitude du verbatim placé dans la bouche du président de la République. Et, au demeurant, l’interrogation paraît parfaitement secondaire.

Car quand bien même Emmanuel Macron aurait prononcé ces mots qui ont indigné beaucoup de journalistes de France Télévisions ou de Radio France (voir ici la réaction du SNJ de Radio France), le compliment pourrait lui être retourné. Si « honte » il y a, elle peut être imputée à de nombreux acteurs. Au PDG de Radio France, Mathieu Gallet, comme à la dirigeante de France Télévisions, Delphine Ernotte ; au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Olivier Schrameck, et aux membres de cette instance, qui ont installé ces deux PDG dans leur fonction et qui sont à l’origine de ce désastre de l’audiovisuel public ; à la haute fonction publique de Bercy, qui ne s’est jamais intéressée au dossier de l’audiovisuel public autrement que pour lui faire rendre gorge, et l’étrangler financièrement ; mais tout autant au chef de l’État, qui a apporté de nombreuses preuves – pas plus tard encore que dimanche 17 décembre, lors de son entretien tout en connivence sur France 2 avec Laurent Delahousse –, qu’il entendait maintenir l’insupportable lien de subordination que le pouvoir présidentialiste a toujours fait peser depuis les débuts de la Ve République sur l’audiovisuel public, au mépris des droits des citoyens à disposer d’une information libre et honnête, cette relation de servitude qui déshonore le journalisme et anémie notre démocratie

Une « honte » ! Assumons donc le mot à sa place, puisque de toute évidence Emmanuel Macron ne le revendique pas et surtout puisqu’il est bien mal placé pour mener cette charge, sauf à dresser un réquisitoire contre lui-même. Et cherchons à comprendre pourquoi l’audiovisuel public traverse une crise aussi grave.

Cet audit est d’autant plus impérieux qu’Emmanuel Macron au moins n’a pas caché qu’il préparait une grande réforme de l’audiovisuel public. Lors de ce même entretien sur France 2, le 17 décembre, il a en effet évoqué un possible « big-bang » pour le début de 2018 : il a annoncé le lancement imminent d’un grand travail de réflexion autour de l’audiovisuel public « structuré dans son architecture sur le monde d’avant ». C’est, « pour l’État, de très loin le premier budget de la culture » ; « il y a de l’argent mais est-ce qu’on le met au bon endroit et, surtout, est-ce l’organisation collective la plus pertinente ? », a-t-il déclaré.

En réalité, l’audiovisuel public soulève une cascade de questions : pourquoi se porte-t-il si mal ? Que prépare secrètement la puissance publique ? Et quels devraient être les ressorts d’une refondation démocratique de l’audiovisuel public ?

 

1. Le bilan calamiteux de Delphine Ernotte

Il y a d’abord un constat : comme Mediapart l’avait révélé en mai 2015 (lire France Télévisions : la désignation de la PDG entachée d’irrégularités) la désignation par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de Delphine Ernotte au poste de présidente de France Télévisions (FTV) a été en son temps entachée de nombreuses et graves irrégularités. Une instruction judiciaire est d’ailleurs toujours en cours à ce sujet. Et la nouvelle promue, loin de s’appliquer à faire oublier ce sulfureux épisode, a depuis multiplié les faux pas. Tant et si bien que du début de son mandat jusqu’à aujourd’hui, elle a constamment alimenté un procès en illégitimité.

Que l’on se souvienne de ce que nous avions à l’époque révélé. Lors de la procédure de nomination organisée par le CSA, nous avions mis au jour d’invraisemblables intrigues organisées dans les coulisses du pouvoir pour biaiser la décision de l’autorité supposée indépendante et pour avantager Delphine Ernotte. Issue du groupe Orange, cette dernière a ainsi bénéficié de l’appui confidentiel de David Kessler, qui lui aussi avait le même groupe Orange comme port d’attache, mais qui peu avant officiait à l’Élysée comme conseiller de François Hollande pour les médias et la communication. En clair, après avoir conseillé le chef de l’État pour choisir Olivier Schrameck comme nouveau président du CSA, David Kessler s’est mis au service de Delphine Ernotte, pour que le CSA la désigne comme présidente de France Télévisions. Le système de la barbichette…

L’Élysée a tiré en cachette les ficelles d’une nomination qui pourtant était supposée impartiale, et ne devait dépendre que du seul CSA, sans intervention ou pression extérieure. Si à l’époque, Delphine Ernotte a ainsi pris le dénommé Denis Pingaud, pour piloter la communication de sa candidature, c’est que ce dernier avait un lien direct avec l’Élysée, par l’intermédiaire du nouveau conseiller en communication de François Hollande, Gaspard Gantzer. Par la suite, les deux amis n’ont même pas pris la peine de cacher qu’ils faisaient équipe : sans la moindre gêne, ils ont depuis créé ensemble une agence de communication baptisée « 2017 ».

Au même moment, Delphine Ernotte a aussi bénéficié des conseils secrets d’un autre cadre dirigeant d’Orange, Xavier Couture. Pis que cela ! Comme nous l’avions également révélé, ce dernier s’était initialement mis au service d’un autre candidat, Didier Quillot, mais avait en cours de compétition changé de patron et s’était rallié à Delphine Ernotte, lui faisant vraisemblablement profiter de sa connaissance du programme élaboré par Didier Quillot. Tant et si bien que l’on a pu découvrir de fortes ressemblances entre les programmes des deux candidats.

Et pour finir, c’est le vote du CSA lui-même qui est apparu l’objet de pressions. Bref, Delphine Ernotte l’a emporté au terme d’une procédure viciée, indigne d’une grande démocratie. Emmanuel Macron n’ignore sans doute rien de toutes ces opaques péripéties, puisqu’il a longtemps officié aux côtés de Gaspard Gantzer, qui a été l’un de ses camarades de promotion à l’Élysée, et auquel son parti LREM a voulu donner une investiture aux dernières législatives, ce que Gaspard Gantzer a accepté, avant de jeter l’éponge.

Les ménages de Michel Field

Or, par la suite, Delphine Ernotte n’a effectivement rien fait pour faire oublier cette tache originelle. Elle a, au contraire, multiplié les faux pas. Elle s’y est pris de telle manière qu’elle est même paradoxalement parvenue à faire oublier – ou du moins à reléguer au second plan – le bilan tout aussi désastreux de son homologue de Radio France, Mathieu Gallet qui, par sa politique d’austérité, son arrogance ou sa folie des grandeurs, est parvenu à la même époque à dresser toute la Maison ronde contre lui, dans une longue grève qui a marqué les esprits.

D’abord, Delphine Ernotte a pris comme bras droit à France Télévisions le même Xavier Couture, dont les états de service, dans le passé, comme PDG de Canal+ étaient pourtant peu glorieux, et qui venait tout juste de trahir le candidat avec lequel il faisait équipe, Didier Quillot. En somme, les deux personnalités qui, en 2015, ont pris le pouvoir à France Télévisions avaient l’une comme l’autre le signe distinctif d’avoir été portées à leur fonction par le fait de sombres intrigues et non par la reconnaissance de leur qualité ou expérience professionnelle.

Puis, c’est un autre choix qui a ébranlé France Télévisions, celui de Michel Field, d’abord comme directeur de France 5, puis très vite, comme directeur de l’information pour l’ensemble des rédactions du groupe. Sans doute Delphine Ernotte ne pouvait-elle pas mieux manifester le peu de respect qu’elle avait pour l’information indépendante et de qualité. Car, dans le passé, l’intéressé s’était déjà distingué dans des conditions qui auraient dû le disqualifier pour une telle fonction. De 2005 à 2007, il a par exemple présenté l’émission « Politiquement Show » sur LCI, avec Patrick Buisson, l’ancien dirigeant du journal d’extrême droite Minute, qui devient à cette même époque le conseiller de l’ombre de Nicolas Sarkozy – émission qu’a aussi animée dans le passé David Pujadas, avec le même chroniqueur d’extrême droite.

Dans le passé, on l’a aussi vu animer des meetings de l’UMP (l’ancêtre du parti Les Républicains), ou même des spots publicitaires, par exemple au profit du géant de la grande distribution Casino, ce que prohibent formellement toutes les chartes déontologiques des journalistes (voir par exemple l’article 9 de la charte la plus connue, celle de Munich).

Comment un tel personnage a-t-il pu être installé comme patron de l’information sur l’ensemble des chaînes du groupe France Télévisions ? Ce simple choix de Delphine Ernotte a lancé le coup d’envoi de la chronique d’un désastre annoncé. Il est aussitôt devenu clair qu’à l’heure où une dizaine de milliardaires ont pris possession de la quasi-totalité de la presse française, dans des logiques de connivence ou d’influence, l’audiovisuel français, et au moins l’un de ses deux principaux piliers, France Télévisions, serait moins que jamais un lieu sanctuarisé où les journalistes pourraient travailler librement, et où les citoyens pourraient trouver une information honnête et de qualité.

La suite des événements l’a naturellement démontré : avec Michel Field à leur tête, les rédactions de France Télévisions sont allées de crise en crise, malmenées par une direction dont les logiques n’avaient pas grand-chose à voir avec le droit de savoir des citoyens.

Contesté par les journalistes de la maison, et par les syndicats, sur fond d’un mouvement de grève suscité par la fusion des rédactions de France 2 et France 3, Michel Field affiche ainsi le mépris qu’il a pour ceux qu’il dirige : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre », assène-t-il avec vulgarité, en avril 2016.

Nouvelle polémique à peine quelques semaines plus tard : dans l’insupportable logique présidentialiste, qui fait du chef de l’État le véritable patron de France Télévisions, sinon même le rédacteur en chef des émissions les plus importantes, France 2 est sommé d’organiser une émission spéciale « Dialogues citoyens », construite tout exprès pour redorer le blason d’un président de la République de plus en plus discrédité. Et cette émission de complaisance au profit de François Hollande, c’est encore une fois Michel Field qui en est la principale cheville ouvrière. Résultat de ces faux pas : une première motion de défiance est ratifiée par 65 % des votants contre Michel Field, que Delphine Ernotte décide pourtant de maintenir à son poste.

À l’époque, tout continue donc de travers. Avec, en bout de course, une nouvelle crise ouverte, qui éclate en septembre 2016, quand Michel Field décide de déprogrammer une enquête sur l’affaire Bygmalion que la journaliste Élise Lucet doit présenter dans le cadre de l’émission « Envoyé spécial » sur France 2. Motif invoqué par le directeur de l’info de France Télé : en pleine campagne des primaires des Républicains, l’audiovisuel public ne peut pas se permettre de faire des révélations embarrassantes sur l’un des candidats, en l’occurrence Nicolas Sarkozy. L’affaire tourne à l’esclandre public, car la journaliste fait, elle, valoir que le droit à l’information des téléspectateurs ne saurait être dépendant des agendas ou des intérêts de dirigeants politiques, quels qu’ils soient.

En cet automne 2016, France Télévisions apparaît alors en pleine lumière : on peut y discerner que l’information est constamment sous tutelle, mais que quelques journalistes de la grande maison constituent des poches de résistance. Et pour une fois, ce sont les logiques de l’information indépendante qui l’emportent : l’enquête sur Bygmalion est normalement diffusée le 29 septembre 2016.

L’histoire est donc écrite : discrédité à l’extérieur, désavoué en interne, Michel Field démissionne finalement en mai 2017, alors qu’une nouvelle motion de défiance contre lui est en préparation. Mais la suite de l’histoire n’en reste pas moins accablante. Car au lieu de tirer enfin les enseignements de toutes ces turbulences dont elle est la première responsable, Delphine Ernotte continue par la suite à vouloir remettre au pas les journalistes de France Télévisions. Et puisque la manière confuse et complaisante de Michel Field n’est plus possible, elle opte à l’automne 2017 pour la voie austéritaire.

Dans le cadre du plan d’économie de 50 millions d’euros que le gouvernement lui a demandé de mettre au point pour 2018, elle fait en effet vite comprendre que les deux émissions phares de France 2, « Envoyé spécial » et « Complément d’enquête », paieront un lourd tribut. Avec à la clef combien de suppressions de postes ? La présidente de FTV se garde de le préciser, mais la rédaction comprend que si tous les CDD de ces deux émissions devaient être supprimés, il ne resterait plus que cinq journalistes en CDI à la première émission et seulement deux à la seconde. Autant dire que les deux émissions sont condamnées.

Les règles mortifères d’une monarchie (assez peu) républicaine

Du coup, c’est à nouveau la colère qui monte dans la rédaction. Et les membres des deux émissions menacées le font savoir à Delphine Ernotte, dans une lettre ouverte qu’ils lui adressent un peu avant la fin du mois de novembre 2017 : « Une rédaction des magazines de service public, c’est la possibilité de pouvoir enquêter sur Bygmalion sans être censuré, d’envoyer une équipe en Érythrée sans être accusé de sous-traiter le risque, de dévoiler les dessous de la communication d’Emmanuel Macron sans payer les mécontentements du Château […], d’être la seule rédaction suffisamment indépendante pour pouvoir enquêter sur Vincent Bolloré et de remporter ainsi le prestigieux prix Albert-Londres. »

L’épilogue de l’histoire est toujours le même : une nouvelle motion de défiance est encore votée, mais cette fois elle vise directement Delphine Ernotte. Les journalistes des rédactions nationales approuvent le 12 décembre 2017 à une majorité écrasante, soit 84 % des votants, une motion de défiance à l’encontre de la présidente, à l’initiative des Sociétés des journalistes (SDJ) du groupe public.

 

2. Le mépris pour l’information libre

Le constat qui saute aux yeux est que l’information est le cadet des soucis des responsables publics – la bonne information est visiblement celle qui est sous tutelle – et que les questions de gestion et d’économies budgétaires sont les seules qui comptent.

De ce mépris pour l’information, on trouve des indices permanents, du quinquennat de François Hollande jusqu’à celui d’Emmanuel Macron. En somme, avec l’un comme avec l’autre, les règles mortifères de la monarchie (assez peu) républicaine, selon lesquelles l’audiovisuel public doit être sous la coupe de l’Élysée, perdurent.

On en a vu, plus haut, une première indication : l’un comme l’autre ont fait en sorte que des émissions sur mesure leur soient consacrées : il y a donc eu (entre autres…) le 14 avril 2016 cette émission « Dialogues citoyens », toute en connivence, organisée par France 2, pour François Hollande ; et, sur le même modèle flagorneur, il y a eu le 17 décembre dernier cet entretien, également sur France 2, avec Emmanuel Macron, conduit par Laurent Delahousse, sur un registre que mon collègue de Mediapart, Hubert Huertas a résumé dans cet article : Macron, interview debout, journalisme couché.

Pour la petite histoire – mais c’est évidemment hautement révélateur et tout à fait inquiétant –, la prestation télévisuelle d’Emmanuel Macron a été saluée par une ribambelle de députés de la majorité présidentielle. Comme l’ont relevé par un tweet plusieurs journalistes, dont ma consœur de Mediapart Ellen Salvi, il s’est même trouvé deux députés LREM, Céline Calvez et Pascal Bois, pour applaudir exactement de la même façon, au mot près, l’émission de leur champion :

ellen

Si c’est à ce type d’information passée à la moulinette du pouvoir que doit conduire pour le service public la grande réflexion annoncée par le chef de l’État, il y a, de fait, de quoi s’inquiéter. D’autant que, pour ce qui le concerne, Emmanuel Macron ne manque jamais une occasion pour dire tout le mal qu’il pense des journalistes, dès que ceux-ci le forcent à s’écarter des logiques de communication qu’il a lui-même tracées.

En revanche, il a aussi affiché sans la moindre gêne son soutien à ce que l’univers télévisuel a produit de pire : l’émission populiste « Touche pas à mon poste » animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8. Le 21 décembre, on a ainsi pu assister à une scène proprement surréaliste sur la chaîne du milliardaire Vincent Bolloré. L’animateur a appelé en direct au téléphone Emmanuel Macron pendant son émission, pour lui souhaiter bon anniversaire. Et le chef de l’État, qui avait déjà manifesté sa sympathie envers l’animateur pendant la campagne présidentielle, s’est prêté au jeu.

L’animateur Cyril Hanouna est celui qui a été le plus souvent sanctionné pour des manquements graves par le CSA. À lui tout seul, il a focalisé la moitié des plaintes reçues en 2017 par le gendarme de l’audiovisuel. Le 26 juillet 2017, le CSA a même infligé à la chaîne C8 une amende record de 3 millions d’euros, à la suite d’une émission diffusée le 18 mai, au cours de laquelle l’animateur s’était livré à un canular homophobe. Peu avant, en juin, le même CSA avait infligé une interdiction de publicité pendant trois semaines à l’émission de Cyril Hanouna, pour avoir diffusé à la fin de 2016 deux séquences, l’une portant atteinte au respect de la personne humaine, l’autre contrevenant aux règles prohibant le sexisme.

Résumons. Le 4 décembre, devant des députés, Emmanuel Macron stigmatise l’audiovisuel public, qu’il présente comme « la honte de la République ». Selon L’Express, il fustige « la mauvaise gestion, le gaspillage, la médiocrité des programmes et des contenus, les relations malsaines entre l’audiovisuel et ses partenaires extérieurs (animateurs, producteurs, etc.) » Et à peine quelques jours plus tard, le 21 décembre, le même Emmanuel Macron s’affiche avec cet animateur sanctionné pour homophobie et sexisme.

Autre exemple : le chef de l’État a accordé un entretien stupéfiant de connivence au pure player Konbini.fr, lors de son déplacement le 23 décembre, lors de la soirée de Noël organisée à Niamey avec les soldats français engagés au Niger. Les images se passent de commentaires ! Elles ont été aussi retweetées par le compte Twitter du parti présidentiel La République en marche, qui y a sans doute vu la forme de journalisme obséquieux qu’il appelait de ses vœux à l’avenir. Précision : la vidéo ci-dessous peut être visionnée sur tous les navigateurs, sauf sur Firefox.

EXCLUSIF : "Toujours regarder devant"

Quand le President, @EmmanuelMacron répond aux questions de @KonbiniFr lors de la soirée de Noël avec les soldats français engagés au Niger.

(cc @Elysee) pic.twitter.com/6E9Xm77Qtu

— Konbini France (@KonbiniFr) 24 décembre 2017

L’ancien journaliste de Challenges, Bruno Roger-Petit, qui s’est illustré dans le passé par ses articles en faveur de François Hollande d’abord, puis d’Emmanuel Macron, et que ce dernier a appelé à ses côtés à l’Élysée, s’est lui aussi empressé de retweeté l’entretien.

Précision utile, qui révèle un total mélange des genres : Ariane Vincent, l'auteure de l'interview d'Emmanuel Macron au Niger, est à la fois journaliste, directrice de la communication de Konbini... et ancienne responsable de la communication du PS et de François Hollande. On n'est jamais mieux servi que par de bons communicants, n'est-ce pas?

C’est dire si la télévision de demain dont rêve le chef de l’État peut légitimement susciter de l’inquiétude. Sinon même de l’effroi…

 

3. L’austérité pour seul horizon

Si elle ne se soucie guère du droit à l’information des citoyens, la puissance publique, d’un quinquennat à l’autre, semble en revanche avoir une obsession : imposer à l’audiovisuel public une cure radicale d’austérité. Dans un tract récent (on peut le télécharger ici (pdf, 1 B)), le syndicat CGT de France Télévisions, résume la colère qui chemine parmi les différentes catégories de personnel : « On se souvient de ce qui a mis le feu aux poudres : des annonces d’économies avec la suppression de 66 ETP [équivalents temps pleins] dans les rédactions nationales (dont 10 dans les magazines), des rumeurs sur la suppression du « Soir 3 » week-end et sur la réduction du nombre de magazines mensuels. Après une première mobilisation, la fréquence des magazines a été maintenue et la suppression des ETP a été divisée par deux dans les rédactions nationales et ramenée à trois dans les magazines. Les économies sont toujours là… mais elles se feront ailleurs ou sont reportées. »

Les colères des personnels contre les projets de fusion

Et le syndicat ajoute : « Quoi qu’on pense de la motion de défiance [contre Delphine Ernotte], elle met en lumière une crise de France Télévisions qui remonte à loin. Le premier choc historique est la décision de Nicolas Sarkozy de supprimer la pub en 2008 sans compensation dynamique et pérenne. L’entreprise ne s’est jamais remise de cette fragilisation de son modèle économique. Cette politique de déstabilisation s’est poursuivie avec le gouvernement Hollande. En 2012, Rémy Pflimlin annonce un plan drastique de 200 millions d’euros d’économies et 650 suppressions d’emplois. En fin de quinquennat Hollande, Delphine Ernotte, nouvellement nommée, s’engage dans son contrat d’objectifs et de moyens signé avec l’État à supprimer 500 emplois supplémentaires d’ici 2020 (dont 171 l’an prochain). C’est ce que nous subissons tous. Et comme si ça ne suffisait pas, Emmanuel Macron taille encore dans le budget. Une diminution brutale de 80 millions d’euros pour tout l’audiovisuel public, dont 50 millions d’euros rien que pour France Télévisions. »

À la crise de l’information vient donc se cumuler une crise budgétaire, organisée par le pouvoir, avec à la clef des suppressions de postes, des regroupements et fusions de rédactions. Et ce qui est vrai à France Télévisions l’est tout autant à Radio France. Témoin, le dernier communiqué commun du SNJ et du SNJ-CGT qui ont réagi avec colère, le 23 décembre, à l’arrivée d’une transfuge de TF1, Catherine Nayl, à la tête de l’information de France Inter :

« Le choix de celle qui était directrice de la rédaction de TF1 jusqu’en octobre dernier est finalement assez logique puisque la direction de Radio France ne croit plus qu’aux recrutements externes, malgré les succès d’audience que connaît la rédaction de France Inter, grâce notamment à ses journalistes et aux responsables issus de ses rangs […]. Mais on imagine que le choix d’une personnalité extérieure est surtout lié aux projets de Laurent Guimier et de Mathieu Gallet de fusionner les rédactions. Une décision qui videra très vite le poste de directeur de la rédaction de tout son sens et qui pourrait surprendre Catherine Nayl, si on ne lui a pas expliqué… Car, et c’est là l'information la plus importante, une nouvelle étape vers la fin des rédactions a également été annoncée vendredi soir. Conformément au projet stratégique 2018 de Radio France, présenté mercredi en CCE et vendredi en CA, qui prévoit “la mise en place de nouveaux services communs à toutes les chaînes, Laurent Guimier a annoncé que Jean-Marc Four allait prendre la tête de ce qui sera “la Direction de l’information internationale de Radio France” et qui a vocation à remplacer les services étrangers de France Inter, France Culture et France Info. »


Et les deux syndicats de journalistes ajoutent : « Des fusions en interne qui précèdent celles que la Tutelle veut nous imposer. Le nouveau poste de Jean-Marc Four est d’ailleurs taillé en ce sens puisque – selon le texto qui annonce sa nomination – il “participera aux travaux engagés avec les autres entreprises en matière d’information internationale, dans le contexte actuel de réflexion autour de l’avenir de l’audiovisuel public”. On démonte Radio France brique par brique malgré – ou à cause – des succès de ses chaînes. La concurrence doit se frotter les mains ce soir. »

« On démonte Radio France brique par brique » : la formule, qui pourrait tout autant s’appliquer à France Télévisions, résume de fait parfaitement le souhait de la puissance publique, relayée par les deux PDG des deux entreprises publiques. À un détail près, qui est décisif : c’est que dans le même temps, dans ce vaste projet de démantèlement ou de reprise en main – on ne sait pas bien comment le qualifier –, l’Élysée a vraisemblablement le projet de créer une structure de tête, qui vienne à l’avenir chapeauter l’ensemble du secteur de l’audiovisuel public. Sans doute ne serait-ce pas le retour à l’ex-ORTF, mais, à tout le moins, l’idée chemine d’une holding qui pourrait coiffer tout à la fois France Télévisions, Radio France et les autres entreprises publiques du secteur.

Ce projet de holding, évoqué par Emmanuel Macron quand il était candidat à l’élection présidentielle, c’est Le Monde, le 13 novembre, qui a révélé qu’il cheminait plus que jamais, en rendant public un document secret de travail du ministère de la culture. Lequel document envisage bel et bien, selon le quotidien, « de regrouper France Télévisions, Radio France et les autres sociétés du secteur au sein d’une structure commune, une “holding”, mais aussi de supprimer France Ô, la chaîne des outre-mer, ou de cantonner les médias jeunesse France 4 et la radio Le Mouv’ à une diffusion seulement numérique ». Peu avant, le ministre du budget, Gérald Darmanin, avait de son côté évoqué une possible fusion, en région, de France 3 (groupe France Télévisions) et de France Bleu (groupe Radio France).

De quoi conduire au plus près la politique d’austérité voulue par le pouvoir et renforcer la tutelle de la puissance publique sur des entreprises réputées pourtant indépendantes. Au risque d’aggraver encore un peu plus toutes les dérives que nous venons d’évoquer…

Le grand Meccano qui se prépare pourrait encore aller au-delà, puisque dans le cadre de cette holding qui pourrait voir le jour, un sénateur LREM, André Gattolin a déposé une proposition de loi pour modifier le mode de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public. Son texte prévoit que les dirigeants ne soient plus nommés par le CSA mais par les conseils d’administration de chaque société, c’est-à-dire France Télévisions, Radio France et France Médias Monde (RFI et France 24). Et les personnalités civiles siégeant dans ces conseils seraient nommées… par le premier ministre, avec l’accord du Parlement.

De quoi, là encore, verrouiller encore un peu plus le système. On se croirait bel et bien revenu au temps de l’ORTF, quand le président de la République, Georges Pompidou, le 2 juillet 1970, revendiquait le système de tutelle qui pesait sur les journalistes, en lâchant sa phrase passée à la postérité : « Être journaliste à l’ORTF, ça n’est pas la même chose que d’être journaliste ailleurs. L’ORTF, qu’on le veuille ou non, c’est la voix de la France. »

4. La crise éthique dont personne ne parle

À toutes les crises que traverse l’audiovisuel public sans doute faut-il en ajouter encore une autre, dont on parle moins, voir pas du tout, mais qu’il faut aussi prendre en compte : la crise éthique. Pendant longtemps, l’audiovisuel public a été conçu comme un lieu sanctuarisé où certaines dérives, constatées dans le secteur privé, n’avaient pas leur place : la porosité, par exemple, avec les idées racistes ou xénophobes, véhiculées par l’extrême droite. Et puis, progressivement, la porosité s’est installée…

Donner aux rédactions des droits moraux

Un premier exemple, celui d’Éric Zemmour. Propagandiste de la haine, xénophobe déclaré, pamphlétaire de la droite radicale, il a longtemps eu son rond de serviette au sein même du service public, comme chroniqueur de « On n’est pas couché », l’émission de France 2 animée par Laurent Ruquier. Cette participation s’est certes déroulée avant que le chroniqueur ne soit condamné à plusieurs reprises pour « provocation à la haine raciale », une première fois le 18 février 2011, ou encore une autre fois le 17 décembre 2015.

Mais, pendant longtemps, même après la première condamnation, le sulfureux gourou de la fachosphère a continué d’avoir ses entrées non seulement dans les radios privées (RTL, tout particulièrement), mais aussi dans le service public : par exemple le 6 octobre 2014, sur France Inter, à l’occasion d’un entretien avec la journaliste Léa Salamé

Mais il existe des exemples encore beaucoup plus récents de cette porosité de l’audiovisuel public. Celui, notamment, d’Alain Finkielkraut. On se souvient en effet de sa détestable sortie, pas plus tard que le 10 décembre 2017, sur la radio RCJ : « Le petit peuple des petits Blancs est descendu dans la rue pour dire adieu à Johnny. Il était nombreux et il était seul. […] Les non-souchiens brillaient par leur absence. » Peu après, le journaliste Claude Askolovitch a dit, dans un billet remarqué sur Slate, ce qu’il pensait de cette formule nauséabonde sur les « non-souchiens » : « Il pense ainsi, Alain Finkielkraut, que le réel n’est qu’une césure ethnique. Ne le penserait-il pas qu’il en serait resté à son antienne sur les valeurs. Il n’aurait été “que” réactionnaire. Mais il fallait que sorte, non pas malgré lui, mais au plus profond de ce qu’il pense, la guerre des races qu’il redoute mais à laquelle il travaille. »

On peut dire les choses avec plus de brutalité : de néoréactionnaire, Alain Finkielkraut est devenu tout bonnement raciste. Ce que confirment d’autres déclarations innombrables, marquées par une obsession islamophobe.

Or, avec l’émission « Répliques », dont il est le producteur et animateur depuis 1985, Alain Finkielkraut est l’une des figures de France Culture. Preuve d’une mithridatisation de l’audiovisuel public, au moins partielle…

 

5. Les pistes d’une véritable refondation

Ce qu’il y a de très inquiétant dans la politique conduite par le gouvernement sous l’impulsion de l’Élysée, c’est que le pouvoir veut préparer une révolution de l’audiovisuel public, mais sans tenir le moindre compte des pistes innombrables de refondation qui sont en débat, notamment dans les milieux attachés à l’indépendance de la presse. En somme, c’est une réforme radicale et autoritaire qui est en préparation.

Car des pistes nombreuses existent, en effet, tout particulièrement pour refonder l’audiovisuel public.

Une première piste : les deux principaux syndicats de journalistes, le SNJ et le SNJ-CGT, comme de nombreuses Sociétés de journalistes (SDJ), défendent de longue date l’idée que les rédactions devraient enfin disposer d’un statut juridique, leur conférant des droits moraux. En clair, le droit, garanti par la loi, de pouvoir approuver par un vote le choix du directeur de leur rédaction, proposé par les actionnaires ; et puis le droit aussi de révoquer ce même directeur de la rédaction, en cas de faute commise par lui, mettant en cause le droit de savoir des citoyens.

Or, cette garantie d’indépendance, si un jour elle était gravée dans le marbre de la loi, il serait impérieux qu’elle profite aux rédactions de la presse privée, mais tout autant aux rédactions de l’audiovisuel public. De sorte que les journalistes sachent qu’ils n’ont de comptes à rendre sur la qualité et l’honnêteté de leur travail qu’aux téléspectateurs, et pas à l’Élysée ou à Matignon. Ce qui aurait pour effet de mettre immédiatement un terme aux émissions de complaisance qui fleurissent d’un quinquennat à l’autre ; ou aux promotions dont les logiques ne répondent pas à des critères professionnels. À titre d’illustration, les rédactions de France Télévisions auraient dû avoir le droit de voter pour refuser la nomination de Michel Field, en arguant du fait élémentaire qu’il avait par le passé contrevenu aux règles éthiques de la profession…

Dans le même esprit, toujours pour couper le cordon entre le pouvoir et l’audiovisuel public, il serait tout aussi urgent de revoir la procédure de nomination des PDG des entreprises publiques concernées. Car au cours des quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, deux procédures distinctes ont été utilisées, qui se sont avérées aussi détestables l’une que l’autre.

Sous le premier quinquennat, c’est le chef de l’État lui-même qui nommait les PDG de l’audiovisuel public. Et cela a eu les conséquences désastreuses que l’on sait : Nicolas Sarkozy a placé des proches à tous les postes clés. Contestant cette procédure, François Hollande a, lui, décidé que les nominations concernées relèveraient de nouveau de la compétence du CSA. Mais comme le président de cette autorité est nommé par le chef de l’État, cela a conduit au même résultat : au terme d’embrouilles opaques, c’est finalement, comme on l’a vu, la candidate de l’Élysée qui a été choisie pour la présidente de FTV. Pis que cela ! Le nouveau pouvoir concédé au CSA de procéder à la nomination des présidents de l’audiovisuel public s’est accompagné d’une scandaleuse régression démocratique : les projets des candidats aux postes de PDG ont été tenus secrets ; et les auditions des candidats par le collège du CSA se sont déroulées à huis clos.

Alors que c’est évidemment l’inverse qui devrait se passer : les citoyens, qui paient la redevance audiovisuelle, devraient pouvoir avoir accès aux programmes défendus pas les différents candidats ; les professionnels et les syndicats du secteur devraient être consultés sur les projets d’avenir ; et le départage des candidats devrait avoir lieu de manière publique, par exemple sous l’autorité des élus de la nation. Ce qui permettrait de sortir du système actuel, avec le CSA pour arbitre ; lequel CSA, avec à sa tête Olivier Schrameck, s’est totalement discrédité au cours des dernières années en portant Mathieu Gallet puis Delphine Ernotte aux présidences de Radio France et de France Télévisions. Autant dire qu’il est en grande partie responsable du naufrage de ces deux présidences…

Cette refondation de l’audiovisuel public devrait-elle aller encore au-delà ? Force est de constater que la privatisation de TF1 en 1987 – qui a été menée à bien au prétexte que les nouveaux actionnaires veilleraient sous peine de sanction à respecter la règle… du mieux-disant culturel ! – a dynamité tout le secteur audiovisuel, et a eu pour effet que les règles de l’audimat et de l’audience se sont imposées à la plupart des acteurs du secteur, privés comme publics, au mépris dès règles de la pertinence et de la qualité.

Pis que cela ! La puissance publique a continué à offrir gratuitement des fréquences audiovisuelles à des acteurs privés – fréquences qui sont des ressources rares et des biens publics –, sans jamais user de la sanction ultime que devrait être le retrait de fréquence, en cas de manquements graves. C’est grâce à cette tolérance que Vincent Bolloré a pu faire violence aux rédactions de Canal+ ou de I-Télé (rebaptisée CNews), ou que Pascal Houzelot a pu faire fortune avec sa chaîne Numéro 23. Dans l’équilibre public/privé, comme dans les règles qui encadrent l’audiovisuel, un gouvernement progressiste pourrait donc être autrement audacieux.

Bref, dans le débat public, il arrive fréquemment que soient évoquées des réformes pour la presse écrite : pour endiguer les dérives que l’on a constatées avec le rachat de quasiment toute la presse par une poignée de milliardaires ; ou, dans le cadre de la révolution numérique, pour aider à l’émergence d’une presse jeune, libre et indépendante, renouant avec la grande ambition du Conseil national de la Résistance : « Rétablir la liberté de la presse, son honneur et son indépendance… »

Mais pourquoi l’audiovisuel public échapperait-il à cette grande ambition républicaine ? C’est précisément pour cela, à l’origine, qu’il a été conçu : pour qu’il existe au moins un lieu à l’abri des puissances d’argent, un lieu sanctuarisé. Pour l’instant, on en est bien loin. Emmanuel Macron semble même vouloir aller dans le sens exactement opposé…

 

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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 06:58

Articles parus sur le site "Middle East Eye.", signé par  Daniel Vanhove auteur d’ouvrages sur la Palestine (Retour de Palestine ; Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos âmes ; La Démocratie mensonge). Il contribue à diverses publications, dont Mondialisation.

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C’est encore et toujours cette abjecte façon de retourner les faits, de travestir la réalité et de transformer la victime en coupable

La semaine dernière, la jeune résistante palestinienne Ahed Tamimi était arrêtée par la soldatesque israélienne en pleine nuit (plus commode !) pour avoir giflé un soldat israélien, puis a été emmenée, menottée, dans une jeep de l’armée.

Il y a deux ans, lors d’un JT de France 2, l’ancien présentateur David Pujadas introduisait en ces termes un reportage sur l’adolescente, alors âgée de 15 ans : « L’image est une arme au moins aussi efficace que les fusils. Celle-ci a fait le tour du monde. Regardez, des boucles blondes, un visage d’ange [...] Héroïne ou enfant manipulée ? La fabrique d’une histoire... ».

L’introduction de ce reportage (rediffusé sur  le blog de France 2 la semaine dernière) explique avec éloquence que « les Palestiniens l’ont bien compris, plus que les pierres, les images sont devenues une arme redoutable ».

Le téléspectateur n’a déjà plus le choix. Il est prié de comprendre que derrière ces « boucles blondes, visage d’ange », [...] se cacherait peut-être (sans doute) toute la félonie de la résistance palestinienne à l’occupation, qui se sert d’enfants pour mener sa lutte de libération...

Le téléspectateur n’a déjà plus le choix. Il est prié de comprendre que derrière ces « boucles blondes, visage d’ange », il va découvrir un montage, une image travaillée, truquée, composée... que derrière ce visage lumineux qui apparaît à l’écran, se cacherait peut-être (sans doute) toute la félonie de la résistance palestinienne à l’occupation, qui se sert d’enfants pour mener sa lutte de libération...

Tout au long du reportage, les commentaires sont d’une honteuse partialité et ne relatent en aucun cas les faits pour ce qu’ils sont. En revanche, ils insinuent à demi-mots, ils manipulent les téléspectateurs pour leur faire accroire que les enfants palestiniens sont utilisés par leurs parents comme des armes vivantes envoyées au contact direct de l’armée israélienne. 

Cela venant s’ajouter aux nombreuses allégations déjà entendues en d’autres temps que les Palestiniens se servent de leurs enfants comme boucliers vivants, alors que tous les témoins qui se sont rendus sur place ont pu voir à diverses reprises – et de nombreuses vidéosexistent sur Internet – que la plupart du temps, ce sont les « courageux » soldats israéliens qui prennent des enfants comme boucliers humains, quand ils ne sont pas des dizaines à s’y mettre, harnachés comme des Robocops, pour arrêter l’un ou l’autre qui n’a que son courage pour toute arme ! 

Plus loin dans le reportage, il est question d’une vidéo de 2015 tournée par l’oncle d’Ahed qui, d’après les sous-entendus du journaliste, en a fait son business. Sans jamais pointer le fait que ce « valeureux » soldat s’en est pris à un enfant – jeune frère d’Ahed – qui a le bras cassé et qu’il étrangle sans ménagement sous prétexte « qu’il est soupçonné d’avoir jeté des pierres », le journaliste Franck Genauzeau poursuit son commentaire : « l’adolescente apparaît et tente de le libérer et en vient aux mains avec le soldat... lui-même roué de coups par le reste de la famille [le pauvre !] et devra finalement renoncer [à emmener l’enfant] ».

Il poursuit en disant « à aucun moment l’oncle n’a lâché sa caméra... », mais ne soulignera pas que de rage, le courageux soldat lâche une grenade lacrymogène au beau milieu du groupe de jeunes et d’adultes venus secourir l’enfant.

Et le journaliste d’insister : « Ces images seront mises à disposition gracieusement dans le monde entier... stratégie assumée par le père de l’adolescente, accusé par certains Israéliens de provoquer à dessein ces scènes de tensions ».

La manière dont sont proposés les éléments (images et commentaires) pousse à faire passer les occupés pour la menace et les occupants pour les menacés

Pourquoi souligner cela ? Ces images devraient-elles être payantes ? Internet ne sert-il pas aussi à diffuser des informations le plus largement possible et à tous ceux qu’elles peuvent intéresser dès lors que les chaînes officielles ne sont plus fiables et qu’elles sont au service du pouvoir ?!

Et comme si cela ne suffisait pas, le journaliste, dont on a bien compris la partialité, enfonce le clou en s’adressant au père : « Ahed est devenue l’une de vos armes, en fait ». 

Ce que le père réfute, en concédant, sourire en coin, qu’elle serait alors une « arme de communication... c’est une enfant qui accomplit son devoir et ses responsabilités... ». 

« C’est une icône » lancera le journaliste, qui n’en démord pas et ne saisit pas à quel point les Palestiniens ont le sens de l’humour et de la dérision : « Oui, une icône, lâche le père, pour convaincre les autres pays, grâce à elle ». Peu de chance que ces mots soient compris par celui qui a définitivement choisi son camp !

Et la sentence tombe : « Alors, adolescente manipulée ou caractère bien trempé... ? » Mais, après un tel reportage, le téléspectateur a-t-il encore le choix ? La manière dont sont proposés les éléments (images et commentaires) pousse à faire passer les occupés pour la menace et les occupants pour les menacés. C’est encore et toujours cette abjecte façon de retourner les faits, de travestir la réalité et de transformer la victime en coupable et, inversement, de présenter une armée dont on connaît toutes les dérives pour de pauvres victimes. 

À aucun moment de ce reportage, il ne sera question d’une armée d’occupation déployée depuis des décennies dans tout le pays, dans tous les villages, et qui ne lésine pas sur les moyens pour détruire les habitations, brimer, blesser, tuer les Palestiniens de tous âges, y compris des enfants sans autre défense que des cailloux ! Ni des handicapés, comme on a pu le voir encore la semaine dernière à Gaza.

Le téléspectateur est laissé face à une enfant présentée comme une diablesse déguisée en ange aussi redoutable et dangereuse que la cinquième armée du monde !

 

Si, comme moi, vous êtes outrés par ce reportage, vous pouvez suivre ma démarche et écrire au médiateur de France 2 pour lui exprimer votre désapprobation. Par ailleurs, j’ai adressé aussi un Tweet directement à David Pujadas, que je vous relaie ci-après :

@DavidPujadas : odieuse votre séquence de la semaine dernière à propos de la petite Ahed Tamimi face aux soldats de la colonie israélienne... cela s’appelle de la « désinformation » doublée de propagande sioniste. Mais, rien de neuf de la part d’un « has been »...

La Palestine a besoin de nous... sachons rester mobilisés à chaque moment et n’hésitons pas à faire entendre notre voix. Ne baissons pas les bras comme certains le voudraient tant et espèrent que nous nous lasserons.

Lors de mes déplacements sur place, les Palestiniens m’ont demandé une chose que je m’efforce de faire, à chaque occasion : « Comme nous ne pouvons pas sortir de notre prison et venir vous dire nous-mêmes ce qu’il en est, vous qui pouvez voyager, soyez notre voix ! »

Je ne l’oublierai jamais.

 

Daniel Vanhove est auteur d’ouvrages sur la Palestine (Retour de Palestine ; Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos âmes ; La Démocratie mensonge) et contribue à diverses publications, dont Mondialisation.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Ahed Tamimi a comparu devant le tribunal militaire israélien d’Ofra le 20 décembre 2017. Elle est à ce jour toujours incarcérée pour avoir giflé un soldat israélien (Twitter\@HsSadaka).

 

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2 janvier 2018 2 02 /01 /janvier /2018 06:44

 

Si elle doit s'appuyer sur les institutions nationales, la lutte des classes a un horizon intrinsèquement international ; le dernier rapport sur les inégalités montre leur accroissement vertigineux dans tous les recoins du globe.

 

Le mouvement mondial de creusement des inégalités s'amplifie au rythme du déploiement d'un capitalisme assoiffé de dividendes, qui se nourrit goulûment des coups portés à l'État social, de l'abandon progressif des politiques publiques, du travail précaire en voie de généralisation, de bas salaires, du saccage des services publics et de l'exploitation des ressources naturelles. Tout ce qu'est en train d'accélérer M. Macron... Rendons grâce à la centaine d'économistes réunis pour la rédaction d'un volumineux et important rapport (1) d'apporter la preuve du désastreux mouvement en cours. Leur travail, chiffré et riche de milliers de données, permet d'étayer une réalité que des millions d'entre nous ressentent chaque jour avec force.

Il démontre le transfert massif du patrimoine public, celui de tous au bénéfice de tous, vers les patrimoines privés (2), au nom des théories fumeuses comme celle avancée par le président de la République des « premiers de cordée », ces grandes fortunes auxquelles il faudrait tout concéder ­ baisse de la fiscalité sur le capital, suppression de l'impôt sur la fortune, et autres « cadeaux » ­ pour que la croissance reprenne.

Ainsi les patrimoines privés ont plus que doublé en quarante ans quand les patrimoines publics ont été divisés par deux. Cela se traduit concrètement par moins de services publics, des systèmes de santé au rabais, des privatisations massives dans les secteurs clés, ou encore des systèmes de retraite laissés aux mains de la finance par le biais de retraites par capitalisation. Si la tendance ainsi dessinée se poursuit, ce dont le rapport s'inquiète, les plus pauvres seront condamnés à le rester et les classes dites « moyennes » à les rejoindre. Tel est d'ailleurs déjà l'obscur chemin ouvert.

Il est désormais prouvé que la croissance sous le règne néolibéral ne sert d'aucune manière l'intérêt général mais vient gonfler les portefeuilles d'une minorité chaque jour plus infime. Cette injustice fondamentale de la marche du monde provoque un peu partout des réactions de défiance envers les institutions censées garantir l'intérêt général. L'abstention massive comme la réponse populiste, qui prend selon les pays des formes variées et plus ou moins inquiétantes, sont autant de réactions à cette confiscation des fruits du travail par une oligarchie arrogante qui cadenasse ses positions de pouvoir en dépolitisant les choix politiques et de gestion. Ainsi l'idée même de démocratie se retrouve minée.

Face au ressentiment légitime des populations et des travailleurs, il convient de porter une dynamique populaire, fondamentalement progressiste et internationaliste pour construire sur des bases clairement affirmées une riposte sociale, démocratique et écologique. Comment ne pas voir qu'il s'agit d'une tâche dévolue à la gauche ? C'est-à-dire à une force politique populaire bâtie sur l'alliance des libertés humaines, de la lutte pour l'égalité sociale, de la justice environnementale, de la fraternité et de l'internationalisme. Les travailleurs français ont tout intérêt, dans une économie mondiale imbriquée comme la nôtre, à l'élévation générale du niveau de vie de tous les travailleurs du monde qui participent de la mondialisation des échanges et de la production. Si elle doit pouvoir s'appuyer sur les institutions nationales, la lutte de classes a un horizon intrinsèquement international qui se manifeste aujourd'hui plus encore qu'hier. D'autant que le rapport montre l'accroissement vertigineux des inégalités dans tous les recoins du globe, singulièrement dans les pays dépourvus d'institutions sociales.

Toutes celles et tous ceux qui créent la richesse de nos sociétés doivent refuser « la concurrence », s'allier pour obtenir des outils de régulation économique et d'égalité sociale, et les pousser à un nouveau degré d'efficacité sociale, condition de l'efficacité économique. Ce qui permet aux pays européens de résister peu ou prou à la lame de fond inégalitaire est précisément ce que l'Union européenne, avec la complicité des gouvernements, s'acharne à détruire : des institutions sociales, des systèmes de santé publique, des services publics variés et modernisés, des retraites par répartition ; tout ce qui, en somme, est rendu possible grâce à la socialisation d'une partie importante des richesses produites et qui échappent ainsi à la voracité de l'appropriation capitaliste.

Dès lors que le constat que nous avançons depuis des lustres commence à être partagé, pourquoi diable les solutions que nous préconisons ne pourraient faire ne serait-ce que l'objet d'un débat : appropriation publique et sociale des grandes banques, maîtrise d'oeuvre publique et sociale des grands moyens de production, développement de nouveaux services publics et de la cotisation sociale pour financer de manière égalitaire les soins et les retraites, création d'une branche supplémentaire de la Sécurité sociale pour les personnes les plus âgées, fiscalité réellement progressive, nouveaux critères de gestion des entreprises soumises à leur responsabilité sociale, écologique et territoriale ? Autant de pistes opposées à la contre-révolution capitaliste à l'oeuvre. Aux travailleurs et à tous les citoyens persuadés que l'heure est à faire éclore un monde nouveau de s'allier et de mener le combat jusqu'au coeur des institutions existantes pour les transformer. Il s'agit d'un enjeu de civilisation.

(1) Rapport sur les inégalités mondiales 2018 (wid.world/fr). (2) En 2016 les huit premiers milliardaires dans le monde disposaient d'une fortune égale à celle de la moitié de la population mondiale.

 

UNE QUESTION DE CIVILISATION (L’HUMANITE DIMANCHE – JEUDI 21 DECEMBRE 2017 – EDITORIAL DE PATRICK LE HYARIC)
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2 janvier 2018 2 02 /01 /janvier /2018 06:42

 

FLICAGE DES CHÔMEURS « IL FAUT UNE PÉNALISATION PLUS IMPORTANTE (DES CHÔMEURS). » LE MILLIONNAIRE ET DÉPUTÉ EN MARCHE SYLVAIN MAILLARD.

LA FORTUNE CUMULÉE DES 500 PLUS RICHES DU MONDE S'EST ACCRUE DE 2,7 MILLIARDS DE DOLLARS (2,3 MILLIARDS D'EUROS) PAR JOUR, EN MOYENNE, EN 2017.

 

Bloomberg a publié son classement des 500 plus grosses fortunes mondiales, lesquelles ont progressé de 23 % en un an. Le patron d'Amazon s'élève à la première place.

 

Elles se sont particulièrement gavées cette année. Les 500 personnes les plus riches du monde ont accumulé pas moins 1 000 milliards de dollars (838 milliards d'euros) en 2017. Selon Bloomberg, leur fortune a progressé de 23 % pour s'élever à 5 300 milliards de dollars (4 442 milliards d'euros), soit environ deux fois la richesse produite en France en une année... Des chiffres qui donnent la nausée. Quand il faudrait seulement 30 milliards de dollars (25,1 milliards d'euros) chaque année pour éradiquer la faim dans le monde, selon les calculs des Nations unies.

En haut du podium, le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, est devenu l'homme le plus riche du monde, avec une fortune de 99,6 milliards de dollars (83 milliards d'euros). Un patrimoine colossal qui a progressé de 34,2 milliards de dollars (29 milliards d'euros) en 2017. De telle sorte que, chaque minute, le milliardaire du e-commerce gagne 65 000 dollars (54 482 euros). Et ce grâce à l'envolée des marchés et du cours d'Amazon (dont il détient 16,4 %), lequel a bondi de 57 % cette année, mais aussi à celle des actions qu'il possède dans Uber et Airbnb. L'insolence ne s'arrête pas là. En juin dernier, l'expert de l'évasion fiscale avait demandé sur Twitter de l'aide, après avoir vendu pour près de 1 milliard de dollars d'actions d'Amazon, pour trouver des moyens de dépenser sa fortune.

 

L'ENVOLÉE DES BOURSES MONDIALES A FORTEMENT ACCRU LE PATRIMOINE DES ACTIONNAIRES

 

À l'instar de Jeff Bezos, les 57 milliardaires du secteur des technologies figurant dans le classement, particulièrement à la fête cette année, ont vu leur fortune grimper de 35 %, empochant à eux tous la modique somme de 262 milliards de dollars (219 milliards d'euros) de plus en un an. Ainsi, avec un pactole de 22,6 milliards de dollars (19 milliards d'euros) pour 2017, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, reste à la 5e place du palmarès.

L'envolée des Bourses mondiales a fortement accru le patrimoine des actionnaires des grandes entreprises. C'est le cas des trois Français présents dans le top 30 des plus grandes fortunes mondiales. Avec 62,6 milliards de dollars (52,4 milliards d'euros), Bernard Arnault, propriétaire de LVMH, est 6e, devant Françoise Bettencourt-Meyer, héritière du groupe L'Oréal, qui, depuis le décès de Liliane Bettencourt, a fait son entrée à la 18e place. Suit François Pinault (Kering), qui se hisse sur la 30e marche. Ils sont en tout 13 super-riches hexagonaux à faire partie du club des « 500 », amoncelant une fortune de plus de 200 milliards de dollars (170 milliards d'euros). Seuls 58 parmi ces 500 ont vu leur fortune rétrécir, pour un montant total de 46 milliards de dollars (39 milliards d'euros) en totalité. Le Français Patrick Drahi, patron d'Altice-SFR, est un des « losers ». Il a perdu près de 39 % de sa richesse depuis que son empire, construit sur une montagne de dettes, s'effrite.

 

« TOUT VA TRÈS BIEN POUR LES RICHES, NOUS N'AVONS JAMAIS ÉTÉ AUSSI PROSPÈRES... »

Au-delà des aléas individuels, cette orgie des fortunes confirme la tendance observée depuis la fin des années 1980. À savoir que les 1 % les plus riches ont profité deux fois plus de la croissance des revenus que les 50 % les plus pauvres. Et pour ceux qui sont entre les deux (les classes moyennes, pour faire simple), les revenus ont soit stagné, soit baissé, explique le rapport mondial sur les inégalités publié à la mi-décembre et réalisé par plus d'une centaine d'économistes. 3,5 milliards d'individus (la moitié de la population mondiale) gagnent 9 % des revenus dans le monde, soit 267 euros par mois et par personne en moyenne. Le rapport souligne que les inégalités de revenus ont augmenté rapidement en Chine, en Russie et aux États-Unis, les pays qui comptent le plus de milliardaires. Soit 159 pour les États-Unis, leur fortune ayant augmenté de 315 milliards de dollars (264 milliards d'euros). La Chine compte 38 milliardaires, qui ont encaissé 177 milliards de dollars (148 milliards d'euros) de plus en 2017, le premier d'entre eux étant Jack Ma, le fondateur d'Alibaba, qui détient 45,5 milliards de dollars (38 milliards d'euros) d'actions. Quant à la Russie, elle en compte 27.

Jusqu'ici, rien ne change. Et la phrase célèbre de Warren Buffett, deuxième fortune mondiale, résonne on ne peut plus en cette fin d'année : « Tout va très bien pour les riches, nous n'avons jamais été aussi prospères. C'est une guerre de classes, et c'est ma classe qui est en train de gagner. »

 

LES TREIZE PLUS GROSSES FORTUNES FRANÇAISES

La France compte 13 noms dans le top 500 des fortunes mondiales de Bloomberg. Outre les trois premiers (Bernard Arnault, Françoise Bettencourt-Meyers et François Pinault), figurent dans le classement : Serge Dassault (39e, 18,3 milliards d'euros), Alain Wertheimer (103e, 10,6 milliards), Gérard Wertheimer (104e, 10,6 milliards), Xavier Niel (189e, 6,9 milliards), Emmanuel Besnier (196e, 6,7 milliards), Patrick Drahi (261e, 5,3 milliards), Vincent Bolloré (270e, 5,2 milliards), Pierre Bellon (317e, 4,8 milliards), Alain Mérieux (355e, 4,4 milliards) et Jacques Saadé (441e, 3,7 milliards).

 

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2 janvier 2018 2 02 /01 /janvier /2018 06:39

LES GRANDS ENJEUX POUR NOTRE PLANÈTE, PAR GÉRARD LE PUILL

 

 

La Nina assèche l'Amérique du Sud : les rendements de soja et de maïs peuvent drastiquement diminuer.

Chaque semaine, de nouveaux indices confirment les risques induits par le réchauffement climatique. On vient d'apprendre que les truffes se font rares cette année en Vaucluse à cause de la sécheresse qui se prolonge, avec des conséquences sur d'autres cultures et sur l'alimentation en eau potable. Mi-novembre, nous étions informés que la production hydraulique d'EDF avait reculé de 16 % sur les neuf premiers mois de l'année. Une trop faible pluviométrie sur toute l'année n'a pas permis de stocker assez d'eau derrière les barrages pour faire tourner les turbines comme en année normale.

La France, pays au climat tempéré, a aussi subi en 2017 d'autres dégâts liés au réchauffement climatique. Certains sont le résultat d'évolutions contradictoires en cours d'année. Ainsi, quand un hiver très doux permet à la végétation de prendre de l'avance, il suffit ensuite de quelques gelées tardives, en avril ou en mai, pour détruire les fleurs des arbres fruitiers et les bourgeons de la vigne. En Amérique du Sud et en Amérique centrale, c'est la production de café qui se trouve menacée à terme par le réchauffement climatique. Au point que près de 90 % de cette production pourrait disparaître d'ici à 2050, selon certaines études. Des groupes de scientifiques spécialisés dans la recherche agronomique, dont ceux du Cirad, estiment que les superficies agricoles favorables à la culture du café vont se réduire dans les prochaines années de 46 % à 76 %. C'est notamment le cas au Brésil, en Colombie et au Nicaragua.

Dès 2018, le Brésil et d'autres pays d'Amérique du Sud devraient subir le contre-phénomène climatique d'El Nino, que l'on surnomme La Nina. La Nina succède à El Nino quand la température de l'eau à la surface du Pacifique équatorial refroidit, ce qui est le cas en ce moment. Dès lors, ce phénomène assèche une partie de l'Amérique du Sud, dont le Brésil et l'Argentine. Du coup, leurs rendements de soja et de maïs cultivés pour nourrir le bétail et pour être exportés peuvent considérablement diminuer.

C'est aussi au regard des enjeux climatiques et des conséquences du climat sur la production de nourriture de manière globale qu'il faut regarder d'un œil critique les risques induits par la libéralisation des échanges au seul profit des multinationales. La Commission européenne, mandatée par les pays membres de l'Union européenne, dont la France, tente en ce moment de conclure un accord de libreéchange avec les pays du Mercosur afin que ces derniers puissent nous vendre plus de viande, au risque de ruiner nos éleveurs.

Faut-il attendre que la forêt amazonienne recule encore de plusieurs millions d'hectares et que les successions de plus en plus fréquentes du phénomène El Nino et de son contraire La Nina provoquent de nouvelles émeutes de la faim comme en 2007 et 2008 pour que les grands de ce monde comprennent enfin qu'il vaut mieux faire coopérer toutes les agricultures du monde que de continuer à les soumettre à une concurrence mortifère ?

DE LA NINA A EL NINO, LE RECHAUFFEMENT AUGMENTE LES RISQUES DE FAMINE (L’HUMANITE DIMANCHE – JEUDI 21 DECEMBRE 2017 – GERARD LE PUIL
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31 décembre 2017 7 31 /12 /décembre /2017 07:00
Portugal, au pays de la gauche qui marche
 PAR 

Depuis octobre 2015, les socialistes tiennent les rênes de l’exécutif portugais. Avec l’appui d’une coalition originale au Parlement : la gauche radicale du Bloco et le parti communiste. Un attelage qui pourrait être riche d’enseignements ailleurs en Europe. Premier volet de notre série de reportages.

 

Lisbonne (Portugal), envoyée spéciale.-  Ce jour-là, Mario Centeno, fraîchement élu à la présidence de l’Eurogroupe, est auditionné en session parlementaire. Le ministre des finances portugais à la tête de l’institution de la monnaie unique : une bonne nouvelle pour ce petit pays qui se relève doucement d’une longue cure d’austérité ? « Pas vraiment, tranche sèchement Catarina Martins, la « coordinatrice » du Bloco de Esquerda, le parti de gauche radicale portugais, qui soutient pourtant au parlement le gouvernement socialiste dont Mario Centeno est issu. Le changement en Europe ne viendra pas de l’Eurogroupe. Et Centeno est un libéral, il prônait entre autres la facilitation des licenciements. »

Nous sommes début décembre à Lisbonne et la députée Catarina Martins vient d’interpeller le ministre des finances à l'assemblée. « Oublions un instant que le Bloco ne croit pas en l’Eurogroupe. Oublions que l’Eurogroupe est un forum informel qui n’existe dans aucun traité européen et où l’Allemagne a toujours le dernier mot. Oublions que l’Eurogroupe a exclu le ministre grec des finances de ses réunions. Oublions que l’Eurogroupe a insulté le Portugal et imposé l’austérité dans plusieurs pays du Sud. Même si nous oublions tout cela, il y a un problème : vous avez dit en septembre que l’union monétaire était une zone de divergences… Si tout le monde est conscient de cela, au sein du Parti socialiste comme à Bruxelles, quelle est votre stratégie à la tête de l’Eurogroupe ? » lui a-t-elle lancé. Toute l’habileté du Bloco tient dans cette capacité à critiquer le gouvernement socialiste et à assurer le rôle d'un « parti minoritaire »… tout en le poussant, avec l’aide du Parti communiste portugais (PCP), à mettre en œuvre des mesures sociales.

Depuis octobre 2015, c’est cet attelage original qui préside aux destinées du Portugal. Les législatives n’ayant pas débouché sur une majorité claire, le Parti socialiste (PS), arrivé deuxième, a alors pris la main pour former l’exécutif. Il a obtenu le vote du Bloco et du PCP pour l’investiture, en échange de quoi son gouvernement, minoritaire, s’est engagé sur un certain nombre de mesures sociales afin de compenser les effets dévastateurs qu’ont produits la crise économique et la cure d’austérité imposée entre 2011 et 2015 par la droite au pouvoir et la Troïka (Commission européenne, FMI et Banque centrale européenne). « Ce n’est pas que nous soutenons ce gouvernement, nous ne gouvernons pas, corrige Miguel Tiago, élu du Parti communiste. Nous nous contentons de ne pas le faire tomber. »

 

La nuance est de taille pour ces deux partis qui risquent de se brûler les ailes à voter d’une même voix aux côtés des élus socialistes. Comment convaincre ensuite leurs électeurs qu’ils sont toujours opposés à l’Union européenne dans sa forme actuelle, à la monnaie unique, à l’OTAN… et qu’ils sont accessoirement très différents l’un de l’autre, même s’ils se partagent la gauche de la gauche de l’échiquier politique ? Pour l’instant, le résultat des dernières élections municipales, en octobre dernier, n’est guère probant.

 

Le Bloco, qui n’est pas très bien implanté localement, a certes légèrement progressé dans certaines villes, comme à Lisbonne, où le PS gouverne désormais là aussi suivant un accord avec le Bloco. « Nous sommes aujourd’hui le troisième parti du Portugal », se targue Catarina Martins. Mais le Parti communiste recule ; il a perdu quelques-uns de ses bastions, comme la commune d’Almada qui, de l’autre côté du Tage, fait face à Lisbonne. Et ce malgré un « pacte de non-agression » conclu avec le PS local, qui y avait envoyé comme candidate une actrice sans lien avec le terrain. Elle a réussi à dépasser le PCP de quelque 400 voix…

Celui qui semble le mieux profiter de cette alliance, finalement, c’est le Parti socialiste. Le ministre adjoint aux finances, Ricardo Mourinho Félix, s’en réjouit : les positions du Bloco et du Parti communiste « ont de manière évidente influencé notre manière de gouverner ces deux dernières années. Je ne le vois pas comme quelque chose qui s’impose à nous et nous met dans une situation inconfortable », dit-il. (L’intégralité de l’entretien sera à lire dans un prochain article.) En fait, pour une partie du PS, ce soutien est un soulagement…

En témoigne également le député socialiste et vice-président du groupe à l'assemblée Joao Galamba : « La crise a accru nos divergences avec la droite portugaise. La possibilité d’une alliance avec le Bloco et le PC est apparue comme une chance pour la gauche, qu’il ne fallait pas rater. Ne perdons pas de temps et concentrons-nous sur les points où nous pouvions tomber d’accord : telle a été notre philosophie. Nous n’étions pas à la recherche d’idéal, de consensus, de convergence absolue : nous voulions des changements concrets dans la vie quotidienne des gens. »

De fait, la liste de mesures mises en œuvre est impressionnante au regard de ce qu’ont fait – ou plutôt n’ont pas fait – les autres gouvernements sociaux-démocrates en Europe ces dernières années : augmentation du salaire minimum de 5 % par an jusqu’à atteindre 600 euros brut en 2019, allègement de l’impôt sur les plus bas revenus, hausse des petites pensions de retraite, rétablissement de quatre jours fériés qui avaient été supprimés…

Le dernier budget – le 3e voté par cet attelage PS-Bloco-PCP –, adopté fin novembre, s’inscrit lui aussi dans cette lignée : l’impôt sur le revenu est abaissé pour les premières tranches de revenus (1,6 million de foyers touchés au total) ; une nouvelle taxe est introduite pour les grandes entreprises qui dégagent plus de 35 millions d’euros de profits annuels ; les pensions de retraite sont augmentées de manière variable en fonction de leur niveau (de 1 à 10 %), et les livres scolaires deviennent gratuits jusqu’à la sixième année d’éducation.

Le grand écart du PC portugais

Jusqu’à présent, tous les termes du contrat ont été respectés : les mesures sociales sont bien mises en œuvre par l’exécutif, et entre les trois partenaires de circonstance, on ne parle pas des sujets qui fâchent. « Nous nous sommes mis d’accord sur quatre principes, explique Catarina Martins. Le premier, c’est la hausse, chaque année, d’une partie des salaires et des retraites afin de compenser les coupes des années précédentes. Le deuxième, c’est l’impossibilité de nouvelles baisses de revenus, et donc de hausse des prélèvements obligatoires pour les salariés ainsi que des taxes sur les biens essentiels. Le troisième, c’est l’arrêt définitif des privatisations, qui dans le passé avaient été décidées par le Parti socialiste lui-même. Et le quatrième, c’est l’impossibilité de retirer davantage de droits aux travailleurs. » Car le droit du travail, comme en Grèce et comme en France aujourd’hui, a été sérieusement entamé au Portugal pendant les années de Troïka.

« Sur ce plan-là, on ne reviendra pas en arrière avec ce gouvernement, regrette Jorge Costa, autre député du Bloco. C’est la limite de cet accord, et, me semble-t-il, le résultat d’un accord tacite avec le patronat, en contrepartie de la hausse du salaire minimum. » « Les socialistes sont trop compromis avec le système capitaliste pour qu’on puisse évoluer là-dessus », renchérit le communiste Miguel Tiago, qui regrette par ailleurs un blocage tout aussi complet sur le budget alloué à la culture, un budget « misérable, inacceptable », ainsi que l’impossibilité de faire baisser le prix du gaz domestique, « trop élevé pour quantité de foyers au Portugal ».

Autre zone d’ombre de l’accord : le travail précaire, de plus en plus répandu au Portugal. Un décret à venir doit permettre de titulariser 30 000 contractuels de la fonction publique au cours du premier semestre 2018. Une victoire à rajouter au compteur du Bloco. Mais dans le privé, rien ne change. Si l’emploi est reparti à la hausse, ces derniers temps, c’est le plus souvent au détriment des protections sociales élémentaires. Le système d’auto-entreprenariat, où le travailleur doit cotiser lui-même pour ses couvertures santé et retraite, devient en effet de plus en plus la règle… et rien ne permet aujourd’hui d’enrayer cette tendance.

 

« Pour mieux protéger ces travailleurs dits indépendants, nous avons émis des propositions au sein d’un groupe de travail sur la précarité, explique le député du Bloco Jorge Costa. Notamment l’établissement d’un taux très réduit de cotisations sociales pour les bas revenus, le maintien de la protection sociale même si l’activité s’interrompt, et un accès à la caisse d’assurance chômage. » Le texte, présenté mi-décembre au parlement, est en bonne voie d’être adopté.

Restent des désaccords idéologiques de fond et tous les points qui sortent de l’accord avec le PS, sur lesquels les deux partis échouent à faire avancer les choses dans leur sens. Ainsi en est-il par exemple du coût de l’énergie portugaise, l’un des plus élevés du continent. Le Bloco a proposé que le secteur de l’énergie renouvelable – qui fait des profits ahurissants au Portugal – soit taxé au même niveau que le secteur conventionnel et que cette hausse permette au consommateur de payer un prix moins élevé. Échec total.

Face à ces divergences, Bloco comme PCP assurent maintenir une ligne idéologique claire. « Les socialistes et la droite s’entendent parfaitement sur la politique européenne. Ce qui fait que nous avons 80 % des députés engagés dans le statu quo européen, lâche Catarina Martins. Mais nous, notre engagement n’est pas aux côtés du PS. Il est aux côtés de nos électeurs. C’est pourquoi nous n’abandonnerons aucun de nos principes. »Parmi ces principes, il y a une franche hostilité à l’euro, « qui rend chaque jour les pauvres de plus en plus pauvres et l’Allemagne de plus en plus riche – sans que cela ne bénéficie toutefois aux travailleurs allemands », selon les mots de Catarina Martins, pour qui le vrai problème, en réalité, est la renégociation de la dette publique portugaise.

Le professeur d’économie Francisco Louça, membre fondateur du Bloco, ne voit quant à lui aucune contradiction entre cette opposition à l’euro et le fait de voter d’une même voix avec un gouvernement qui envoie son ministre des finances à la tête de l’Eurogroupe : « Ce que change, pour le Bloco, cette attitude de soutien au gouvernement, c’est son agenda. Cela l’inscrit dans la gestion politique d’un travail quotidien. Cela lui donne plus de poids, plus de profondeur. Mais on reste dans le cadre d’un contrat très clair : il s’agissait d’éviter le prolongement de la droite au pouvoir et d’ouvrir la porte aux mesures sociales. »

Le PCP, l’un des derniers partis communistes d’Europe avec le KKE grec à n’avoir pas rompu avec le marxisme-léninisme, fait de son côté le grand écart. Après avoir refusé pendant des années de dialoguer avec les autres partis (posture dans laquelle se trouve encore aujourd’hui le parti frère hellénique, qui agit dans un isolationnisme total, y compris sur le plan syndical), il affiche aujourd'hui un certain pragmatisme, sans rien abandonner de son corpus théorique.

« Le PS ne s’est pas engagé à exaucer tout ce que nous demandons en dehors de l’accord, et de notre côté, nous ne sommes pas obligés de voter ce qui sort de l’accord. Nous avons simplement trouvé un terrain commun sur une liste délimitée de sujets, justifie l’élu communiste Miguel Tiago. C’est pourquoi, par exemple, nous ne pouvons pas faire tomber le gouvernement parce qu’il refuse la nationalisation du système bancaire que nous voulons : cela sort de notre accord. Nous essayons pour le moment de tirer le meilleur de la situation dans laquelle nous nous trouvons, de construire avec les conditions que nous avons. Mais cela ne veut pas dire que nous abandonnons notre lutte. »

« Le PS a retrouvé son électorat traditionnel »

Et le député de rappeler les grèves que le parti a soutenues, les manifestations auxquelles les élus ont participé, la volonté de dissoudre l’euro, l’Union européenne et l’Otan. « Notre objectif n’est pas que le PS tourne le dos à l’Union européenne et se rapproche de nous. Notre objectif, c’est d’élargir notre base. » Le PS n'a d'ailleurs aucunement infléchi sa politique européenne et le gouvernement se targue même de remplir les critères de Bruxelles au-delà des objectifs fixés.

Toutefois, à écouter Miguel Tiago, le principal ennemi du PCP semble être à l’heure actuelle le Bloco… « parti bourgeois, au fonctionnement électoraliste, dont toutes les positions sur le plan international, comme la Corée du Nord, le Venezuela et l’Angola, ne font que suivre la tendance. Certes, nous avons des positions similaires sur le plan social. Mais tout nous sépare en réalité ».

Mais, au-delà de la rhétorique, difficile d’appréhender ces divergences, à l’exclusion de la politique étrangère où le Bloco est en effet beaucoup plus critique envers des régimes corrompus comme l'Angola que le Parti communiste qui, en raison de vieux liens historiques avec le MPLA au pouvoir, ne s'est jamais avancé à critiquer le régime de l'ancienne colonie portugaise. Les deux partis de gauche, d’ailleurs, ne discutent pas entre eux. Les négociations sur les mesures gouvernementales se font de manière parallèle, entre le PS et le PC, d’un côté, et le PS et le Bloco, de l’autre.

« Cette alliance au parlement est un défi, reconnaît de son côté le socialiste Joao Galamba. Il y a des tensions entre nous. Mais cela nous force à être créatifs. Et en général, nous arrivons à un compromis qui est meilleur que notre position de départ. De plus, les citoyens voient que les compromis sont possibles à l’intérieur du parlement : c’est bon pour la santé démocratique du pays… »

Outre les bénéfices sociaux indéniables de cette configuration exceptionnelle pour le parlement portugais, cet attelage inédit instille, de fait, une nouvelle manière de faire de la politique à Lisbonne : à la fois un certain pragmatisme chez des partis tenus par un solide socle idéologique, et une recherche du compromis que l’on observe généralement plutôt dans les pays du nord de l'Europe, habitués des coalitions politiques.

 

« Il n’y avait jamais eu dans le passé de négociation entre les partis de gauche au Portugal, reconnaît Jorge Costa. C’est la première fois de l’histoire du pays qu’un budget est voté par le Parti communiste et la gauche radicale… Cela n’est pas le résultat d’une négociation qui aurait formé un gouvernement rigide. C’est au contraire le résultat de discussions permanentes, graduelles, qui nous permettent de faire la preuve que nous ne sommes pas seulement des partis de confrontation. Les électeurs voient que nous sommes aussi capables de gouverner et de trouver des compromis. »

Une expérience inspirante pour le reste du continent ? Tous nos interlocuteurs le disent : difficile de reproduire ailleurs ce qui a marché dans un contexte exceptionnel, dans un pays particulier. Mais chacun en tire des leçons à sa manière. Pour le député Joao Galamba, il en sort une évidence pour le Parti socialiste : « En se démarquant très clairement de la droite, en s’ouvrant à la gauche radicale, le PS portugais a retrouvé son électorat traditionnel. Il faut montrer à l’électorat qu’il existe une alternative franche aux politiques de droite et que des compromis avec la gauche sont possibles. Si ce choix est proposé aux électeurs, les sociaux-démocrates européens pourront se relever. Mais s’ils restent quelque part dans l’entre-deux, sans valeur claire, ou avec une action sans rapport avec les valeurs affichées, ça ne peut pas marcher. »

Pour le député du Bloco Jorge Costa, il faut rester modeste : « Il ne faut pas surestimer le succès de la gauche au Portugal. Cela ne change rien au rapport de force au niveau européen. Il ne faut pas croire non plus que le Parti socialiste portugais a viré à gauche… Il n’y a pas eu de révolution culturelle au PS. Ce dernier a été obligé, pour des raisons de survie politique, de trouver un accord avec sa gauche. Ce n’était pas un acte volontaire pour ce parti, qui était entré en campagne en 2015 avec le programme le plus à droite de son histoire. Il l’a fait de manière contrainte et forcée. »

Quant à l’éventualité de répéter une telle alliance dans le futur, aucun de nos interlocuteurs ne s’y est engagé. Rien ne dit qu’ils voudront, ni qu’ils pourront, reproduire cet attelage dans la prochaine législature. Se glisser momentanément dans les interstices d’un pouvoir socialiste affaibli : voilà ce qu’auront réussi, pour l’heure, Bloco de Esquerda et Parti communiste portugais.

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