Humanité - Dimanche
PIERRE-HENRI LAB
Dans «Vérités et mensonges sur la SNCF», le journaliste Gilles Balbastre dévoile les conséquences désastreuses de la réforme ferroviaire sur les conditions de travail et la sécurité des usagers. Un film coproduit par le comité nord-Pas-de-Calais de l'entreprise publique et le cabinet d'expertise Émergences.
Un cheminot qui dévisse d'une main et sans effort un tire-fond. D'autres de ces vis qui fixent le rail aux traverses abandonnées sur la voie. Un aiguillage qui vibre de façon guère rassurante au passage d'un TER, un rail fissuré... Les premières images de « Vérités et mensonges sur la SNCF », le dernier documentaire de Gilles Balbastre, choquent tant elles rappellent les causes présumées de l'accident de Brétigny-sur-Orge quand une éclisse (la pièce métallique reliant un rail à un autre) s'est détachée et a provoqué le déraillement d'un train Corail qui a coûté la vie à 7 personnes, le 12 juillet 2013.
FILM SUR UNE SOUFFRANCE
Produit par le Comité d'établissement régional (CER) Nord-Pas-deCalais de la SNCF et le cabinet d'expert Émergences, ce film a été réalisé en même temps qu'une expertise sur l'impact de la réforme ferroviaire de 2014 sur les conditions de travail des cheminots et sur la sécurité ferroviaire ( www.cecheminots-nordpasdecalais.com ). « C'est un film pour les cheminots, mais aussi à destination des usagers afin de leur donner les moyens de comprendre pourquoi leurs conditions de transport se dégradent », explique le président de la commission économique du CER, Hervé Gomet. « Réaliser des expertises est souvent frustrant car en général le rapport n'est lu que par une poignée de personnes alors que son contenu intéresse le plus grand nombre. Avec ce film, nous nous sommes donné les moyens de populariser le résultat de l'enquête », confie Christian Houpin, d'Émergences. Pari réussi puisque, mis en ligne le 2 septembre dernier, il a été visionné 54 000 fois en 15 jours.
UN RAPPORT N'EST LU QUE PAR UNE POIGNÉE... CE FILM-ENQUÊTE A ÉTÉ VISIONNÉ 54 000 FOIS EN 15 JOURS.
Empruntant un ton pamphlétaire, le documentaire rappelle « les Nouveaux Chiens de garde », dans lequel Gilles Balbastre démasquait les pseudo-experts économiques et les présentateurs télé qui squattent le petit écran, en révélant au grand jour leur connivence avec le monde des affaires. D'une part, parce que le réalisateur emprunte le même procédé qui consiste à confronter la parole officielle, entre autres celle du PDG de la SNCF, Guillaume Pepy, à la réalité du terrain (un examen auquel elle ne survit pas). D'autre part, parce que ce travail de journaliste de vérification du discours de la direction et de celui du gouvernement dessine en creux une critique féroce du traitement médiatique réservé habituellement aux cheminots par les télévisions, les radios ou les « grands » journaux.
À mille lieues de la rengaine habituelle sur « les privilégiés qui défendent leurs acquis », le film montre des agents de la SNCF attachés au service public, soucieux du travail bien fait et intransigeants quand il s'agit de sécurité ferroviaire. C'est aussi un film sur une souffrance : celle de voir son outil de travail massacré par les logiques de rentabilité qui dégradent dans un même mouvement les conditions de travail et les conditions de transport des usagers jusqu'à mettre à mal la culture de sécurité qui fait encore la renommée de la SNCF. « Nous sommes passés d'une logique préventive à une logique curative. Avant, on remplaçait une pièce sur la voie ou sur une machine avant qu'elle ne casse ; maintenant, on attend la panne », explique Hervé Gomet.
Si le film laisse entrevoir parfois l'amertume que peuvent ressentir les cheminots, il montre aussi que ceux-ci ne baissent pas les bras et continuent de se battre non sans succès quand ils obtiennent le maintien d'une ligne.
Un film à voir et à faire voir.