"La chance voulut que j'ai en France, et pour longtemps, comme amis intimes, les deux plus grands représentants de sa littérature: Paul Eluard et Aragon. C'étaient - ce sont toujours - deux curieux classiques de la désinvolture, que leur authenticité vitale situe au plus haut de la forêt française. En même temps, ils sont les partisans naturels et inébranlables de la morale historique. Peu d'êtres différent autant entre eux comme ces deux hommes.
Avec Paul Eluard, je pus souvent jouir du plaisir poétique de perdre mon temps. Si les poètes répondaient avec franchise aux enquêtes, ils révéleraient le secret: rien n'est plus beau que de perdre son temps. Chacun a son style pour ce goût vieux comme le monde. Avec Paul je perdais la notion du jour et de la nuit qui s'écoulaient et je n'ai jamais si si nos propos avaient ou non de l'importance.
Aragon, lui, est une machine électronique de l'intelligence, de la connaissance, de la virulence, de la rapidité éloquente. J'ai toujours quitté la maison d'Eluard en souriant sans savoir pourquoi. De quelques heures passées avec Aragon je ressors épuisé car ce diable d'homme m'a obligé à réfléchir. Les deux ont été d'irrésistibles et loyaux amis et leur grandeur antagonique est peut-être ce qui me plaît le plus en eux.
(...)
En 1937, nous étions à Paris, et notre principale activité était la préparation d'un congrès mondial d'écrivains antifascistes qui devait se tenir à Madrid. C'est là que je commençait à connaître Aragon. Ce qui me surprit d'abord chez lui c'était son incroyable capacité de travail et d'organisation. Il dictait toutes les lettres, les corrigeait, s'en souvenait. Pas un détail ne lui échappait. Il restait de longues heures à travailler dans notre petit bureau. Et après, on le sait, il écrit de gros livres en prose et sa poésie est la plus belle de la langue française. Je l'ai vu corriger les épreuves des traductions qu'il venait de faire du russe et de l'anglais, et les refaire sur le même papier d'imprimerie. Il s'agit, en vérité, d'un homme prodigieux, et je m'en rendis compte dès cette époque".
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