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15 août 2014 5 15 /08 /août /2014 17:01

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Ma mamie morlaisienne, Nicole, avait pour oncle maternel un homme au parcours peu commun, Jean Delalande, un amoureux des langues et des contes et chansons celtiques qui traduisit l'internationale en breton, collabora avec l'occupant par indépendantisme, créa la première école à l'enseignement en breton.  

Jean Delalande est né en 1910 à La Roche-sur-Yon. Son père était militaire. Avec sa mère, Pauline Joséphine Kerbiriou, il vient s'installer à Morlaix pendant son enfance à la mort de son père.

Il habitait aux alentours de la Grande Venelle, derrière le Viaduc, et apprit en partie le breton du Trégor avec son voisin, le père de mon papi René, Jean, menuisier originaire de Plouézoch. Par la suite, le breton du Trégor de Jean ne trouva plus grâce auprès de Jean Delalande, accoutumé à considérer avec ses amis intellectuels bretonnants que le breton du Léon était plus pur et « originel ».

Très doué à l'école, Jean Delalande a suivi des cours à l'école primaire supérieure à Brest de 1923 à 1927, puis a intégré un Saint-Dustan College de Londres afin de perfectionner son anglais de 1927 à 1928 (source Wikipédia). Dans sa famille, Jean Delalande eut plus tard la réputation d'être un érudit qui avait surtout un don exceptionnel pour l'apprentissage des langues. Il en maîtrisait cinq, dont le chinois.

De retour en Bretagne, Jean Delalande est devenu instituteur public à Plomeur dans le pays bigouden (1930), à St-Philibert en Trégunc (1931), à Quimperlé (1932), à Guiclan (1933-36).

A cette époque, Jean Delalande devient un militant culturel et politique breton, se rattachant plutôt aux idées de gauche, puisqu'il est membre du mouvement Ar Falz (La Faucille), dont la revue culturelle porte le même nom, créée en 1933 par un instituteur de sensibilité communiste et régionaliste, Yann Sohier (1901-1935), le père de l'historienne Mona Ozouf, voulant réunir des instituteurs laïques et progressistes souhaitant développer l'enseignement du breton à l'école publique.

Yann Sohier était instituteur à Plourivo, et à ce titre voisin avec le directeur de l'Humanité Marcel Cachin, devenu son ami, très sensible lui aussi à la revalorisation de la culture et de l'identité bretonne face au centralisme parisien. A cette époque, l'URSS donne pour Sohier et Cachin l'exemple d'une reconnaissance du droit des peuples à l'exprimer leur langue et leur culture nationale, à l'opposé de l'impérialisme et du colonialisme de la République bourgeoise, marginalisant les cultures régionales populaires comme il méprise le droit à l'auto-détermination des peuples colonisés. L'Humanité et le PCF ne portent pas jusqu'à la période du Front Populaire un regard négatif sur le développement des revendications autonomistes régionales. Moment d'oecuménisme surprenant, Marcel Cachin sera présent à l'enterrement de Yann Sohier en 1935, au côté d'Olier Mordrel, futur leader de la tendance d'extrême-droite du nationalisme breton, et de l'abbé Perrot, le défenseur de la langue et de l'indépendance bretonne, conservateur et farouchement anti-communiste, très proche des dirigeants du PNB engagés dans une politique de collaboration avec les nazis pendant la guerre, qui sera tué le 12 décembre 1943 par un résistant, probablement communiste, à Scrignac parce qu'on le soupçonnait d'avoir dénoncé des résistants. L'amitié pour Yann Sohier et la cause de la « défense de la langue bretonne » réunissent ainsi ces personnalités aux engagements politiques opposés. Comme nous le rapporte Françoise Morvan, Marcel Cachin devait toutefois avoir la lucidité de dénoncer la collusion, de plus en plus évidente, des autonomistes et de l'Allemagne nazie dans un discours le 20 décembre 1938 au Sénat. 

Outre son engagement pour le bilinguisme, Ar Falz est à l'origine une revue et un mouvement de gauche, anti-fasciste et anti-colonialiste, proche à la fois des communistes et du syndicat enseignant d'extrême-gauche « L'École émancipée », voulant défendre une vision laïque, populaire et ouverte de la culture bretonne. Néanmoins, au moment de l'éclatement du PAB(Parti Autonomiste Breton) et de la scission du mouvement politique breton entre fédéralistes et nationalistes indépendantistes du Parti National Breton (PNB), Yann Sohier, comme Jean Delalande, adhèrent au PNB, dont une grande partie des cadres vont se compromettre pendant la guerre dans une collaboration d'intérêt ou de sympathie idéologique avec les occupants allemands. 

A la mort de Yann Sohier, Jean Delalande, dont le pseudonyme d'écrivain, de journaliste et de militant breton est Yann Kerlann, qui écrit les articles d'histoire et de mathématique en breton de la revue « Ar Falz », devient secrétaire général d'Ar Falz, désigné par le fondateur avant sa mort. A ce titre, il aura l'occasion d'adapter « L'Internationale » en breton pour la revue « War Sao », revue des Bretons émancipés proche du Parti Communiste dirigée par Marcel Cachin depuis Paris.

« Ar Falz » va être mis en sommeil pendant la guerre, et ses militants vont prendre des directions parfois opposées.

La brestoise Meavenn (Françoise Rozec), femme de lettres, poète et gérante de la revue avant-guerre, participera aux émissions de Radio Rennes avec Roparz Hemon sur proposition du professeur Weisberger et sera même de la retraite en Allemagne en août 1944 des collaborateurs bretons avec son amant Jean-Marie Chanteau, membre du Bezen Perrot. 

Ar Falz sera remise en activité après-guerre pour défendre encore et toujours la place de la langue bretonne à l'école et la connaissance de l'histoire et de la culture bretonnes, sur des bases progressistes retrouvées, avec des gens comme Armand Keravel, membre d'Ar Falz dès sa création, qui s'était opposé au tournant collaborationniste du mouvement breton et deviendra élu municipal à Brest en 1977 sur une liste d'Union de la Gauche avec Francis Le Blé, et conseiller régional. 

Dès les années d'avant-guerre, tout en préparant une évolution à l'irlandaise, prenant au besoin appui sur l'ennemi de l'ennemi français, le PNB se radicalisait dangereusement, avec les idées celto-racistes de ses dirigeants, Debauvais et Mordrel, appelant à la lutte armée contre l'État français et développant un discours inspiré du fascisme.

Mordrel et Debauvais partent en Allemagne à la fin août 1939 avec enfants et femmes pour chercher à y constituer une Légion Bretonne capable de libérer la Bretagne. Dans la nuit du 8 août au 9 août 1939, Célestin Lainé dépose avec le côtre cotier le Gwalarn à la plage des Sables Blancs de Locquirec des armes allemandes livrées au large de Jersey par un vapeur venu de Hambourg. Célestin Lainé, ingénieur chimiste de formation, charismatique meneur d'hommes aux idées mystiques et fascistes, est l'organisateur avec son armée secrète « Gwen-ha-Du » de l'attentat contre le monument de l'Union de la Bretagne à la France à Rennes le 7 août 1932. La plupart des compagnons de l'épisode romanesque du Gwalarn, Le Helloco, André Geffroy de Locquirec, Guy Vissault de Coetlogon, le suivront à partir de 1943 pour former le Bezen Perrot (la Brigade Perrot), et porteront l'uniforme de la SS pour traquer des maquisards bretons en 1944 et participer à de sinistres activités de police, d'interrogatoires, et d'exécutions contre la Résistance.

Après le PCF, dissout et pourchassé suite au Pacte Germano-Soviétique, le PNB, perçu à juste titre comme une menace contre la sécurité nationale, est interdit par les autorités de la République dès après la déclaration de guerre. Ses militants sont fichés, pourchassés dans leurs activités et arrêtés pour certains.

Tout va changer avec l'occupation de la France et l'arrivée des Allemands en Bretagne, en juin 1940. Même si l'espoir que les militants indépendantistes bretons avaient que l'Allemagne nazie accorde à la Bretagne une indépendance ou une large autonomie pour affaiblir l'ennemi français est très vite déçu, tant les autorités de Vichy montrent de diligence à collaborer avec l'occupant et tant les Allemands réalisent également que les nationalistes en Bretagne sont ultra-minoritaires, le PNB et les indépendantistes bretons vont être protégés par les Allemands qui les utilisent comme une carte à jouer au besoin, un moyen de pression sur Vichy, et une réserve d'auxiliaires potentiels.

Raymond Delaporte, qui prend la tête du PNB contre le courant nationaliste le plus radical, comprend qu'il faut être plus conciliant vis à vis de Vichy et de l'Etat français et le journal du PNB, L'Heure Bretonne, financé par les Allemands, où écrira également Jean Delalande, soutient des positions plutôt fédéralistes, et pour le reste n'est guère critique vis à vis de l'idéologie de la Révolution Nationale et des Nazis, tenant même, selon les contributeurs et les époques des propos racistes, antisémites, hostiles aux franc-maçons, anti-républicains ou favorables à la victoire finale de l'Allemagne, comme l'a bien montré Georges Cadiou, preuves à l'appui, dans L'hermine et la croix gammée. Face à ces nationalistes bretons qui servent sa politique autant que la droite conservatrice et les courants politiques nationaux qui se retrouvent derrière Vichy, les Allemands favorisent les possibilités d'expression du mouvement politique et culturel breton. 

Les journaux de Yann Fouéré La Bretagne et La Dépêche de Brest, financés et contrôlés eux aussi par les Allemands, sont collaborationnistes. Radio-Rennes, filiale de Radio-Paris sous contrôle nazi, propose des émissions en breton sous le patronage de Roparz Hémon, l'unificateur de la langue bretonne.

Jean Delalande, selon Françoise Morvan, aurait été en Allemagne avec Mordrel et Debauvais en juin 1940, assistant notamment à un meeting d'Hitler et à un défilé des Jeunesses Hitlériennes. Avec ceux-ci, l'avocat Le Helloco et le linguiste Roparz Hemon, il fait partie de ces dirigeants nationalistes bretons qui ont avec la bienveillance des autorités allemandes rassembler des prisonniers bretons sympathisants de la cause autonomiste ou indépendantiste pour constituer un embryon d'armée bretonne pouvant servir contre une éventuelle résistance de l'Etat français. 

Après avoir enseigné brièvement à Cleden Cap Sizun à son retour d'Allemagne, il ouvre à l'automne 42 avec sa femme à Plestin la première école privée dont l'enseignement est entièrement en breton.

Cette école était financée par l'hebdomadaire « L'heure bretonne » et la revue de Roparz Hémon, Arvor, puis, plus compromettant encore, grâce à Célestin Lainé, par une partie de la solde des 66 soldats du Bezen Perrot, qui ont le statut de policiers allemands affectés au SD, renseignements militaires. D'ailleurs, pendant les deux ans d'existence de l'école bretonne de Plestin, les élèves seront tous ou presque des enfants de militants nationalistes bretons, dont plusieurs enfants de membres du Bezen Perrot engagés militairement au côté des Nazis. Françoise Morvan affirme d'ailleurs que Delalande aurait écrit la chanson qui servait d'hymne au Bezen Perrot. Pour eux?  

 C'est pourquoi, à la Libération, Jean Delalande est arrêté, incarcéré un temps au Collège du Château. Il est déchu de ses droits civiques par le Tribunal de Quimper, interdit d'enseignement et de séjour dans le Finistère de manière temporaire. Il va vivre en région parisienne et ses connaissances en langues lui permettent de devenir cadre à Air France. Il revient ensuite en Bretagne et vit à Morlaix avec sa seconde femme. Il meurt à Morlaix en 1969 et est enterré au cimetière Saint-Charles.

Son histoire illustre les errements lamentables et néanmoins tragiques du mouvement indépendantiste breton engagé dans un jusqu'au boutisme le conduisant bon nombre de militants à collaborer avec les nazis pendant la guerre. Pourtant, Jean Delalande, grand défricheur de contes populaires, pédagogue innovant et érudit, était décrit par son entourage comme un homme doux, bon et plutôt naïf dans "les choses de la vie": tout le contraire d'une brute fasciste.

A Morlaix, les gens qui le connaissaient lui pardonnaient dans l'ensemble pour ses choix pendant la guerre, dictés par le rêve fou d'une Bretagne libre et rendue à la fierté de sa culture ... sous la botte impériale allemande, à part sa mère, qui ne supportait pas l'idée que son fils ait servi d'une manière ou d'une autre des Allemands que son père avait combattus pendant la Guerre Guerre.

 

Ismaël Dupont  

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