Emmanuel Macron invente le populisme version CAC 40
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13 JUILLET 2016 | PAR LAURENT MAUDUIT
Pour son premier meeting, mardi soir à la « Mutu » à Paris, Emmanuel Macron n'a rien dit de précis sur son possible départ du gouvernement ou sa candidature à l'élection présidentielle. Mais, empruntant une terminologie proche du Medef, il est entré en campagne, en proposant de « dépasser les clivages » gauche-droite et de « libérer le pays ».
C’est un étrange meeting dont la Mutualité a été le théâtre mardi soir. Haut lieu des rassemblements de la gauche et de l’extrême gauche tout au long des années 1970, un jour pour dénoncer le coup d’État au Chili, le lendemain pour protester contre la guerre du Viêtnam, le surlendemain pour exiger la libération des emprisonnés politiques en URSS, accueillant des cohortes de militants le poing levé et chantant à plein poumon L’Internationale, la célèbre « Mutu » a, pour l’occasion changé de registre. C’est Emmanuel Macron qu’elle a accueilli, avec ses premiers sympathisants, ceux du mouvement « En Marche ! » qu’il a créé. De la lutte des classes aux milieux des affaires…
De la gauche, et de ses combats historiques, il n’a sans surprise pas été question. Car ce sont des accents radicalement différents que le ministre de l’économie a fait entendre. Des accents populistes mais d’un genre assez particulier : des accents populistes chics, version business.
De cette réunion, il n’est rien ressorti de très précis. Alors que l’assistance attendait visiblement qu’Emmanuel Macron dise enfin ses véritables intentions, qu’il fasse savoir quand il allait quitter le gouvernement, et qu’il annonce sa candidature à la prochaine élection présidentielle, le héros de la soirée n’a rien dit de tout cela. Motus et bouche cousue : il a manié les ellipses obscures pour galvaniser son auditoire, sans jamais lever le voile sur ses intentions.
Tout juste au terme d’un discours de plus d’une heure trente s’est-il auto-glorifié des initiatives de son mouvement « En Marche ! », lui prédisant un grand avenir : « Ce mouvement, rien ne peut plus l’arrêter. Ce mouvement, parce que c’est le mouvement de l’espoir, nous le porterons jusqu’en 2017 et jusqu’à la victoire ! »Et c’est tout : Emmanuel Macron n’en a pas dit plus. Sera-t-il candidat ? Le sera-t-il contre François Hollande, auquel il doit sa carrière ? Rien ! « Dans cette bataille, nous prendrons des risques. Et je les prendrai avec vous », s'est-il contenté d'indiquer.
Mais s’il n’a guère été prolixe sur ses projets, Emmanuel Macron a fait entendre une petite musique effectivement très singulière. La petite musique dont il est coutumier : celle du ni-droite ni-gauche – du « ni-ni », comme il l’a dit lui-même, oubliant que François Mitterrand était l'auteur de la formule.
Dès les abords de la Mutualité, avant même que le meeting ne commence, on pouvait deviner qu’il s’agirait d’un rendez-vous inhabituel. Car il y avait bien, en nombre, des militants de gauche ou des syndicalistes, essentiellement de Sud, mais ils étaient, dans la rue, et pas dans la Mutualité, scandant des slogans hostiles à la loi travail, et plus encore hostiles au ministre de l’économie : « Macron, Medef, même combat ! » entendait-on dans tout le quartier, jusque dans les entrées de la Mutu, protégées par un important déploiement de policiers. Et il fallait de l’audace aux sympathisants du ministre qui, devant traverser la foule des opposants, s’exposaient à des jets d’œufs s’ils persistaient à vouloir aller écouter les discours, protégés tout juste par les parapluies prêtés par des hôtesses.
Mais à l’intérieur même de la salle, la composition de l’auditoire suggérait que la réunion serait atypique. Beaucoup de petits patrons ou d’artisans, très peu d’hommes politiques connus, hormis les soutiens connus d’Emmanuel Macron, dont le sénateur et maire (PS) de Lyon Gérard Collomb, le député (PS) du Finistère Richard Ferrand, et le sénateur (PS) de la Côte-d’Or François Patriat, mais aussi quelques personnalités très ancrées à droite, dont Renaud Dutreil, un ancien président de l’UMP, pas franchement progressiste, qui fut longtemps secrétaire d’État puis ministre chargé des PME, sous la présidence de Jacques Chirac en 2002-2007, ou encore l’ex-associé gérant de la banque Rothschild, Lionel Zinsou, candidat malchanceux à la dernière élection présidentielle au Bénin.
Une assemblée hétéroclite, donc. À se promener dans les allées, et à écouter les conversations, on avait quelque peine à se situer. Se trouvait-on dans une assemblée du Medef ou de la CGPME ? Il y avait un peu de cela.
Les premiers orateurs de la soirée n’ont rien fait pour dissiper cette impression : sur le registre du populisme, ils ont tous longuement brodé. Ce fut notamment le cas de l’écrivain Alexandre Jardin, qui tout au long d’une interminable intervention a dressé l’éloge des « faiseux » – sans que l’on comprenne bien de qui il parlait – pour faire la critique des partis politiques. « Renversez la table l’année prochaine ! Virez les jacobins ! »</em> s’est-il écrié en conclusion de son discours touffu.
Quand son tour est venu, Emmanuel Macron a lui-même joué des mêmes effets populistes chics. Usant sans cesse de formules imprécises ou floues, il a d’abord multiplié les phrases ronflantes, mais sans contenu concret. « Nous avons la ferme conviction que nous pouvons réformer le pays » ; « Il n’y a pas de plus belle chose que de servir, et en particulier de servir son pays » ; « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une refondation » ; « Le moment est venu de faire des choix clairs » ; « Ce qu’il faut, c’est un souffle nouveau » ; « Nous sommes en train de vivre une grande transformation » ; « Ce n’est pas un rassemblement pour plaire, c’est un rassemblement pour faire ».
Certes, mais pour faire… quoi ? Et de quelle refondation la France a-t-elle besoin ? Quels sont ces choix clairs ? Concrètement, un souffle nouveau pourquoi ? Le ministre de l’économie n’a répondu à aucune de ces questions.
Lui, l’ex-associé gérant de la banque Rothschild et membre éminent de l’Inspection des finances, a donc semblé se dresser contre le « système », dont il est pourtant l’un des acteurs. Et puis surtout, il a insisté à plusieurs reprises sur ce qui est à l’évidence son idée-force – à l’image de ce qu’était son auditoire : son ambition, c’est de « dépasser les clivages » ; c’est de construire un mouvement « qui rassemble des hommes et des femmes de gauche, des hommes et des femmes de droite, et de la société civile » ; des hommes et des femmes dont le premier combat sera de « libérer le pays » ; de garantir « la liberté des entrepreneurs, des créateurs ».
Emmanuel Macron s’est donc mis en marche. Sans dire véritablement dans quelle direction il comptait aller. Tout juste a-t-il précisé que son mouvement aurait pour ambition d’élaborer d’ici à la fin de l’année « un plan de transformation du pays », sans rien dire de précis sur ce que ce plan pourrait prévoir.
En somme, c’est un populisme new-look qu’expérimente Emmanuel Macron. Car, dans sa longue histoire, la France a connu des variétés nombreuses de populisme. Il y a eu une version bonapartiste du populisme, à la mode Napoléon le Petit ; il y a eu une version de droite radicale, flirtant avec l'extrême droite, celle du boulangisme… Mais un populisme à la sauce CAC 40, jamais : c’est visiblement ce chemin escarpé qu’Emmanuel Macron tente pourtant d’emprunter.