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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 10:46

1) Repères historiques sur les politiques de l'immigration en France au vingtième siècle.

 

A lire le très riche essai d'histoire administrative et politique de Patrick Weil, La France et ses étrangers (Première édition: 1991), auquel nous emprunterons la plupart des données qui seront présentées ici, on mesure que la France est une terre d'immigration depuis longtemps bien que cette particularité ne soit pas due essentiellement à une générosité particulière du pays des droits de l'homme vis à vis des étrangers qui fuient la misère ou la persécution mais plutôt à son prestige de patrie de la révolution attirant les réfugiés politiques, à son passé colonial et aux besoins de son économie.

 

Une fort afflux d'immigrés dans les années 1920-1930

En 1930, la France est le pays du monde qui compte le plus fort taux d'étrangers: 515 pour 100000 habitants (7% environ de la population totale) contre 494 pour 100.000 aux Etats-Unis. Entre 1920 et 1930, on a observé un excédent de 1.150.000 entrées de travailleurs étrangers entre 1920 et 1930, venant principalement d'Italie, de Belgique, de Pologne (mineurs dans le nord), de Tchécoslovaquie, d'Espagne. Cette immigration est censée répondre aux besoins économiques du patronat français: elle est organisée principalement par des conventions signées entre des syndicats d'entreprises privées françaises, l'État français, et les États d'émigration. La loi du 11 août 1926 interdit ainsi l'emploi des étrangers en dehors des professions pour lesquelles ils ont obtenu une autorisation, de même que l'embauche de ces étrangers par un autre employeur que celui qui l'a fait venir.

 

Le tournant de la crise de 29 et de la montée du rejet de l'étranger.

Au début des années 30, avec la crise sociale mondiale consécutive au crack de 1929, on observe une montée du chômage et de la xénophobie. En 1932, des mesures de contingentement sont prises pour fixer des proportions maximales de travailleurs étrangers dans les entreprises privées industrielles ou commerciales: « français d'abord! » oblige... En 1934, sous un gouvernement de droite, la décision est prise de ne plus accorder de cartes de travail aux nouveaux migrants et les Français naturalisés sont interdits d'exercer des professions administratives ou juridiques tandis que les étrangers diplômés de médecine ne peuvent exercer en France. Les étrangers licenciés sont souvent expulsés de manière forcée, pratique à laquelle mettra fin le Front Populaire.

Après la chute du gouvernement de Léon Blum, le sous-secrétariat d'État à l'immigration revient à Philippe Serre et le nouveau maître à penser de la politique de l'immigration est son directeur de cabinet, Georges Mauco, auteur d'une thèse pionnière sur le rôle économique des étrangers en France. Ce technocrate, à qui l'immigration apparaît souhaitable pour des raisons démographico-politique (asseoir la puissance de la France sur le long terme suppose un afflux de jeunes travailleurs féconds relevant la natalité française) prône, plus de 60 ans avant le ministère Hortefeux, une politique de sélection préférentielle des immigrés selon des critères professionnels et de de races (certaines étant jugées moins « assimilables et utiles » que d'autres). Sous Vichy, Mauco évoluera vers des théories racistes pures et dures. En 1938, l'étranger a des obligations et des droits très différent du français de souche: il est tenu de prévenir les autorités à chaque changement de résidence et doit obtenir une autorisation administrative pour se marier. Il peut, quand il a été naturalisé français, se voir déchoir de sa nationalité française s'il commet des délits ou crimes susceptibles d'un an d'emprisonnement au moins. En 1939 et en 1940, toutefois, le gouvernement accélère le processus de naturalisation des travailleurs étrangers (770000 naturalisés en quelques mois, principalement des italiens) pour qu'ils participent activement à l'effort de guerre.

 

Vichy ou le racisme au pouvoir.

Avant guerre, il y avait 3 millions d'étrangers en France, qui étaient de plus en plus rejetés par une frange de la population, principalement les réfugiés politiques ayant été attirés par la tradition de terre d'accueil de la France ou simplement par sa proximité géographique: arméniens, russes blancs, juifs de langue yiddish d'Europe de l'est ou d'Allemagne, anti-fascistes allemands, républicains espagnols. Vichy est l'héritier des ligues d'extrême droite qui rendaient l'étranger responsable du chômage et de la dénaturation de la société française dès le début des années 30 et le produit de la haine contre les étrangers, qui grandira peut-être encore avec le traumatisme de la défaite. D'ailleurs, une des premières actions symboliques de Vichy est d'interdire en juillet 1940 le décret loi institué en avril 1939 créant un délit d'injure et de diffamation raciale. Le même mois, Vichy crée une commission pour la révision des naturalisations qui ont eu après 1927, partant du principe qu'on les a intégré trop facilement à des nationalités suspectes ou dangereuses pour le corps national: 15000 réfugiés dont 6300 juifs se verront retirer leur nationalité française par mesure de purification.

Le 3 octobre 1940, une loi interdit aux juifs d 'enseigner, d'exercer des postes à responsabilité dans la fonction publique, la magistrature, l'armée, ou d'exercer toute activité influente en matière culturelle (direction de journal, de radio). Dès avril 1941, sans qu'aucune contrainte allemande ne justifie ces décrets discriminatoires, les juifs peuvent avoir l'obligation de vendre leurs entreprises ou leurs commerces à prix bradé à des « aryens » et sont obligés de toute manière de faire administrer leurs biens par des « bons français ». A partir de 1942, la « solution finale » est bien sous-traitée par la police de Vichy , avec pour commencer des premières déportations de juifs « apatrides » en mai et juin 1942, et la tristement célèbre rafle du vélodrome d'hiver le 16 juillet 1942 (13000 juifs arrêtés par des gendarmes français à Paris et déportés à partir de Drancy): au total, 60000 à 65000 juifs résidant en France seront déportés, étrangers pour la plupart puisque sans doute 6000 ressortissants français de religion traditionnelle juive ont été déportés (sur une population de 300000 juifs, français ou non, résidant en France en 1940) et seuls 2800 sont revenus des camps de concentration (source: Robert Paxton, La France de Vichy. Points histoire, p.180). Les populations nomades ou sédentaires de manouches sont également victimes de déportations et d'odieuses politiques vexatoires de la part de l'Etat raciste de Vichy.

 

De la Libération au début des années 1970: une immigration de travail très importante dans le contexte de reconstruction et croissance forte des Trente Glorieuses.

 

Après guerre, il n'y a plus que 1,5 millions d'étrangers en France, du fait des naturalisations, des retours d'italiens, des exils forcés, des victimes de la guerre et des persécutions racistes de Vichy et de l'Allemagne nazie. Le général de Gaulle est de ceux qui estiment que la puissance française ne pourra se relever qu'avec un sursaut de la natalité qui implique un encouragement à la venue de familles étrangères. Les milieux d'affaires et les économistes plaident plutôt quant à eux pour une immigration motivée par des raisons économiques et non démographiques et réclament dans l'immédiate après-guerre la venue sur 5 ans de 1.500.000 jeunes travailleurs célibataires s'installant de manière temporaire en fonction des variations du marché du travail. Plusieurs experts, partisans de l'immigration démographiquement ou économiquement fondée, recommande une sélection ethnique et une répartition géographique planifiée des immigrants, comme beaucoup d'hommes politiques de droite aujourd'hui, mais finalement, la commission permanente du Conseil d'Etat présidée par René Cassin, le père de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 avec qui travaillait Stephane Hessel, proscrit toute volonté de contrôler l'origine ethnique et la répartition géographique des étrangers.

Entre 1945 et 1949, 67% de l'immigration en France est d'origine italienne, provenant principalement d'Italie du Sud. Entre 1949 et 1955, la lourdeur et l'inefficacité du système d'introduction freinent l'arrivée des travailleurs européens ou marocains et tunisiens au bénéfice des algériens qui circulent librement depuis qu'ils ont obtenu la citoyenneté française en septembre 1947. Le fait que le principal foyer d'immigration en France soit l'Algérie inquiète la classe politique dans un contexte de déclenchement des luttes de décolonisation et on simplifie donc en 1956 les procédures de régularisation de travailleurs étrangers arrivés en France par leurs propres moyens pour contrebalancer le poids démographique des algériens. Sous l'effet de cette mesure, l'immigration extra-nationale de travailleurs étrangers non saisonniers concerne 430.000 personnes entre 1956 et 1962 alors que l'augmentation de la main d'œuvre algérienne n'a pas dépassé dans le même temps 120.000 individus.

En 1964, 2 ans après la fin de la guerre d'Algérie, l'opinion française et les hommes politiques sont de plus en plus hostiles à l'immigration algérienne et la France tente de ce fait d'imposer des contingentements à l'État algérien, tout en permettant aux entreprises d'aller « se servir » directement dans les villages misérables et les banlieues urbaines du Maroc et en Tunisie et en favorisant l'immigration yougoslave et turque grâce à des accords de main d'œuvre signés avec les États. Les douanes françaises, contrairement aux assurances données au pouvoir portugais, ont aussi pour consigne de laisser passer les Portugais fuyant les bas salaires, le chômage, la dictature et le service militaire et ces immigrants portugais sont très vite régularisés.

 

En 1974, la France compte 3,5 millions d'étrangers, dont 750.000 Portugais, presque autant d'Algériens, 500.000 Espagnols, 460.000 Italiens et 260.000 Marocains. Jusqu'au début des années 70, les moyens engagés par les pouvoirs publics pour loger les travailleurs immigrés et leurs familles sont dérisoires (en dehors des foyers sonacotra à loyer très doux destinés aux seuls travailleurs célibataires pour décourager les Algériens notamment de faire venir leurs familles en France) et, en 1967 encore, Pompidou s'oppose à la création d'une taxe pour le logement des immigrés en arguant du caractère « nomade » de cette population. Ce n'est que dans l'après 1968, grâce aux organisations d'extrême-gauche et aux syndicats, que la population va être sensibilisée aux conditions de vie indignes des immigrés. En 1970, après la mort de 5 maliens dans un taudis d'Aubervilliers, le gouvernement, attaqué dans la presse de gauche, décide enfin d'agir pour la résorption de l'habitat insalubre des immigrés et de faire disparaître les bidonvilles en 3 ou 4 ans. Cette action, note Patrick Weil dans son ouvrage, « tombe à point nommé » car les bidonvilles se situent sur des terrains devenus constructibles sur lesquels les promoteurs entendent investir. En 1970, 650000 travailleurs immigrés vivaient encore dans des bidonvilles ou des taudis.

En 1972, la pression des syndicats, des partis politiques de gauche et des associations de défense des droits des immigrés aboutit au vote de deux lois symboliquement importantes même si elles ne règlent pas la question de fond du logement des travailleurs étrangers: la loi du 27 juin qui autorise l'élection et l'éligibilité des étrangers en tant que membres des comités d'entreprise et délégués du personnel et la loi du 1er juillet 1972 qui fait du racisme un délit juridiquement condamnable. Dans le même temps, des restrictions importantes commencent à être posées contre l'immigration, que les pouvoirs publics veulent limiter contre l'avis et les intérêts du patronat afin de limiter dépense sociale, de ne pas bouleverser la structure de la population résidant en France et « l'identité » de la nation: les circulaires Marcellin-Fontanet interdisent le recours aux régularisations sauf exception et exigent que les employeurs désireux de recruter des salariés étrangers ne les recrutent pas eux-mêmes dans leurs pays d'origine mais déposent un demande dans un bureau de l'ANPE contrôlant les entrées et assurent le logement et la gestion du voyage des nouveaux employés. En 1973, des grèves de la faim de travailleurs immigrés irréguliers, soutenues par la CFDT et la CGT, ont lieu dans l'église Saint-Hippolyte de Paris pour réclamer des régularisations.

 

Avec le déclenchement de la crise économique mondiale consécutive au choc pétrolier, l'immigration de travail est stoppée en 1974 et le pouvoir de droite adopte une attitude de plus en plus dure et insensible vis à vis des immigrés.

 

Après l'élection de Valery Giscard d'Estaing, pour la première fois, un secrétariat d'état à l'immigration est créé, confié à André Postel-Vinay, preuve de la nouvelle importance que prend le sujet dans la conscience collective et des problèmes sociaux et politiques qu'il pose. « André Postel Vinay, qui pressent la crise structurelle et longue, génératrice de restructurations et de chômage, qu'inquiète la croissance démographique rapide du Tiers-Monde, et qui entend donner de meilleures conditions de vie aux immigrants déjà installés en France, plaide pour une interruption de l'entrée des migrants » (Patrick Weil). L'argument de l'incompatibilité entre l'ouverture des frontières et l'accès aux droits sociaux, à une vie décente, et à une intégration effective des immigrés en situation irrégulière travaillant depuis des années en France, commence à être invoqué pour restreindre l'immigration au nom de l'intérêt même des immigrés résidant en France.

A partir de 1974 donc, même si des permis de travail et de séjour continuent à être octroyés aux réfugiés et demandeurs d'asile (les boat people vietnamiens en 1975 par exemple), l'État décide d'interrompre l'immigration de travail, de suspendre l'immigration familiale en 1977 (même si, devant les vives protestations des partis politiques, des Églises et du conseil d'État, le nouveau secrétaire d'état à l'immigration, Lionel Stoléru, recule, et donne le droit aux familles des immigrés implantés pour leur travail depuis quelques années de séjourner en France, mais non d'y travailler), d'encourager ou de forcer les travailleurs immigrés à rentrer chez eux.

Ainsi, le premier ministre Raymond Barre décide d'incitations financières pour encourager les étrangers chômeurs à rentrer chez eux avec leurs familles après des années de bons et loyaux services dans les rangs des entreprises françaises... Les algériens, au nombre de 800000 en France, sont les cibles privilégiées de ce dispositif que le gouvernement cherche bientôt à durcir à négociant avec peine avec l'Algérie un accord qui pourrait l'autoriser à ne pas renouveler les cartes de travail et les titres de séjour des travailleurs algériens chômeurs. En 1979, le gouvernement poursuit dans son action pour faire partir les immigrés en se fixant des objectifs de 100000 retours annuels, toute nationalité confondue, dont la moitié seraient des retours forcés (le reste: principalement des départs en retraite dans les pays d'origine), notamment d'Algériens, par le biais du non renouvellement des titres de séjour. Les préfectures sont déjà invitées à respecter des quotas pour ne pas reconduire les titres de séjour des étrangers résidant en France sans prendre prioritairement en compte la situation personnelle des travailleurs. Ces reconduites forcées à la frontière, assorties de contingentements d'Algériens à refouler, amènent les syndicats à se mobiliser pour des travailleurs qui pendant des années, voire des décennies, ont contribué à la création de la richesse nationale, et qui sont ensuite refoulés comme des malpropres.

 

L'évolution de la politique d'immigration pendant les années Mitterrand.

 

Solidarité internationaliste avec le tiers monde et lutte contre l'exploitation sont des valeurs fondamentales de la gauche qui trouvent à s'incarner dans une politique de l'immigration en rupture complète avec celle de Giscard à partir de mai 1981. L'encouragement des travailleurs immigrés chômeurs et de leurs familles par l'aide financière au retour est supprimé. Les étrangers nés en France (pour lesquels n'a pas été fait de demande de naturalisation dans les délais prévus afin de ne pas perdre la nationalité d'origine) ou étant arrivés avant l'âge de 10 ans deviennent inexpulsables. Tout en renforçant les sanctions légales contre les employeurs irréguliers de travailleurs sans papier et contre les travailleurs sans papier eux-mêmes, la volonté de réparer symboliquement les dispositions inquisitrices et discriminatoires de Giscard vis à vis des immigrés conduit Mitterrand et son gouvernement à restaurer l'état de droit en régularisant massivement, en utilisant des critères très souples, les travailleurs « clandestins » (estimés entre 200000 et 300000 personnes) qui en feront la demande, avant de contrôler à nouveau les entrées de manière sourcilleuse.132000 clandestins, à 90% ayant un emploi, déclaré ou non, sont ainsi régularisés en 1981.

Par contre, la gauche n'honore pas sa promesse, celle de la quatre-vingtième des 110 propositions du candidat Mitterrand, d'accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales après 5 ans de résidence en France. La logique de cette proposition était, écrit Patrick Weil, « celle du droit créance: puisque les étrangers paient des impôts locaux, ils ont le droit légitime de participer à la désignation des autorités publiques locales... Le droit de vote est conçu aussi comme une technique qui permettrait de répartir plus équitablement les ressources dont disposent les autorités locales; de leur côté, celles-ci traiteront avec plus de diligence des contribuables devenus électeurs ». Mais cette proposition est plutôt impopulaire et beaucoup de critiques se font entendre à gauche et à droite sur l'absence de caractère prioritaire de cette mesure (par rapport à la lutte contre l'immigration clandestine ou la défense des droits sociaux effectifs des immigrés), sur la rupture qu'elle introduit avec la tradition française d'identification de la nationalité et de la citoyenneté: sous l'influence de son secrétaire d'état aux immigrés, François Autain, Mitterrand décide d'ajourner cette mesure hautement symbolique mais très risquée électoralement.

En 1983, Georgina Dufoix hérite du dossier immigration et est chargée d'infléchir le discours et la politique sur l'immigration en mettant au premier plan la nécessité pour protéger l'emploi des français et éviter que ne se développement des sentiments anti-immigrés de lutter avec fermeté contre l'immigration clandestine et de mieux contrôler les flux d'immigrés. Des freins sont posés à l'immigration familiale, des facilités sont données pour le contrôle de la régularité du séjour des immigrés, une aide au retour dont le montant est négocié théoriquement avec les pays d'origine des immigrés est conçue, mais à l'exception du Sénégal, la plupart des États approchés, à l'instar du Maroc et de la Tunisie qui ont besoin de devises étrangères et connaissent déjà un très fort chômage, refusent de collaborer. En 1984, une loi importante est votée néanmoins, y compris par la droite, qui instaure un titre de séjour et de travail unique de 10 ans.

Dès juillet 1984, néanmoins, le nouveau premier ministre, Laurent Fabius, qui a pris la mesure de la montée des inquiétudes et des rejets que suscitait la forte présence immigrée dans certaines régions, décide de donner essentiellement des gages à cette opinion publique hostile à la présence étrangère: « il souhaite instaurer la reconduite administrative à la frontière et rétablir les contrôles d'identité. Il veut réformer la procédure d'accès au statut de réfugié, en soumettant la transmission des demandes d'asile de l'O.F.P.R.A à un agrément administratif. » (Patrick Weil). Fabius, soutenu par Georgina Dufoix, entend également limiter l'immigration par regroupement des familles. A cette époque de montée du FN, le PS a, avec plus ou moins d'opportunisme assumé, une sorte de double langage: d'un côté Mitterrand rappelle son attachement au droit de vote des étrangers aux élections locales en 1985 et parraine la naissance de SOS Racisme pour remobiliser à peu de frais la jeunesse sur l'enjeu symbolique de l'anti-racisme, quitte à renforcer un peu plus les processus de ressentiment à l'œuvre dans le vote FN (parler d'immigration de manière clivante pour le PS pouvait apparaître comme un moyen tactique d'affaiblir le RPR en renforçant l'audience du FN) ; de l'autre, à l'approche des législatives, Fabius affirme son accord avec Chirac sur la nécessité d'une politique d'immigration plus restrictive et ferme avec les irréguliers.

 

En 1986, le Front National fait son entrée au Parlement à la faveur du scrutin proportionnel et la droite, qui retrouve la majorité à l'Assemblée Nationale, se décide avec son super flic ministre de l'intérieur Charles Pasqua, à donner un maximum de gages aux électeurs du FN afin de les récupérer dans leur escarcelle. Ainsi, Charles Pasqua entend multiplier les procédures de reconduite à la frontière, revenir sur la garantie du séjour en France accordée par les lois de 1981 et 1984 aux jeunes d'origine étrangère qui y ont été élevés. Ils souhaitent que les jeunes puissent, en cas d'atteinte à l'ordre public, être expulsés. Un texte adopté en Conseil des Ministres en juin 1986 propose également de permettre à la police de l'air et des frontières d'effectuer un premier tri entre les demandeurs d'asile avant que la demande ne soit examinée par l'O.F.P.R.A. Au nom du gouvernement de Chirac, Albin Chalandon propose une réforme du code de la nationalité qui supprime le caractère universel et automatique du droit du sol: l'enfant né en France devra désormais réclamer sa nationalité, et n'y aurait droit qu'en cas de non-condamnation antérieure... Des néo-cons comme Alain Finkielkraut applaudissent...

La ligue des droits de l'homme et les églises se mobilisent contre cette régression humanitaire et républicaine.

 

L'enracinement des idées xénophobes et du rejet de l'immigration.

 

En 1988, le FN obtient 14% des suffrages exprimées aux élections présidentielles et dès 1989, la question de la compatibilité de l'immigration maghrébine et du multiculturalisme avec l'identité nationale est soulevée dans un débat médiatique aux enjeux très largement surfaits sur le port du voile à l'école.

En 1991, le très républicain Valery Giscard d'Estaing illustre la radicalisation du discours de la droite de gouvernement sur l'immigration et les immigrés en vue d'un rapprochement avec le FN: « Après avoir en juillet préconisé un « quota zéro » pour l'immigration, il dénonce à la manière de Le Pen dans le Figaro Magazine « l'immigration-invasion ». Il propose également que la nationalité française ne puisse plus être attribuée par la naissance en France mais par la seule filiation sur le modèle de la loi allemande d'alors ». (Patrick Weil). Dans le même temps, les différents ministres socialistes qui se succèdent à l'intérieur adoptent des mesures restrictives: en 1990, on accélère le traitement des dossiers de demandeurs d'asile, avant de leur retirer le droit de travailler pendant l'examen de leurs dossiers.

 

Dès son retour au pouvoir en 1993, la droite fait voter des lois en contradiction avec les traditions démocratiques et républicaines, les lois Pasqua, et changer un article de la constitution pour imposer l'objectif de l'immigration zéro. Dans un entretien donné au Monde le 2 juin 1993, Pasqua déclarait ainsi: « La France ne veut plus être un pays d'immigration ». L'objectif assumé d'immigration zéro incite à des mesures inquisitrices contre la régularisation des étrangers par le mariage. L'illégalité du séjour avant le mariage empêche désormais la délivrance du titre de séjour après celui-ci et, pour lutter contre les prétendus « mariages arrangés », on va jusqu'à mettre souvent en cause le droit au séjour des nouveaux conjoints de Français. On repousse de 6 mois à 2 ans le délai nécessaire à l'obtention de la nationalité française pour un étranger qui se marie avec un français et on entérine le projet d'astreindre des enfants nés en France de parents étrangers à une déclaration d'intention préalable faite entre 16 et 21 ans pour devenir Français.

 

En 1996, après une nouvelle progression du FN aux présidentielles (15,3% de suffrages obtenus en 1995), Debré, le ministre de l'intérieur du président Chirac, va chercher à compléter la panoplie répressive des lois Pasqua en se basant sur les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire très partiale présidée par M. Philibert sur les moyens de lutter contre l'immigration clandestine. 46 mesures radicales sont préconisées, et parmi elles, certaines qui ne seront réellement mises en application que sous la présidence Sarkozy: prise d'empreinte systématique des visiteurs étrangers et fichage des personnes les hébergeant, remise en cause des droits aux soins d'urgence pour les étrangers en situation irrégulière, ou à l'éducation pour leurs enfants, possibilité d'expulser immédiatement les mineurs étrangers ayant commis un délit... Finalement, en novembre 1996, après l'expulsion musclée et impopulaire des 300 grévistes de la faim de l'église Saint Ambroise le 23 août 1996 (sans-papiers menacés d'expulsion qui pour beaucoup sont des parents d'enfants français, ont des conjoints français ou toute une famille vivant en France), Debré fait voter une loi qui complique considérablement la venue régulière des étrangers en France: toute personne désireuse d'entrer en France est considérée avec soupçon comme un fraudeur et un clandestin en puissance et le droit à l'aller-retour entre la France et le pays d'origine pour visiter sa famille ou le pays, faire des études ou quelques affaires est soumis à des restrictions et des démarches préalables plus que décourageantes.

 

La parenthèse Jospin.

 

Grâce à la loi Debré, Chirac espérait que les candidats UMP bénéficieraient d'un bon report de voix au second tour des électeurs du FN lors des élections législatives anticipées qu'il jugea opportun de convoquer après la crise du mouvement social de 1995 et du discrédit porté sur Juppé. Or, il les perd et le PS a inscrit dans son programme un retour décomplexé à une tradition plus libérale et républicaine en matière d'immigration: « Nous supprimerons les lois Pasqua-Debré. Nous rétablirons les droits fondamentaux au mariage, à la vie en famille et le droit d'asile, ainsi que le code de la nationalité dans sa vision républicaine ». De fait, la loi Chevènement de 1998 sur l'immigration apporte très vite des avancées significatives pour améliorer les conditions d'accueil des étrangers:

  • suppression des certificats d'hébergement exigés à un étranger cherchant à obtenir un visa pour entrer en France.

  • réduction à un an du délai de séjour exigé pour procéder à un regroupement familial

  • à 18 ans, le jeune né en France redevient français automatiquement, sauf s'il exprime le désir contraire. Il peut anticiper cette acquisition par une déclaration volontaire possible dès l'âge de 10 ans.

     

Parallèlement, tout en refusant le principe de régularisation collective systématique, le gouvernement Jospin régularise une partie importante (87000) des 135.000 étrangers qui avaient fait une demande, en se basant sur les critères de l'ancienneté de la présence sur le territoire et du travail en France, et sur la force des attachements familiaux et personnels en France. Chevènement se montre par contre inflexible sur la célérité de l'expulsion des étrangers en situation irrégulière ou dont les demandes de régularisation ont été rejetées.

 

La stratégie de séduction de l'électorat du FN de la droite conduit à légitimer et à mettre en place des politiques d'immigration de plus en plus répressives, stigmatisantes et contraires au droit de l'homme depuis 2002.

 

Le 26 novembre 2003, après la réélection de Chirac opposé à Le Pen au second tour, la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité modifie à nouveau le statut des étrangers en subordonnant la délivrance de la carte de résident à un critère d’intégration. Elle renforce également la lutte contre l’immigration clandestine. Pour de nombreuses associations, ce durcissement de la législation se fait au détriment des droits fondamentaux des étrangers (mauvais traitements, décès, état déplorable des centres de rétention et des zones d’attente, etc.), qui sont traités comme des criminels par l’administration, alors qu’ils sont dans de nombreux cas mis en situation irrégulière par un refus de cette même administration de régulariser leur situation ou de renouveler leurs titres de séjour. Pendant ce temps, l’immigration est traitée de plus en plus au niveau de l'Union Européenne qui adopte ainsi en 2003 une directive sur le regroupement familial et tente d’harmoniser les politiques d'immigration des pays membres. Au niveau de la société civile, les politiques de plus en plus répressives suscitent l'indignation d'une partie de l'opinion. En 2004, le Réseau Education Sans Frontière (RESF) s'oppose à ce qu'il qualifie de « rafles » dans les écoles d'enfants en séjour irrégulier ou des parents sans-papiers de ces enfants.

 

En juillet 2006, la loi relative à l'immigration et à l'intégration, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy porte de 12 à 19 mois le délai au terme duquel un étranger en séjour régulier en France peut solliciter un regroupement pour les membres de sa famille proche. Cette loi renoue avec une justification utilitariste par les intérêts de l'économie française d'une immigration de travail ciblée par avance en autorisant le recours à de la main d’œuvre étrangère, suspendu depuis 1974. Cette mesure est limitée à quelques professions telles que l’hôtellerie-restauration, la construction et les travaux publics, les travaux saisonniers, les professions commerciales. La loi met en place la carte de séjour « compétence et talents ». C'est l’« immigration choisie » des travailleurs saisonniers et qualifiés que Sarkozy oppose à l'immigration subie des familles pouilleuses qui veulent rejoindre des parents travaillant en France, des régularisations automatiques d'enfants nés en France d'étrangers clandestins, des faux demandeurs d'asile qui fuient en réalité l'insécurité de la misère. La France, en 2007, étudie une loi visant à restreindre l'immigration afin d'appliquer la volonté politique du président de la République, d'avoir une « immigration choisie ». Cette loi est accompagnée d'un amendement concernant la maîtrise de la langue française susceptible de créer des difficultés aux migrants et aux couples mixtes, en très forte augmentation depuis les années 80 du fait notamment de la plus forte propension des français à voyager et de la mondialisation, pour le meilleur et pour le pire, des échanges matrimoniaux et sexuels.

 

Depuis quelques années, des accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ont conditionné l'aide au développement à la prise de mesures par les États du Sud visant à restreindre l'émigration. La Tunisie, pays à qui l'on sous-traitait la réclusion des candidats à l'immigration en France, était ainsi un des pays les plus aidés par l'Agence Française de Développement, même s'il était bien plus riche que d'autres en Afrique.

 

A partir de l'été 2010, les discours de Nicolas Sarkozy, des responsables de l'UMP et de la garde rapprochée du président ont franchi un cap dans la récupération abjecte des leitmotivs de l'extrême-droite en identifiant origine ethnique et dangerosité ou délinquance, en dissociant le droit à la libre circulation des Européens dans l'espace Schengen de l'acceptation des Roms qui, n'est-ce pas, ne le sont pas tout à fait, en enfermant les enfants de parents étrangers dans une identité ethnique ou culturelle substantielle qui les rend suspects de ne pouvoir jamais s'assimiler, adhérer aux valeurs nationales, en stigmatisant les populations arabes et africaines sous couvert d'opposer l'Islam intransigeant aux valeurs laïques et démocratiques.

 

2) Printemps des peuples dans le monde arabe, hiver du repli xénophobe en France et en Europe.

 

Les dictatures d'Afrique du Nord, véritables chiens de garde de l'Europe rémunérés en complaisance devant les morsures qu'elles infligeaient à leurs peuples, avaient beaucoup d'avantage pour les gouvernements de droite européens, en particulier celui de repousser de manière musclée une grande partie des candidats à l'immigration en Europe venus d'Afrique, d'Asie et de leurs propres territoires. Depuis 2004, l'Europe a cherché à externaliser la gestion des flux migratoires, et les camps de rétention ont fleuri dans les pays limitrophes (on se souvient de la répression de la révolte de Ceuta et Mellila), le Maroc cessant d'être une plaque tournante de l'immigration, et de plus en plus de réfugiés africains étant renvoyés dans le désert saharien après avoir été dûment racketés, battus, ou violés par les trafiquants et les « forces de l'ordre » corrompues des pays du Maghreb.

Avec les bouleversements politiques et sociaux en Tunisie et en Libye et l'inefficacité nouvelle des États policiers, évidemment, les vannes s'ouvrent. Des milliers de candidats à un avenir meilleur en Europe - Somaliens, Erythréens, Libyens, Tunisiens- affluent au large de la Sicile et de Lampedusa, créant, selon la métaphore catastrophiste et réifiante du si sensible Silvio Berlusconi, « un véritable tsunami humain » (tout aussi humaniste, Claude Guéant a dit qu'il faudrait que la France se protège contre « cette vague d'immigration »)... au risque mourir en mer, comme au moins 4200 candidats à l'immigration cherchant à passer d'Afrique du Nord ou du Sénégal à Malte, en Italie, en Espagne, aux Canaries depuis 2003. Le mercredi 6 avril 2011, 150 personnes ont disparu dans un naufrage au large de Lampedusa. Mais, dans le discours des dirigeants européens à cette heure de progression généralisée des idées d'extrême-droite, il n'y a plus aucune place pour le chagrin et la pitié.

 

Ces immigrés qui parviennent jusqu'aux côtes siciliennes ne veulent pas tous vivre en Italie et, même si ses intentions sont nationalistes et relèvent de la revanche économique et politique, car il était peu intéressé par une intervention militaire en Libye, le gouvernement italien a raison sur le fond de dire qu'on ne peut pas renvoyer (cela pose surtout pour lui des problèmes techniques plutôt que moraux) de manière expéditive ces immigrés (qui pour la plupart sont des réfugiés économiques voulant assurer la survie de leur famille et un avenir meilleur pour eux et pour certains sont des réfugiés politiques risquant gros à leur retour) et que tous les pays européens, et pas seulement ceux du rivage méditerranéen, doivent participer au règlement de cette situation de crise humanitaire d'urgence. La commission européenne le 11 avril a donné raison à la France contre l'Italie d'avoir immobilisé les trains qui devaient conduire des immigrés tunisiens à qui les italiens avaient donné des permis de séjour temporaires (plus de 25000 en ont bénéficié) leur permettant théoriquement de circuler librement dans l'espace Schengen pendant quelques mois. Pour ne pas fâcher la France, l'Allemagne, et d'autres États européens encore où la xénophobie gagne du terrain depuis des années à la faveur de la crise sociale et identitaire que traversent ces sociétés et qui sont hostiles à « tout partage du fardeau » de l'immigration, elle n'a pas craint de violer le principe de la libre circulation des personnes avec des papiers en règle dans l'espace de l'Union Européenne.

En décembre 2008 déjà, le Parlement européen décidait d'ériger l'Europe en forteresse repoussant « sans sentimentalisme irresponsable » « la misère du monde » tandis qu'elle instaurait une carte bleue permettant entrée facilitée et libre circulation pour les travailleurs hautement qualifiés. Une de ses résolutions invitait les 27 États membres « à considérer le défi des migrations au travers d'une approche globale qui fasse avancer avec la même énergie le renforcement des contrôles aux frontières de l'Union, la lutte contre l'immigration clandestine, le retour dans leurs pays d'origine des étrangers en situation irrégulière... ». Une directive retour, dite « directive de la honte » par ses opposants, adoptée par le Parlement européen, suivait cette résolution qui permettait de placer en détention des étrangers en attente d'éloignement, y compris des mineurs, pour des durées allant jusqu'à 18 mois et d'interdire l'accès au territoire des expulsés pendant 5 ans.

 

Autre signe d'un durcissement des politiques d'immigration: à la mi-avril 2011, le Haut Conseil à l'Intégration créé par la droite recommandait, allant ainsi dans le sens des intentions de Claude Guéant, de restreindre encore l'immigration légale par la voie du mariage, devenue « la première porte d'entrée en France » puisque 50000 français désirent chaque année accueillir leur conjoint étranger. Or, les mariages de français avec des étrangers sont de plus en plus suspectés d'être des mariages blancs, font à ce titre l'objet de procédures de vérification policière et de refus de célébration de plus en plus systématiques, n'ouvrent droit à la naturalisation qu'après de nombreuses années, et peuvent s'accompagner d'expulsion du conjoint étranger en cas de divorce ou de séparation. Parallèlement, nous apprenions que malgré l'augmentation du nombre de demande d'asile, la France n'attribuait des permis de séjour qu'à un cinquième des demandeurs d'asile. Parallèlement, alors que l'immigration professionnelle légale ne concernait que 23650 personnes pour l'ensemble de la France, Claude Guéant entend réduire encore cette immigration de travail en mettant en avant le poids du chômage en France (9,6% aujourd'hui suivant les chiffres officiels, nettement sous-évalués). Les milieux économiques, par l'intermédiaire de la patronne du Medef, Laurence Parisot, ont immédiatement réagi en déclarant que « c'est très dangereux, un pays qui se ferme ». L'essayiste ultra-libéral et homme d'influence proche de Sarkozy Alain Minc surenchérissait: « on ne peut pas promouvoir une économie de l'offre inspirée de l'Allemagne...et prétendre à l'immigration zéro ».

 

La droite, prise entre deux logiques contradictoires face à l'immigration.

 

Cette volonté de mettre un terme à l'immigration de travail rompt avec la politique utilitariste qu'avait esquissée Sarkozy en 2007, celle d'une « immigration choisie »: il y a les bons immigrés, ceux qui sont européens et qualifiés pour des métiers pour lesquels le patronat manque de main d'œuvre ou ceux qui viennent de la bourgeoisie des pays du sud et qui, étant très diplômés, peuvent créer de la richesse en France et il y a les mauvais, les crève-la-faim qui cherchent à manger quelques miettes du festin occidental, les africains, arabes ou musulmans « inassimilables »... Il faut donc rendre extraordinairement compliqués le regroupement familial (par des vérifications inquisitrices des liens de parenté, des conditions de ressources, de compétences linguistiques et d'employabilité), les mariages mixtes, la naturalisation des résidents d'origine étrangère, et l'accueil des demandeurs d'asile et décourager l'immigration clandestine en excluant au maximum les régularisations inspirées par des motivations humanitaires et en médiatisant à outrance les expulsions pour que la France qui s'inquiète de perdre son âme avec cet afflux des miséreux du monde aux comportements si exotiques soit rassurée en voyant un gouvernement à poigne qui ne fait pas dans le sentiment ni le laxisme.

On le voit, si l'on veut exprimer les choses de manière un peu caricaturale, on peut dire que la droite est partagée essentiellement entre deux logiques sur la question de l'immigration.

 

a) Celle qui consiste à la limiter au maximum au nom de la défense d'une identité nationale identifiée, sinon à une race, du moins à une culture essentialisée et son histoire. Selon cette logique, hostile à la conception civique de la nation qu'Ernest Renan avait théorisé au XIXème siècle et qui consistait à dire qu'un peuple ne se définissait pas par le partage d'une origine ethnique ou culturelle mais par l'adhésion à un projet et des valeurs communes, plus proche de l'idéologie germanique du droit du sang que de l'idée républicaine du droit du sol, on ne peut avoir un type racial maghrébin, africain, asiatique, slave, être musulman, et être complètement français, même si on a la citoyenneté française parce que l'on est né en France. Quand la droite propose de retirer la citoyenneté française à des criminels ou à des extrémistes musulmans (imposant le port du voile intégral à leur femme par exemple) qui ont des parents étrangers ou ont été naturalisés alors qu'ils sont nés à l'étranger, elle le justifie en faisant comprendre à son électorat et celui de l'extrême-droite qu'avoir le privilège de devenir français, « cela se mérite », que cela implique d'adopter un comportement civique exemplaire, de s'acculturer pour adhérer pleinement aux valeurs fondatrices de la République ou de la culture française, et de s'intégrer socialement. Par là, elle fait semblant de dire qu'on peut parfaitement être un bon français de couleur à condition d'adhérer pleinement à une forme de contrat social qui définit les droits et les devoirs du citoyen: mais en réalité, cette condition, elle ne l'impose qu'aux « demi-citoyens » qui doivent faire leur preuve parce qu'ils ont des parents étrangers ou qui ont été étrangers. Or, d'un point de vue républicain, il n'y a aucune différence ou discrimination à établir entre les citoyens: on est citoyen ou on l'est pas, et tout le monde s'acquitter des obligations morales et juridiques du citoyen sans qu'une catégorie de citoyens soient spécialement sanctionnée dans le cas contraire en raison de ses origines. Il n'y a aucune raison de penser que les français d'origine étrangère doivent être plus exemplaires que les autres. Certains commentateurs politiques paraissent vouloir atténuer la gravité de ces lois ou décrets discriminatoires de la France en disant qu'ils ne se justifient pas par une véritable xénophobie ou un véritable racisme des dirigeants de droite mais par une volonté de faire barrage au Front National qui représente le diable en faisant revenir son électorat au camp républicain. Au-delà même de l'échec sur le moyen terme de cette stratégie de siphonage des voix du Front national qu'ont démontré les dernières cantonales de mars 2011 et les récents sondages annonçant Marine Le Pen en tête du premier tour des présidentielles de 2012, on peut remarquer que les parlementaires et les hommes politiques de droite, même s'il était vrai qu'ils ne faisaient au départ qu'adopter une stratégie électoraliste, se sont distingué au fil du temps par des déclarations franchement racistes et qu'ils ne peuvent prétendre quoiqu'il en soit combattre Le Pen et les siens en appliquant l'essentiel de leur programme et en légitimant son discours catastrophiste sur les méfaits de l'immigration par leurs actes.

 

b) Une autre logique plus pragmatique, utilitariste et libérale a parfois prévalu à droite sur les questions d'immigration, même si elle semble partiellement abandonnée aujourd'hui au profit d'une volonté, soit de faire monter le Front National pour éliminer les socialistes du deuxième tour des présidentielles, soit de tenter de récupérer ses voix, sinon au premier tour, du moins au second tour des présidentielles et des législatives, soit de mettre une nouvelle fois, comme en 2002 et en 2007, les thèmes de la sécurité et du danger de l'immigration et de l'Islam (pour la préservation de l'identité nationale, des valeurs collectives démocratiques et l'harmonie du vivre ensemble) afin d'affaiblir la gauche en détournant l'attention de difficultés économiques et d'injustices sociales qui dénoncent la nocivité des politiques libérales menées au profit des milieux financiers et des hauts revenus. Cette logique que défend le Medef, mais qui qui est aussi promue par des libéraux comme Strauss-Khan ou Cohn-Bendit et a aussi été portée par les travaillistes de Tony Blair (entre 1999 et 2009, la Grande Bretagne a accueilli plus de 2,2 millions d'immigrés en plus) ou les sociaux-démocrates allemands derrière Schröder à la fin des années 90 et au début des années 2000, consiste à ouvrir plus largement les frontières à l'immigration sur des critères économiques essentiellement, en cherchant à attirer les cerveaux étrangers qui nous donneront une plus-value dans la compétition internationale, mais aussi à disposer d'une main d'œuvre abondante, qualifiée ou non, dans les secteurs manquant de main d'œuvre notamment pour pourvoir aux besoins du patronat et qu'il soit possible d'y écraser les salaires, afin de faire pression sur les droits sociaux ou les « avantages acquis » de tous les salariés. En 1963, déjà, Georges Pompidou déclarait: « L'immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».

Le reproche qui est fait au patronat de faire venir et d'utiliser les immigrés plus facilement exploitables comme ils n'ont rien à perdre afin de lutter contre les revendications sociales et les acquis sociaux des travailleurs ne date pas d'hier, et a été longtemps et parfois violemment formulé par des syndicalistes et des militants politiques de gauche au XIXème siècle et au XXème siècle. Toutefois, dans la deuxième moitié du XXème siècle, les syndicats, la gauche et les communistes ont surtout défendu les droits des travailleurs immigrés: leur droit à des rémunérations décentes, à la protection sociale, à la régularisation quand ils contribuent à la richesse nationale par leur travail et paient des impôts, au rapprochement familial et au logement décent... voire au droit de vote et d'éligibilité aux élections locales.

 

 

3)Sur quels principes appuyer une politique réellement de gauche vis à vis des immigrés?

 

Ce qui doit nous importer de manière prioritaire, c'est l'impératif de solidarité humaine et la considération pour les personnes.

 

Nous sommes essentiellement hommes et c'est le hasard qui nous a fait naître dans tel ou tel territoire. Il est compréhensible que nous ayons des affinités privilégiés avec nos compatriotes, notre culture, et légitime que nous soyons prioritairement soucieux en tant que citoyens de la qualité de vie des gens qui votent avec nous et sur lesquels nos décisions collectives ont des répercussions: à savoir nos concitoyens. Néanmoins, il est immoral de contraindre à des conditions de vie indécentes des travailleurs et des familles entières qui vivent dans la clandestinité par crainte des expulsions, de refouler en les condamnant à la misère, au désespoir et à la mort, des immigrés qui ont tout sacrifié avec leur famille pour économiser suffisamment afin de gagner l'Europe pour pouvoir y travailler et épargner pour s'assurer un avenir meilleur, à eux et leurs familles. Il est inacceptable de ne pas accueillir des immigrés qui demandent l'asile parce qu'ils sont menacés dans leurs pays d'origine par des guerres civiles, des régimes ou des sociétés d'oppression, de ne pas reconnaître aux étrangers qui travaillent en France dans des conditions légales le droit de vivre au côté de leurs épouses, de leurs enfants, ou aux français de faire venir en France leurs conjoints étrangers.

Au nom de la realpolitik, des intérêts de la cohésion sociale en France menacée par les inquiétudes grandissantes que suscitent l'immigration et les difficultés de la vie dans les quartiers populaires à forte proportion de population étrangère, nous n'avons pas le droit de condamner au désespoir des milliers de vies humaines par des expulsions ou un refus de la prise en considération de critères d'humanité pour les régularisations de sans-papiers. Une des manières d'alimenter la progression des idées xénophobes est de replier le drapeau humaniste et internationaliste de la gauche en acceptant de laisser s'imposer l'idée que l'immigration est essentiellement un problème, qu'il faut gérer dans un esprit de responsabilité identifié à une attitude de fermeté.

Bien sûr, on nous répète à satiété la trop fameuse formule de Rocard « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et c'est vrai... mais toute la misère du monde ne se presse pas à nos portes, et elle affluerait encore moins si on exploitait moins les pays du Sud, si on ne soutenait pas leurs régimes corrompus et autoritaires qui préservent les intérêts de nos multinationales et si on ne leur imposait pas pour réduire leurs dettes des plans d'hyper-austérité et de casse du secteur public appauvrissant la population. En tant qu'hommes susceptibles de compassion et qui reconnaissons notre semblable dans tout autre homme, souffrant ou non, nous n'avons pas le droit d'être indifférents aux centaines de milliers de détresses individuelles bien réelles que génèrent des politiques de lutte contre l'immigration illégale et de quasi fermeture des frontières.

Une politique de l'immigration doit d'abord être inspirée par des sentiments d'humanité mis en œuvre de manière réaliste: il ne s'agit pas d'ouvrir complètement nos frontières mais de régulariser les immigrés clandestins qui travaillent ou vivent en France depuis longtemps, qui ont fait des efforts d'intégration et qui y ont des attaches familiales qui les enracinent et les rendent indispensables à leurs proches, de reconnaître effectivement le droit d'asile, d'admettre complètement la légitimité des mariages mixtes et de l'immigration par regroupement familial, de permettre à des étudiants étrangers ou à des travailleurs qui pourraient trouver des emplois en France dans des secteurs ayant besoin de main d'œuvre d'obtenir des visas et des permis de séjour régulièrement depuis leurs pays d'origine, principalement quand ceux-ci sont francophones, de permettre aux étrangers des pays du Sud d'obtenir des visas de touristes pour découvrir notre pays et notre culture, ou de retrouver leurs familles dans leurs cadres de vie.

 

En second lieu, il faut que tous ceux qui travaillent en France puissent s'intégrer et aient accès à une égalité de droits sociaux et politiques.

 

De 200000 à 400000 sans-papiers vivent en France et la plupart des adultes travaillent pour des patrons qui abusent de leurs positions de faiblesse en les surexploitant, notamment dans le secteur du bâtiment, de la restauration, des services à la personne, du textile. Cette immigration irrégulière apporte des bénéfices à la France. Ces travailleurs sans-papiers verseraient chaque année dans les caisses de l'État 1,5 millions d'euros pour les retraites et l'Assedic (l'Humanité, 27 avril 2010). Il est normal de mieux protéger leurs droits de ces salariés en les régularisant, ce qui contribuera aussi à empêcher qu'ils représentent une concurrence déloyale tirant les salaires vers le bas pour les travailleurs français. Un point de vue purement utilitariste sur l'immigration permet de constater que les immigrés actifs remplissent des besoins sociaux, qu'ils permettent au solde démographique d'être positif et concourent ainsi à l'équilibre du système des retraites par répartition. Cette contribution des immigrés à la richesse nationale n'est pas que d'ordre strictement matériel et économique: elle se traduit aussi en terme de dynamisme et de créativité de notre culture. De manière générale, les échanges culturels et la confrontation à l'altérité nous enrichissent, rendent notre vie plus excitante et notre intelligence du monde plus profonde. Une bonne partie de la vitalité culturelle de la France, aujourd'hui comme au XXème siècle, lui vient des expressions artistiques et existentielles de ses immigrés, du croisement des traditions qui stimule l'invention. Si aujourd'hui les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, ont des centres d'excellence intellectuelle et de création culturelle extrêmement actifs, c'est en raison de leur politique d'accueil des étudiants et travailleurs étrangers, politique à laquelle la France a partiellement renoncé malgré son passé de puissance coloniale et ces outils de rayonnement culturel que constituent l'importance de la francophonie et le prestige de son histoire.

 

La troisième priorité d'une politique d'immigration de gauche doit être de maintenir la cohésion du corps social et préserver le niveau de protection sociale dans la société.

 

Cet objectif interdit qu'on pratique une politique purement humanitaire et permissive d'ouverture des frontières et d'acceptation sans conditions de l'expression des diversités culturelles. Elle exige que les immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants, ne soient pas parqués dans des ghettos de pauvreté sans mixité sociale et ethnique. C'est d'abord une politique sociale ambitieuse luttant contre les inégalités, la précarité, la ségrégation géographique, les discriminations au travail, l'échec scolaire des enfants des classes populaires, qui permettra aux jeunes issus de l'immigration de s'intégrer socialement et d'être acceptés par l'ensemble de la société. Cette ambition suppose aussi de cesser de stigmatiser systématiquement des populations d'origine étrangères en faisant croire que leur culture les rend quasiment inassimilables, incapables d'adhérer aux valeurs fondatrices de notre république, et expliquent leur propension à la délinquance, à l'incivilité, voire à l'échec scolaire et la paresse. Les causes du repli intégriste ou traditionaliste musulman, de la violence des jeunes d'origine étrangère, phénomènes qui ont tendance à être grossis artificiellement par les médias pour alimenter le besoin de sécurité et le vote de droite,  sont avant tout de l'ordre du sentiment de l'exclusion sociale. Ceci dit, il est normal que la majorité de la population, en fonction de la culture politique et sociale traditionnelle dominante, définisse pour tous les résidents du pays des règles de vie collectives intangibles qui permettent la vie en commun, en particulier quand elles ont une valeur universelle et permettent le respect des libertés individuelles et la cohabitation pacifique des particularismes culturels et des traditions religieuses, comme les règles de la laïcité.

Les traditions libérales et multiculturalistes anglo-saxonnes qui admettent la totale expression des particularismes culturels dans l'espace public et le communautarisme paraissent contradictoires avec l'idée républicaine qui consiste à fabriquer du commun par l'émancipation des individus, personnes rationnelles capables de s'auto-déterminer, vis à vis des tutelles traditionnelles (église, famille, culture locale et coutumes ancestrales) et l'adhésion à des valeurs communes comme la liberté individuelle, l'égalité, la tolérance.

 

Le souci du dynamisme de notre société et de notre économie, de notre rayonnement international doit également conduire à relégitimer l'immigration.

 

La commission des Finances du Sénat a évalué au début de l'année 2010 le coût des expulsions de sans papiers pratiquées depuis l'accession à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy à 415 millions d'euros, soit 21000 euros par personne reconduite. Encore que ce montant, précisaient les sénateurs, « ne prend pas en compte les services des préfectures compétents dans ce domaine, l'aide juridictionnelle attribuée aux personnes retenues, ainsi que le coût du contentieux devant les tribunaux ». (L'Humanité, 27 avril 2010). Au Royaume-Uni, une étude publiée par la London School of Economics, qui peut difficilement être soupçonnée de gauchisme, concluait que la régularisation des 618000 migrants vivant en situation irrégulière sur le territoire britannique rapporterait 4,6 millions d'euros aux caisses de l'État (mais elle menacerait sans doute certains intérêts économiques...).

Comme le disait le sociologue Eric Fassin à un journaliste de L'Humanité dans le numéro précédemment cité, il faut cesser d'opposer une politique de fermeté vis à vis de l'immigration inspirée par le réalisme économique et une politique d'ouverture inspirée par l'idéalisme moral: le cœur et la raison s'accordent pour refuser les expulsions massives de clandestins, associ

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28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 07:45

 

Les élections cantonales ont marqué la défaite de la droite et de Sarkozy : les Françaises et les Français ne veulent plus de Nicolas Sarkozy et de ses amis de la finance au pouvoir, pas plus à la tête du pays que dans les départements. L'UMP n'obtient que 18,6% des suffrages exprimés au second tour et a été éliminé de nombreux cantons dès le premier tour. Il perd sa majorité dans les Pyrénées Altantiques, dans le Jura, à la Réunion, à Mayotte.  

 

Ces élections ont été marqué aussi un nouveau progrès du Front de gauche et du PCF [9% au niveau national mais près de 11% si l’on s’en tient uniquement aux cantons où nous étions présent]. Le Front de Gauche (PCF et Parti de Gauche) obtient ainsi 118 mandats de conseillers généraux en France. Sur l'ensemble des cantons au 2ème tour (y compris les cantons où il n'était pas qualifié), il réalise un score de 4,9% loin devant les 1,9% d'Europe Ecologie Les Verts qui ont eu bien moins de candidats qualifiés au second tour.  Toutefois, il est difficile de se contenter de cette situation, quand on voit que c'est essentiellement le PS à nouveau qui produit à lui seul l'essentiel des conseillers généraux de gauche, du fait du mode de scrutin très défavorable aux "petits" partis, tels que le PCF et le Parti de Gauche, Europe Ecologie Les Verts ou le Modem, que les médias (radios, télivivision, presse écrite dans une moindre mesure) ont d'ailleurs scandaleusement ignorés après les premier et second tours au profit de la création artificielle de trois forces politiquement significatives: le PS, supposé représenté à lui seul toute la gauche, l'UMP et le Front National. 

On peut aussi se féliciter du fait que le PCF soit en mesure de garder la majorité dans deux départements, le Val de Marne et l'Allier, où les socialistes s'étaient pourtant alliés aux Verts pour lui reprendre la majorité dans les conseils généraux.

Au niveau régional, nous avons la déception de perdre de justesse dans le canton de Guéméné sur Scorff (où C. Perron pour le FG a fait 48% contre le candidat UMP alors que les résultats du premier tour, avec un bon report des voix écologistes et PS, auraient dû lui donner une avance confortable) et de perdre à Lanester où le candidat du Front de Gauche fait tout de même 30% contre un divers gauche au second tour. Toutefois, comme c'est une sortante qui a été élue dans ce dernier canton, nous pouvons apprécier comme une avancée significative le résultat du Front de Gauche et sa présence au second tour.       

 

Dans le Finistère, les progrès sont sensibles: 9,33% dans les 25 cantons où nous étions présents avec 12 241 voix. Dans 4 cantons simplement, les frais de campagne des candidats du PCF-Front de Gauche ne seront pas remboursés, contre une vingtaine en 2004. A Rosporden, Marcel Tilly a même qualifié au second tour le Front de Gauche, y réalisant 32,6% contre le candidat du PS. 

Dans le canton de Saint Thégonnec, même s'ils sont derrière les candidats socialistes (71%) et Europe Ecologie Les Verts (18%), Daniel Ravasio et Maryse Berthou réalisent un bon score au premier tour de 9,90 % des voix, obtenant plus de voix malgré le fort taux d'abstention que toutes les élections précédentes. A Lanmeur, Jeremy Lainé pour le Front de Gauche, bien qu'arrivant en 4ème position, réalise un très bon score de 14%. Dans le canton de Saint Pol de Léon, malgré une campagne collective intense et les bénéfices attendus de la  dynamique nationale du Front de Gauche, nous faisons, Yvette le Bars et moi, un score assez décevant de 4,42%, sensiblement identique à celui de René Le Bars en 2004 qui obtenait tout de même beaucoup plus de voix avec un niveau de participation plus élevé. On peut l'expliquer par la tradition conservatrice du canton peu propice aux communistes, par la popularité de Jacques Edern (agriculteur divers gauche soutenu par le PS) élu par surprise contre la droite en 2004, par le désir des électeurs de gauche d'empêcher à tout prix que le canton repasse à droite, lui qui l'avait toujours été depuis l'après-guerre, par le fait que je n'étais guère connu au niveau local, et par l'accident nucléaire au Japon qui nous a peut-être empêché d'atteindre les 5% en donnant une prime au candidat écologiste qui n'a pourtant pas fait campagne quant à lui.        

 

Pour revenir à une approche globale de cette élection, le score réalisé par le Front national, en progrès de trois points par rapport aux cantonales de 2004 et présent dans 400 cantons au second tour dans une élection qui traditionnellement, lui réussit peu, du fait de la médiocrité de ses candidats et de ses forces militantes sur le plan local, confirme le danger d'une montée de l'extrême droite qui doit être pris au sérieux par les forces de gauche. Elle est le résultat d'une banalisation des idées xénophobes par la majorité présidentielle et de l'honteuse promotion médiatique dont Marine le Pen a bénéficié ces derniers mois pour accréditer sa soi-disante conversion sociale. La télécratie et le pouvoir Sarkozy, par stratégie probablement, semblent de manière plus ou moins volontaire faire progresser Marine Le Pen, qui serait un adversaire idéal de Sarkozy au second tour des présidentielles et dont les thématiques de prédilection ont le mérite de détourner l'attention des français de la domination oligarchique de la finance internationale sur les peuples et des dégâts sociaux du capitalisme mondialisé.    

Le niveau historiquement bas de la participation (45% environ) traduit aussi la défiance des millions d'électeurs à l'égard d'une vie politique dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Le décalage entre les urgences populaires face aux dégâts de la crise capitaliste et la nature et le niveau des réponses apportées devient insupportable. L'abstention en est la sanction retentissante. Elle doit interroger toutes les forces politiques.

 

 Ismaël Dupont (complétant un premier rapport d'entre deux tours réalisé par Daniel Ravasio).

 

 

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15 mars 2011 2 15 /03 /mars /2011 09:00

Pour introduire au débat du 16 mars 2011 sur le thème: quelle démocratie?

 

En 1852, Auguste Blanqui écrivait que « démocrate » était un mot « sans définition »: « Qu'est-ce qu'un démocrate, je vous prie? C'est un mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc ».

 

L'indétermination du signifiant « démocratique », cette polysémie du mot associée à sa valorisation spontanée fait qu'il s'accorde avec toutes les instrumentalisations idéologiques. Comme la lutte politique commence par un combat pour l'appropriation et la juste définition des mots mobilisateurs, il nous reviendra de préciser en quoi on ne peut dissocier l'attachement à la démocratie de l'aspiration à l'égalité.  

 

Hier, les communistes opposaient la démocratie réelle des démocraties populaires où le travailleur était prétendument souverain et l'individu et le citoyen en vérité écrasé par le parti-guide et la bureaucratie d'Etat à la démocratie formelle du parlementarisme et des droits de l'homme bourgeois, accordant des libertés et une égalité de papier, dissociés d'une émancipation concrètes dans la vie civile et le travail.

Aujourd'hui, on justifie des guerres impérialistes par l'exportation de la démocratie et des droits de l'individu, on transforme la démocratie participative en outil de marketing électoral pour une gauche à court d'idées, on impose l'affaiblissement de la souveraineté des Etats-nations, la dérégulation économique et la liberté du marché qui durcissent les inégalités au nom du renforcement et de la consolidation de la démocratie en Europe, et on passe outre la décision des peuples danois, français, hollandais, irlandais de ne pas avaliser les traités européens qui les dessaisissent de leur souveraineté en les faisant passer pour des imbéciles obscurantistes ayant cédé aux sirènes de la démagogie, du populisme flattant leurs bas instincts nationalistes et anti-démocratiques: votes de défiance qui traduiraient non des choix éclairés mais des pulsions contestatrices, et au final, malgré tout, un échec de la pédagogie des élites politiques et médiatiques éclairées par les experts économiques aux verdicts indiscutables.

 

On est aujourd'hui confronté à un paradoxe, qui n'est peut-être qu'apparent, celui d'une extrême valorisation de la démocratie, mais d'une démocratie sans le peuple et contre le peuple, ou du moins contre ses aspirations possibles à l'auto-détermination et à l'égalité sociale.

 

Et ce paradoxe d'une sacralisation de l'idée de démocratie se creuse quand on observe, dans les pays occidentaux, la puissance du discrédit dont sont l'objet les représentants politiques et les institutions, discrédit qui se traduit par le vote extrémiste et l'abstention, par la versatilité des choix et la dépolitisation, tout comme par un grand scepticisme de ceux qui accomplissent leur devoir civique sans croire que l'issue de l'élection changera grand chose à leur vie quotidienne, soit parce que les partis majoritaires ont renoncé à l'idée de changer structurellement la société pour la rendre plus juste, soit parce que le volontarisme politique est confronté à une impuissance nouvelle liée à la libre circulation des capitaux et aux stratégies de délocalisation et de dumping social des multinationales ou au transfert de souveraineté à des institutions transnationales plus ou moins démocratiques.

 

Cette crise de la démocratie représentative peut-elle simplement être conjurée en instaurant de nouvelles règles institutionnelles rendant le monde politique moins fermé sociologiquement, moins attaché à la conservation de ses privilèges, et moins poreux aux sirènes de l'affairisme (par exemple: limitation du pouvoir de l'exécutif, accentuation du contrôle de la justice sur celui-ci, scrutins de liste à la proportionnelle permettant l'élection de plus de femmes, de jeunes, de représentants issus des classes populaires, réforme de la formation scolaire des cadres politiques et administratifs, mandat unique ou non cumul des mandats...)? Implique t-elle de rapprocher les instances de décision du citoyen en allant vers plus de démocratie locale, de décentralisation et de démocratie participative? Faut-il multiplier les référendums d'initiative populaire pour que les individus se ressaisisse des questions politiques et fassent pleinement leur travail de citoyens ?

 

Ou faut-il croire au contraire que le combat est perdu d'avance, du fait du comportement moyen de l'individu des sociétés démocratiques et capitalistes avancées?

Pour certains contempteurs de la modernité, l'accès au confort matériel et la relative égalisation des conditions, en même temps que la nouvelle division du travail et les contraintes de mobilité que le phénomène urbain et les mutations de l'économie ont généré, auraient dissout les vieilles solidarités et fait émerger la monade individualiste des masses anonymes, l'individu-consommateur indifférent à la vie publique et à l'intérêt général.

Homo democraticus que beaucoup d'essayistes, sociologues, philosophes critiques de l'Etat-Providence et de la modernité démocratique nous décrivent, dans le sillage des anticipations de Tocqueville, des analyses de Hannah Arendt, comme un être indifférent à son voisin et à la vie publique, tournant autour de lui-même et de ses petits plaisirs, ne pensant pas au-delà du cercle étroit de sa famille, ne songeant à la politique que quand des réformes ou des phénomènes sociaux affectent ses intérêts matériels et catégoriels immédiats, ne cherchant pas à défendre les libertés publiques et une vision de l'intérêt général mais se contentant d'être dans un rapport instrumental de consommation (de protection sociale, de services publics, d'assurance contre l'imprévu) à la puissance publique de l'Etat.

Cet homme démocratique oublieux des durs combats du passé nécessaires à la conquête de ses droits politiques et de ses libertés individuelles, trop gâté et préoccupé essentiellement par ses petits plaisirs abêtissants, décérébré par la civilisation du loisir, les mass médias, la société de consommation serait une forme de "dernier homme" (pour reprendre une notion introduite par Nietzsche)  incapable de donner une consistance aux institutions démocratiques et de se méfier des démagogues dangereux qui flattent ses bas instincts anti-fiscaux ou égalitaristes, xénophobes et sécuritaires, serait incapable de préserver la démocratie si des élites plus responsables et conscientes des dangers qui la guettent ne la préservaient, du point de vue de ces intellectuels (Dominique Schnapper, Finkielkraut...).

On pourrait aller plus loin même et dire avec l'essayiste sceptique américain d'origine allemande Walter Lippmann que, structurellement, il est impossible que des électeurs puissent s'intéreresser à suffisamment de champs du savoir pour faire le tour des problèmes techniques qu'a à résoudre le politique. Le peuple est fondamentalement aveugle et doit être guidé par des experts et des politiciens professionnels instruits car il est hautement improbable que « la somme des ignorances individuelles puisse produire une force continue capable de diriger les affaires publiques ». Il faudrait donc « remettre le public à sa place », au sens de le rappeler à son devoir de modestie et de le remettre dans les gradins, car la gestion d'un Etat, d'une économie, est une affaire sérieuse qui n'est pas à la portée du profane, et l'homme de la rue n'est d'ailleurs pas fondamentalement un animal politique, qui manifeste un intérêt spontané pour les questions sociales quand elles n'ont pas d'incidence directe sur sa vie quotidienne.

 

Notre thèse à nous serait plutôt que c'est le sentiment de la perte de puissance transformatrice de la volonté politique citoyenne - liée à l'homogénéité idéologique des aspirants au pouvoir exécutif, à la puissance de l'instrumentalisation et de la neutralisation des pouvoirs politiques démocratiques par les puissances financières, et l'affranchissement de la politique « de toute promesse d'émancipation sociale, de tout horizon d'attente eschatologique » (Jacques Rancière, Aux bords du politique)  qui nourrit la démission citoyenne et le désintérêt pour la politique. C'est d'abord parce que le peuple a le sentiment justifié que son pouvoir ne s'exerce plus guère qu'il se désintéresse de la politique. Les élections libres sont devenus un cirque sans enjeu fait de marketing et de ciblage publicitaire plus que d'affrontements idéologiques et de débats d'idées. Les candidats sont présentés dans un emballage conçu par des experts en publicité plus habitués à promouvoir des marques que des principes politiques... Les médias détenus par les grands groupes financiers occultent les vrais enjeux sociaux des élections et les non-dits de candidats de partis de gouvernement qui acceptent la domination de la finance et s'en font les chargés d'affaire aussi bien dans leur politique intérieure qu'étrangère quand ils parviennent au pouvoir.

 

Comme l'écrit Jacques Rancière dans La Haine de la démocratie: « Nous vivons dans des Etats de droit oligarchiques, c'est à dire dans des Etats où le pouvoir de l'oligarchie est limité par la double reconnaissance de la souveraineté populaire et des libertés individuelles ». Un peu plus loin: "On prend habituellement l'existence d'un système représentatif comme critère pertinent de démocratie. Mais ce système est lui-même un compromis instable, une résultante de deux contraires. Il tend vers la démocratie dans la mesure où il se rapproche du pouvoir de n'importe qui. De ce point de vue, on peut énumérer les règles définissant le minimum permettant à un système représentatif de se déclarer démocratique: mandats électoraux courts, non cumulables; monopoles des représentants du peuple sur l'élaboration des lois...contrôle de l'ingérence des puissances économiques dans les processus électoraux".  

 

Le triomphe de l'idée démocratique, amputée de sa dimension subversive d'égalitarisme, a servi d'arme de guerre au libéralisme contre les idéaux d'émancipation sociale, et coïncide avec le déclin de la réalité démocratique.

 

Dans le courant des années 70-80, avec la mode de la pensée anti-totalitaire succédant à celle de l'anti-capitalisme et de l'anti-impérialisme, le discours dominant dans le champ intellectuel et médiatique a commencé à célébrer la démocratie comme une valeur absolue, atemporelle, indiscutable, l'alpha et l'omega du souhaitable politique, le dernier stade du progrès historique. Mais ce nouveau totem, cette idole devant lequel on a sacrifié avec bonne conscience les espérances révolutionnaires, les idéaux d'émancipation, et l'ambition de changer structurellement la société pour installer une démocratie sociale en complément de la démocratie politique, ce n'est qu'une idée historiquement située de la démocratie: la démocratie parlementaire ou représentative, défendue comme rempart de la liberté individuelle et de la liberté du marché contre les excès de la souveraineté du peuple et de son aspiration possible à l'égalité.

 

cf. Daniel Bensaïd dans un très bel article tiré du recueil Démocratie, dans quel état? publié aux éditions La Fabrique: « vers le milieu des années 1970, la scène mondiale commença à pivoter. Les protagonistes de la guerre froide- capitalisme contre communisme, impérialisme contre libération nationale – s'effaçaient devant une nouvelle affiche annonçant à grand tapage le combat du siècle entre Démocratie et Totalitarisme. Comme sous la Restauration monarchique, la démocratie sans phrases était censée donner un semblant de légitimité à la bassesse d'un interminable Thermidor. Pourtant aujourd'hui comme hier, les libéraux victorieux gardaient une secrète méfiance envers le spectre de la souveraineté populaire qui s'agite sous la surface du formalisme démocratique » (p.27).

 

Comme l'exprime l'intellectuelle de la gauche critique américaine Kristin Ross dans un article « Démocratie à vendre » (inclus dans ce même recueil Démocratie, dans quel Etat?: « on ne saurait surestimer l'énorme avantage que les États occidentaux ont réussi à pousser en présentant la « démocratie » comme une force faisant contrepoids au « communisme ». Ainsi, ils ont pris le contrôle entier du mot, effaçant toute trace de la valeur émancipatrice dont il était jadis chargé. La démocratie est devenue une idéologie de classe légitimant des systèmes qui permettent à un très petit nombre d'individus de gouverner – et de gouverner pour ainsi dire sans le peuple...Et imposer l'idée que le marché est un préalable évident à la démocratie et que la démocratie appelle inexorablement le marché constitue une victoire retentissante » (p.118).

 

En même temps qu'ils célèbrent comme la fin de l'histoire, le meilleur des mondes possibles ou le moindre mal (par rapport au maximalisme révolutionnaire conduisant semble t-il naturellement au goulag, au totalitarisme et aux bains de sang) la démocratie moderne des droits de l'homme et des libertés individuelles, de la liberté d'expression, du multipartisme et de l'alternance des représentants politiques, ces même intellectuels libéraux ou conservateurs vouent, comme l'a bien vu le grand philosophe français Jacques Rancière une forme de haine à la société démocratique produite par l'égalisation partielle des conditions, entendent encadrer et contrôler la souveraineté du peuple dont ils se méfient, et manifestent une véritable angoisse vis à vis du mouvement spontané des masses pouvant bousculer l'ordre hiérarchique établi.

 

"La haine de la démocratie peut se résumer en une thèse simple: il n'y a qu'une seule bonne démocratie, c'est celle qui reprime la catastrophe de la civilisation démocratique" (Jacques Rancière, La Haine de la démocratie). Pour exemple, le rapport de cette Commission Trilatérale composé par Michel Crozier, Samuel P. Hundington, Jogi Watanaki, qui a donné sa feuille de route au néo-libéralisme brutal des années 80: pour eux, la démocratie signifie l'accroissement irrésistible des demandes qui fait pression sur les gouvernements, elle entraîne le déclin de l'autorité et rend les individus rétifs à la discipline et aux sacrifices requis par l'intérêt commun". Dès lors, on qualifiera du terme devenu injurieux de "populiste" toute politique qui vise à satisfaire les revendications populaires et on louera le courage et l'esprit de responsabilité des hommes politiques qui écoutent ceux qui savent, les experts économiques, plutôt que les citoyens, et qui réduisent de ce fait les garanties sociales de la population pour accroître la compétitivité des entreprises et réduire les impôts.  

 

Cette haine de la démocratie a plusieurs symptômes et prend plusieurs formes:        a) Chez les intellectuels d'État libéraux de la Fondation Saint Simon dans les années 90: survalorisation, à l'encontre du débat idéologique contradictoire, de la nécessité du conseil technique et scientifique aux représentants pu peuple, du pouvoir des experts capables, contrairement aux citoyens peu lucides et ignorants, de trouver des moyens pour mettre en œuvre efficacement des fins à travers une connaissance des lois de l'économie... Survalorisation aussi des corps intermédiaires de la société civile (syndicats, médias, partis, églises, associations...) qui peuvent discipliner et éclairer les revendications populaires et faire de la pédagogie auprès du peuple pour lui expliquer les dures nécessités de l'action politique responsable en période de mondialisation. Idéal d'un silence des passions politiques, des conflits idéologiques, au profit d'un pragmatisme technicien à finalité purement utilitariste -augmenter la croissance, la prospérité économique nationale, diminuer le chômage- commandant des réformes dont la nécessité devrait s'imposer à tous.                 b) Idée que la démocratie politique, le droit du peuple à élire ses représentants, se justifie essentiellement comme moyen de les contrôler pour qu'ils ne remettent pas en cause les libertés individuelles. Les droits de chacun doivent l'emporter sur le pouvoir de tous.     c) Ou alors, idée qu'elle se justifie au nom de la paix civile comme moyen de régler pacifiquement des conflits liées à la contradiction des intérêts et des opinions de groupe sociaux. Cf. pour Raymond Aron, dans une perspective pragmatique, la démocratie n'est jamais que « l'organisation de la concurrence pacifique en vue de l'exercice du pouvoir » qui présuppose des « libertés politiques » sans lesquelles « cette concurrence est faussée ». Toutefois, cet attachement à la démocratie comme moyen de paix civile est contradictoire avec tout attachement religieux à un absolu politique, toute ambition de changer la société à marche forcée pour la rendre plus juste, dans la mesure où ces attitudes politiques maximalistes supposent la neutralisation des adversaires politiques et sociaux, la suppression du multipartisme et de l'alternance politique, la suspension des libertés publiques. Être démocrate, cela suppose une certaine forme de résignation au moindre mal de la domination provisoire d'opinions politiques qui nous semblent erronées et contraires à l'intérêt général. La démocratie s'accorderait mieux avec le scepticisme (les solutions que je préconise ne sont pas forcément les meilleures et des nécessités absolues, même si j'ai tendance à le croire du fait de mon histoire, de mon éducation de mon point de vue particulier sur les choses) et avec le relativisme (tolérance liée à l'absence de croyance en une vérité absolue en matière politique: il n'y a que des opinions), voire à l'indifférentisme politique qu'avec le dogmatisme et l'attachement fanatique à la réalisation rapide d'idéaux de transformation sociale perçus comme moyen de salut pour l'humanité. d) Toute ambition révolutionnaire visant à obtenir une émancipation complète du peuple sur le court terme serait vouée à justifier la confiscation du pouvoir par une minorité et la violence contre les récalcitrants, au nom du Bien, et comme la nature humaine est ainsi faite que le pouvoir absolu corrompt absolument et rend fou, une idéologie qui justifierait au nom d'idéaux de libération ultime un pouvoir absolu provisoire d'un État ou d'un parti sur la société conduirait, comme l'ont montré l'exemple du moment jacobin de la Révolution Française de 1793-1794, des révolutions communistes russes, chinoises, vietnamiennes, cambodgiennes, à des dictatures venant progressivement à se considérer comme leurs propres fins.     e)Parallèlement, chez beaucoup de philosophes, sociologues, essayistes (Finkielkraut, Jean-Claude Milner, Dominique Schnaper...), on observe une critique des principes mêmes de la démocratie et de l'individu produit par la société démocratique, critique héritée de Platon et de Tocqueville qui est une critique à peine voilée de la civilisation démocratique entendue en termes sociologiques comme impliquant l'égalité sociale. La civilisation égalitariste de l'âge démocratique dégraderait les vertus humaines.

Or la démocratie, dans son sens originel, c'est le pouvoir du demos, du peuple, pour le peuple, le peuple au sens du peuple sociologique: le commun, le vulgaire, les classes moyennes et populaires... soit le pouvoir du citoyen qui n'a aucun titre à gouverner...

 

Ainsi, Demokratia veut dire le pouvoir du peuple en un double sens: a) du peuple en tant qu'entité politique, communauté organisée de manière conventionnelle pour faire les lois, dire le droit b) le peuple en tant que réalité sociale, le grand nombre des classes populaires et moyennes, opposé aux vieilles familles aristocratiques et aux riches. D'emblée donc, la démocratie acquiert une double signification d''égalité politique et d'orientation vers l'égalité sociale. Politique dans la mesure où elle implique l'égale capacité de tous les citoyens à produire la loi et à gouverner la cité, comme l'absence de commandement d'un homme éminent ou d'une élite. Sociale, dans la mesure où c'est la plèbe, pour utiliser un mot latin, le bas peuple, qui prend le pouvoir dans la démocratie, pouvant ainsi l'utiliser selon les intérêts du plus grand nombre. L'installation de la démocratie a coïncidé avec un moment de la lutte des classes, les « démocrates » étant d'abord les défenseurs du parti populaire.

 

L'essence égalitaire de la démocratie, telle qu'elle est revélée par sa naissance...

 

Chacun sait aussi que la démocratie naît dans la Grèce antique, et en particulier à Athènes au VI ème av. JC. Depuis le VIII ème siècle, les Grecs s'étaient organisés en cités autonomes au travers de rassemblement de villages s'organisant à partir de mêmes lieux de décision et de délibération commune, la loi n'étant plus considérée comme l'expression d'une tradition sacrée, de la volonté d'un homme situé au-dessus des autres ou de la volonté divine, mais le produit d'une décision collective révisable visant l'intérêt général.

Entre le VIIIème siècle et le Vème siècle av. JC, les cités grecques ont principalement été administrées par des oligarchies ou des tyrannies.

L'oligarchie renvoyait au gouvernement d'un conseil fermé de notables (les Eupatrides à Athènes),de riches appartenant souvent à une aristocratie héréditaire et se partageant les magistratures, les fonctions publiques de commandement à caractère politique, religieux ou militaire.

Ces grands propriétaires gouvernaient avec morgue un petit peuple de paysans, d'artisans et de commerçants, ouvriers et manœuvres constituant le démos, le peuple, provisoirement tenu à l'écart de l'agora. Toutefois, le développement rapide des implantations coloniales, des échanges commerciaux, du capitalisme et de l'urbanisation, comme des guerres impériales à partir du VIIIème siècle en Grèce a rendu plus fragile cette domination oligarchique, les tensions entre les classes sociales installant un climat de guerre civile larvée dans les cités (affrontement entre les grandes familles et leurs clientèles, expropriation des petits paysans, paysans promis par leur dette à l'esclavage, exploitation des ouvriers et artisans des villes...), provoquant de nombreuses révolutions.

Ces révolutions ont d'abord accouchés de tyrannies, accaparement du pouvoir par des aventuriers gouvernant par usurpation, ex lex et selon leur bon plaisir en servant leurs alliés et leurs clientèles et en humiliant les vieilles familles, en les expropriant pour redistribuer une partie de leurs richesses au peuple, sur lequel ces tyrans s'appuyaient. Quand les tyrans laissaient en place pour faire illusion les Assemblées des notables, ils les faisaient voter sous la surveillance de porte-gourdins des propositions populaires. « Abaisser l'aristocratie et relever les humbles: tel est le principe général qui guide les tyrans » (Gustave Glotz, La cité grecque, 1928). Moyens de se concilier le peuple: exiger l'augmentation des salaires, lui donner du travail en financement des programmes de grands travaux avec l'argent prélevé sur la fortune des notables, lui promettre du butin en organisant des expéditions militaires financées là encore avec des impôts sur les riches.

La démocratie athénienne, dont on connait précisément l'histoire, s'est organisé en plusieurs temps:

- avec Solon d'abord, en 594 sur une base censitaire (les obligations et les droits des classes, leur participation aux magistratures mais non à l'assemblée et aux tribunaux, étant dépendant du cens ou de l'impôt qu'elles versent en fonction de leurs richesses). 

  • avec Clisthènes après l'épisode de la tyrannie de Pisiscrate en 508/7 – les tyrans et leurs alliés furent proscrits, les citoyens d'Athènes furent classés selon leur domicile et non selon leur classe sociale. Le pays athénien fut divisé en dèmes, petites communes qui avaient chacune leurs assemblée, leurs magistrats, leur administration. Les différents dèmes, indépendamment de leurs proximités géographiques et de leurs intérêts communs, furent repartis en 10 tribus, qui élirent chacune 50 membres de La Boulé, le conseil des 500, lieu de représentation proportionnelle des dèmes, dont le travail était préparé par une commission de 50 élus d'une même tribu, cette commission étant composée à tour de rôle des représentants de plusieurs tribus y siégeant pendant 1/10 ème de l'année. La Boulé, ou conseil des Cinq Cents, préparait des projets qui étaient ensuite soumis à la ratification de l'ensemble des citoyens réunis. Le pouvoir exécutif était assuré par 9 archontes accompagnés d'un secrétaire représentant les 10 tribus athéniennes.

  • Pendant les guerres médiques (opposant les Grecs aux Perses), des retouches furent apportés à la constitution politique d'Athènes, la rendant encore plus démocratique. En 487, on décida de tirer au sort les archontes, un par tribu. En 462, le parti démocratique dirigé par Ephialtès obtint que l'Aréopage, un conseil de notables équivalent à une forme de Sénat qui avaient la garde de la constitution ou des lois fondamentales d'Athènes, pouvait juger des crimes et infractions et exercer un contrôle sur le gouvernement, fut privé de ses prérogatives et réduit à des fonctions religieuses honorifiques. Periclès, lieutenant d'Ephialtès et petit-neveu de Clisthènes, prolongea ses réformes démocratiques par plusieurs innovations fondamentales: il éleva la loi au-dessus des caprices populaires en permettant à n'importe quel citoyen de dénoncer une proposition d'arrêt populaire jugé contraire aux lois fondamentales et de faire poursuivre, et parfois même condamné à mort, son auteur (c'est la pratique du graphè paranomôn, action criminelle en illégalité). Périclès, pour permettre aux citoyens modestes devant travailler pour survivre de remplir pleinement leur rôle souverain à la Boulé, dans les tribunaux ou pour occuper une charge de fonctionnaire après tirage au sort, leur attribua des soldes, ou misthoi. Au IVème siècle, les citoyens eurent droit à des indemnités, non seulement pour rémunérer des services exceptionnels, mais pour se rendre à l'Assemblée plénière des citoyens (l'Ecclésia) et y voter les lois.  

Au terme de toutes ces réformes qui à chaque fois ont coïncidé avec des progrès du parti populaire dans la lutte des classes qu'il mène contre les élites conservatrices, la minorité de citoyens Athéniens, distincte d'une majorité d'esclaves et de métèques d'origine étrangère privés de citoyenneté et soumis à un impôt spécial, se pense comme une société d'égaux, la seule à vivre dans un régime vraiment républicain (où le pouvoir est la « chose publique ») caractérisé par l'isonomia, l'égalité devant la loi, et l'iségoria, le droit égal de parler. Plus aucun titre de noblesse n'a de valeur: on ignore même les noms de famille et tout Athénien accole à son nom personnel le nom de son dème, plus rarement celui de son père s'il est illustre. Même si les hommes politiques influents viennent souvent de grandes familles, y compris dans le parti populaire, l'État ne reconnaît que des individus et non des familles appartenant à des castes différentes. « Les citoyens ont tous les mêmes droits. Ils peuvent entrer à l'Assemblée pour parler, s'ils le veulent, et pour voter; car le système représentatif n'existe pas et eût semblé une restriction oligarchique de l'iségoria. Ils peuvent se porter candidats au Conseil et aux autres fonctions publiques dans des conditions légales: ils sont tour à tour obligés d'obéir et admis à commander. Ils prennent part aux fêtes publiques, aux processions, aux sacrifices, aux jeux, aux représentations théâtrales, sans autre distinction que la préséance accordée aux magistrats » (Gustave Glotz, La Cité Antique, p. 140).

 

 

Pour Platon (philosophe athénien, V-IVème s av. JC) la démocratie, qui correspond à la prise de pouvoir par la majorité des pauvres conduits par des démagogues à prendre des orientations politiques contradictoires en fonction des intérêts de ses derniers aboutit aussi à servir les intérêts de classe et la cupidité du peuple avant toute chose au détriment de l'intérêt général (par exemple en encourageant à la guerre ou à des politiques impérialistes vis à vis des cités voisines, pour donner des indemnités aux citoyens engagés dans les navires de guerre, du travail pour les construire, et des promesses de butin). Le gouvernement démocratique conduit aussi à l'absence de gestion rationnelle de la cité: pour cela, il faudrait que les décisions émanent des plus compétents, des experts formés au sein de l'élite sociale par les philosophes, et non des aventuriers, qui grâce à leur sens de l'intrigue et de leur maîtrise de la démagogie, parviennent à séduire le peuple. Alors qu'une société bien organisée est celle où les statuts et les devoirs sociaux sont bien hiérarchisés, différenciés et complémentaires pour servir l'intérêt de l'ensemble de la société, la démocratie tend à favoriser l'indifférenciation sociale, la prétention des individus à échapper aux obligations traditionnelles liées à leur sexe, leur âge, leur rang social. La démocratie favorise l'esprit d'insoumission et un hédonisme individualiste qui génère de l'anarchie, de la licence généralisée et la corruption des vertus morales du peuple. Pour Platon, dont Tocqueville et les réactionnaires contemporains s'inspireront, le régime populaire crée un type d'homme perverti incapable de s'astreindre à une discipline morale. L'homme démocratique laisse s'établir en lui des désirs multiples et se montre velléitaire, inconstant, incapable de courage et de sens du sacrifice: « il passe chacun de ses jours à complaire au désir qui lui échoit au passage ». Cette avidité débridée et cette perte d'esprit civique et public des individus qui composent la démocratie favorisent l'instabilité des régimes et l'arrivée au pouvoir d'ambitieux qui flattent le peuple de vaines promesses tout en n'ayant pas la connaissance suffisante pour bien le préserver des écueils (invasion étrangère, crise économique, révolution violente...) ou qui cherchent à établir des tyrannies en s'appuyant sur les citoyens les plus modestes. La constitution démocratique, née de l'insurrection violente des pauvres, s'achève naturellement par la spoliation des riches, à moins que ceux-ci parviennent à se défendre en préservant leurs intérêts par la force et en constituant des oligarchies tyranniques. Dans une démocratie, les rôles sont inversés et les gouvernants qui doivent conduire et éclairer tendent à être les gouvernés car pour conserver une influence sur le peuple et des magistratures accordées par élection, ils doivent le flatter, abonder dans le sens de ses erreurs, de ses ignorances et de ses bas instincts qu'il faudrait corriger. Or, selon Platon, « la foule est le critère du pire ». Le nombre, la règle majoritaire, n'ont rien à voir avec la vérité, rien à voir avec les conditions de l'harmonie sociale, puisque les passions l'emportent sur le jugement rationnel chez les hommes qui n'ont pas la distinction naturelle ou l'éducation pour faire un bon exercice de leur raison.

 

Les fondements de la démocratie libérale moderne ne sont pas égalitaristes.  

 

« Si la démocratie prémoderne, républicaine, était fondée sur l'idée d'exercer le pouvoir en commun – le pouvoir du peuple pour le peuple- et était par conséquent centrée sur un principe d'égalité, la promesse de la démocratie moderne a toujours été la liberté. Cette démocratie moderne n'a jamais prôné l'égalité, sauf sur le mode le plus formel, celui de la représentation (le bulletin de vote) ou de l'égalité devant la loi ». (Wendy Brown).

 

La philosophie politique et des théoriciens du droit ont commencé à définir les fondements et les conditions de bon fonctionnement de la démocratie comme système politique entre le XVIIème s et le XXème s.

 

Il revient à Hobbes, philosophe anglais matérialiste du XVIIème s, d'avoir affirmé le premier que la loi civile n'émanait ni de Dieu ni d'une supériorité naturelle d'un homme sur un autre mais d'un accord originel et tacite, d'un pacte ou contrat social à partir desquels les hommes pour échapper aux conséquences dramatiques de leur liberté naturelle, la guerre de tous contre tous, ont décidé de sacrifier leur liberté illimitée à une sécurité et une liberté encadrée protégée par des lois et une force publique. Le champ du politique était donc défini comme l'exercice d'un pouvoir protégeant les individus ayant des opinions et des intérêts différents les uns des autres et leur permettant de vaquer à leurs affaires privés sans avoir à craindre leur voisin. Mais pour Hobbes, pour rendre possible cette quiétude publique et cette liberté individuelle définie négativement comme absence de contrainte, il fallait un pouvoir central s'exerçant de manière absolue, aux prérogatives illimitées.

Face à cette légitimation de l'absolutisme royal par Hobbes, Locke et Montesquieu vont au contraire mettre en avant la nécessité de préserver la liberté de chacun contre les empiètements du pouvoir central. Pour cela, il faut que les dirigeants soient élus afin qu'il soit plus facile de les contrôler et pour éviter qu'ils n'empiètent sur la liberté individuelle. Il faut qu'ils soient révocables et qu'ils respectent une constitution garantissant des libertés individuelles fondamentales (liberté de conscience, d'expression, de presse, de circulation, propriété, libre entreprise...). Il faut que le pouvoir soit divisé et que différents pouvoirs s'équilibrent et se contrôlent entre eux, s'empêchant réciproquement de dériver vers un exercice absolu et arbitraire: indépendance de la justice, Sénat non soumis aux aléas de la vox populi garant des lois fondamentales, contrôle des magistrats par une opinion publique pouvant s'exprimer librement et un Parlement représentant une diversité de partis politiques, fédéralisme et indépendance des collectivités locales empêchant le pouvoir central d'avoir trop d'emprise sur l'individu.

 

La question centrale de la démocratie libérale est de trouver les garanties institutionnelles pour préserver la liberté des individus, y compris la liberté des affaires, contre les menaces incarnées par le pouvoir, d'autres d'autres individus ou d'autres forces sociales. Cette démocratie libérale n'est aucunement faite pour permettre au peuple de transformer la société pour la rendre plus égalitaire: elle vise à limiter la souveraineté du peuple au nom d'une conception individualiste du fondement de l'Etat: il n'est là que pour nous protéger les uns des autres.

 

C'est cette pensée politique que l'on trouve à l'origine de la première démocratie du monde, celle des Etats-Unis fondée suite à la guerre d'indépendance contre l'Angleterre en Amérique.

La Révolution Française de 1789 a pour partie aussi été influencée par cette philosophie politique libérale (révolution modérée s'accordant d'une monarchie constitutionnelle et d'une démocratie représentative ayant pour but le respect des droits de l'homme et du citoyen de 1789-1791) et ... pour partie aussi influencée par le républicanisme nostalgique de l'antiquité gréco-romaine de Rousseau et son idéal de démocratie directe et de pleine souveraineté d'un peuple pensé comme naturellement droit et juste dans ses arrêts, à condition de n'avoir pas le jugement troublé par des ambitieux ou des factions aux intérêts particuliers variés. Pour Rousseau, l'homme n'a pas simplement intérêt à être citoyen pour préserver ses droits d'individu privé contre les empiètements de la masse, il se réalise en tant que citoyen utilisant sa raison et laissant de côté ses intérêts privés pour débattre de l'intérêt général avec ses pairs et énoncer la loi.

 

Depuis la mise en place douloureuse, surtout en France, de ces démocraties modernes, qui ont d'abord été censitaires, puis fondées sur le suffrage universel, l'idée semble s'être imposé que la volonté du peuple est le fondement légitime de tout pouvoir, que tous les hommes sont naturellement égaux et doivent être égaux en droits, devant la loi, que la liberté individuelle étant une valeur fondamentale, elle ne doit être contrariée par le pouvoir central de l'État que si elle entrave la liberté d'autrui ou s'adonne à des pratiques jugées inacceptables moralement. Ces trois valeurs consensuelles sont au fondement des institutions démocratiques.

   

Critique marxiste du formalisme de la démocratie représentative libérale, pensée comme démocratie inachevée. 

 

Dans L'Idéologie allemande, en 1845, Marx et Engels font de l'État « la forme par laquelle des individus d'une classe dominante font valoir leurs intérêts communs »... et l'État démocratique ne déroge pas à la règle. « L'Etat est le comité qui gère les affaires courantes de la bourgeoisie » diront Marx et Engels dans le Manifeste communiste en 1848.

Il est la forme à travers laquelle, sans forcément en avoir conscience car elle se dissimule sa politique d' intérêt de classe sous des mots d'ordre grandioses et des idéaux d'émancipation humaine, la bourgeoisie, classe sociale ascendante a pris le pouvoir social à la noblesse, tout en asujetissant le prolétariat à une exploitation sociale brutale mais dissimulée sous l'apparence de la liberté politique et individuelle et de l'égalité de droit

 

Même si Marx, en tant que journaliste aux Nouvelle Gazette Rhénane, défendait la démocratie politique, il critique dès 1844 le culte des droits de l'homme et du suffrage universel dans A propos de la question juive en montrant que ces fondements de la démocratie libérale, dans la mesure où ils affirment la liberté et l'égalité abstraites de l'homme, sans considérer les relations de production et de travail, la production concrète de l'existence et les rapports de classe, ont pour fonction de dissimuler aux hommes concrets la vraie nature de leurs rapports sociaux en leur faisant croire qu'ils sont égaux et souverains.

Politiquement émancipé (par l'instauration du suffrage universel), l'homme n'en participe pas moins à une souveraineté imaginaire; être souverain jouissant des droits de l'homme, il mène une double existence, celle idéale et fictive de citoyen aux droits égaux à ceux des autres et membre de plein droit d'une communauté politique souveraine, et celle, réelle ou concrète, d'individu instrumentalisé ou instrumentalisant son prochain sous le règne brutal de la souveraineté de l'argent et de la propriété privée.

 

Pour résumer, la démocratie politique est un leurre pour Marx sans démocratie sociale, sans suppression de la propriété privée des moyens de production et de la domination de classe: Car la souveraineté du peuple et le pouvoir de tous en tant que citoyens et membres de la communauté politique sont limités dans la démocratie libérale pour les droits de l'homme qui sont les droits de l'individu propriétaire et égoïste. Marx commente l'article 2 de la constitution française de 1793: « Ces droits naturels et imprescriptibles de l'homme sont: l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété ». La liberté est définie non pas en termes politiques (pouvoir de tous sur chacun pour dire le droit), non pas en termes sociaux (pouvoir de satisfaire ses besoins ou ses envies: liberté réelle ou concrète vs. Liberté formelle) mais comme droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ce principe affirme la séparation ultime des hommes qui ne doivent pas s'occuper de leurs voisins, empiéter sur leur pré carré, l'empêcher de vaquer à ses affaires. L'Etat ne se justifie que comme moyen de préserver à tous ces libertés individuelles qui ont pour condition d'exercice la propriété et la sûreté. « La sûreté est la plus haute notion sociale de la société civile, la notion de police d'après laquelle la société tout entière n'existe que pour garantir chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits, de ses propriétés... Par la notion de sûreté, la société civile ne s'élève pas au-dessus de son égoïsme. La sûreté, c'est plutôt l'assurance de son égoïsme » (La question juive, 1844).

 

Même avec le suffrage universel,  les classes dominantes qui ont tendance à dominer aussi la scène intellectuelle disposent de moyens idéologiques puissants (livres, médias, religion, philosophie...) pour diffuser les valeurs morales et politiques qui légitiment et perpétuent leur domination, aliénant ainsi les classes exploitées en lui dissimulant la nature réelle de leur situation sociale et de leurs intérêts. Critique qui n' a rien perdu de son actualité...

 

Toutefois, Marx et Engels considèrent aussi que le suffrage universel et la démocratie politique peuvent être des moyens de faire grandir l'exigence de la démocratie sociale, de l'égalité de droits effective, et ils soutiennent l'émergence de partis politiques communistes et leurs participations aux élections.

 

Par ailleurs, s'ils pensent que pour supprimer la propriété privée des moyens de production et l'exploitation capitaliste, on ne pourra faire l'économie d'une révolution, car même si le parti qui sert d'avant-garde au prolétariat arrive au pouvoir démocratiquement, il devra se protéger contre les forces de la réaction (armée, administration, propriétaires...), leur but n'était aucunement d'installer durablement un parti état au pouvoir centralisé et bureaucratique asujetissant tous les individus privés de capacité d'auto-détermination à des missions d'intérêt social, mais de supprimer l'Etat et de créer des sociétés sans police s'auto-gérant sur un mode démocratique.

 

Reste le problème fondamental et redoutable pour les communistes instruits par la triste expérience des destinées des révolutions russes, chinoises, vietnamiennes, cubaines, de la révolution nécessaire à l'avènement de cette société sans pouvoir d'Etat car sans exploitation de classe. Ne faut-il pas penser, avec le George Orwell de La Ferme des animaux que l'homme est ainsi fait qu'il abusera absolument d'un pouvoir absolu qu'il s'arrogerait au nom d'une émancipation rapide du peuple pour continuer à l'opprimer pour son intérêt et celui de sa clientèle par d'autres voies...?

Peut-on rééllement concevoir une révolution qui conserve une forme et un contenu démocratique ou, réciproquement, des institutions démocratiques ouvertes au multipartisme et à l'alternance qui soient animées d'une dynamique de révolution sociale prolongée?   

   

Ismaël Dupont.  

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 13:29

Entretien paru dans les pages "Communistes" de l'Huma entre Gérard Streiff et Jean-Luc Gibelin, membre du Comité exécutif, responsable du secteur Santé/ Protection sociale.

 

Quel est l'enjeu de la dépendance?

JL Gibelin: La perte d'autonomie totale ou partielle renvoie à trois situations distinctes: le grand âge (1,3 million de personnes), handicap (700000 personnes) et invalidité (600000 français), même si une personne peut passer d'une situation à une autre. Elle est traitée principalement de trois manières: prise en charge médicale et médico-sociale, prestation/ indemnisation de compensation et politique d'ordre "sociétal". Il y a trois acteurs principaux: les organismes sociaux, les collectivités locales et leurs services publics, et les acteurs privés (assurentiels et médico-sociaux). Il y a deux modalités de financement: le financement socialisé qui recouvre Sécurité sociale, fiscalités, travail gratuit, le "reste à charge", c'est à dire le financement direct par les familles; et le financement dit contractualisé: mutuelles ou assurances privées individuelles ou collectives.

Les chiffres? 22 milliards d'euros en 2010 seront consacrés à la dépendance, soit 1,1% du PIB qui se répartit: pour la Sécurité sociale, 13,45 milliards, dont 11 milliards pour l'assurance maladie; 6,1 milliards pour les départements qui financent l'APA et certaines aides à domicile; 3 milliards pour les financements gérés par le CNSA, issus de la Contribution sociale autonomie et de la CSG.  

 

Les banques, le MEDEF, et le Président n'aimeraient-ils pas orienter ces sommes vers le privé, l'assurance?

JLG: Absolument. En 2009, 2 millions d'assurés versaient 403 euros de cotisations au titre d'un contrat pour lequel la dépendance est la garantie principale. Il y a eu 127,7 millions de rente versée. La différence, soit 275,4 millions, a alimenté les profits des sociétés d'assurance, un beau magot! Au-delà, la démarche assurantielle est typiquement individuelle alors que nous prônons la solidarité comme réponse.

 

Quelles sont les propositions communistes?

L'enjeu d'une vraie politique publique de la prise en charge de la perte d'autonomie, terme que je préfère à dépendance, est au coeur de nos réponses. Elle doit articuler prévention, dépistage et prise en charge solidaire. La prévention passe par le développement notamment des vertus protectrices de l'activité physique ou intellectuelle, de l'intégration sociale et du rôle social des personnes, d'une alimentation équilibrée. La prévention passe aussi par le remboursement à 100% par l'assurance maladie des dépenses de santé.

La politique publique passe par un développement important des services publics nationaux répondant à la perte d'autonomie et leur réelle et efficace coordination afin de répondre aux nouveaux besoins; nous pensons notamment à tous les aspects d'aides (repas, toilettes, mobilisations...etc) mais aussi aux équipements et aménagements des logements, aux transports, etc. Nous proposons au niveau départemental un pôle public de l'autonomie.

Cette coordination départementale doit permettre une simplification des démarches pour les personnes et les aidants et une meilleure efficacité du service rendu. Au-delà, cette véritable coordination des politiques publiques de l'autonomisation devra être un véritable contrôle démocratique: Etat, collectivités territoriales, organisations syndicales, associations des usagers.

Nous posons le principe le principe d'un financement solidaire dans la Sécurité sociale et d'un financement public. Nos propositions pour l'assurance maladie sont avec le développement de l'emploi, l'augmentation des salaires, une nouvelle politique économique et industrielle. Elles s'accompagnent du principe de modulation de la cotisation visant l'accroissement du taux en fonction des choix d'emplois et de salaires de l'entreprise. Nous portons aussi la cotisation sur les revenus financiers des entreprises, des banques, des assurances.  

Le financement du service public renvoie à une autre conception de l'Europe, de sa monnaie, de la Banque centrale européenne pour développer les services publics.

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1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 18:15

Compte-rendu réalisé par Daniel Ravasio

La compétitivité

 

Nicolas Sarkozy a présenté ses vœux au monde agricole. Lors de ses vœux à l’interpellation du monde agricole sur le manque de compétitivité de la « ferme France », il a annoncé un certain nombre de mesures et notamment des mesures visant à faciliter le regroupement des exploitations laitières.

Réponse d’André CHASSAIGNE

Je ne suis pas opposé par principe à des simplifications (regroupement).

Mais on apporte toujours des réponses aux difficultés du monde agricole uniquement en terme de compétitivité et on ne s’attaque pas à l’organisation agricole, en particulier à l’OMC.

Si on en reste à la recherche de compétitivité et rentabilité, dans ce cadre :

  • On en reste à une véritable course à l’échalote qui ne permet pas de résoudre à long terme les problèmes.

  • Cela peut donner une bouffée d’oxygène, assez dérisoire d’ailleurs, mais les problèmes de fond ne sont pas limités à la seule compétitivité : il faut prendre des mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs.

La flambée des prix des matières premières agricoles

 

Avis d’André CHASSAIGNE

Il faut sortir l’agriculture de l’OMC : en étant dans l’OMC on est sur la spéculation ; on est avec des produits alimentaires qui sont considérés au même titre que les produits manufacturés.

Il faut une organisation mondiale de l’agriculture mais pas sur les mêmes créneaux que l’OMC, une organisation qui s’appuie sur des coopérations, qui préconise des mesures très strictes contre la spéculation, qui tienne compte de l’urgence alimentaire avant de tenir d’une approche de profits financiers.

Avis du syndicaliste agricole

Il y a nécessité d’une régulation. Il ne faut pas considérer les productions agricoles comme les autres marchandises

  • Il faut rétablir un niveau de régulation faisant appel à des prix planchers, par la constitution de stocks notamment de stocks stratégiques.

  • A l’échelle nationale il faut rentrer dans une ère de contractualisation (mise en adéquation de la production et de la demande des entreprises) permettant aux producteurs de pouvoir faire des prévisions et de pouvoir mieux anticiper.

Avis d’André CHASSAIGNE

Je suis dubitatif sur les résultats de la contractualisation.

  • La contractualisation a pour objectif de garantir des prix et d’avoir, par le biais des interprofessions, des regroupements et une force de frappe qui serait censé rééquilibrer, dans les négociations commerciales, les rapports producteurs – grande distribution.

  • La LME (loi de modernisation de l’économie) donne au contraire d’avantage de pouvoirs aux acheteurs.

  • Je préférerais qu’il y ait des encadrements avec des prix planchers, tenant compte des coûts de production, intégrant un système de coefficients multiplicateurs de façon à ce que, s’il y a des augmentations de prix au niveau de la vente aux consommateurs il y a une répercussion pour les producteurs.

Il faut d’avantage de solidarité sur l’ensemble de la chaine.

Quelques chiffres : En 2005 les producteurs de lait touchaient 32% du prix contre 26% en 2009.

Pour les industriels on est passé de 34% à 52 % tandis que pour la grande distribution on est passé de 28,5% à 17% [Attention : il y a des mécanismes se traduisant par le fait que les prix de la grande distribution ne représentent pas tout à fait la réalité].

Il est nécessaire de s’attaquer à la fabrication des prix.

 

La grande distribution affirme que la hausse des prix vient de l’amont !

 

Avis du syndicaliste agricole

L’ère de la volatilité dans laquelle on nous a fait rentrer a des conséquences que personne ne sait gérer :

  • Soit on fait ce choix et les conséquences doivent s’appliquer d’un bout à l’autre de la chaine.

  • Soit on choisit d’encadrer et on sera dans un régime beaucoup plus stable.

La LME oblige à des négociations annuelles : il y a nécessité de négociations plusieurs fois par an.

Ce qu’on a fait de la LME ne fonctionne pas : les négociations sur les tarifs se tiennent effectivement mais les compensations prévues n’ont pas vu le jour.

Avis d’André CHASSAIGNE

Le gouvernement doit reconnaître que la LME est un échec.

  • Il faut tout remettre à plat.

  • Il faut des mesures plus strictes (ex = temps de paiement).

  • Il s’attaquer à la domination de la grande distribution.

  • Il faut étudier les marges des industriels.

  • L’observatoire des prix et des marges doit faire son travail en allant au fond des choses [Ce n’est pas le cas aujourd’hui : il y a des blocages], obtenir tous les renseignements sur la réalité des prix et des coûts.

Le dumping social

 

Avis d’André Chassaigne

Quand la FNSEA propose, notamment en terme de charges sociales, de s’aligner sur ce qui se passe dans d’autres pays, il s’agit d’essayer de régler les problèmes en tirant vers le bas.

L’Europe doit, au contraire, tirer vers le haut : il faut une politique européenne plus exigeante au niveau du social, ne permettant pas d’avoir tant de distorsion de concurrence.

L’Europe, telle qu’elle est construite sur la base de la libre concurrence pour répondre aux impératifs du système économique, n’est pas à même de prendre ces décisions là. Il faut donc faire évoluer l’Europe vers une direction beaucoup plus sociale, tenant compte de l’humain avant de tenir compte du fric.

Avis du syndicaliste agricole

On ne peut pas avoir une Europe qui livre les marchés d’une manière très libérale sur des mécaniques d’encadrement qui sont nationales.

Si l’Europe décide de libéraliser, elle doit mettre en place une harmonisation d’un cadre social et d’un cadre économique.

Si on n’est pas capable de corriger les mécanismes actuels de distorsion de concurrence (ex : Allemagne) soit par un ajustement de la France soit par une harmonisation Européenne, on aura des problèmes (perte de parts de marché) avec des répercussions sur l’emploi.

Avis d’André Chassaigne

Une image :

Dans une maison qui prend l’eau, il y a 2 solutions : déplacer le lit et mettre un parapluie ou réparer le toit. Pour le moment on met en œuvre la 1ère solution.

Il faut donc transformer la maison Europe de façon à faire plus de social.

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25 février 2011 5 25 /02 /février /2011 17:20

De qui se moque-t-on ?

 

En lisant « la peur bleue de Trichet, l’augmentation des salaires », je ne sais pas s’il faut rire ou bien rentrer dans une colère sans pareille.
Donc, comme cela Trichet voudrait ne pas augmenter les salaires, ou tout du moins avec beaucoup de modération, afin d’éviter une hausse des prix et également augmenter le chômage.
De qui se moque-t-on ?

M. Trichet sait-il que le SMIC est à 1 073 € nets par mois, (pour lui, il croit peut-être que c’est par jour !!!) et que les Français sont de plus en plus dans la misère. Qu’une famille ne peut pas vivre avec cette somme. Que l’on met de plus en plus les gens dans la précarité.

Et à côté de ces propos, l’on entend que les grands groupes affichent une belle santé financière et redistribuent généreusement une bonne part de leurs profits aux… actionnaires.
Qui a contribué à créer des profits ?
Qui devrait en bénéficier (ou tout au moins d’une partie) ?
Non, d’après M. Fichet il faudrait que les salariés travaillent et se taisent. Qu’ils mangent à leur faim ou non, il s’en fiche !

Au moins, M . Baroin lui, dit : « Notre objectif, c’est de faire en sorte que tous les efforts produits n’abiment pas le quotidien et permettent à terme une augmentation des salaires »

Qui est-ce M. Baroin ?

Non, je rêve !

C’est le porte-parole du gouvernement de M. Sarkozy et ministre du budget.
Alors ! Vous comprenez quelque chose, vous ?

C’est lui qui impose un « gel » du point (base de calcul des salaires) aux cinq millions de fonctionnaires !

Vous connaissez la chanson :

« Paroles, paroles… » ?

 

Monique DAVID

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 09:29

La semaine dernière, au commissariat central d'Orléans, Nicolas Sarkozy retrouvait avec délectation les thèmes d'intervention qui lui ont permis depuis 2005 de montrer ses beaux petits muscles de superflic prêt, comme son ami Vladimir Poutine, à aller « butter des terroristes (ou des criminels) jusque dans les chiottes », et à mettre de mauvais juges trop laxistes au pilori pour satisfaire l'exigence de fermeté et de tolérance zéro de la population angoissée par les progrès de la criminalité et de la délinquance.

La jeune Laëtitia Perrais avait semble-t-il été violée et tuée sauvagement quelques jours avant en Loire-Atlantique par un récidiviste, Tony Peilhon: quelle aubaine pour notre président qui doit faire beaucoup de bruit pour nous faire oublier l'affaire Woerth-Bettencourt, l'affaire de Karachi, l'affaire du jet privé affrété pour Alliot-Marie en Tunisie par un protégé du régime de Ben Ali ou des vacances mirobolantes de Fillon en Egypte dictatoriale à la veille de l'insurrection démocratique! Sarkozy promit comme à son habitude des « sanctions exemplaires » pour les juges et policiers qui avaient relâchés bien imprudemment ce « monstre » qu'il eût été plus sage, vraisemblablement, d'étrangler tout de suite sans autre forme de procès, car les « monstres » sont intrinsèquement et définitivement dangereux, nuisibles et inhumains.

 

On a dans ce discours indigne un concentré des pseudo-évidences crypto-fascistes que Nicolas Sarkozy assène depuis qu'il a assuré sa mue de ministre du budget mielleux et sournois de Nicolas Balladur en homme providentiel capable de rassurer les masses en rompant avec une vieille tradition de naïveté humaniste et libérale du législateur et de l'institution judiciaire. Il y a des hommes qui naissent déviants ou criminels en puissance, c'est dans leurs gènes. La prise en compte de la souffrance des victimes et de la nécessité de défendre la société exigent qu'on ne s'embarrasse pas à considérer uniquement l'individualité du cas jugé, les doutes sur la culpabilité du prévenu, sur sa responsabilité ou son statut de malade incapable de dominer ses pulsions destructrices: il faut enfermer à vie les récidivistes les plus dangereux, faire de la dangerosité un motif d'incarcération valable au-delà des actes effectivement commis... Surtout, il faut en finir avec la culture de l'impunité de l'institution judiciaire, la confronter à une obligation de résultat, évaluée non à partir de la justice des jugements mais de la pacification de la société: dès que des crimes odieux seront commis, ce sera la faute de l'indulgence coupable des juges, boucs émissaires idéaux car peu aimés des français et considérés comme faisant partie d'un corps privilégié et corporatiste coupé de la société, ou la faute des lois, qu'il faudra durcir à nouveau pour abolir le crime: juger les mineurs comme les adultes, les détraqués mentaux comme les personnes saines d'esprit, alourdir les peines, les rendre incompressibles...

A nourrir ainsi depuis presque dix ans, par intérêt électoral et peut-être aussi par conviction, la défiance vis à vis des juges et des garanties légales des libertés individuelles telle que la présomption d'innocence dans le fonctionnement de la justice républicaine, Nicolas Sarkozy et sa clique de courtisans sont parvenus à susciter un écœurement quasi universel dans la profession judiciaire, qui se traduit par les renvois d'audiences non urgentes non les tribunaux d'instance depuis une semaine et par le mouvement de grève interprofessionnel extrêmement bien suivi qui paralysera tous les tribunaux ce jeudi 20 février 2011.

 

Les magistrats n'en peuvent plus de ces réformes et de ces effets d'annonce spectaculaires qui s'enchaînent depuis 2007 et qui tendent à durcir l'arsenal répressif et à bafouer l'indépendance de la justice.

Pendant qu'il dépénalisait le droit des affaires et permettait à des voyous comme Bernard Tapie de s'enrichir sur le dos du contribuable en bénéficiant d'une procédure d'exception, Sarkozy ne voyait pas plus d'indécence à profiter de l'émotion suscitée par l'affaire des innocents salis d'Outreau pour supprimer le juge d'instruction. Le juge d'instruction, chargé des affaires judiciaires les plus graves, dont des affaires de corruption politico-financière, a en effet le tort d'être un magistrat du siège, indépendant du parquet contrôlé par le ministère de la justice et l'exécutif. En lui ôtant son pouvoir d'enquête à charge et à décharge grâce au rappel opportun des dérives inquisitrices d'un juge d'instruction isolé dans l'affaire d'Outreau, Sarkozy voulait se donner une justice aux ordres, ne cherchant pas trop de noises au pouvoir. Fort heureusement, grâce à la fronde de la profession judiciaire, ce projet de réforme a été ajourné. Une autre limitation de l'autonomie des juges, cependant, a été portée par la loi Dati du 10 août 2007 instaurant des peines planchers automatiques pour les récidivistes.

La dernière loi sécuritaire en date qui inquiète les hommes de lois attachés aux valeurs républicaines et les citoyens soucieux de la préservation de leurs libertés est le fourre-tout législatif Loppsi 2, qui cible en priorité les populations pauvres et précarisées, les jeunes, les militants et les internautes et traduit la volonté décomplexée de la majorité parlementaire de droite de mener la guerre des classes à visage découvert. Loppsi 2 prévoit la possibilité d'expulser en 48h et sans contrôle du juge les occupants d'habitat hors norme (tente, caravane, mobile home, yourte, bidonville, camion ou voiture aménagé), que ces habitats se situent dans l'espace privé ou public, et que leurs habitants soient contraints par leur précarité et la cherté des logements à ce mode de vie ou en désir de vivre hors des sentiers battus. On « accentue ainsi la gestion purement sécuritaire des exclus du système tout en prohibant des modes de vie réfractaires au système », comme le formule avec à propos un tract de la Confédération Nationale du Travail (CNT). Loppsi 2 prévoit aussi d'intensifier les contrôles pour les bénéficiaires de prestations sociales et de forcer les travailleurs sociaux à faire de la délation. Un couvre-feu pourrait être installé dans les communautés urbaines pour les mineurs de moins de 13 ans. Les personnes condamnées par la justice ne pourraient bénéficier d'un droit à l'oubli: le fichage judiciaire serait à vie. La vidéo-surveillance pourra se généraliser et être utilisée comme un outil policier de détection en temps réel, notamment lors des manifs, et les dispositifs de contrôle policier d'internet seront renforcés. Plus grave encore sans doute, Loppsi 2, alignant ainsi la France sur les expériences américaines et anglaises, donne un cadre juridique légitimant la multiplication des entreprises de sécurité privées et prévoit la création d'une réserve civile de la police nationale ouverte au citoyen lambda: tout un chacun pourra ainsi patrouiller avec la police, porter une arme, et effectuer des missions de police judiciaire. C'est l'installation, comme le dit avec à propos un article de Médiapart, de la « police low-cost ».

 

Pendant que l'arsenal répressif s'enrichit de nouveaux délits, d'un alourdissement des peines, d'outils de contrôle et de privatisation de la sécurité, qui enlèvent un peu plus de contenu à nos libertés démocratiques dans une période charnière où le système capitaliste creuse les inégalités et les tensions sociales comme jamais depuis l'après-guerre mondiale et a besoin, plus sans doute qu'auparavant, d'une législation pénale et d'une police mis au service de la perpétuation de l'ordre social inégalitaire, on ne donne pas à la justice les moyens de faire son travail de service public dans l'intérêt de la société, des victimes et des prévenus.

Alors que l'activité de la justice, du fait du durcissement de la crise sociale, du renforcement des lois répressives et de la pression exercée sur les agents de police et de gendarmerie au nom de la logique des résultats et de la politique du chiffre a sensiblement grandi de 2002 à 2008, augmentant d'ailleurs le nombre de gardes à vue abusives, le nombre d'affaires civiles a augmenté de 58% et les décisions en matière pénale de 10% (chiffres du « Livre Blanc de la Justice en France », publié par l'Union du Syndicat de la Magistrature à l'automne 2010).  Rapportée à ces chiffres, la très légère augmentation de 0,8% du budget de la justice entre 2006 et 2008 est très en deça des enjeux et des besoins (à titre d'exemple, pendant ce temps là, le budget de la justice était augmenté de plus 20% en Espagne).

La France ne consacre que 0,19% de son PIB au financement de la justice (le budget de la justice est de 7,128 milliards d'euros et se situait à un niveau déjà très insuffisant du temps où les socialistes avait le pouvoir), ce qui la place au 37ème rang européen! La proportion de juges professionnels pour 100000 habitants n'est par exemple que de 9,1 contre 20,6 en moyenne dans les pays de l'Europe: on comprend dès lors, au-delà de la volonté démagogique de jouer l'intransigeance supposée du peuple contre le laxisme présumé des magistrats, pourquoi Sarkozy veut confier à des jurys populaires, et non plus à des magistrats professionnels, les procès en correctionnelle...

Et si, malgré tout, notre pays garde avec quatre ou cinq autres l'avantage de proposer un service de justice gratuit au citoyen, victime ou accusé, les coupes claires dans le budget de l'Etat se traduisent par un allongement des délais d'attente, une multiplication des affaires non traitées ou mal traitées, un allongement de la durée de détention préventive avant procès, une baisse des moyens consacrées à la rétribution d'interprètes et de psychiatres pour garantir des procès équitables à tous, ou des moyens affectés à la réinsertion des délinquants, à l'amélioration des conditions de détention pour faire diminuer les risques de récidive. C'est cet étranglement financier de la justice, davantage sans doute que l'étourderie ou l'indifférence aux victimes des magistrats, qui explique la sordide affaire Tony Meilhon.

 

Se faire juger rapidement dans des conditions équitables quels que soient nos ressources est un droit que la société doit accorder à tous, tout comme la société a le devoir de mobiliser des moyens de police et de justice efficaces pour préserver la sécurité des citoyens, arrêter et punir les délinquants et les criminels en prenant en compte de manière équilibrée des critères de jugement républicains (le droit pour le citoyen de vivre en sécurité, sa liberté et ses biens protégés par la collectivité en échange de son propre civisme, la nécessité de réparer pour toute désobéissance aux lois collectivement édictées) et moraux (le droit des victimes d'obtenir réparation et la possibilité pour chacun de se réformer, de s'amender, après avoir payé sa faute). Tout cela suppose que la société soit prête à consacrer de réels moyens financiers pour rendre la justice réellement juste, efficace et humaine. Or, comment de pas s'indigner de ce point de vue de l'état tragique de délabrement, de surpopulation, de climat de non-droit et de violence qui règne dans les prisons, qui, même s'il est régulièrement rappelé par les commissions de parlementaires, les associations de défenses des droits de l'homme et des droits des prisonniers, les journalistes, ne s'accompagne d'aucun volontarisme politique pour réfléchir au moyen de trouver des alternatives à la prison pour ceux qui en sortent plus dangereux ou malades et pour créer un vaste plan de construction, de rénovation, d'humanisation des prisons françaises, sachant qu'en 2007, elle accueillait 58000 prisonniers pour des capacités d'accueil de 50000 places.

 

Il est temps de permettre au citoyen de s'approprier cette question de l'avenir de la justice en ouvrant un grand débat public sans arrière-pensée de récupération électorale!  

 

Ismaël Dupont.

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 21:58

Le 6 mai 2007, l'avocat d'affaires Nicolas Sarkozy fêtait son OPA sur la nation au Fouquet's avec les plus grandes fortunes de France qui ont favorisé son élection avec leurs médias et leurs réseaux et qu'il promettait de choyer en retour: Vincent Bolloré, Martin Bouygues (témoin de mariage du petit Nicolas et parrain d'un de ses fils), Bernard Arnaud, Serge Dassault, et les milliardaires Albert Frère et Paul Desmarais, actionnaires principaux de Total, Lafarge, et Suez.

Depuis 3 ans et demi, le bouclier fiscal et les facilités accordées à la non-imposition des revenus du patrimoine s'évadant dans les paradis fiscaux ou les niches fiscales, la dépénalisation du droit des affaires, l'allégement des droits de succession et de donation, l'ouverture du capital d'EDF et de la Poste, les cadeaux faits aux sociétés d'assurance et aux fonds d'épargne-retraite par capitalisation, manifestent toute l'étendue des relations incestueuses entre la haute finance et le pouvoir politique de droite. A l'opposé, l'affaiblissement considérable des services publics et de la protection sociale, le durcissement des conditions d'indemnisation des chômeurs et la précarisation des salariés, montrent bien combien les classes possédantes peuvent, dans un contexte de dérégulation de l'économie internationale renforcée par les orientations favorables au capitalisme financier de l'UE et du FMI, détricoter sans complexe l'ensemble des avancées sociales acquises de haute lutte depuis la Libération.

 

L'oligarchie qui nous dirige tente néanmoins de capter les suffrages des catégories populaires qu'elle saigne à blanc pour se légitimer démocratiquement. Pour cela, elle parie sur notre individualisme, instrumentalise nos angoisses face à l'insécurité et cultive les replis identitaires ou xénophobes. Pour servir sa politique de casse de l'Etat-Providence en faveur des plus riches, la majorité de droite ne cesse ainsi d'attaquer l'indépendance de la justice et les libertés individuelles au profit du tout-sécuritaire tout en mettant en application les idées nauséabondes du Front National en matière de criminalisation des migrants et des minorités culturelles.

 

C'est parce qu'ils ont conscience d'être les témoins d'une très grave régression de civilisation et d'une négation pure et simple des valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui constituaient le socle de notre pacte républicain que des millions de Français ont trouvé les réserves d'indignation nécessaires pour se mobiliser plusieurs semaines durant afin de défendre, sans guère d'espoir de victoire, le droit de partir en retraite à taux plein à 60 ans et une autre répartition des richesses produites par le travail. Cette capacité de mobilisation des Français, intacte malgré le matraquage idéologique que nous infligent les médias pour fabriquer du consentement à la Réforme, est un encouragement au réveil des populations européennes qui sont si durement touchées par les conséquences des politiques néo-libérales. En même temps, nous voyons bien qu'en Espagne, en Grèce, au Portugal, des premiers ministres sociaux-démocrates mis au pouvoir par les électeurs de gauche acceptent de réduire les salaires et les minima sociaux, d'allonger la durée du travail, de d'amputer les services publics afin de satisfaire la Banque Centrale Européenne, le FMI, et les créanciers des Etats qu'ils gouvernent, ces mêmes banques qui trouvent le prétexte d'une dette publique qu'elles ont considérablement aggravée en 2008 du fait de leurs pratiques de spéculation financière et d'encouragement au surendettement pour briser tous les freins encore opposés à leur prise de contrôle des sociétés.

 

La dynamique actuelle du capitalisme, qui fait basculer toutes les régulations étatiques et les protections sociales depuis que s'est construit politiquement la mondialisation libérale, montre plus que jamais la nocivité de ce système tendant à faire de la compétition et de la recherche du profit individuel maximal les seuls modes de régulation sociale et sa capacité à faire régresser le niveau de vie des peuples des pays développés. Il est donc temps que les électeurs de gauche se rassemblent sur des bases de critique fondamentale du capitalisme et du libéralisme pour construire sans sectarisme le projet alternatif d'une société basée sur la coopération, la solidarité internationale et nationale, le respect des libertés individuelles et des différences, et enfin la préservation de l'environnement. C'est pourquoi le Front de Gauche, rassemblement en voie de progression et d'élargissement, tente depuis 2008 de s'associer toutes les énergies et toutes les réflexions citoyennes avec pour objectif est de récréer les conditions d'une prise de pouvoir par une gauche de transformation sociale ambitieuse, décidée à remettre véritablement en cause le pouvoir de la finance pour reconstruire du commun et remettre le principe d'égalité au cœur de l'ambition politique.

Ismaël Dupont

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 21:54

Comme nous l’avons tous remarqué, on ne peut pas lever le petit doigt en demandant un peu plus de moyens pour nos retraites, la sécurité sociale, les budgets des hôpitaux, … sans qu’à un moment ne survienne l’argument « vous n’y pensez pas : vous savez bien qu’il n’y a plus d’argent » ou « vous ne voudriez tout de même pas que l’on lègue une telle situation à nos enfants ?».

Et bien non, l’argent de manque pas : il n’y en a jamais eu autant ! Simplement il n’est plus là où il faut. En gros 120 milliards à 170 milliards d’Euros par an ont ripé du travail vers le capital. Ce transfert devrait être au cœur des débats actuels sur les « déficits de la dépense publique » : même avec les estimations basses, c’est plus d’une dizaine de fois le déficit de la Sécurité Sociale (12 milliards d’Euros) et une vingtaine de fois celui des retraites (5 milliards d’Euros) !

Or tous les débats médiatiques parlent de ces trous là, tandis que celui, combien de fois plus profond, creusé par les actionnaires dans la poche des salariés et dans le financement des cotisations sociales est lui, disons « oublié » !

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 21:37

Il ne sera pas dit que la neige aura été la seule responsable des coups de froid de décembre 2010. L'annonce dans la presse régionale des budgets prévisionnels des collectivités territoriales manifeste bien comment l'Etat UMP, en transférant aux collectivités des compétences sociales non compensées à long terme par des dotations équivalentes, en réformant la fiscalité au profit des entreprises et des hauts revenus, en faisant de la saignée dans les dépenses publiques son seul leitmotiv, est responsable de l'étranglement financier des communes, communautés de communes et départements.

La crise sociale relancée par le crack financier de 2008 exigerait plus que jamais que les collectivités jouent pleinement leur rôle d'investisseurs autonomes pour l'emploi, l'attractivité économique des territoires, et les politiques de solidarité et de cohésion sociale.

Au contraire, le gel des dotations de l'Etat et la suppression de la taxe professionnelle forcent communes, conseils généraux et régionaux à des politiques d'austérité dont les premières victimes sont les agents territoriaux, les associations qui oeuvrent à la vitalité culturelle et sociale des territoires et les familles en attente de crèches, de solutions pour les personnes âgées dépendantes, d'accès facilité à la culture et aux loisirs.

Ainsi, le Conseil Général du Finistère annonçait qu'il allait baisser ses investissements de 150 millions d'euros en 2011.

Ainsi Morlaix Communauté, anticipant la fin de la compensation extraordinaire de l''Etat pour faire face à la suppression de la taxe professionnelle, qui fera passer 7 milliards d'euros par an des caisses de la collectivité à celles des entreprises, prévoit elle aussi de prendre le tournant de la rigueur. Les personnels de la collecte des ordures et des services administratifs de Morlaix-Communauté peuvent déjà témoigner, eux qui se sont courageusement battu pour une meilleure rémunération et une plus grande considération lors des mobilisations pour la défense des retraites, des tristes conséquences de ces objectifs d'économie budgétaire sur les conditions de travail et de rétribution.

La majorité municipale de Morlaix continuera quant à elle, en 2011 comme en 2009 et en 2010, à prolonger la politique nationale de l'UMP dont elle est solidaire en taillant dans les dépenses sociales et culturelles de la ville alors qu’une part importante de la population morlaisienne vit la précarité au quotidien : en 2006, selon l'INSEE, et les chiffres n'ont guère pu aller en s'améliorant avec le contexte de crise économique, il y avait à Morlaix 45% de ménages non imposés sur les revenus, 12,5% de la population percevant les minimaux sociaux, la moitié des allocataires des Allocations Familiales vivant en-dessous du seuil de pauvreté.

Alors qu'il faudrait une politique publique ambitieuse pour faire vivre le dynamisme économique et la solidarité au niveau local, la municipalité passe son temps à justifier ses économies de bout de chandelle réalisées sur le dos des acteurs sociaux et culturels de la ville et ses hausses d'impôts en dissimulant la responsabilité de l'Etat pour communiquer à l'inverse à satiété sur la situation financière prétendument catastrophique laissée par ses prédécesseurs. Elle oublie ainsi qu'ils devaient faire face, eux aussi, à la disproportion entre la maigreur des recettes fiscales de Morlaix (liée à la forte proportion de catégories populaires et à l'installation de la plupart des entreprises dans les communes périphériques) et le poids financier de ses équipements publics utilisés par tous les habitants des communes riveraines. De plus, les ficelles de cette argumentation sont connues, pour être maniées trop régulièrement par le très arrogant François FILLON : la collectivité est au bord du naufrage financier, donc, pour

préserver le navire et ne pas couler, jetons toute la cargaison des investissements publics et des dépenses sociales par dessus bord.

En 2009, le gouvernement, grâce au rapport grassement rémunéré du revenant ultra-libéral Edouard Balladur, a trouvé un outil terriblement efficace pour faire des coupes sombres dans les dépenses publiques et mettre au pas la démocratie locale : la réforme des collectivités territoriales.

Après avoir été entériné en novembre à une courte majorité de 4 voix par le Sénat, ce remodelage administratif et politique devrait prendre effet d'ici deux à trois ans. Il prévoit que les 5660 conseillers généraux et régionaux seront remplacés par 3471 conseillers territoriaux élus sans contrainte de parité et de non-cumul des mandats lors d'un scrutin uninominal à un tour au niveau des cantons, et qu'ils siègeront à la fois au niveau régional et départemental.

La réforme du mode d'élection est faite pour renforcer le bipartisme UMP-PS, permettre à des candidats qui n'obtiendraient que 20 à 25% des suffrages des électeurs de les représenter. Elle aura pour effet d'empêcher le renouvellement du personnel politique, le rajeunissement et la féminisation des élus qu'assure bien mieux le scrutin de liste et la proportionnelle des élections régionales actuelles.

Quand bien même, malgré la volonté évidente de l'exécutif, des majorités UMP ne se dégageaient pas mécaniquement de ces élections locales, les conseillers territoriaux seraient de toute manière placés, tout comme les communautés d'agglomération, sous le contrôle étroit d'un super-préfet de région et ne jouiraient que d'une autonomie budgétaire réduite à la portion congrue. En effet, aujourd'hui, en dehors de leurs compétences obligatoires, dites d'attribution (financement des services sociaux, de la voirie, des collèges et des lycées...), les conseils généraux et régionaux bénéficient d'une « compétence générale » leur permettant de prendre des initiatives propres pour investir en coopération avec les communes et les communautés de commune dans des projets environnementaux, de solidarité, ou d'aménagement du territoire. Cette clause générale de compétence qui permettait jusque là aux assemblées locales de ne pas servir simplement de chambres d'enregistrement des décisions de l'Etat gérant la pénurie causée par des dotations étatiques en diminution constante ne bénéficiera bientôt plus qu'aux communautés de commune.

Seule l'autonomie des centres urbains (et particulièrement de ceux de plus de 500000 habitants qui auront un statut de « métropoles » se substituant aux collectivités préexistantes – communes, communautés et Conseil Général- et percevront la totalité de la fiscalité locale sur leur territoire, sauf la taxe foncière) va être accrue par la réforme des collectivités territoriales. Ceux-ci seront même invités à rentrer dans une logique de concurrence pour attirer les investisseurs et à se désintéresser des politiques d'aménagement du territoire et de solidarité vis à vis des périphéries urbaines ou rurales moins favorisées.

Comme l'a dit avec force l'ancien ministre communiste de F. Mitterrand, Anicet Le Pors (source: le monde.fr), qui est un des fers de lance du combat contre cette réforme d'inspiration néo-libérale, sous prétexte de réduire « le mille-feuilles administratif », source supposée de dépenses publiques superflues, Sarkozy tend à faire disparaître les moyens d'une politique de coopération entre les territoires et à réduire à néant les pouvoirs et l'autonomie de la triade démocratique « commune – département - nation » au profit de la triade technocratique et économique « communauté de commune – région - Europe », assurant ainsi le primat de l'économie sur la politique.

Ismaël DUPONT

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