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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 06:48

 

Morlaix a été le théâtre à la Libération d'un moment honteux de l'injustice faite aux tirailleurs sénégalais, prisonniers de guerre en France pendant cinq ans ou anciens combattants de la France libre dont on ne voulait plus sous les drapeaux. Dans un livre publié cet année chez L'Harmattan, Retour tragique des troupes coloniales (Morlaix-Dakar, 1944), petit essai enrichi par des documents tels que d'émouvantes photos et correspondances privées entre tirailleurs sénagalais et morlaisiens, la journaliste Anne Cousin rapporte et contextualise ces évènements qui révèlent tout à la fois la solidarité de beaucoup de familles françaises avec ces combattants africains démunis et parqués comme des animaux dormant sur la paille exposés au courant d'air dans la Corderie de la Madeleine et le manque de considération déshonorant dont ils ont été victime de la part de l'Etat français.

 

Ils étaient soudanais, gabonais, maliens, ivoiriens, sénégalais: on les avait recrutés avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale dans les rangs des tirailleurs sénégalais avec des méthodes alternant entre la promesse de gloire et d'une promotion sociale et l'enrôlement de force. 149 000 « Sénégalais » étaient mobilisés en métropole en 1940, dont 40000 engagés dans les combats en métropole. Ce sont ces soldats africains qui vont payer le plus lourd tribut de sang dans les combats extrêmement violents de l'été 1940 17000 (et 38%) d'entre eux environ vont mourir pour défendre le territoire français parce que l'état major les place en première ligne pour accomplir les missions les plus dangereuses ou les plus désespérées, parce que l 'armée allemande les considère comme appartenant à une race inférieure et n'a aucune pitié, aucun ménagement pour eux quand ils sont vaincus. « L'armée nazie traque fréquemment les hommes de couleur, rappelle Anne Cousin, comme à Chasselay dans le Rhône où le 25e régiment de tirailleurs sénégalais qui défendait Lyon sera anéanti, 180 d'entre eux seront écrasés par les chenilles des chars allemands ou froidement exécutés ».

 

Les prisonniers africains et coloniaux de l'armée française ne seront pas envoyés en Allemagne dans les stalags avec les autres prisonniers de guerre français. L'Allemagne nazie craint la « contamination raciale ». Ces 15000 tirailleurs sénégalais prisonniers, ajoutés 54000 Malgaches, Nord-Africains, Indochinois, Martiniquais, vont être dirigés au printemps 1941 vers 22 camps de rétention spécialement destinés aux hommes de couleur en zone nord, nommés frontstalags. « La majorité d'entre eux, écrit Anne Cousin, sont employés dans les usines, en agriculture, sur les routes et les chantiers de l'organisation Todt... Ils vivent dans des conditions très précaires, manquant souvent de nourriture, reclus dans des baraquements sans chauffage ». Comble d'ignominie, comme l'Allemagne à partir de 1943 a besoin de combattants, la surveillance des frontstalags se fera par l'armée pétainiste. L'armée coloniale française gardée comme des bêtes de somme par l'armée française...

 

Mais la France gaulliste n'est pas en reste d'ingratitude vis à vis de ses soldats coloniaux. Jugez plutôt. L'armée de de Lattre de Tassigny qui s'illustre en Italie, en Corse, dans le débarquement de Provence en août 1944 est composée en grande majorité d'Africains qui seront accueillis triomphalement par les populations du sud de la France. Les troupes d'Afrique du Nord et d'Afrique Noire vont ensuite être engagées dans des combats très meurtriers dans les Vosges et en Alsace, dont témoigne le récent film Indigènes de Rachid Boucharef. « Mais, écrit Anne Cousin, à la veille de fouler le sol allemand, les troupes indigènes vont être rapatriées en octobre 1944 vers le sud de la France car l'armée de la France libre organise une opération de blanchiment, ce qui est parfois frustrant pour ces contingents noirs qui se sentent si près du but et laissés pour compte ». Ils sont remplacés par de 50000 jeunes recrues de la FFI (Forces françaises de l'Intérieur), d'anciens résistants, souvent jeunes et réfractaires du STO, qui s'engagent ensuite dans l'armée régulière pour abattre l'Allemagne. Au total, ce sont 20000 Africains qui sont retirés des unités de combat et regroupés dans le midi de la France en attente de rapatriement. « Cependant, rappelle Anne Cousin, par manque de transports maritimes disponibles, les combattants coloniaux vont attendre, vivant dans des conditions matérielles déplorables, car beaucoup d'entre eux n'ont rien perçu. Dans les régions, des familles françaises et marraines de guerre vont permettre à ces soldats malades et démunis, de survivre ».

 

 

Morlaix est libéré le 8 août par des troupes américaines motorisées et des groupes de résistants. Il faudra attendre mai 1945 pour voir le retour des 23 survivants des camps de concentration nazis raflés avec 37 autres otages en représailles de l'attentat commis contre le Foyer des soldats allemands le soir du 24 décembre 1943. En octobre 1944, le retour en Afrique des prisonniers coloniaux qui ont quitté leurs frontstalags et leurs camps de transit s'organise. Le port de Morlaix est choisi pour acheminer 2000 hommes vers Dakar pour un départ prévu le 4 novembre 1944. 2000 tirailleurs sénégalais arrivent donc à partir du 26 octobre à Morlaix, venus de La Flèche, Versailles, Rennes, Coetquidan, Cholet.

 

On a prévu de les loger dans un cantonnement rue de Callac et dans la corderie de la Madeleine, au-dessus du cimetière Saint Charles et de la place Saint Nicolas. Les autorités militaires ont formellement défendu aux familles françaises d'héberger les troupes, mais « cette consigne ne sera pas respectée car les Morlaisiens vont vite constater que certains d'entre eux sont mal nourris et malades. Des familles vont leur donner alimentation et médicaments, prêter leurs cuisines, les héberger, les accueillir chaleureusement » ( Retour tragique des troupes coloniales, p. 39). Les Africains mangent souvent la soupe le soir dans les familles, ils jouent avec les enfants, sont soignés et on leur permet même souvent de se reposer au chaud sur des vrais matelas dans les maisons du quartier populaire de la Madeleine. Certains d'entre eux fraternisent avec la population morlaisienne et correspondront avec des familles pendant des semaines, mais beaucoup aussi sont excédés par les épreuves endurées pendant leur captivité sous surveillance française et l'ingratitude de la France. Surtout, ils craignent de se faire rouler comme les soldats africains de la première guerre mondiale, revenus au pays après tant de sacrifices sans soldes ni pensions d'anciens combattants.

 

Avant le départ prévu le 4 novembre, les tensions et les inquiétudes s'exacerbent parmi les tirailleurs sénégalais et des incidents éclatent. Ce qui allume la mèche est le constat d'une inégalité de traitement entre les anciens prisonniers venant de Versailles, qui ont reçu des rappels de solde de 7000 anciens francs (soit 10,67€) alors que les soldats africains d'autres centres de regroupement ont perçu seulement 2200 francs, soit 3,05€. Le 28 octobre, un capitaine venu du Mans à Morlaix pour régler le rappel de solde est séquestré quelques instants par les sénégalais et doit se justifier sur ces déséquilibres constatés. Il peine à convaincre que ceux qui ont reçu moins de rappels de soldes seront payés à leur arrivée à Dakar. Finalement, à l'aube du 5 novembre, 300 hommes refusent d'embarquer sur le Circassia, le navire appartenant à la marine britannique qui doit les ramener à Dakar.

 

Pendant 6 jours, ils sont cantonnés dans la Corderie de la Madeleine jusqu'à ce que 100 gendarmes surarmés les réveillent brutalement à 6heures du matin le 11 novembre, les obligeant à sortir dans le froid, puis à revenir dans le bâtiment pour fouiller leurs bagages dans le noir, avant de les obliger d'acheminer tous leurs bagages à pied jusqu'à la gare de Morlaix, distante de 1,5km. Les Sénégalais se révoltent contre ce traitement brutal qui revient à les traiter comme des criminels et des coups de poings, des coups de crosse et des coups de feu sont échangés, faisant 8 blessés sérieux, dont un gendarme. Dans l'édition du 18 au 25 novembre de l'hebdomadaire de tendance républicaine socialiste avec des sympathies communistes qui reparaît localement, L'Aurore, on s'émeut et s'indigne de la brutalité de l'armée vis à vis de ses Africains qui l'ont servi avec loyauté et qui ont tant sacrifié pour elle:

 

P. 49 de Retour tragique des troupes coloniales. Le journal L'aurore titre: « 11 novembre sanglant à Morlaix: cent gendarmes tirent sur des Sénégalais désarmés (…). Deux mille Sénégalais récemment délivrés de camps de concentration et groupés à Morlaix attendaient depuis quelques jours leur départ pour l'Afrique. Après plus de quatre ans de captivité, leur arriéré de solde était très important, aussi en attendaient-ils le paiement avec fébrilité. La plupart furent réglés sauf 325 d'entre eux, cantonnés (baugés conviendrait mieux) au quartier de la Madeleine. Le jour du départ arriva et ces 325 infortunés refusèrent d'embarquer avant d'avoir été alignés en solde, disant qu'ils ne voulaient pas être dupes comme leurs pères, qui en 1918 après avoir versé généreusement leur sang pour la France, étaient rentrés au pays sans solde, que depuis ils attendent toujours. Nos braves bamboulas restent inflexibles et inséparables dans leur résolution et le bateau partit sans eux. (…). Vendredi, l'arrivée insolite d'un fort contingent de gendarmes harnachés et armés en vrais guerriers excita quelque peu la curiosité populaire. (…). Vers cinq heures du matin, l'attaque commença. Des gendarmes pénétrant dans la bauge-dortoir intiment à tout le monde de sortir illico en joignant le geste à la parole empoignant les hommes en caleçon ou à demi vêtus pour les faire sortir de force. Ce réveil surprise ne fût pas du goût des Sénégalais qui, les premiers moments de stupeur passés, comprirent le genre de brimades et de provocations dont ils étaient l'objet. (…) Tout à coup dans la nuit claqua un coup de feu. Ce fut le commencement du drame: qui avait tiré? D'après la version officielle ce serait un Sénégalais? Mais nous nous refusons d'y croire, car ils étaient venus désarmés de leurs camps et ils ne possédaient que quelques baïonnettes-souvenirs dont ils n'avaient pas fait usage. (…) Ce fut la fusillade générale... Entre temps les maisons du voisinage furent assiégées par les gendarmes pour en faire sortir les Sénégalais que les habitants hébergent par charité (…). Triste aube du 11 novembre, disent les habitants de ce paisible et populaire quartier qui furent réveillés par le vacarme. »

 

Dans le rapport du commandant de la gendarmerie du Finistère sur les incidents du 11 novembre, il est bien précisé que « les conditions matérielles d'installation des Sénégalais dans une baraque de plus de cent mètres de long, ouverte à tous les vents, un parquet recouvert seulement d'une mince couche de paille étaient vraiment inadmissibles et ont pu entraîner l'explosion spontanée d'une irascibilité collective latente au moment de l'intervention des gendarmes ». Le commandant de gendarmerie dénonce aussi le racisme décomplexé du colonel Mayer, chef d'état major de la région, qui au téléphone, le 11 novembre à 13h, a tancé le capitaine de gendarmerie Wahart en ces termes: « Il ne s'agit pas de parlementer avec les Sénégalais- Ne pas hésiter à employer la force si nécessaire. Si les Sénégalais ne sont pas rendus à destination dans la soirée, le capitaine et le lieutenant de gendarmerie seront arrêtés pour refus d'obéissance et traduits devant un tribunal militaire ».

 

Les 300 tirailleurs sénégalais indignés ayant refusé leur embarquement vont donc parvenir au camp de Trévé près de Loudeac dans les Côtes d'Armor (Côtes du Nord à l'époque) le 11 novembre 1944, et ils vont rester encore en rétention jusqu'au 18 janvier 1945, avant d'être transférés à Guingamp.

 

Pendant ce temps, leurs compagnons tirailleurs sénégalais sont embarqués pour Dakar et un climat d'agitation règne sur le bateau, puisqu'à chaque escale – Plymouth, Cardiff, Casablanca- les soldats demandent à ce qu'on leur paye leurs arriérés de soldes, tandis qu'on leur répond invariabalement qu'il n'y a pas assez de liquidités sur le moment dans les caisses et que leur réglera ce qu'on leur doit un peu plus tard. A Casablanca, pour calmer un peu le climat, on oblige 400 tirailleurs à débarquer.

 

Le massacre de Thiaroye

 

Quand le Circassia arrive à Dakar le 21 novembre, les 1200 ex-prisonniers sont directement transférés au camp de transit de Thiaroye, ville proche de la capitale sénégalaise, avant de pouvoir regagner leurs pays d'origine. Là-bas, les tirailleurs sont très inquiets, craignant qu'on les disperse avant de leur verser leur dû, auquel ils devraient finalement renconcer, roulés dans la farine par une armée menteuse et manipulatrice comme la génération passée en 1918. A l'arrivée des tirailleurs à Thiaroye, le gouverneur général de l'Afrique Occidentale Française envoie un télégramme au ministère des colonies à Paris disant qu'il y a urgence à satisfaire les légitimes réclamations des soldats démobilisés en disant sinon qu' « il n'est pas impossible que incidents graves se produisent malgrés précautions prises... ».

 

C'est pourtant ce qui arrive. Ne voyant pas venir leur solde alors qu'on leur demande maintenant de reprendre le train en partance pour Bamako au Mali, 500 tirailleurs refusent de prendre le train et retiennent le général Dagnan, commandant la division Sénégal-Mauritanie pendant une heure dans sa voiture. « Le général, raconte Anne Cousin, les informe qu'il va en référer aux autorités supérieures afin de régler les problèmes exposés. Fort de ces nouvelles promesses, on le laisse partir. Mais le général Dagnan considérant qu'il a été pris en otage et qu'un climat de rébellion existe dans le camp de Thiaroye, va demander au commandant supérieur de Boisboissel son accord pour faire « une démonstration de force » à l'égard de ces ex-prisonniers indisciplinés ».

 

Au petit matin, ajoute l'auteur, « plusieurs bataillons de régiment d'artillerie coloniale, pelotons de gendarmerie, et tirailleurs sénégalais du bataillon Saint Louis, ouvrent le feu sur leurs camarades qui sortent hébétés des baraquements. C'est avec un char M3, deux half-tracks, trois automitrailleuses que l'assaut est donné. Les rapports officiels font état de 24 morts et onze blessés qui ne survivront pas aux blessures, ce qui porte à 35 le nombre de tués et à 34 le nombre de blessés, 48 mutins seront arrêtés et présentés devant un tribunal militaire » (p.69). L'ancien président des anciens combattants et prisonniers de guerre du Sénégal, Doudou Diallo rapporte que ce massacre contre des hommes désarmés a eu lieu après un dernier ultimatum effectué quand ils sont sortis de leurs baraquements (« Embarquez dans les wagons où nous tirons »), mais les tirailleurs avaient appris à n'avoir plus peur des blancs ni de la mort, à placer la dignité au-dessus de tout, et ces ingrédients, ajoutés au cynisme et à la barbarie de l'armée française et de l'Etat colonial, rendaient inéluctables la décolonisation. Après la fusillade, Doudou Diallo raconte qu' « un commandant a voulu obliger un blessé à marcher à pied jusqu'à l'hôpital. L'homme a refusé: « Même l'ennemi nous ferait transporter » ». Devant le train, un autre tirailleur qui refusait d'embarquer a été abattu froidement...

 

Cette ignominie a été parachevée, au tribunal militaire permanent de Dakar, par une parodie de procès pour mutinerie en mars 1945 de 45 tirailleurs survivants dont on rendait responsable « leur contamination par la propagande allemande » (sachant que plusieurs d'entre eux, dont Doudou Diallo, s'étaient engagés dans la Résistance FFI) : 34 ont été condamnés, certains à des peines allant jusqu'à 10 ans d'emprisonnement.

 

Une loi du 16 avril 1946 adoptée grâce à la pression exercée par le député Léopold Sedar Senghor sur Vincent Auriol, permit d'amnistier et de libérer les condamnés mais les anciens combattants condamnés ne recevront jamais d'indemnités ni de réhabilitation. A l'indépendance des anciens Etats colonisés, les pensions d'anciens combattants seront gelées. En 2000, la retraite du combattant selon le GISTI (groupe d'information et de soutien des immigrés) s'élevait à 430 € pour un Français, 175€ pour un Centrafricain, 85€ pour un Malien, 57€ pour un Algérien, 16€ pour un Cambodgien ». C'est à Chirac que l'on doit d'avoir si tardivement, alors qu'il ne reste que très peu d'anciens combattants survivants, rétabli cette injustice en revalorisant les pensions des anciens soldats des colonies et en reconnaissant, par l'intermédiaire de Pierre André Wiltzer, ancien ministre délégué à la coopération, la tâche pour la République Française qu'a constitué la tuerie de Thiaroye.

 

Compte-rendu du beau livre d'Anne Cousin dont on ne saurait trop recommander l'achat (11 €) et la lecture réalisé par Ismaël Dupont.

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commentaires

D
merci pour ces informations enrichissantes

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