la loterie de l'indécence - un dessin très juste qui met en miroirs les préjugés contraires sur la tenue des femmes
"La bourgeoisie réactionnaire s'est partout appliquée ... à attiser les haines religieuses pour attirer dans cette direction l'attention des masses et les détourner des questions politiques et économiques véritablement importantes et capitales"
(Lénine, 1905 - "Socialisme et religion")
Du contrôle social sur les corps et les esprits
Dans les discours sur l'interdiction du burkini sur les plages, ou dans l'obligation faite de se baigner en maillot de bain ou d'être en maillot de bain sur les plages, au nom de la lutte contre l'islamisme, n'y a t-il pas un discours d'exclusion des musulmans en général, des amalgames honteux et pousse-au-crime faits entre les musulmans et le terrorisme islamiste, et aussi une volonté de contrôle et assujettissement du corps des femmes qui n'est pas nouvelle, mais qui cette fois-ci se fait à rebours des normes anciennes, la décence imposant désormais de se dévoiler aux yeux des autres, de s'exposer nos corps mutuellement?
Pour une femme musulmane pratiquante, dans les formes majoritaires de l'Islam du moins, se baigner habillée et le corps non découvert n'est pas une marque d'islamisme radical, une forme de prosélytisme, de "revendication religieuse", c'est normal: elle serait mal à l'aise si elle ne pouvait pas le faire, et du coup elle s'interdirait les joies de la baignade. Au début de la mode des bains de mer en France et en Europe, le corps des femmes était aussi largement couvert.
Va t-on interdire les plages aux musulmanes?
Aux familles musulmanes?
Sous prétexte que leur tenue, que leur présence, pourrait choquer ceux qui montrent leurs nombrils et les formes de leurs corps, voire attirer des bagarres, des tensions...
Le soleil, la plage et la mer sont à tous, c'est même dans la beauté et le plaisir que nous pouvons nous réunir, au-delà de nos différences.
Les plages sont des endroits publics certes, mais les lieux publics - la rue, les places, la plage - ne sont pas des casernes où chacun devrait avoir le même uniforme sous prétexte d'assurer la tranquillité publique. La laïcité consiste à n'être pas l'objet de pression injonctive de la part d'une religion ou d'un Etat se mettant au service d'une religion et à vivre ses convictions et sa foi éventuelle dans le respect des autres, en respectant leur liberté, et pour l'Etat à assurer cette coexistence respectueuse des libertés. Rien d'autre! La laïcité ne prescrit pas telle ou telle tenue vestimentaire, ni de ne jamais exposer ses appartenances religieuses ou autres dans l'espace public.
Ainsi, moi, je n'aurais plus le droit de mettre mon tee-shirt du Che à la plage sous prétexte que cela pourrait être perçu comme du prosélytisme, créer des tensions.
Tant que les musulmans dévots ne réclament pas un bout de plage séparée pour que leurs femmes soient à l'abri des regards impudiques, ou tant qu'ils n'imposent pas aux autres leur tenue sur la plage, quel mal y a t-il à accepter chacun comme il veut être sur les plages, les seins nus et les femmes voilées.?
Va t-on exclure ceux qui ne se découvrent pas à la plage, les allergiques au soleil, les disgracieux, les trop tatoués, les punks?
Le burkini permet aux femmes musulmanes qui le veulent de se baigner couvertes sans les inconvénients des vêtements mouillés.
Peut-être que ses initiateurs poursuivent des objectifs d'islamisation ou de réislamisation de la société.
On peut ne pas être en accord avec la philosophie morale et religieuse vieillotte et ringarde - voire hypocrite, misogyne, liberticide et pudibonde - imposant de couvrir les femmes au nom de la décence et pour protéger leur vertu. On peut et il faut très certainement combattre l'islam traditionaliste sur le plan des idées sans mettre hors de la communauté nationale des hommes et des femmes, nos concitoyens, qui s'y reconnaissent.
Sans créer un discours et une pratique redoutables sur nos prétendus "ennemis de l'intérieur" car c'est en stigmatisant et en excluant a priori que l'on crée de l'adversité et de l'hostilité à notre vivre ensemble démocratique et républicain, car il devient alors très largement une illusion et un leurre pour certaines franges de la société qui se sentent déjà pointées du doigt et stigmatisées quasiment en permanence.
Dans cet entretien à Libération, l'auteur d'un Petit manuel pour une laïcité apaisée (La Découverte) Jean Baubérot, sociologue de la laïcité, prend parti avec des arguments raisonnables et percutants pour une conception ouverte et tolérante de la laïcité et du vivre ensemble républicain, la laïcité ne devant pas être la nouvelle couverture de la paranoïa, de l'angoisse identitaire et de la xénophobie.
Ismaël Dupont
Burkini : «On peut être choqué sans pour autant interdire»
Libération, 17 août 2016
Pour le sociologue de la laïcité Jean Baubérot, se focaliser sur le burkini risque d’accentuer un sentiment d’exclusion.
Jean Baubérot, fondateur de la sociologie de la laïcité, qui s’était prononcé contre l’interdiction du voile à l’école en 2003, prône une laïcité non stigmatisante.
Que vous inspire la polémique autour du burkini ? Y a-t-il une bouffée laïcarde ? Ou serait-ce de l’ultravigilance nécessaire ?
C’est bien le dilemme. Depuis les attentats de janvier 2015, il existe une menace jihadiste à laquelle est confrontée la très grande majorité des Français, musulmans compris. Alors, où met-on la frontière entre les amis et les ennemis de la République ? L’actuelle polémique autour du burkini conforte ma position en faveur d’une laïcité la plus inclusive possible, pour ne pas rendre attirants les ennemis de la République. Il faut se souvenir qu’après Nice et le meurtre du père Hamel, on a vu des femmes en foulard manifester contre les auteurs des attentats.
Dans cette situation grave et incertaine que nous vivons, il existe un débat, vraiment sérieux, entre deux options : d’un côté, donner au plus grand nombre le sentiment qu’ils font partie de la collectivité et isoler les ennemis de la République ; de l’autre, dire «il y a glissement» et sévir à la moindre occasion qui semble choquante. Mais alors Daech va pouvoir jouer de la victimisation, dire «voyez, on vous stigmatise, vous n’êtes pas inclus dans la communauté française».
On peut être choqué, par le voile, par le burkini, et il peut et il doit y avoir débat, mais sans pour autant interdire. C’est le principe de la démocratie : tolérer la différence, accepter l’altérité.
Les arrêtés anti-burkini sont-ils précipités, ou disproportionnés ?
Ils majorent le problème. Je remarque, d’ailleurs, qu’on est passé de la lutte contre les femmes pas assez vêtues des années 60, à celle contre les femmes désormais trop vêtues… Quand mes sœurs ont commencé à porter des maillots de bain deux pièces, ma mère était contre, alors qu’elle ne se jugeait pas particulièrement étroite d’esprit ! Il y a par ailleurs en France une société du voir qui accorde beaucoup trop d’importance au paraître. Personnellement, je pense que l’habit ne fait pas le moine.
Que les musulmans aient une réflexion à faire sur le rapport hommes-femmes, je suis d’accord, comme les autres d’ailleurs, et qu’il faille un féminisme musulman, d’accord aussi. Mais laissons-les débattre ensemble, évoluer, c’est au sein d’elles-mêmes que les communautés religieuses doivent décider de leurs manières de s’habiller.
Interdire comme ça peut au contraire empêcher l’évolution, crisper. La laïcité consiste à mettre la religion dans le droit commun, or on a le droit d’aller à la plage habillé des pieds à la tête. Plus largement, ce genre de polémique masque des problèmes de non-reconnaissance sociale, économique mais aussi culturelle. On voudrait en faire une opposition entre laïcité dure et laïcité molle mais, à mes yeux, il s’agit juste de mesures stratégiquement contre-productives.
Laurence Rossignol, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, condamne le burkini au nom du féminisme.
En tant que ministre de la République, représentante de l’Etat, Laurence Rossignol se devrait d’être neutre alors qu’elle moralise… Il faut être ferme vis-à-vis de tout acte qui limiterait la liberté des femmes. Mais la société ne peut pas se donner une virginité féministe sur pareil prétexte. Moi, j’attends plutôt Mme Rossignol sur l’égalité des sexes et les inégalités socio-économiques qui perdurent.
Cette polémique sur le burkini n’est-elle pas liée au contexte post-attentats ?
Elle avait commencé en août 2014, avec une publication sur Facebook de Nadine Morano qui avait déclaré, à propos d’une femme voilée croisée sur une plage :«Lorsqu’on choisit de venir en France, Etat de droit, laïc, on se doit de respecter notre culture et la liberté des femmes, sinon on va ailleurs !» Le contexte en cours depuis janvier 2015 exacerbe encore ce type de polarisation et la campagne électorale ne va pas arranger les choses.
Cette polémique a été précédée d’une autre, en mars, autour de la «mode pudique», qui ne pose pas de problème dans d’autres pays occidentaux, par exemple en Angleterre. Pourquoi tant de stress ?
Les pays anglo-saxons ont une culture de la diversité, cultuelle et culturelle, plus forte. C’est Voltaire qui a écrit :«Un Anglais, comme homme libre, va au ciel par le chemin qui lui plaît.» En France, une mentalité «catholique et français toujours» perdure, une mentalité de l’unité. On parle encore de«la France une et indivisible» alors que, depuis la Constitution de 1946,«une» a été enlevé au profit de«indivisible, laïque, démocratique et sociale», et ça n’est pas pour rien ! Or, culturellement, on a l’impression que ça n’a jamais été intégré, et«démocratique et sociale», on l’entend peu. C’est une conception de l’unité assez uniforme qui prédomine, peu inclusive de la diversité. Résultat, on ne sait plus séparer ce qui peut être dangereux de ce qui peut choquer mais peut être accepté par la démocratie. On ne met pas la frontière au bon endroit.
Jean Baubérot et le Cercle des enseignant-e-s laïques publient fin août un Petit manuel pour une laïcité apaisée (Editions la Découverte).
Étonnant paradoxe : alors que les médias en parlent constamment, la laïcité est encore très mal connue ! Sujette à des interprétations divergentes, parfois instrumentalisée ou consciemment falsifiée, elle apparaît par moments comme un principe nébuleux, ce qui place les enseignant.e.s, les élèves et leurs parents dans une situation difficile. Cherchant à clarifier le débat, un collectif d’enseignant.e.s s’est réuni autour de Jean Baubérot, historien et sociologue spécialiste de la laïcité, pour répondre aux questions concrètes du personnel éducatif et des usager-ère.s de l’Éducation nationale. Retraçant avec pédagogie l’histoire de la laïcité et redonnant les grands principes de son application, ce petit manuel offre des clés indispensables pour comprendre la philosophie véritable de cet idéal républicain et propose des solutions pratiques pour l’appliquer sereinement. Car ce livre est aussi un plaidoyer pour une laïcité (enfin !) apaisée et pour une école publique ouverte, capable d’offrir à tou.te.s, quelles que soient leurs origines et leurs convictions, un enseignement de qualité. La laïcité, rappellent les auteur.e.s, ne devrait pas être un instrument de stigmatisation des élèves et un casse-tête pour les professeur.e.s. Au contraire, elle peut, quand elle est bien comprise, apporter des solutions pour une vie collective harmonieuse et respectueuse des convictions de chacun.e.
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