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Dans un paysage où une poignée de milliardaires contrôle les grands groupes de presse écrite et audiovisuels, l’information se retrouve sous la pression d’intérêts privés et de leur idéologie. Avec la participation de Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité de 2000 à 2021, secrétaire général puis vice-président du syndicat de la presse nationale d’informations générale et politique (2000-2021), et Jean-Marie Charon, sociologue des médias, chercheur associé au CNRS.
Une loi anticoncentration doit interdire de détenir plus de 20 % du capital d’une entreprise de presse et garantir l’indépendance des rédactions.
Le gouvernement envisage des états généraux du « droit à l’information ». L’enjeu central y sera-t-il discuté ? Celui par lequel la classe capitaliste se donne les moyens de la bataille culturelle, idéologique et politique.
Ainsi, 81 % des quotidiens nationaux et 95 % des hebdomadaires d’information générale et politique, 40 % des cinquante premiers sites d’information, quatre radios généralistes, les chaînes de télévision privées sont la propriété de huit hommes d’affaires milliardaires et de deux millionnaires.
Ce niveau, inconnu jusque-là, de concentration des médias et des industries culturelles s’accompagne de la montée en puissance de l’oligopole numérique à base nord-américaine – Alphabet, Apple, Meta, Amazon, Microsoft, auxquels il faut ajouter Netflix, Disney, YouTube –, qui domine à la fois les circuits de distribution et les sources de revenus. Ils affaiblissent la presse écrite en pillant ses contenus et en asséchant ses ressources publicitaires.
Au lieu de mener bataille pour le développement d’une industrie numérique européenne, les gouvernements successifs, en bons mandataires des intérêts du capital national, incitent à la construction de « champions nationaux », paravents d’une concentration toujours plus grande des entreprises de presse et de médias.
La concentration médiatique est bien une menace pour le pluralisme des idées, l’exception culturelle. Au fond, une menace pour la démocratie. »
Chacun voit bien que le contrôle par Vivendi, propriété du groupe Bolloré, de Canal Plus dans l’audiovisuel, d’Editis dans le livre, de Prisma dans la presse, auquel il faut ajouter le Journal du dimanche et Paris Match, de Gameloft dans les jeux vidéo, de l’Olympia avec un système de billetterie mondiale… Celui de Dailymotion dans la distribution vidéo, ses parts dans le secteur de la publicité avec Havas, son projet d’achat d’Hachette Livre constituent une incommensurable emprise sur l’information, son traitement, sa nature même, sur les industries culturelles et la création culturelle. Jusqu’à placer des artistes ou des écrivains en situation de dépendance. La concentration médiatique est bien une menace pour le pluralisme des idées, l’exception culturelle. Au fond, une menace pour la démocratie.
Il est urgent de voter une loi anticoncentration et d’interdire toute prise de contrôle de plus de 20 % du capital sur toute entreprise de médias et au-delà sur l’ensemble des industries culturelles et numériques. De faire bénéficier les rédactions d’un statut juridique garantissant leur indépendance.
Les aides publiques à la presse doivent être réformées afin d’aider les journaux indépendants sans publicité. Il conviendra d’être attentif à plusieurs intéressants projets de directives de la Commission européenne pour un financement stable du service public, sur la transparence de la propriété des médias, pour la limitation arbitraire des grandes entreprises numériques, pour réglementer la concentration des médias, pour l’indépendance des journalistes et la création d’un comité européen des médias. Ôter les médias des mains des puissances d’argent : une mission d’utilité publique !
Il faut soutenir les médias indépendants, renforcer l’indépendance de l’autorité de régulation et garantir l’autonomie des rédactions.
Jean-Marie Charon, sociologue des médias
Le débat revient de manière récurrente, face aux rachats de médias ou de groupes de médias : faut-il réviser les règles en matière de concentration ? La tentation est de se référer aux expériences passées, telles que les dispositions prises à la Libération, voire dans les années 1980. Sauf que les mécanismes qui conduisent à la concentration ne sont plus les mêmes.
Pas sûr que le niveau de concentration soit très différent, ni l’influence des propriétaires, de Hersant ou Bolloré. En revanche, les facteurs qui génèrent les rachats et fusions d’entreprises ne sont plus les mêmes, à l’heure où la publicité est captée par quelques plateformes Internet, à commencer par Google et Facebook. À l’heure aussi où toute une partie du public, à commencer par les plus jeunes, n’entend plus payer l’information, en tout cas une information sans valeur ajoutée.
L’enjeu d’une information vivante, plurielle et approfondie est pourtant plus que jamais essentiel, dans une société où les individus s’enferment davantage dans des bulles informationnelles. »
L’enjeu d’une information vivante, plurielle et approfondie est pourtant plus que jamais essentiel, dans une société où les individus s’enferment davantage dans des bulles informationnelles, où la démocratie fait face à la manipulation de l’information.
Il faut donc repartir des priorités du moment : quelle information voulons-nous ? Pour quels publics ? Quelles conditions pour garantir une activité viable pour ceux qui produisent cette information ? Comment agir dans le contexte des règles et institutions européennes ?
Les expériences des décennies précédentes montrent que les règles quantitatives sur les niveaux de concentration achoppent sur leur mise en œuvre juridique concrète, comme la viabilité des médias, sans parler de la passivité des politiques, comme de l’opinion.
Depuis quand les candidats à une élection se sont-ils affrontés sur la question de l’indépendance de l’information ? Quand ont eu lieu les dernières mobilisations de masse sur ces enjeux, pourtant complètement articulés aux conditions de la démocratie ? Or les priorités à mettre en œuvre relèvent du politique, conscient des enjeux économiques, culturels et sociaux. C’est dire que les leviers sur lesquels agir appellent un débat et une réflexion collective, seuls capables d’enclencher une nécessaire dynamique politique et sociale.
Ces leviers sont de plusieurs ordres et se complètent : le premier est le soutien et l’aide à la création de médias indépendants, par des moyens de financement en amont, par les citoyens, avec des formes s’apparentant à l’économie sociale et solidaire (fonds de dotation, fondations renouvelées, etc.).
Le deuxième est de renforcer l’indépendance juridique et politique de la régulation, qu’il s’agisse de la concurrence, mais aussi de l’organisation des médias. Le troisième est de reprendre le chantier de l’autonomie des rédactions, par des droits de veto, la reconnaissance de structures telles que les sociétés de rédacteurs. Enfin, dans ce paysage, la singularité de l’audiovisuel public est cruciale, avec la priorité à accorder à la double garantie de l’indépendance éditoriale et de la pérennisation des volumes et les modes de financement.
Comment un PDG peut-il gagner jusqu’à 1 500 fois plus que ses employés ? Oxfam a calculé les évolutions des revenus de 100 patrons par rapport à celles de leurs salariés.
Chez Telepeformance, l’un des leaders mondiaux des centres d’appels, Daniel Julien, le PDG, gagne 1 484 fois plus que le salaire moyen de l’entreprise. Certes, beaucoup d’entre eux sont des travailleurs précaires et les revenus sont bas, « mais, qui a décidé qu’il valait 1 500 fois plus que ses salariés ? » interpelle Léa Guérin, chargée de plaidoyer sur la question de la régulation des multinationales chez Oxfam. Pour l’ONG, elle vient en effet de calculer les écarts de rémunération entre celle des patrons et le salaire moyen dans les 100 premières entreprises françaises cotées en Bourse entre 2011 et 2021.
En dix ans, ces inégalités se sont creusées. Le ratio entre hauts revenus et revenus moyens est passé de 64 à 97 sur la période et de 93 à 163 pour le CAC 40. Parmi les records, outre Teleperformance, Oxfam épingle Carlos Tavares. Le patron de Stellantis touche 1 139 fois plus que le revenu moyen chez le constructeur automobile. Dit autrement, en 2021, il a gagné en 3 heures et 22 minutes l’équivalent du salaire annuel moyen de son entreprise. Sur la troisième marche du podium, on trouve le patron de Dassault Systèmes, Bernard Charlès, qui gagne 385 fois plus que la moyenne de ses salariés. Cela peut sembler bien moindre que ses homologues, mais les salaires des ingénieurs sont bien plus élevés : le PDG a touché tout de même 44 millions d’euros en 2021.
Une écrasante part du revenu des patrons de sociétés cotées n’est pas du salaire fixe. C’est 5,8 % pour les trois patrons sur le podium cités ci-dessus. Un peu plus de 20 % sont du salaire variable, 72 % sont versés en actions. Ainsi, 89 % de la rémunération de ces patrons sont basés sur des critères financiers et, majoritairement, court-termistes (à 74 %). Ces objectifs sont, par exemple, obtenir un meilleur bénéfice consolidé que l’an passé ou maintenir le niveau de capitalisation. « Il est urgent de considérer la fiscalité comme un levier de réduction des inégalités au sein des entreprises, pointe l’autrice du rapport. Réaligner la fiscalité du capital sur celle du travail en supprimant notamment la flat tax pourrait inciter à une plus juste répartition des richesses en faveur des travailleuses et des travailleurs. »
Entre 2011 et 2021, les patrons des 100 plus grosses entreprises françaises se sont augmentés en moyenne de 66 %, alors que la rémunération de leurs salariés n’a pris que 21 %. De manière générale, dans le partage des richesses créées par les travailleurs de ces entreprises, la part des salaires a baissé de 10 points. « Cette baisse se fait au détriment des bas salaires, particulièrement impactés par l’inflation que nous subissons depuis des mois, poursuit Léa Guérin. Un chèque de 10 000 euros supplémentaires, c’est ce que chaque salarié du CAC 40 aurait dû toucher en moyenne l’an dernier si on avait continué à redistribuer les richesses créées de la même façon qu’il y a douze ans ! » Pour savoir où donc va toute cette richesse créée qui n’est pas redistribuée en salaires, Oxfam nous invite, sans trop le divulgâcher, à attendre le second volet de cette étude, attendu dans quelques semaines, qui s’intéressera aux versements aux actionnaires.
Ce rapport-là, en revanche, ne fait pas l’impasse sur l’importance des inégalités femmes-hommes, qui persistent même parmi les PDG. En moyenne, les femmes dirigeantes gagnent 36 % de moins que les hommes. À l’instar de Carlos Tavares (Stellantis), qui, avec ses plus de 66 millions de rémunération annuelle, a gagné en 2021 plus que toutes les femmes patronnes de grandes entreprises réunies. « C’est un univers encore très masculin, insiste Léa Guérin. Rendez-vous compte, on a compté, il y a plus de Jean et de Gilles que de femmes à la tête des 100 plus grandes entreprises françaises cotées. »
La chargée de plaidoyer sur la question de la régulation des multinationales planche depuis septembre 2022 sur ces calculs, inspirés par la hausse des prix et l’urgence d’une meilleure répartition des richesses créées. Beaucoup de ses recommandations vont dans ce sens : ne pas dépasser un maximum d’écart de salaires dans les entreprises pour accéder aux marchés publics, par exemple. Hasard du calendrier, ce premier volet est publié alors que le gouvernement essaie de mettre en avant une future loi sur le travail pour tourner la page de la séquence des retraites. Il y sera certainement question de gouvernance des entreprises. « Cela peut être l’occasion d’imposer un tiers de salariés dans les conseils d’administration, remarque Léa Guérin. Dans les entreprises codirigées, les écarts de salaire sont moins importants, on ne fonctionne pas qu’avec des objectifs à court terme, et il y a moins d’évasion fiscale. »
Le Conseil constitutionnel a donc rendu ses avis vendredi 14 avril à 18 heures. L’instance y a relégué les « avancées sociales », gadgets de la droite, que sont l’index senior ou le contrat dernière embauche. On se demande même si ces mesures n’avaient pas été laissées exprès dans le texte, sachant que les « sages » allaient se charger de les supprimer – durcissant le texte au passage. Il ne reste donc que le volet le plus dur, c’est-à-dire l’âge de départ à la retraite à 64 ans, promulgué à 3 h 29 comme une ultime provocation présidentielle.
À vrai dire, nous n’attendions pas grand-chose de la décision du Conseil constitutionnel ; mais il nous a quand même déçus. Il s’agit de juger en droit évidemment, mais l’interprétation par cette instance est foncièrement politique. Il aurait été possible par exemple de se référer aux principes du préambule de 1946 reconnaissant « aux vieux travailleurs la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Pire, ce jugement conforte la méthode d’un exécutif qui est passé par une loi de finances, qui n’écoute pas la majorité du peuple refusant de travailler deux ans de plus pour satisfaire les marchés financiers, qui humilie et bâillonne le Parlement en détournant des articles de la Constitution, qui piétine l’avis des syndicats unis et rassemblés.
Après le refus du premier référendum d’initiative partagée et dans l’attente du deuxième déposé par les parlementaires de gauche, la crise démocratique s’amplifie. Malgré une mobilisation historique, la loi passerait sans avoir été votée à l’Assemblée nationale et par un vote bloqué au Sénat. Les idées majoritaires portées par les forces du travail, de la création, de la jeunesse ne trouvent aucun débouché dans les institutions. Si le gouvernement pense un instant qu’après quelques jours tout reviendra à la normale et qu’il pourra continuer le train des réformes, il se trompe. Sans changement d’orientation politique profond, le pays restera fracturé.
En plus d’avoir menti sur les chiffres et le montant des pensions, ce qu’a reconnu le Conseil constitutionnel, et refusé de répondre aux attentes populaires, le gouvernement s’est évertué à entretenir la division entre les travailleurs et un climat délétère en jouant la matraque dans un schéma de répression. Des jeunes humiliés et violentés dans les manifestations, des violences policières légitimées au sommet de l’État, des menaces à peine voilées contre des organisations syndicales, la Ligue des droits de l’homme et l’opposition de gauche : le pourrissement est devenu la norme pour imposer un retour à « l’ordre » et discréditer toute critique. Mais, cette fois-ci, le ressort est cassé. Plus personne n’écoute le président et surtout plus personne ne le croit !
Trop de mépris, trop de provocations, comme cette invitation présidentielle aux forces syndicales pour discuter de l’après et poursuivre le « chemin démocratique ». Cette première année de mandat sonne déjà comme une fin de quinquennat. Dès lors, que faire ? Attendre la prochaine échéance présidentielle et suivre les points d’étape balisés ? Assurément non, d’autant que cela profitera surtout à Marine Le Pen. La bataille actuelle contre la réforme des retraites doit se poursuivre, évoluer dans ses formes pour ne pas laisser retomber l’élan extraordinaire. Le projet de loi peut être retiré et le référendum instauré pour permettre de faire entendre l’expression populaire. L’unité syndicale, la majorité populaire en sont de précieux atouts. Faisons du 1er Mai un grand rendez-vous social et populaire historique pour imposer un rapport de force populaire, seule issue démocratique à ces crises qui menacent notre pays.
En déplacement dans l’Hérault, le chef de l’État a annoncé des augmentations de salaire pour les professeurs, conditionnées ou pas à des contreparties. Déçus, les syndicats refusent le « pacte » du gouvernement.
Le lundi 17 avril, lors de son allocution télévisée, le président de la République avait annoncé la couleur, promettant que l’école allait changer « à vue d’œil » dès septembre avec des enseignants « mieux rémunérés » et des élèves « davantage accompagnés ».
Bigre. Les revendications des syndicats enseignants allaient-elles enfin être prises en compte ? En guise de « changement », le chef de l’État a remis sur la table le fameux « pacte » qui avait fait quitter la table des discussions à tous les syndicats enseignants.
Le président a certes annoncé une « hausse inconditionnelle » de salaire de 100 à 230 euros net mensuels pour les enseignants « à tous les niveaux de carrière » et ce « dès la rentrée ». Mais aussi une augmentation qui sera portée « jusqu’à 500 euros par mois » pour ceux qui accepteront de nouvelles missions, sur la base du volontariat. Dans la droite ligne du « travailler plus pour gagner plus » cher à Nicolas Sarkozy.
« C’est la confirmation du pacte, le projet politique d’Emmanuel Macron, avec cette idée qu’il faudrait faire des missions supplémentaires pour être mieux payés », s’indigne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU.
« C’est même la méthode Macron, poursuit-elle. Malgré l’opposition de tous les syndicats, il maintient ce pacte. Comme il a fait avec la réforme des retraites. » La responsable syndicale dénonce une « provocation » et une réponse « hors-sol » qui ne tient pas compte de la réalité des établissements face « aux légitimes demandes de revalorisation salariale ».
Pour rappel, un enseignant touche en moyenne 2 600 euros net par mois, soit moins que la moyenne des pays de l’OCDE. Surtout, les rémunérations n’ont pas suivi le coût de la vie. Ainsi, les 100 à 230 euros supplémentaires annoncés « ne vont même pas permettre d’arriver à 10 % d’augmentation alors que nous avons perdu 15 à 25 % de pouvoir d’achat ces dernières années », tacle Sophie Vénétitay, qui note au passage que la promesse de campagne d’augmenter les professeurs de 10 % au 1er janvier n’est pas tenue.
« Conditionner une revalorisation – qui n’en est pas une – à des missions supplémentaires ne fera qu’alourdir la charge de travail des enseignants, déplore Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. On leur demande toujours plus : remplacer leurs collègues absents, faire de l’orientation… On crée un système où plus personne n’a le temps d’élaborer ses cours et de faire du travail collectif. » Déjà, selon les derniers chiffres de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, publiés en octobre 2022, les enseignants déclarent travailler entre 40 et 43 heures par semaine.
Ces mesurettes, par ailleurs, ne s’inscrivent même pas dans un plan pluriannuel. « Les 100 euros seront très vite mangés par l’inflation », poursuit le responsable FSU. Les syndicats ont fait les comptes. Une revalorisation de 10 % du salaire des enseignants coûterait 3,9 milliards d’euros. Soit quasiment le double du 1,9 milliard annoncé par le chef de l’État. « Il faut indexer les salaires » sur l’inflation, disent en chœur les syndicats.
« L’enveloppe globale reste toujours très insuffisante, estime Jules Siran, secrétaire fédéral de SUD éducation. L’augmentation des salaires doit être inconditionnelle, avec une refonte des grilles indiciaires pour tous les personnels, pas uniquement les enseignants. »
Tous le constatent : les conditions de travail se dégradent d’année en année. Conclusion : les concours peinent à recruter des candidats et la progression de carrière ne permet plus d’attirer de nouveaux profs.
À la CGT Educ’action, on se dit vent debout contre le pacte. « C’est extrêmement inégalitaire, note Isabelle Vuillet. Comme à chaque fois, les femmes vont y perdre. Elles ont déjà bien assez de travail et ce ne sont pas elles qui feront des heures supplémentaires. »
Idem pour les professeurs des écoles et les professeurs documentalistes, qui ne seront pas concernés par le pacte. Sophie Vénétitay l’affirme avec force : « Le 1er Mai sera l’occasion de réaffirmer que nous ne voulons ni travailler plus longtemps, ni plus tout court. »
À l’approche de l’opération militaire et policière qui vise à détruire les logements informels de plusieurs milliers de personnes et à les chasser vers les autres îles de l’archipel, la détresse des habitants visés est palpable.
Mayotte, correspondance particulière.
Dans un quartier défavorisé de Doujani, à Mamoudzou, centre économique de Mayotte, le temps est lourd. Et n’annonce rien de bon. La poussiéreuse terre ocre qui sépare les amoncellements de cases en tôle sera bientôt piétinée par les rangers de plusieurs centaines de gendarmes et policiers, mobilisés jusqu’au mois de juin aux quatre coins de cette petite île de l’océan Indien.
Durant deux mois, le 101e département français sera le théâtre de démolitions de cases – ou « décasages » – et d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Le démarrage de l’opération « Wuambushu » est prévu pour ce week-end. D’une ampleur inédite, elle a été décidée par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin.
Elle est soutenue par l’intégralité des élus mahorais, qui espèrent y retrouver un foncier précieux, et saluée par une population excédée des agressions quotidiennes dans ce territoire, et composée de 50 % de mineurs et de 48 % de personnes de nationalité étrangère.
Si le discours politique taxant de délinquants tous les habitants de ces quartiers informels est devenu fécond à Mayotte, il suffit de se rapprocher de ces derniers pour appréhender une réalité tout autre. Naïssa, étudiante en deuxième année de BTS et en situation irrégulière, habite dans ce quartier de Doujani et a la peur au ventre depuis qu’elle a entendu parler de l’opération.
« Je panique en imaginant les camions de police arriver, je ne sais pas jusqu’où ça va aller, mais je sais très bien que ce sera un carnage, parce que les jeunes qui ont des papiers ne vont pas être d’accord, ils vont se rebeller, » affirme la jeune femme.
Comme toutes et tous, l’étudiante a vu les appels parfois violents à la révolte fleurir sur les réseaux sociaux. Mais c’est bien l’avenir proche qui occupe ses pensées, alors qu’elle doit passer ses épreuves à partir du mois de mai. « Je suis inquiète pour ma mère et mon petit frère, ajoute-t-elle. S’ils nous décasent, qu’est-ce que je ferai dans un pays que je ne connais pas ? On va se retrouver à la rue, dans la souffrance et la misère. »
En cas d’expulsion, la mère de Naïssa, arrivée à l’âge de 9 ans à Mayotte, a déjà pris la décision de laisser ses enfants à des amis. « On n’a pas les moyens de louer une maison, explique l’aînée, la voix étranglée par des sanglots. Elle préfère nous abandonner pour qu’on continue nos études au lieu de nous emmener souffrir là-bas. Ce qu’elle voulait pour nous, c’est une vie meilleure que la sienne. Je culpabilise, je ne m’imagine pas vivre sans elle à mes côtés. »
Ma mère préfère nous abandonner pour qu’on continue nos études au lieu de nous emmener souffrir là-bas. Ce qu’elle voulait pour nous, c’est une vie meilleure que la sienne. » Naïssa, étudiante en deuxième année de BTS, en situation irrégulière
Pour exprimer sa peine, l’étudiante a même écrit une lettre poignante à ses professeurs, qu’elle s’imagine quitter du jour au lendemain. Ce sentiment d’urgence, Daniel Gros le côtoie depuis de nombreuses années. Référent de la Ligue des droits de l’homme à Mayotte, le retraité épaule autant qu’il le peut les familles en détresse, mais ne peut cacher son pessimisme quant à cette opération. « C’est la panique partout, affirme-t-il. Il y a des jeunes de 15 ans nés en France qui se font renvoyer. On n’a pas le droit de faire ça, mais on se contrefout des règles et des droits ici. »
Pourtant, le 101e département français est déjà soumis à un droit « d’exception » : un étranger souhaitant la nationalité française à Mayotte doit prouver que l’un de ses parents y résidait au moins trois mois avant sa naissance, une demande d’asile doit être déposée dans les sept jours, contre vingt et un dans l’Hexagone, et le titre de séjour mahorais ne permet pas de se rendre dans les autres territoires français.
Mais les faits sont encore plus durs, selon Daniel Gros : « Non seulement ils se permettent de renvoyer des gens sans étudier leur dossier mais, en plus, ils font des retraits de titres de séjour. » Annie, malgache résidant à Mayotte, a vu son amie interpellée le samedi matin et mise dans l’avion le dimanche après-midi. « Elle n’a pu dire au revoir à sa fille de 10 ans, qui est maintenant chez moi, ni emporter aucun bien, elle a dû mendier une fois sur place pour rejoindre sa famille, affirme-t-elle. En plus, ils l’ont laissé cuire deux heures dans un bus sous la chaleur, alors qu’elle était enceinte de 5 mois ! »
Ce manque de respect des droits et des procédures s’est renforcé durant la préparation de l’opération « Wuambushu ». Le 21 mars, les habitants du quartier de Doujani n’ont pas reçu d’avis d’expulsion, mais des courriers non adressés leur notifiant qu’ils devaient avoir quitté les lieux le 15 avril. Deux jours plus tard, des agents de la commune numérotaient à la peinture les structures à détruire ce lundi 24 avril.
Les forces de l’ordre ont deux mois pour faire le vide et ne veulent pas être ralenties. » Daniel Gros, Référent de La ligue des droits de l'homme à Mayotte
Dans le quartier de Barakani, à Koungou, les chiffres ont été remplacés par de froids « oui » et « non » destinés aux bulldozers. Excédés, les habitants ont décidé de démolir eux-mêmes leur logement, avant de mettre les voiles. « La préfecture ne fait plus automatiquement d’arrêtés avant un décasage pour que l’on ne puisse pas saisir la justice, précise Daniel Gros. Les forces de l’ordre ont deux mois pour faire le vide et ne veulent pas être ralenties. »
Les photos de Marlène Schiappa dans « Playboy » ne réussiront pas à détourner notre regard d’un scandale provenant de son cabinet alors qu’elle était ministre déléguée à la citoyenneté auprès de Gérald Darmanin en 2021.
L’hebdomadaire « Marianne » et « l’Œil du 20 heures » de France 2 ont mené conjointement l’enquête durant plus de neuf mois à propos de l’attribution des fonds Marianne. Lancés en 2021 par le cabinet de Schiappa à la suite de l’assassinat de Samuel Paty et d’un montant de 2,5 millions d’euros, ils devaient servir à défendre les valeurs de la République en luttant contre la radicalisation islamiste sur Internet, la propagande séparatiste et le cyberdjihadisme.
En trois semaines seulement, 17 candidatures avaient alors été retenues dans l’appel à projets. On peut s’étonner de la rapidité du processus de sélection des candidatures.
Parmi les associations lauréates, quatre se partagent près de 1,3 million d’euros. Parmi elles, l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire a reçu près de 355 000 euros de dons. Les deux administrateurs de cette association, Mohamed Sifaoui et Cyril Karunagaran, se sont versé une rémunération de 120 000 euros à eux deux.
Leur projet : déployer un contenu multimédia et un message positif de réenchantement des valeurs républicaines.
Qu’en est-il concrètement : 13 vidéos sur YouTube qui ne dépassent pas les 50 vues, un compte Instagram « iLaïc » avec 138 abonnés et un compte Facebook avec 5 amis. 120 000 euros de salaire pour un travail dérisoire, pour ne pas dire fantôme.
Encore plus choquant : les statuts de leur association interdisent aux administrateurs de toucher un salaire. Et plus choquant encore, les dix autres salariés de cette association n’ont rien perçu et n’étaient même pas informés de cet argent public attribué ni des modalités de son utilisation. Ils ont saisi un avocat, Me Cyril Fergon, qui affirme qu’en comptant les charges, les deux administrateurs ont perçu près de 200 000 euros et qu’une procédure judiciaire doit être ordonnée par la justice pour comprendre les dépenses de cette subvention.
Une procédure de vérification est également en cours au sein du ministère de l’Intérieur. Christian Gravel (1) assure qu’il y aura un contrôle des associations afin de savoir si oui ou non les fonds publics ont bien été utilisés.
La famille de Samuel Paty se dit heurtée par ce scandale : « Le nom de Samuel Paty ne peut en aucun cas et en aucune manière être l’instrument de tels agissements. »
Je pense à lui, à ses proches et je me pose cette question : si c’est ainsi que les valeurs républicaines doivent être défendues, si les fonds publics sont dilapidés et détournés, si le combat contre le fléau de l’islamisme est placé entre de telles mains, combien de Samuel Paty seront encore les cibles de la radicalisation islamiste ?
Pour le moment, Marlène Schiappa a refusé de répondre, bien trop occupée à faire remonter les ventes de « Playboy » et à défendre des valeurs féministes que Pamela Anderson est probablement la seule à comprendre.
Lille (Nord), correspondance
Le secrétaire national du PCF et député du Nord a réagi depuis Lille à la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Il dénonce une loi dont on n'a retenu que le pire et la perspective d'une promulgation immédiate.
Ce texte a été amputé des seules mesures qui étaient présentées comme sociales. La moindre des choses, c'est de le représenter au Parlement dans son entièreté. L'article 10 de la Constitution le permet. Le pire de cette loi a été retenu: deux ans de plus pour tous les travailleurs. C'est une véritable provocation, une gifle. Ce n'est plus jeter de l'huile sur le feu mais un jerrican d'essence. Nous avons besoin de démocratie. Il faut retirer cette réforme ou au moins consulter le peuple.
Je ne remets pas en cause le Conseil constitutionnel, ni les décisions qu'il prend mais je regrette ce choix car nous avions donné beaucoup d'arguments. Il a encore une possibilité de se rattraper. Nous espérons en effet que la deuxième demande de référendum d'initiative partagée sera retenue, d'ici le 3 mai.
La priorité est de réagir fortement, peut-être sortir tous dans la rue, face à l'annonce du Conseil constitutionnel, qui est extrêmement grave. On verra ce que décidera l'intersyndicale. Le 1er-Mai doit être puissant, mais peut-être y aura-t-il d'autres mobilisations avant. Il faut une réaction la plus pacifique et déterminée, pour se faire respecter face à ce que nous vivons : un président qui décide de promulguer à peine la décision du Conseil constitutionnelle connue. C'est une provocation supplémentaire.
Ce sont des propos très provocants. Le gouvernement est très minoritaire, enfermé dans ses ministères. On a un président en fin de règne et la réaction du peuple peut être violente. Je souhaite l'apaisement. Nous devons être unis dans la diversité de nos opinions. Dans la France qui manifeste, il y a des gens de tous bords, même certains qui votent à l'extrême droite, je suis pour tendre la main à tout le monde.