« L'espoir, disait-il, est un piège inventé par les patrons. Il faut avoir le courage de se rebeller... et aller chercher notre salut, ce qui en Italie n'a jamais été le cas ».
(Mario Monicelli)
Jeudi 28 mars, le cinéma d'art et d'essai morlaisien La Salamandre organisait en solidarité avec le cinéma d'art et d'essai de Quimper Le Dupleix (ancien Chapeau Rouge), mis en danger par le rachat de son bâtiment par Cinéville, en situation de monopole, une projection du film "Les camarades" (I Compagni) de Mario Monicelli, né à Rome en 1915 et mort, en sautant de sa chambre d'hôpital à San Giovanni à Rome, à 95 ans, en 2010, alors qu'il était atteint d'un cancer incurable.
Ce film daté de 1963 avec comme acteurs Bernard Blier, Renato Salvatori, Annie Girardot, et surtout Marcello Mastroiani est un chef d’œuvre du cinéma politique et social, s'intéresse à la naissance du syndicalisme ouvrier en Italie et montre bien les difficultés et contradictions des luttes du mouvement ouvrier: le rapport aux intellectuels révolutionnaires des ouvriers, la difficulté de la grève, de construire et garder l'unité dans la lutte, la duplicité du patronat.
Le scénario de ce film:
"A la fin du XIXème siècle, dans une fabrique textile de Turin, les ouvriers, soumis à un rythme de travail infernal, voient se multiplier les accidents. Trois d’entre eux entrent en conflit avec le contremaître à la suite d’un nouveau drame. Il est alors décidé, en guise de protestation, que tous partiront une heure plus tôt ce soir-là. Mais cette action n’est pas du goût des patrons, qui profitent de l’inexpérience de ces hommes simples pour les berner. Les sanctions tombent. Le professeur Sinigaglia, un militant marxiste, fraîchement débarqué de Gênes, pousse les ouvriers à s’organiser. La grève s'organise pour le passage de la journée de 14h à la journée de 13h, l'augmentation du temps de pause le midi et des grèves".
Mario Monicelli est devenu réalisateur après avoir été étudiant d'histoire et de philosophie Milan et à Pise.
Il devient assistant réalisateur avant-guerre, puis cinéaste après guerre.
Il réalise de très grandes comédies de cinéma réaliste gai comme "Un héros de notre temps" ou "Le Pigeon" (Il Soliti Ignoti), son chef-d’œuvre.
Mario Monicelli est et est resté jusqu'au bout communiste et révolutionnaire.
Il appartient à cette glorieuse tradition de l'avant-garde des cinéastes italiens devenus militants ou sympathisants communistes (comme d'ailleurs de grands écrivains comme Moravia -1907-1990/ Le mépris, L'ennui/ ancien député européen communiste - ou Pavese*) après souvent une éducation catholique, bourgeoise ou aristocratique, dans le sillage d'un retour critique sur l'expérience fasciste portée et soutenue par la bourgeoisie et les capitalistes italiens, et du prestige du communisme après-guerre, comme:
- Vittorio de Sica (1901-1974)- Le voleur de bicyclette; Miracle à Milan
- Lucino Visconti (1906 - Milan - 1976- Rome) - La Terre Tremble; Rocco et ses frères, Le Guépard, Mort à venise)
- Roberto Rossellini (1906-1977) - Rome, ville ouverte ; Allemagne Année zéro
- Ettore Scola (1931-2016) - Une journée particulière; La nuit de Varennes; Affreux, sales et méchants; Nous nous sommes tant aimés
- Fédérico Fellini (1920-1993) - La Dolce Vita, La Strada, Juliette des esprits, Casanova, Le Satyricon
- Pier Paolo Pasolini (1922 -1975) - Salo où les 120 journées de Sodome; Le Décaméron- qui adhère au PCI en 1947 et en est exclu en 1953, tout en se proclamant ensuite toujours communiste.
- Bernardo Bertolucci (1941-2018) - Prima della Rivoluzione, La Stratégie de l'Araignée, Le conformiste avec Jean-Louis Trintignant, Le Dernier Tango à Paris avec Marlon Brando et Maria Schneider, Le Dernier empereur; Little Buddha
Ce cinéma italien d'avant-garde, néo-réaliste, social ou lyrique, a malheureusement été balayé par les années Berlusconi, comme d'ailleurs une grande partie de la culture communiste et progressiste en Italie, laissant place à un pays gouverné par le business mafieux, la droite ultra-libérale et maintenant les néo-fascistes de Salvini et de la Ligue du Nord.
Il y a bien sûr selon nous un lien certain entre l'avènement des mass médias et le triomphe de la télé poubelle au service des puissances d'argent, l'essor du libéralisme le plus clinquant et le plus corrompu, la crise du PCI, le Parti Communiste Italien, le plus puissant et novateur d'Europe, et un certain déclin du cinéma d'auteur en Italie. Mais l'Italie est un pays de trop vieille et riche culture pour ne pas voir renaître bientôt les germes d'une nouvelle Renaissance culturelle et politique.
Ismaël Dupont
* Pavese, traducteur de Dickens, Melville, Faulkner, Defoe, Joyce, adhère au Parti Communiste Italien après-guerre. En 1949, il écrit le très beau et désespéré "Le bel été" (ma mère adorait, moi aussi). Il se suicide à Turin en 1950, à 42 ans.
Triste destin que celui de nombreux grands écrivains italiens: Primo-Levi, suicidé probablement, lui aussi, à Turin en tombant de son escalier en 1987. Malaparte, mort d'un cancer du poumon avec sa conversion tardive au catholicisme et sa carte du Parti Communiste chèrement obtenue, accordée par Togliatti après plusieurs années de demandes depuis 1945: le génial auteur de "Kaputt", souvenirs du Front Russe comme correspondant de guerre avec les armées nazies, et de "la Peau", vision apocalyptique et grotesque de l'Italie de la Libération, s'était il est vrai bien compromis avec le régime fasciste qu'il avait rejeté publiquement au départ. Et le grand Buzatti, l'auteur du "Désert des Tartares" et du recueil de nouvelles "le K", mort dans les angoisses d'un cancer à Milan. Et Pasolini, communiste lui aussi, victime d'un assassinat en 1975, sur la plage d'Ostie, près de Rome
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