Auprès des principaux candidats à l’élection présidentielle française s’activent des collaborateurs. Ces équipes exhibées devant les caméras, ces organigrammes publiés par la presse ne représentent pas seulement une accumulation de pouvoirs, d’ambitions et de savoir-faire : ils expriment des compromis entre fractions de la classe dominante et impriment leur marque aux divers programmes. Après M. Nicolas Sarkozy en « président des riches (1) », voici M. François Fillon, son ex-premier ministre, en apôtre de l’entreprise, de l’autorité et de la foi.
Dans l’arithmétique des pouvoirs, toutes les richesses ne se valent pas. L’argent surclasse les autres (culture, savoir et prestige) et étalonne leurs grandeurs relatives. Il en va de même parmi les alliés de M. Fillon : des financiers fixent le cap, des consultants organisent la campagne, des communicants lustrent l’image du candidat.
Au pôle économique trône M. Henri de Castries, ex-président-directeur général du premier assureur mondial, Axa, un groupe qu’il a rejoint après avoir pris part aux premières privatisations (1986-1988) en tant que chef de bureau à la direction du Trésor. Dans cette entreprise qui martèle depuis des années son credo libéral, notamment à travers l’Institut Montaigne, une boîte à idées fondée en 2000 par son ancien dirigeant Claude Bébéar, M. de Castries s’épanouit. Il réclame « des leaders forts, qui développent une vraie vision du monde et une vraie stratégie d’avenir, et qui seront d’une fermeté sans faille dans l’exécution de celle-ci. Bien sûr, il faut écouter les protestations, mais en ayant conscience de ce qu’elles représentent d’intérêts particuliers. Mais il faut savoir tenir un cap. C’est une dignité et une vertu que de mener des réformes »(Le Figaro, 2 novembre 2016).
Avec M. Jean de Boishue, son conseiller à Matignon, et M. Igor Mitrofanoff, sa « plume », M. Fillon avait déjà des amis russophiles. M. de Castries l’a fait bénéficier de ses relais atlantistes. En 2013, il l’invite aux rencontres du groupe Bilderberg, cénacle qui, depuis sa création en 1954, rassemble patrons, politiques, anciens militaires et quelques journalistes. L’assureur a aussi inspiré le programme du candidat tout au long de la primaire. Depuis le succès de son champion, M. de Castries guette le déroulement de la campagne et appâte les rédactions par la mise en scène de ses ambitions ministérielles (Le Monde, 14 décembre 2016).
Nul chef sans stratège. Dans les grandes entreprises, c’est souvent la fonction dévolue aux consultants. Ils jouent un rôle-clé aux côtés du candidat de la droite française. Formé chez les jésuites, puis à la Harvard Business School, M. François Bouvard supervise l’élaboration du programme, une mission analogue à celles qu’il accomplissait pour des directions de multinationales ou d’administrations centrales lorsqu’il travaillait pour le cabinet McKinsey (1989-2013). Quand, en 2007, le gouvernement de M. Fillon lance la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui applique aux administrations les règles des entreprises privées, le comité de suivi des audits a pour coanimateur M. Jean-Paul Faugère, alors directeur de cabinet du premier ministre. Celui-ci prétendait déjà « faire mieux avec moins », et McKinsey présentait la RGPP comme un cas d’école (2).
Après le stratège, le manager : M. Pierre Danon, directeur de campagne adjoint pendant les primaires. À la tête de Numericable entre 2008 et 2012, il a rencontré M. Fillon à l’occasion de la mise en vente par son gouvernement d’une quatrième licence de téléphonie mobile. Mais, pour ce spécialiste de la « réduction de coûts », qui cumule les jetons de multiples conseils d’administration, la révélation politique remonterait à 2012 : « J’ai trouvé les attaques contre la famille Peugeot, qui a toujours défendu l’emploi en France, détestables. J’ai été choqué par la distance prise avec l’Allemagne afin de flirter avec l’Espagne et l’Italie » (L’Opinion, 21 septembre 2016). Depuis, M. Danon organise des rencontres entre M. Fillon et des dirigeants d’entreprise, anime des groupes de travail afin de rédiger le programme économique et sillonne la France pour des réunions publiques. Un soir d’automne 2016, à la Bourse du travail de Massy (Essonne), il galvanise son auditoire : « Et, s’il le faut, [M. Fillon] saura envoyer l’armée pour débloquer des raffineries » (L’Humanité, 18 novembre 2016). Il figure désormais parmi les porte-parole officiels de son champion ; dans l’organigramme, il est rattaché au « pôle société civile », qu’anime un ancien directeur du Mouvement des entreprises de France (Medef), chargé des adhérents.
Financière de haut vol, son épouse, Mme Laurence Danon-Arnaud, a présidé entre 2005 et 2013 la commission « Prospectives » du Medef, lequel a instillé nombre de ses idées dans le programme du candidat Fillon. Pour la primaire, Mme Dorothée Pineau, directrice générale adjointe du Medef, s’est beaucoup investie (Marianne, 23 novembre 2016), tout comme la présidente de la fédération patronale Syntec. Mme Viviane Chaine-Ribeiro, qui ambitionnerait de succéder à M. Pierre Gattaz à la tête du Medef, fait elle aussi partie des porte-parole officiels de M. Fillon.
Pour la communication, celui-ci s’en remet à l’une des plus prestigieuses attachées de presse de la capitale. Après être passée par Sciences Po et par la faculté de droit d’Assas, Mme Anne Méaux a fait ses classes à l’Élysée, auprès du président Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), puis au service du groupe parlementaire Union pour la démocratie française (UDF) à l’Assemblée nationale. Elle dirige désormais Image Sept, qui se présente comme la « première agence de communication indépendante en France ». Sa clientèle comprend des établissements publics, des collectivités territoriales, des gouvernements étrangers et les piliers du CAC 40. C’est en particulier à l’un d’entre eux, M. François Pinault, le patron de Kering (ex-groupe Pinault-Printemps-Redoute, PPR), que Mme Méaux doit sa position. Elle l’a désigné comme parrain lorsqu’elle a reçu l’insigne d’officier de la Légion d’honneur (Le Figaro, 10 juin 2016). Ses convictions libérales ont amené cette admiratrice de la romancière libertarienne américaine Ayn Rand (3) à suivre M. Fillon (L’Opinion, 21 novembre 2016).