"J'avais 10 ans quand Hafez el-Assad est arrivé au pouvoir, 20 quand il m'a jeté en prison et 35 quand j'en suis sorti. On peut dire que je connais le système de l'intérieur.... Mon livre est un acte de résistance basé sur la lutte des idées, du savoir, et non sur la compassion. Il y a beaucoup d'écrits sur la Syrie où l'émotion domine. J'ai essayé de m'en éloigner parce que je trouve le message plus fort ainsi. Je veux que les gens réfléchissent sur ce que signifie un régime qui emprisonne, torture et tue."
(interview de Yassin Al-Haj Saleh au Journal du Dimanche, 15 mai 2016)
Ces articles profonds et lumineux d'intelligence, de profondeur politique et de rigueur éthique, de Yassin al-Haj Saleh, né en 1961 à Raqqa, et qui passa seize ans dans les prisons syriennes où il a été jeté à vingt ans pour appartenance au Parti Communiste d'opposition, grande figure intellectuelle de l’opposition démocratique syrienne, n’ont jusqu’à présent jamais été regroupés en un seul volume, ni en arabe ni dans une autre langue.
Les éditions Actes Sud nous donnent enfin à lire l'analyse d'un grand intellectuel syrien progressiste sur le fonctionnement du régime de Bachar-al-Assad, les raisons de la révolution syrienne, la stratégie du régime pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte en faisant la guerre à sa société et en confessionnalisant le conflit, le devenir de la guerre civile, théâtre d'ambitions et de manipulations internationales.
Yassin al-Haj Saleh, c'est en quelque sorte Jean-Paul Sartre des articles politiques de Situations ... Un Jean-Paul Sartre écrivant dans une situation d'engagement mortel et de danger personnel au pays de la torture banalisée, du confessionnalisme organisé, des Chabiha et des largages d'armes chimiques et de barils d'explosifs sur les civils...
Ces huit articles sont précédés d’une introduction précisant le contexte de chacun d’eux et classés par ordre chronologique, ils couvrent l’histoire du soulèvement syrien depuis son déclenchement en mars 2011 et constituent l’analyse interne la plus fine de cet événement majeur dans l’histoire moderne du Proche-Orient.
C'est une analyse originale non seulement du régime né du coup d’État de 1970, à partir de ses slogans et de ses emblèmes, mais aussi des origines sociales et culturelles de l’extrême violence dont il a toujours fait preuve, ainsi que de la militarisation du soulèvement et de l’intrusion des djihadistes, qui, en se conjuguant, ont abouti à ce que l’auteur désigne comme le “nihilisme guerrier”. Le dernier texte, le plus dense, “Le sultan moderne”, fait la synthèse des dizaines d’articles et chroniques publiés par lui durant une dizaine d’années dans la presse sur la nature du régime des Assad, père et fils, alliant despotisme, communautarisme, clanisme en un “État sultanien” (par référence entre autres aux mamelouks) de type nouveau.
Ces articles de Yassin al-Haj Salah ont été traduits de l'arabe par Nadia Leïla Aïssoui, Farouk Mardam-Bey, et Ziad Majed. Ce dernier est aussi un grand intellectuel laïc et progressiste de la résistance syrienne au régime fasciste et inhumain de Bachar-al-Assad.
Le "Chiffon Rouge" a déjà publié deux des interventions de ce militant de gauche, Ziad Majed, qui avait été invité à l'Université d'été d'Ensemble (Front de Gauche).
Alep: leur massacre, notre impuissance? - Ziad Majed et Renaud Girard sur France Culture
Infos Syrie Résistance: avec le peuple syrien, ni Bachar, ni Daech! : Quelques conséquences possibles de l’échec de l’accord russo-américain sur la Syrie, par Ziad Majed
En tout cas, en lisant ces articles puissants de Yassin Al-Haj Saleh, publiés sur 4 ans entre le début de l'année 2011 et novembre 2015, écrits dans quatre villes - Damas, Douma dans la Gouta, la "plaine fertile" de Damas, Raqqa, et Istambul- où Yassin Al-Haj Saleh a été obligé de s'exiler après l'enlèvement de sa femme, Samira al-Khalil, militante et ancienne détenue (de 1987 à 1991) du régime comme lui, par une organisation salafiste, on comprend la méprise et l'indécence de cette opinion, de plus en plus défendue, qui voudrait que le régime de Bachar-al-Assad soit un rempart contre l'islamisme obscurantiste et la domination américaine ou saoudienne sur cette partie du monde et un "moindre mal" car offrant des conditions de stabilité, de laïcité, sans commune mesure avec les bandes islamistes qui le combattent.
Cette lecture héritée de la guerre froide et qui identifie le régime baassiste à ses origines socialistes premières et ses opposants à des tenants de l'impérialisme occidental ou à des islamistes réactionnaires est un pur produit idéologique et de propagande qui passe sous silence la nature intrinsèquement fasciste, inégalitaire, raciste, criminelle de ce régime corrompu à la base sociale très étroite, qui n'a dû sa survie qu'à son association aux visées impérialistes de l'Iran et de la Russie et au cynisme des Américains et de la communauté internationale qui ont complètement abandonné le peuple syrien.
Nous publierons prochainement des extraits significatifs de "La question syrienne", le recueil d'articles de sociologie politique engagée de Yasin Al-Haj Saleh.
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