En 2017, le nom de la rock star irlandaise est apparu dans un des circuits d’évasion fiscale dévoilés par les Paradise Papers. Ce n’était pas une première pour le héraut des bonnes causes, adepte avec son groupe de l’évitement de l’impôt.
D’un côté, il y a les tournées officielles de U2. Après avoir parcouru les États-Unis, leur dernière en date sillonne le Vieux Continent à partir de fin août. Et puis, il y a les circuits non officiels. Ceux de leurs sous qui passent par des destinations où les quatre gens de Dublin ne se produiront sans doute jamais : Malte, Guernesey, la Lituanie… C’est ce qu’ont dévoilé les Paradise Papers en novembre 2017. Le quotidien britannique The Guardian et le site lituanien 15 min ont relevé le nom de Paul Hewson dans les documents consacrés à une société maltaise, Nude Estates, propriétaire d’un centre commercial à 60 kilomètres de Vilnius. Le patronyme de naissance de Bono apparaît parmi ceux des investisseurs qui ont financé l’acquisition, via des montages financiers optimisés.
Malte est en effet très accueillante pour les étrangers en quête de placements rentables : les plus-values n’y sont imposées qu’à 5 %. En l’occurrence, Nude Estates a acheté en 2007 ce centre commercial contre 5,8 millions d’euros, via une société du même nom créée dans le pays balte. En 2012, le titre de propriété est transféré à une troisième structure, Nude Estates 1, celle-ci enregistrée à Guernesey, où les profits réalisés par les compagnies qui y sont enregistrées ne sont là non plus pas taxés. Placée sur le gril du fisc lituanien après ces révélations, Nude Estates a versé, début 2018, 34 000 euros d’impôt sur le revenu et 19 000 euros d’amende, afin d’éteindre les poursuites.
À l’époque, Bono avait fait valoir qu’il n’était qu’un investisseur « passif » et « minoritaire » dans ce montage. Soulignant qu’il effectuait toujours ses investissements en son nom, et non sous couvert de sociétés-écrans, il avait « salué » la publication de ces révélations. « J’ai milité pour que les propriétaires de sociétés offshore soient rendus publics. (…) Il devrait y avoir des registres publics pour que la presse et le public puissent voir ce que les gouvernements, comme Guernesey, savent déjà. »
Mais ce couplet sonne faux, alors que le chanteur aux multiples causes humanitaires s’est déjà fait prendre la main dans le pot de l’optimisation fiscale. Avant cet épisode, il y eut en 2006 la migration d’Irlande vers les Pays-Bas de U2 Limited, le fonds gestionnaire des bénéfices récoltés via la vente de leurs albums et leurs concerts. Avant 2006, le groupe, comme les autres artistes domiciliés en Eire, bénéficiait d’une ristourne fiscale pour ce genre de revenus. Mais Dublin a eu la fâcheuse idée d’adjoindre un plafond à cette niche fiscale. La bande à Bono a alors envoyé U2 Limited aux Pays-Bas, où l’y attendait un système plus accueillant. Celui-ci permet à toute société de droit néerlandais d’y faire remonter les bénéfices générés par des activités effectuées dans d’autres pays sous forme de versements de royalties et droits de licence. Cette pompe à bénéfices, taxée symboliquement par les Néerlandais, réalise en plus le prodige d’annuler toute taxation ailleurs.
Selon Billboard, l’étape américaine du « Joshua Tree tour 2017 » a engrangé 46,4 millions d’euros. On comprend mieux le tropisme de Bono and Co pour Amsterdam. En 2006, une banderole « Payez vous aussi vos impôts » avait été hissée lors d’un concert. Bono avait répliqué en déclarant « payer une fortune en taxe et être content de le faire. Mais ça ne veut pas dire que, puisque vous êtes bon en philanthropie (…), les gens pensent qu’on devrait être stupide en affaires ». Et Bono s’y connaît en bonnes affaires. En 2009, Elevation Partners, fonds dont il est l’un des fondateurs, avait pris 2,4 % dans un réseau social naissant… Facebook, autre spécialiste de l’optimisation fiscale.
Le guide touristique de la fraude - Pays-Bas
Quatre-vingt-onze des cent plus grandes multinationales mondiales ont au moins une filiale stratégique aux Pays-Bas. Si elles en profitent pour y déposer leurs brevets et revenus liés à la propriété intellectuelle, exemptés d’impôts, le pays sert avant tout de plaque tournante financière. Les Pays-Bas sont le premier récepteur et émetteur au monde d’investissements directs à l’étranger, autrement dit d’achats et de ventes de titres d’entreprise. On ne parle pas ici d’investissement productif, mais bien d’internationalisation des firmes à but d’optimisation fiscale. Les Pays-Bas ne sont pas directement un paradis fiscal, mais plutôt une gigantesque pompe financière : ils absorbent les milliards des multinationales, et les rejettent, quasiment sans frais, dans les Antilles néerlandaises, avec lesquelles le pays a de très avantageux accords – empêchant notamment la double imposition – et où les taux d’imposition se situent entre 0 % et 5 %. Cette stratégie bien connue s’appelle le « sandwich hollandais ». 8 000 milliards d’euros de flux financiers transitent ainsi chaque année par les Pays-Bas en toute impunité, puisque l’administration néerlandaise se révèle incapable de contrôler plus de quelques dizaines de transactions.
Stéphane Guérard
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