FRONT DE GAUCHE : PAR ROUTINE ET MANQUE D'AMBITION, N'EST-ON PAS EN TRAIN DE TOUT GACHER ?
Au fur et à mesure que s'éloigne la victoire de 2005, seule vraie victoire politique depuis des dizaines d'années, le Front de Gauche initié par trois organisations depuis 3 ans maintenant doit oser s'élargir, et s'approfondir en s'ouvrant à la masse des citoyens qui s'étaient mobilisés de mille et une façons pour ôter toute légitimité démocratique à un projet de Constitution européenne explicitement capitaliste et libéral.
Le contexte est favorable : un pouvoir Sarkozy-UMP discrédité, une mouvance centriste éclatée, un PS sans programme crédible, une formation EE-Les Verts écartelée entre ses illusions pro-européennes et ses aspirations à s'ancrer dans le mouvement social…Tout devrait favoriser la progression politique des idées qui trottaient dans la tête des millions de salariés qui ont manifesté l'an passé, et avant.
Tout devrait favoriser cela, à condition de passer d'une action politique "contre" à une action "pour", un action pour un programme formulé en un nombre limité de thèmes, développés à travers des propositions très concrètes, ce qui ne peut se faire qu'en faisant confiance à des centaines de milliers de partisans, et pas seulement à quelques dizaines de milliers de militants actifs des trois organisations à l'origine du Front de Gauche.
Sinon, le risque est double : abstention populaire et un FN à deux chiffres, c'est-à-dire, une fois de plus, bien au dessus du total de la "gauche de la gauche". On sait déjà que les médias font tout pour qu'il en soit ainsi.
Pour éviter ces risques, renouer avec la victoire de 2005 et retrouver des succès comparables à ceux de 1945 et de l'application du programme du CNR, il fau répondre à trois questions:
Où passe la contradiction principale dans le monde actuel et dans la société française ? Quelle démarche politique mener après une victoire électorale en 2012 ? Quelle démarche politique mener dès maintenant et pendant toute l'année qui vient ?
OU PASSE LA CONTRADICTION PRINCIPALE ?
En France ou ailleurs, l'antagonisme majeur n'est pas entre "la Gauche" et "la Droite", mais entre le Travail et le Capital, entre les prolétaires, ouvriers et employés (la moitié de la population active, on l'oublie trop souvent) et les capitalistes (ceux qui, de façon plus ou moins visible, vivent principalement de l'exploitation des salariés d'exécution), entre ceux qui ont intérêt à ou qui veulent (même s'ils n'y ont pas directement intérêt !) changer le système social (pour aller vers ce qu'il faut bien continuer à appeler le socialisme), et ceux qui veulent aller toujours plus loin dans la mondialisation capitaliste (l'écrasante majorité de l'UMP), ou y aller en la "régulant" plus ou moins (le PS dans sa grande majorité, une partie non négligeable des centristes, et pas grand monde au-delà).
Bien sûr, il y a aussi des contradictions qui se situent entre "Droite" et "Gauche" : sur les droits de l'homme, sur l'immigration, sur l'école, sur la protection sociale…mais l'expérience de ces trente dernières années montre justement qu'il n'y a pas sur tous ces thèmes et bien d'autres de clivages nets et de solutions durables si on les traite sans les relier à la contradiction principale.
Il découle de cela que, s'il ne faut pas refuser à priori une alliance de "toute la Gauche", il faut toujours en avoir en tête les limites, bien cadrer un accord éventuel avec le PS et EE-les Verts et, surtout, pour le F de G, avoir l'ambition d'être en tête de la Gauche. A défaut d'être 2
en tête de la Gauche ou, au minimum, d'être entre 15 et 20% des suffrages (Bayrou y est bien arrivé…), la légitimité politique des mouvements sociaux à venir sera très faible, voire nulle.
A défaut d'un tel résultat à la Présidentielle et aux législatives (là serait la différence majeure avec Bayrou et le Modem de 2007) le F de G n'aurait à négocier que la survie d'un groupe parlementaire PCF élargi à quelques individus : les prolétaires s'en moquent dans leur très grande majorité, la survie d'un appareil politique nonagénaire n'est pas leur problème, de même qu'ils se moquent du fait qu'un petit pourcentage des suffrages permettra toujours au NPA-LCR de faire vivre quelques années de plus sa petite organisation avec le financement public des partis.
Par suite, il est clair que la réussite du F de G passe par un élargissement au NPA et à d'autres petites organisations qui frappent à la porte, par un élargissement à des syndicalistes connus qui font de même, c'est bien cela qui serait un signal pour les "sans partis" qui n'hésiteraient plus à s'engager, au risque dans un cas de se faire traiter de rabatteur pour le PS, et dans l'autre de diviseur et d'allié (objectif!) de Sarkozy…ou du FN.
C'est à cette condition que le F de G peut passer de quelques dizaines de milliers de militants à quelques centaines de milliers, ce qui change tout.
Qu'est-ce qui est le plus utile au peuple, dans les mois qui viennent, pour les militants (et militantes, cela va sans dire, on ne perdra pas de temps dans ce texte à mettre des "e" entre parenthèse partout) du NPA : partir à la pêche aux signatures de 500 maires puis s'épuiser une fois de plus dans des collages d'affiches et des distributions de tracts sur les marchés, ou rentrer enfin dans un mouvement politique unitaire sur un programme et une démarche où ils auraient leur mot à dire? Où Besancenot serait le plus utile au peuple : comme débateur occasionnel et soutien d'une candidate dont on sait déjà qu'elle sera loin de faire un score comparable aux siens où à ceux d'Arlette (parce que les travailleurs ont compris que ça ne débouche sur rien), ou comme candidat à la députation dans un arrondissement du nord-est parisien, et ensuite député ? Il n'y perdrait pas ses qualités de parole, mais il aurait la légitimité politique en plus.
Symétriquement (ce n'est pas exactement une symétrie, ou du moins pas une symétrie parfaite), qu'est-ce qui est le plus utile au peuple pour les responsables du PCF, du P de G et de la GU, dans les semaines à venir : continuer à peaufiner un programme partagé entre eux seuls et se partager aussi toutes les candidatures aux législatives ainsi que l'argent public qui en découlera, ou mettre en place les débats sur ce programme et la démarche politique commune pour les deux années à venir avec les autres organisations candidates et des dizaines de milliers de personnes sans parti, mais pas sans idées ni sans courage militant ?
N'est-il pas temps de surmonter les vieilles querelles, les désaccords de personnes, sans pour autant s'interdire d'analyser tout ce qui s'est passé depuis 1920, mais en étant conscient que le travail d'historien ne se fait pas au même rythme que le combat politique ?
S'il est vrai que toute union est un combat, qui peut croire que la meilleure façon de mener ce combat consiste à s'affaiblir mutuellement en posant trop de préalables à un accord, alors que le temps presse? Que gagnera-t-on, sinon encore plus d'amertume, à un nouvel échec en 2012, même si en apparence il devait être moins patent?
A toute petite échelle, la démarche engagée en Limousin pour les régionales (et depuis) ne trace-t-elle pas la voie à suivre?
QUELLE DEMARCHE APRES UNE VICTOIRE EN 2012 ?
En cas de victoire (le F de G en tête de la Gauche à la Présidentielle et aux législatives), ou en cas de succès relatif (le F de G entre 15 et 20% des suffrages) la négociation avec les deux autres composantes de la gauche (Ps et EE-Les Verts) devra avoir été anticipée sur un nombre limité de points essentiels pour le peuple dans son ensemble. Il ne faudra pas se perdre et noyer le poisson dans des listes à n'en plus finir de mesures plus ou moins symboliques ou sans grande importance pour la grande majorité des citoyens.
Osons dire dès maintenant que le but est de gagner, d'être en tête, pas de servir de force d'appoint à un PS qui se présente (et que les médias présentent au peuple) comme étant "naturellement" le leader de la Gauche. C'est bien en se présentant pour gagner que Bayrou a fait 18% en 2007, et pourtant sa base électorale potentielle était bien plus faible que la nôtre. Si nous savons élargir et approfondir le F de G et si nous proposons un programme allant à l'essentiel, pour le peuple dans son ensemble mais en priorité pour les milieux populaires, il est possible de gagner.
Depuis vint ans au moins nous aurions dû comprendre qu'il ne suffisait pas de rédiger des pages plus ou moins savantes sur l'abstention électorale et le vote FN chez les ouvriers, mais qu'il faut aller chez les ouvriers et les employés sur leurs lieux de travail et à leur domicile, le soir, à l'heure de "plus belle la vie" ou avant le début du match de foot ou de la série policière à la télé, en frappant à leur porte, pas seulement en distribuant des tracts dans les boites aux lettres et sur les marchés.
Cela, ça suppose l'élargissement, l'unité, le passage de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de partisans.
Donc, quelle démarche après la victoire électorale, ou un succès électoral suffisant ?
Quelles mesures immédiates ?
Un petit nombre, à commencer par le droit de partir en retraite à 60 ans, avec suppression de la décote et de la surcote. On sait que la grande majorité des actifs est prête à une augmentation des cotisations, qui n'a pas besoin d'être importante vu qu'il est possible de mettre fin en quelques mois à toutes les exonérations non justifiées de cotisations patronales. Nous savons bien que les créations d'emplois durables assureront le financement à long terme, mais nous devons aussi proposer, si nous sommes vraiment pour la République et l'unité du peuple, une unification progressive de tous les régimes, en l'espace d'une génération (20 à 30 ans).
Nous avons tous les dossiers et tous les arguments sur ce point, mais il faudra le défendre avec quatre pages d'explications en allant voir les salariés chez eux, pas en noyant cette revendication essentielle au milieu d'un catalogue de 125 propositions sur un tract ou une profession de foi arrivant trois jours avant le scrutin. Nous ne vaincrons les discours mensongers des médias qu'en luttant contre eux, en sonnant chez les gens à l'heure du JT, pas en croyant pouvoir les utiliser.
Quel programme économique et social ?
Il ne s'agit pas de promettre la lune ni de multiplier les promesses catégorielles, donc il faut commencer par la fiscalité, oser dire dès maintenant que nous sommes partisans d'un impôt sur le revenu beaucoup plus progressif, et d'un impôt sur les successions et donations très fortement progressif. Il faut chiffrer cela, en discuter partout dans les six mois qui viennent avant de conclure par un fascicule simple à défendre au porte à porte.
Il ne faut pas s'égarer dans des propositions démagogiques du type "pas d'écart de salaire supérieur à 20", qui ne peuvent que masquer le débat fiscal : l'important n'est pas de savoir si le PDG gagne 20 fois, 30 fois ou 17,5 fois plus que le smicard sur sa feuille de paie, mais ce qu'il lui reste après impôt.
Il faut au contraire débattre d'un barème progressif précis pour l'impôt sur le revenu. Il n'y a rien de monstrueux à proposer une tranche supérieure située entre 60 et 70%, à condition de 4
faire comprendre aux couches moyennes de la société que leur intérêt bien compris est de payer un peu plus d'impôt (soyons honnêtes d'abord avec nous-mêmes : quel couple d'enseignants titulaires, de salariés de la SNCF ou de retraités issus de ces catégories ne pourrait pas payer quelques centaines d'euros supplémentaires chaque année ?). Il n'y a rien de monstrueux à proposer un impôt sur les successions et donations avec une tranche supérieure située entre 80 et 90%, à condition qu'il y ait progressivité régulière du début à la fin du barème (sinon, par le jeux de l'héritage, des enfants des couches moyennes finiront par se retrouver riches et à se comporter en riches, avec une jolie petite morale : "il y a plus riche que moi").
Dire cela, c'est juste du keynésianisme pour temps de crise économique, c'est du marxisme très modéré. Mais ça permettrait de dire à la Droite : "d'accord, on supprime l'ISF! Mais on a trouvé mieux, qui ponctionne beaucoup plus vos partisans fortunés, et qui rapporte beaucoup plus à l'Etat."
Il faut continuer notre programme avec le logement et les transports collectifs, car c'est sur ces deux points que l'on peut concrètement et rapidement (dans la campagne électorale, d'abord, et dans la pratique, ensuite, en quelques années) relier les questions sociales, les questions énergétiques et écologiques, et la question du pouvoir d'achat. Il est facile de montrer que les politiques menées depuis trente ans par le PS et la Droite (concurrence entre communes périurbaines pour développer des zones pavillonnaires, défiscalisation profitant d'abord aux plus aisés…) conduisent tout à la fois au gaspillage énergétique (chauffage, seconde –voire troisième- automobile par foyer), aux pertes de temps, aux loyers exorbitants, et bien sûr à l'exclusion du logement ou au logement plus ou moins insalubre pour un nombre toujours croissant de jeunes.
Il est facile de montrer que l'on peut dans le même mouvement redensifier les centres villes (et les centres bourgs) plus ou moins délabrés, réduire les temps de trajet domicile-travail, réduire les dépenses de chauffage en construisant en priorité des petits logements collectifs à la fois bioclimatiques et sociaux, et mettre fin au gaspillage insensé de terres agricoles.
On ne pense pas ici principalement à Paris , ni à quelques dizaines de métropoles régionales, mais prioritairement à ce que l'on pourrait appeler "la France des sous-préfectures", soit plusieurs centaines de villes plus ou moins petites et leurs couronnes périurbaines : cela représente au bas mots vingt millions d'habitants, mais comme chacun n'en connaît qu'un petit nombre, personne n'y pense, alors que c'est là que se situe –mais dispersé, donc guère visible- la plus grande pauvreté et l'absence quasi-totale de transports collectifs, souvent réduits aux transports scolaires, même si le PS s'évertue à masquer cette carence en les faisant passer pour des lignes régulières ouvertes à tous.
Il va de soi qu'en construisant massivement ce type de logements socio-écolo au plus près (ou pas trop loin, selon les cas) des lieux de travail, et en développant des transports collectifs périurbains on peut réduire la facture de chauffage, les dépenses de transport (une voiture en moins dans un ménage, ou pas de voiture, ça fait économiser plusieurs centaines d'euros par mois), donc on améliore fortement et réellement le pouvoir d'achat, et d'abord celui des plus modestes.
C'est facile à expliquer, et ça remplace les slogans démagogiques sur l'augmentation massive de tous les minima sociaux ou le SMIC à 1600 euros nets. C'est d'autant plus facile à expliquer que ce sont bien ces deux vecteurs (logement social et transports collectifs) qui peuvent être très rapidement créateurs de dizaines de milliers d'emplois utiles, pérennes, non délocalisables par définition, et répartis sur tout le territoire. Ce serait d'une efficacité sociale tout autre que les "emplois –jeunes" que le PS veut remettre en place…juste en en changeant le nom. 5
C'est facile à expliquer, tout comme il est facile de débattre largement dans chaque localité de ce que cela implique, parce que c'est concret : où construire les logements ? Quelles lignes de transport mettre en place ? Comment modifier la loi SRU ? Quelles lois nouvelles faut-il éventuellement voter pour obliger les communes et structures intercommunales à mettre logement et transport en priorité absolue, quitte à leur imposer un moratoire de quelques années sur les "embellissement" des entrées de villes ou des centres bourgs ? Comment l'Etat doit-il éventuellement leur venir en aide pour "amorcer la pompe" (et ici on retrouve la nécessité d'augmenter les recettes fiscales) ? Comment former les nouveaux salariés du bâtiment et des transports collectifs (c'est peut-être le point le plus difficile à résoudre si l'on veut aller très vite dès l'automne 2012, mais il y a des solutions) ?
La suite de notre programme pourrait concerner la politique industrielle et énergétique. Sans développer ici, quelques pistes de réflexion :
Si on sort du nucléaire, en vingt ou trente ans, comment combiner économies d'énergies et énergies alternatives ? Qui fabrique quoi et où ? Utilise-t-on au maximum les possibilités marines de la Baie du Mont St Michel (car, c'est bien connu, tout le monde est pour les énergies nouvelles, mais peu de personnes les acceptent près de chez elles). Là encore, mieux vaut engager les débats publics tout de suite ? Etc.
Si on a compris que dans le même délai (épuisement de la ressource en pétrole et lutte contre l'effet de serre y obligent) il va falloir diviser par dix la circulation des automobiles, celle des gros camions, ainsi que leur nombre (et pas seulement faire un peu de covoiturage), alors il faut débattre avec les salariés de l'automobile et leurs sections syndicales de questions très concrètes : quelles usines doivent continuer à produire des voitures à court et moyen terme ? Lesquelles doivent au plus vite être reconverties en productrices de véhicules de transport collectif, sachant qu'il faut prévoir plusieurs types de véhicules différents pour les besoins urbains et périurbains ? Lesquelles devront produire autre chose (des panneaux solaires, des éoliennes, des turbines, etc, etc) ?
Ce type de réflexion –si on veut échapper à la domination du capital, on n'échappera pas à un minimum de planification impérative- peut paraître compliqué (car la division internationale du travail a séparé en de multiples segments à travers le monde des productions jadis nationales), mais c'est ça ou l'accumulation de promesses qu'on ne tiendra pas, et donc un boulevard de plus pour le FN sur le plan idéologique et politique, et une reprise durable du pouvoir par la Droite post- sarkozienne (Copé, etc).
Mieux vaut proposer aux salariés de l'automobile ce type de débats (ce n'est pas le PS qui le fera !) plutôt que de leur laisser comme seule perspective la lutte contre les prochains licenciements, ou le mirage de la voiture électrique, une impasse puisqu'elle implique encore plus de production électrique, et un pillage suivi d'épuisement rapide des ressources mondiales en lithium, assorti bien sûr d'une exploitation de la main d'oeuvre des pays producteurs.
Ce n'est pas un hasard si Sarkozy s'apprête à subventionner grassement (5000 euros d'aide!) les futures voitures électriques qui coûteront 20 000 ou 30 000 euros au minimum : elles ne seront achetées que par les gens aisés, et les bénéfices tomberont dans la poche de son copain Bolloré qui fabrique les batteries. L'inauguration de l'usine est d'ailleurs déjà prévue, en février 2012…
A essence, au gaz, à l'électricité ou avec toute autre motorisation, la voiture individuelle est une impasse totale, surtout si on a le bon sens de se placer à l'échelle du monde, dont la France ne représente qu'un centième en population. Mieux vaut explorer les solutions collectives, ça servira aux autres pays sans nullement nous desservir, bien au contraire.
Le bras de fer avec l'U.E.
Il est inévitable. Certes, plusieurs mesures proposées ci-dessus et par le F de G ne sont pas incompatibles avec les règles actuelles de l'UE (construire des logements, développer les transports collectifs, économiser l'énergie et même augmenter les impôts), mais d'autres le sont en droit (planification économique, retour ou mise en propriété publique de secteurs-clés de l'économie…) ou en fait (fiscalité accrue sur les bénéfices des entreprises, taxation des marchandises entrant dans l'UE…). Depuis 2007 –et avec la complicité du PS- Sarkozy piétine le "non" clair et net de 2005 et impose le plus discrètement possible de nouvelles règles constitutionnelles qui, demain encore plus qu'hier (pensons à Jospin en 97) aboutissent à un "choix" simple : soit promettre aux électeurs monts et merveilles si "la Gauche" revient au pouvoir et s'excuser platement aussitôt arrivé en disant "nous on aurait bien voulu, mais les autres ne veulent pas", soit engager l'épreuve de force (faire du Thatcher, mais à l'envers sur le programme!), en ayant conscience des difficultés, mais aussi des atouts uniques de la France pour cette épreuve.
En ayant conscience des difficultés : imposer des objectifs de plein emploi à la BCE et à l'euro (dont il ne faut bien sûr pas sortir), rétablir un tarif extérieur commun (le Traité de Rome n'est pas aboli, il le prévoit) pour les marchandises entrant dans l'Union, sur des critères sociaux (scolarisation des enfants, protection sociale), écologiques (mesures contre l'effet de serre) et de taux de change (il faut compenser par la taxe aux frontières la sous-évaluation du $ et du yuan), ce n'est pas du protectionnisme injustifié, c'est un moyen d'obliger les pays extérieurs à négocier, mais nous n'aurons pas d'accord européen du jour au lendemain sur ces questions. De même pour mettre fin au dumping fiscal, en premier lieu pour l'impôt sur les bénéfices. De même pour une harmonisation sociale par le haut (critères de convergences à moyen et long terme pour le salaire minimum, en premier lieu –c'est bien pour cela qu'il faut rester dans l'euro-). Il est clair qu'il ne faut pas compter sur les prochaines élections européennes pour espérer passer d'un Parlement européen très à droite à un Parlement antilibéral. C'est plutôt l'épreuve de force que nous engagerons pendant des mois et des années, relayée par les mouvements sociaux et les partis progressistes dans d'autres pays qui pourra contraindre les autres Etats à évoluer.
En ayant conscience des atouts uniques de la France pour cette épreuve de force
: nous sommes un des six pays fondateurs, nous avons une place privilégiée à l'ONU, nous avons la force nucléaire (il ne s'agit pas d'envoyer des bombes sur nos voisins, mais de faire comprendre que nous pouvons contribuer à une sécurité commune en dehors de l'OTAN, ou Sarkozy nous a fait rentrer sans tambour ni trompettes), et, surtout, nous sommes au milieu de l'UE, et donc de la circulation des marchandises…et des touristes. Nous pouvons donc arrêter les camions et les autocars aux frontières et contrôler tous les chronotachygraphes (c'est légal!), interdire le survol du territoire par les compagnies "low-cost", négocier le trafic des TGV transeuropéens, etc.
Il faut anticiper dès maintenant tous les aspects possibles de cette épreuve de force, les mesures de rétorsion probables et la façon de leur répondre (vu l'interconnexion des entreprises et des productions au niveau européen et mondial, mieux vaut mobiliser les salariés de l'industrie sur ces risques, car c'est dans l'industrie que les problèmes seront complexes, pas dans les services ni dans l'agriculture). Souvenons-nous que jadis les Etats capitalistes ont cherché à asphyxier économiquement l'URSS, et plus tard la Chine…mais, qu'en même temps, des entreprises de ces mêmes pays ne refusaient pas le commerce avec ces "méchants communistes". Voilà ce qui sera possible et nécessaire si le F de G est suffisamment fort. Si le PS reste dominant à gauche, la question ne se posera pas davantage qu'en 97 : il s'inclinera sans même chercher à combattre, et se contentera de quelques petits changements de vocabulaire, assortis de réformettes à usage interne pour faire passer sa nouvelle soumission au capitalisme.
Des changements institutionnels sont impératifs.
En fait, il faut en finir avec la 5 ème République, il est temps de passer à la suivante, les raisons sont connues : il faut remettre à plat nos rapports avec les pays de l'UE, depuis vingt ans, par modifications constitutionnelles "pro européennes" successives, mais de moins en moins discrètes, on vide de tout contenu réel nos "textes fondateurs" (Déclaration de 1789, préambules de 1946 et de 1958, pourtant non abrogés) et notre libre-arbitre national. Quitte à devoir se mettre pour un temps "en congé de l'UE", mais sans en sortir, il nous faudrait élaborer, dans l'année qui suivrait une victoire, une nouvelle Constitution, moins présidentielle, moins "naïve" vis-à-vis de l'UE, garantissant l'indépendance de la Justice, mettant au clair l'organisation des collectivités territoriales…et décrétant très précisément dans son texte lui-même que dorénavant toutes les élections à tous les étages auront lieu à la proportionnelle intégrale. Le modèle allemand est probablement le meilleur en la matière, en dépit d'une apparence première un peu compliquée.
Ces questions constitutionnelles et de mode de scrutin sont au premier abord plus difficiles et moins attrayantes pour les citoyens que les questions économiques, écologiques et sociales, mais il faut pourtant expliquer que les"règles du jeu" dans une société sont décisives.
Comme en 2005, il faut expliquer que ce que le PS et l'UMP ont toujours tenté de faire passer pour "normal", voire "naturel", à savoir le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, conduit forcément à une bipolarisation des partis, mais le plus souvent avec un parti hégémonique dans chaque camp. Et si Sarkozy pousse vers un scrutin majoritaire à un seul tour, c'est pour arriver, comme aux USA ou au Royaume-Uni, au bipartisme pur et simple. Le PS lui a simplement soufflé une petite hypocrisie : ajouter une (petite) "dose de proportionnelle". Idée géniale pour eux : celui des deux grands partis qui gagnera aura de toute façon la majorité absolue des élus à lui tout seul, et ces deux "grands" partis autoproclamés n'auront même plus besoin de perdre du temps à négocier des accords de second tour avec les "petits" partis, réduits encore plus qu'aujourd'hui au rôle d'intermittents du spectacle. Cela rendrait encore plus pervers le système actuel, qui donne aux "petits" partis de l'argent pour qu'ils survivent et entretiennent l'illusion du pluralisme le plus large, mais les prive de représentants élus en nombre suffisant pour qu'ils pèsent sur les choix publics.
Il faut expliquer clairement au peuple que la Proportionnelle, c'est tout ou rien. Elle ne se divise pas, elle ne se "dose" pas. Elle existe tout entière, ou pas du tout.
On peut aussi expliquer pourquoi le PS n'accepte la proportionnelle qu'à usage interne, en son propre sein et, jusqu'à preuve du contraire, à condition de pouvoir tricher !
Conclusion pratique, tant pour le PCF que pour le NPA : un accord avec le PS –et avec EE Les Verts-, ce n'est pas une question théologique. Ce n'est pas "on va négocier quelque chose de toute façon" (en fait, un petit groupe parlementaire, qui aidera le parti à survivre), et ce n'est pas "de toute façon, on ne va rien négocier"(et on va continuer notre démarche solitaire, mais en partie sur fonds publics). Le F de G doit envisager toute une gamme de solutions possibles, et le débat au sein d'un Front élargi doit aussi clarifier cette gamme. Il va de soi qu'un accord de gouvernement suppose d'être en accord sur un programme, une démarche vis-à-vis de l'UE et les changements institutionnels : on en est actuellement à des années lumière. Un accord de soutien sans participation gouvernementale pendant une législature, dans l'hypothèse où le PS arriverait en tête de la Gauche, suppose un engagement précis (et suivi d'effet dans les délais prévus, sinon il faudrait dénoncer l'accord) sur quatre ou cinq points essentiels : la retraite à 60 ans, deux ou trois mesures de notre programme économique, une 8
renégociation des traités européens, et la Proportionnelle. Un simple désistement de second tour ne saurait se faire sans obtenir en échange deux ou trois mesures essentielles pour le peuple et la démocratie. On ne peut pas se désister et appeler à voter uniquement pour obtenir trente députés. Si, face à un F de G au résultat trop modeste, le PS ne proposait rien d'essentiel, il ne faudrait pas négocier de désistement, et laisser la liberté de vote aux électeurs.
Pour éviter d'en arriver là, on revient à la case départ de ce texte : il faut élargir et approfondir le F de G, l'ouvrir à tous, et ne pas s'imaginer qu'il suffira d'appeler les sympathisants trois mois avant les élections pour réussir.
QUELLE DEMARCHE DES MAINTENANT ?
Le F de G ne peut se limiter, dès les semaines à venir, à être "contre" (contre la vie chère, contre la politique de la BCE, etc) car nous sommes trop perçus comme "protestataires", les médias en rajoutent une couche chaque semaine sur ce thème, jusqu'à essayer de nous amalgamer au FN…pour le plus grand bénéfice de celui-ci d'ailleurs.
Il faut d'urgence proposer un programme "pour", un programme pour une nouvelle organisation économique, sociale et politique, et aller le discuter au sein du peuple, pour l'améliorer d'ici à la fin de l'année 2011.
Il faut toutefois que ce programme évite le défaut majeur des programmes-catalogues de ces dernières décennies, avec 100 ou 125 mesures ou propositions, qui cherchent à faire plaisir à tous les "segments" de l'électorat, à toutes les" catégories" possibles, à tous les groupes de pression (en anglais : lobbies) influents, pour répondre –ou faire semblant- à tous les "problèmes" et "sujets de société" plus ou moins à la mode, car cela revient à considérer le peuple comme un agglomérat d'intérêts hétéroclites et à noyer les questions importantes dans un fatras de propositions ou les électeurs ne s'y retrouvent plus, attendu que tous les catalogues électoraux se ressemblent plus ou moins, et avec une ou deux lignes par point de catalogue, les clivages essentiels ne sont plus visibles.
Il faut donc que le programme soit limité à dix, douze ou quinze sujets essentiels, à traduire en autant de fascicules de quatre pages (moins, ça devient impossible de s'expliquer correctement; davantage, la majorité des gens ne liront pas).
Il faut que ces sujets ne traitent que de ce qui concerne l'avenir de l'Humanité, l'avenir du Peuple en France dans son ensemble, l'avenir des prolétaires (ouvriers et employés) en France et ailleurs, de façon à mettre en évidence les intérêts de classe et les divergences de valeurs des différents partis.
Par suite, en plus des sujets abordés dans ce texte ( retraites-et Sécu bien sûr-, fiscalité, logement, transport, emploi et pouvoir d'achat, U.E., représentation proportionnelle et nouvelle Constitution…), il faut développer des propositions sur :
-alimentation, agriculture et commerce (en France et dans le monde, en particulier en Afrique; il y a un éléphant du PS qui n'est plus à la tête du FMI, mais il y en a un autre, moins connu, qui est toujours à la tête de l'OMC.);
-services publics à restaurer ou à instaurer (santé –ça peut aussi bien sûr être traité avec la Sécu-, enseignement, petite enfance, Poste, eau potable et assainissement…)
- banques, épargne, contrôle des marchés financiers (ça touche aussi aux propositions sur l'UE et la fiscalité, mais, justement, l'intérêt de concentrer le programme sur un petit nombre de thèmes essentiels, c'est de montrer les relations qui existent entre eux);
- l'emploi est une résultante des propositions que nous pouvons développer sur tous les thèmes précédents : nous ne proposons pas des petits boulots précaires ou du travail pitoyable dans des centres d'appel, mais des emplois incontestablement utiles et durables. Il faut oser porter des jugements de valeur sur les emplois : une infirmière ou une aide-soignante à l'hôpital 9
public, c'est incontestablement plus utile qu'un "commercial" de France Télécom ou qu'un salarié qui bidouille des jeux vidéos.
C'est un tel programme, concentré sur les questions essentielles en les développant, qu'il faut aller porter et discuter là où se trouvent les ouvriers, employés et salariés des couches moyennes : sur leurs lieux de travail et à leurs domiciles, dans les HLM des petites villes autant que dans les grandes banlieues, et dans les bourgades pauvres davantage que dans les quartiers bo-bo. C'est dans un même mouvement que l'on pourra diffuser ce programme, l'améliorer, unifier et structurer un F de G qui ne se limite pas à un accord au sommet entre trois partis : un vieux qui a parfaitement le droit de vouloir continuer à vivre et à agir, mais qui devrait reconnaître qu'au regard de ses grosses erreurs de jugement des cinquante dernières années (en particulier depuis août 1965, si ma mémoire est bonne), il n'a pas le droit de prétendre à l'hégémonie au sein du mouvement populaire; un composite –le P de G- qui à le mérite de montrer à un partie de l'électorat PS et écologiste qu'il y a des choix réels à faire, mais qui n'aura pas vraiment d'utilité s'il se réduit à une équipe présidentielle; et un tout petit –la GU- qui peut faire le lien avec le NPA et la mouvance trotskyste, mais qui a déjà compris qu'il faut aller bien au-delà, en sortant des habituelles manoeuvres de tendances, courants et sous-courants qui caractérisent cette mouvance.
Toute démarche politique nouvelle devient forcément organisationnelle à un moment ou à un autre, sinon on avoue clairement qu'on en reste à un accord d'appareil . Il y a un an déjà l'idée avait été émise (j'ai souvenir d'un article de l'Huma) de créer "les amis du F de G", ou quelque chose d'approchant. L'idée d'une "amicale" avait déjà quelque chose d'assez insolite, voire presque méprisant, mais de toute façon elle a été très vite abandonnée.
Ce n'est pas une amicale qu'il faut créer (les "amis de l'Huma", est-ce que ça change beaucoup de choses ?), ni des comités de soutien pour diffuser des tracts préétablis deux mois avant le premier tour, mais des comités de circonscriptions avec des membres ayant des devoirs (payer une cotisation plus que symbolique, participer à la propagande) mais aussi des droits (participer aux débats sur la démarche politique et le programme, et voter pour en décider). C'est urgent, presque en retard déjà.
On est bien conscient que cela demande double travail aux militants qui sont déjà dans un des partis fondateurs, mais ils doivent être conscients qu'ils n'ont pas toute la légitimité politique à eux seuls. Depuis les années soixante, à gauche du PS, personne n'a eu tort sur tout en permanence, mais tous nous avons fait des erreurs, et parfois des grosses. Et, sur l'essentiel, nous avons tous échoué, sauf en 2005.
Les trois partis fondateurs vont se mettre d'accord sur un candidat à la Présidentielle très vite (ou alors, c'est à désespérer de tout !). Si c'est Mélenchon, qui a ses qualités et ses défauts comme tout un chacun, il faut qu'il soit tout de suite amené à mettre en avant les législatives autant que la Présidentielle, et les candidats aux législatives dès novembre ou décembre. Il ne faut pas qu'il se prenne pour Mitterrand, personnage machiavélique au passé douteux ou condamnable, qui a plongé la France et le "peuple de gauche" dans les impasses de la mondialisation libérale, ni pour Marchais, triste clown au passé également douteux –jusqu'à preuve du contraire-, qui est rentré dans les pièges de l'autre, et n'a jamais su en sortir. Il faut qu'il se prenne simplement pour lui-même, et pour l'un des représentants d'un projet à construire, tout en se présentant d'emblée comme candidat pour le second tour…
On en revient toujours à la nécessité de créer un mouvement politique de masse partout , de ne pas se limiter à un accord d'appareils et une campagne autour d'une personnalité, ce sur quoi tout le monde semble d'accord. Le but du présent texte est de donner quelques idées pour y arriver, même s'il peut paraître un peu provocateur ou agaçant par endroits.
Que les lecteurs veuillent bien aller au-delà de leurs éventuelles réactions épidermiques, et retenir toutes les idées utiles.
Plourin lès Morlaix, 28 mai 2011
Hervé Penven