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19 février 2019 2 19 /02 /février /2019 06:48

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19 février 2019 2 19 /02 /février /2019 06:44

 

Un titre en forme de question claque dans les pages du journal Les Echos : « Et si l'on parlait de l'autre France, vive et positive ? » Le chroniqueur qui signe cet émouvant appel à tourner la page des « gilets jaunes » s'appelle Eric Le Boucher. Ancien membre de la commission Attali mise en place par Nicolas Sarkozy – au sein de laquelle figurait un certain Emmanuel Macron –, il n'est pas du genre à tourner autour du pot comme d'autres autour d'un rond-point. A ses yeux, « il ne faudrait pas croire et laisser croire... que la France est un pays de gens éternellement égalitaristes, immobilistes et aigris ».

 

Au cas où l'on n'aurait pas compris, les « égalitaristes », les « immobilistes» et les « aigris » sont ceux que l'on voit défiler depuis douze semaines dans les villes de France. Moins on parlera d'eux, mieux Eric Le Boucher se portera.L'éditorialiste préfère d'autres profils, des têtes autrement présentables lui permettant de saluer la naissance d'« un capitalisme neuf, qui a la caractéristique heureuse d'essayer d’être écologiquement responsable et socialement inclusif».Amen. Ça change de ces trognes de pauvres qui roulent au diesel et fument des clopes, comme dirait ce bon Benjamin Griveaux, ministre qui gagne à être méconnu.

 

Pris au dépourvu par la révolte qui balaie le pays, les dignes représentants de l'élite ont commencé par rejeter les manifestants dans le camp de l'opprobre et de l'extrême droite, avant de les caresser dans le sens du poil en expliquant qu'ils avaient une touche de jaune dans le cœur. Puis, au fil des jours, s'appuyant sur des dérives minoritaires, ils ont entrepris de caricaturer un mouvement qu'ils sont incapables d'appréhender. Maintenant que les journées de protestation se suivent et se ressemblent, ils en reviennent à la bonne haine de classe qui consiste à clouer au pilori toute contestation du désordre établi, soit en la réprimant (telle est la fonction de la loi dite « anticasseurs » en discussion), soit en rejetant les « gilets jaunes » dans le camp honni des mal-pensants, des déviationnistes, des rebelles, des indociles et des dissidents irrécupérables. Le débat (grand ou pas) ? Oui, mais sans eux, et de préférence contre eux, assimilés d'office à des « brutes », pour reprendre le langage fleuri du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, qui aime les révoltes à Caracas mais pas à Paris.

 

On en est revenu à une approche digne des « classes dangereuses » d'antan, quand Victor Hugo écrivait : « La bourgeoisie est tout simplement la portion contentée du peuple. » Quand on est content, on ne comprend pas forcément que d'autres ne le soient pas. On comprend encore moins que ces derniers aillent jusqu'à s'indigner de leur sort alors qu'il n'y a pas vraiment de quoi se plaindre, au point de sombrer dans l'univers opaque du complotisme et de l'infox, face à un mouvement dont chacun sait qu'il est manipulé de Moscou, si l'on en croit Emmanuel Macron.

 

Les injustices ? Mais quelles injustices ? Aujourd'hui en France a organisé un débat entre Geoffroy Roux de Bézieux, nouveau président du Medef, et Laurent Berger, syndicaliste préféré de la bonne société. A cette occasion, le patron des (grands) patrons a fait la remarque suivante : «Il y a une différence entre les inégalités et le sentiment d'inégalité, la réalité et ce que les gens perçoivent. »

Naguère, certains avaient théorisé le « sentiment d'insécurité », pur fantasme qu'ils opposaient à la réalité d'une société baignant dans la douce moiteur du «vivre ensemble ». A l'instar de Geoffroy Roux de Bézieux, d'autres reprennent le filon du « sentiment » pour expliquer que le tsunami des inégalités qui balaie la planète épargne les côtes nationales. Certes, la France est moins frappée que d'autres, en raison du modèle social hérité de l'esprit du Conseil national de la Résistance. De fait, la pauvreté n'y est pas ce qu'elle est dans l'univers anglo-saxon ou même en Allemagne. Raison de plus pour défendre ce modèle en le réformant à bon escient plutôt qu'en le vidant de son contenu, comme le fait Emmanuel Macron, au seul profit d'une petite caste.

 

En vérité, obnubilés par leurs privilèges, les riches ont fait sécession. Ils vivent et se vivent comme des êtres à part. Du haut de leur statut social et de leur stature culturelle, ils contemplent le reste de la société avec un mélange de condescendance et de mépris. En conclusion de son article, Eric Le Boucher pousse ce cri du cœur : « Cessez d'être aveuglés par les marginaux "giletsjaunes". » Et si les « marginaux » n'étaient pas ceux qu'on croit ?

Par Jack Dion (Marianne)

 

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19 février 2019 2 19 /02 /février /2019 06:42

 

La volonté d'assimiler les gilets jaunes et plus largement la France populaire à « ceux qui fument des clopes et roulent au diesel », selon les mots imbéciles de Jean-Claude Griveaux, qui n'en est pas avare, a fait long feu. C'était tentant et tellement facile de faire des plus modestes qui ont besoin de leur voiture des drogués du carbone, responsables de l'effet de serre et de la fonte de la banquise. Mais on attend toujours que l'on parle de ceux qui se gavent de dividendes, selon les mots cette fois de Dominique Plihon, coordinateur du récent rapport d'Attac France intitulé sans ambiguïté « Les grandes entreprises françaises, un impact désastreux pour la société et la planète».

 

On pourrait sans dommages entendre comme un écho de cette phase de Marx, qui écrivait que « le capitalisme se développe en épuisant les deux sources de toute richesse, la terre et les hommes ». Ce n'est pas tout à fait vrai. Le productivisme des pays qui se sont réclamés du socialisme au siècle précédent n'était pas en reste. Mais la réalité d'aujourd'hui, c'est que plus de la moitié des grandes entreprises qui s'étaient engagées à réduire leur empreinte carbone il y a trois ans ont déclaré des émissions de gaz à effet de serre en hausse. En 2017 les banques françaises ont consacré 70 % de leurs investissements énergétiques aux énergies fossiles, contre 20 % aux renouvelables.

 

Les marches sur le climat ou, comme ce week-end à Paris, le forum de l'après-midi à République sont apparus après la démission de Nicolas Hulot. Mais il ne s'agit pas de l'affaire d'un homme dont le départ était en soi un message fort. Il faut faire plus, beaucoup plus. Il nous faut mesurer et faire mesurer ce qui se passe, non seulement en France mais dans le monde. Après nous, le déluge, disent aussi bien Trump que Bolsonaro, ou que les grands groupes uniquement préoccupés de leurs actionnaires. Emmanuel Macron fait-il mieux ?

 

On ne peut servir deux maîtres à la fois. L'argent et la planète. Les hommes et le capital. Voilà un thème de débat et il est déjà en cours.

 

 

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18 février 2019 1 18 /02 /février /2019 06:46

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18 février 2019 1 18 /02 /février /2019 06:38
APPEL A LA MOBILISATION ET A LA GREVE LE 19 MARS

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18 février 2019 1 18 /02 /février /2019 06:36

 

Alors que les débats, avec ou sans Macron en bras de chemise, ont tendance à occulter les préoccupations essentielles des Français, une analyse l’INSEE confirme que la TVA, cet impôt indirect qui ne tient aucun compte du niveau de vie, coûte en proportion beaucoup plus cher au ménages pauvres qu’aux plus aisés qui gardent la possibilité d’épargner.

Le « Figaro magazine » du week-end a donné la parole à ses lecteurs histoire de publier une partie de ce qu’ils ont à dire dans le cadre du débat national mis en route par le président de la République et le gouvernement pour tenter de désamorcer le mouvement revendicatif initié par les « Gilets jaunes ». De nombreux lecteurs de ce journal, propriété de la famille Dassault, veulent que tous les foyers paient l’impôt sur le revenu quels que soient leur niveau de ressources, le tout au nom de la justice. Voilà qui montre comment des prises de positions plus aberrantes les unes que les autres peuvent surgir ici ou là dans le cadre de ce débat national qui doit durer jusqu’à la mi-mars.

Dans une note au style rédactionnel rebutant, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) publie une analyse ainsi titrée : « A moyen terme, une hausse de la TVA augmente légèrement les inégalités de niveau de vie et la pauvreté ».Cette note a toutefois le mérite de préciser que , contrairement à l’impôt sur le revenu (IR) acquitté seulement par 45% des foyers fiscaux , la TVA est payée par l’ensemble de la population résidant en France et les touristes étrangers. Elle représente 16% des prélèvements obligatoires contre 7% pour l’impôt sur le revenu ».

 

Les 10% des personnes les plus modestes dépensent 12% de leurs dans la TVA

L ’ Institut précise ensuite que « la part de la TVA acquittée dépend du niveau de vie : les 10% des personnes les plus modestes consacrent 12% de leur revenu disponible contre 5% pour les 10% les plus aisées, principalement en raison d’un taux d’épargne plus faible que celui des plus aisées. Ainsi, une hausse de la TVA, touchant la majorité des produits- en particulier ceux imposés au taux normal qui représentent environ 60% des dépenses de consommation taxées- a pour effet direct de court terme d’augmenter la pauvreté et les inégalités ». C’est avant tout ce qu’ont ressenti les hommes et les femmes qui ont occupé les ronds-points après la hausse des taxes sur les carburants annoncée pour le début de cette année 2019.

La note de l’INSEE nous dit aussi que « la perte de niveau de vie corrigé des 10% de personnes les plus modestes est plus de deux fois plus importante que celle du reste de la population : leur niveau de vie corrigé diminue en moyenne de 1,4% en termes réels, soit environ 80 euros par unité de consommation, contre au plus 0,7% pour le reste de la population. Les personnes ayant un niveau de vie intermédiaire voient leur niveau de vie diminuer de 0,5 à 0,6%, soit environ 95 euros par unité de consommation (…) La TVA et les loyers contribuent le plus fortement à la perte du niveau de vie des 20% des plus modestes : respectivement moins 2,8 points pour les plus modestes et moins 0,3 point pour les 10% suivants. Elles représentent en effet des postes de dépenses relativement plus importants pour ces personnes ».

L’INSEE indique que globalement « une hausse de la TVA augmente très légèrement les inégalités de niveau de vie » avant d’ajouter cette précision : « Seule l’intensité de la pauvreté s’accroit davantage à moyen terme qu’à court terme, en raison de la baisse du niveau de vie des 10% les plus modestes. Pour ces personnes, l’indexation des prestations ne rattrape pas totalement la hausse de la TVA et des dépenses de loyer. Les effets sont numériquement comparables à une diminution d’environ 3% du montant forfaitaire du revenu de solidarité active(RSA)».

Macron et Philippe veulent encore appauvrir les plus pauvres 

A la lecture de ce diagnostic , il est clair que la décision prise par le président de la République et le gouvernement dirigé par Edouard Philippe de n’augmenter que de 0,3% les pensions de retraite, les allocations familiales et l’Aide personnalisée au logement (APL) en 2019 et en 2020 ne va pas seulement réduire sensiblement le pouvoir d’achat des retraités modestes , des locataires disposant de revenus faibles, des familles pauvres chez lesquelles les allocations constituent une part importante du revenu mensuel . Parce que ces ménages sont dans l’incapacité d’épargner du fait de leurs trop faibles revenus mensuels, ces maigres revenus sont amputés dans leur totalité via la TVA sur chaque achat. Pour tout citoyen épris de justice sociale, le moment est donc venu de dénoncer dans les débats à venir cette agression contre le pouvoir d’achat des plus modestes que constitue le quasi blocage des pensions de retraite , de l’APL et des allocations familiales en 2019 et en 2020.

 

 

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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 06:31

 

Avec 65 500 exploitations disparues depuis dix ans, c’est l’équivalent d’une usine de 6 500 salariés qui ferme chaque année. Reportage auprès de producteurs laitiers, les plus touchés par la crise.

Dans la stabulation où subsiste encore un peu de paille, on n’entend plus le bruit métallique des cornadis qui claquent quand les chèvres y passent la tête pour attraper le fourrage que Thierry (1) leur donnait chaque jour. Depuis 2016, l’agriculteur a été contraint de vendre ses animaux, faute de pouvoir dégager un revenu suffisant de la vente du lait. « Pourtant, le lait de chèvre est payé plus cher que le lait de vache. La coopérative m’en donnait 50 centimes d’euro le litre au lieu de 30. » Ça n’a pas suffi. Les coûts de production, qui montent en flèche, ont dépassé le produit de la vente. Après s’être installé en 1996 à la suite de ses parents, c’est à contrecœur que Thierry a dû vendre ses bêtes. « J’aimais mon métier », lâche-t-il le cœur plus serré qu’il ne veut le laisser paraître. Sans forcément s’en rendre compte, noyé dans le travail quotidien rythmé par la traite deux fois par jour, les choses vont vite. Un tracteur qui tombe en panne au mauvais moment oblige à prendre une entreprise de travaux agricoles pour travailler les champs. Puis il faut bien effectuer les réparations. À 70 euros de l’heure pour faire intervenir un mécanicien d’une concession de matériel agricole, les exploitants accusent souvent le coup. Petit à petit, les factures s’accumulent sans que le prix payé après le passage du camion de la laiterie suffise. Pour beaucoup, c’est alors la spirale de l’endettement. « Les types au plus mal, comme moi, cumulent des crédits qui servent uniquement à rembourser leurs dettes », témoigne Christophe Le Monnier, dans son livre Le jour où on a vendu nos vaches (2), coécrit avec son épouse Ludivine Le Monnier. « Aujourd’hui, c’est un céréalier qui a repris les 76 hectares que j’exploitais ! » lance Thierry, qui va de ferme en chantier du bâtiment pour gagner sa vie. Son fils, qui suit des études d’agriculture, n’envisage pas de se lancer dans l’élevage.

Quelques kilomètres plus loin, dans le département voisin d’Indre-et-Loire, Jean-Paul Potier, en Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) avec son cousin, rentre de la stabulation. Une panne électronique a enrayé le bon fonctionnement de leur robot de traite et les vaches piétinent devant le portillon. « Le robot est fini de payer, mais il faudrait investir pour le renouveler », témoigne-t-il. Ce n’est pas ce qui arrivera.

si le lait est payé 325 euros les 1 000 litres, le compte n’y est pas

Dans quelques mois, les deux associés se préparent à arrêter leur élevage de vaches. C’est en 2005 qu’ils avaient décidé d’installer un robot de traite. Une machine mise en place au cœur de la stabulation où déambulent et s’alimentent les vaches et qui évite d’avoir à traire les ruminants matin et soir. « À cette époque, le lait était plus rentable et on avait davantage de visibilité sur l’avenir », se souvient l’agriculteur. Aujourd’hui, si le lait est payé 325 euros les 1 000 litres, le compte n’y est pas. Et ce n’est pas l’annonce du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte qui est de nature à rassurer l’exploitant : « Qui peut croire qu’augmenter les prix du Ricard et du Nutella va permettre aux paysans d’être mieux rémunérés de leur travail ? Ce sont toujours les grandes surfaces et l’industrie qui font leurs prix. » Jean-Paul égrène les coûts de production qui ont tous augmenté. Le fioul pour faire tourner les tracteurs, les engrais, les produits phytosanitaires, « il faut y ajouter les primes de la PAC qui ont diminué de 25 % et le relèvement de certaines taxes », ajoute-t-il. Et il ne faut pas compter sur les veaux mâles vendus à l’engraissement pour venir combler la trésorerie. « Une bête de 15 jours est à peine vendue 80 euros. Quand on paye une insémination 50 euros, il y a un problème… » relève l’agriculteur, qui se souvient que les petits mâles noir et blanc étaient payés 120 euros, il n’y a encore pas si longtemps. Jean-Paul Potier a pourtant étudié les scénarios possibles : « Si on renouvelle le robot, il faut réinvestir par ailleurs. Comme notre secteur est désormais en zone vulnérable, on devrait aménager une nouvelle fosse à lisier, ainsi qu’une fumière couverte. Mais les prix payés ne nous permettent pas de nous lancer dans de tels investissements. » Et d’ajouter : « Pour les financer, il faudrait doubler la production de lait. Je suis déjà à 500 000 litres avec 50 vaches (basé sur les quotas disparus en 2015 – ndlr). Mais pour doubler la production, il faudrait deux robots, deux hangars, etc. À quelques années de la retraite, ce n’est pas sérieux de se lancer là-dedans. »

Pourtant, Jean-Paul fait partie de ceux qui se sont battus pour que le travail des éleveurs laitiers soit mieux rémunéré. En 2010, avec l’Association des producteurs de lait indépendants (Apli), il s’organise avec d’autres éleveurs de son territoire pour dénoncer l’immobilisme du syndicat majoritaire (FNSEA), dont il a claqué la porte à l’âge de 25 ans, face à la crise qui touche déjà la production laitière. « On s’est battus pour réguler le marché et pour établir un office européen du lait », se souvient Jean-Paul, qui s’est donné sans compter dans cette bataille, arpentant les routes et écumant les réunions. Aujourd’hui, l’éleveur ne regrette pas son combat, même s’il n’a pas abouti, mais n’a sa carte dans aucun syndicat agricole. À la veille de voir partir ses vaches, il compte les fermes qui en élèvent encore dans son entourage. « À Saint-Flovier, il ne restera que deux éleveurs laitiers une fois que j’aurai arrêté, alors qu’il y en avait au moins sept, il y a quinze ans. » Avant que les meuglements ne s’éloignent dans les dernières bétaillères qui emporteront son troupeau, Jean-Paul ne cache pas son ressentiment à l’égard de ce système qu’il n’a pas choisi et qui l’a contraint à prendre cette décision. Pourtant, il est persuadé que les agriculteurs peuvent être autre chose que de simples fournisseurs de matières premières. « Du minerai », même. C’est ainsi que la filière laitière perçoit le lait que les éleveurs produisent, explique Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne et lui-même producteur de comté dans le Jura. Il fait remarquer que, si de nombreux éleveurs disparaissent, la production totale ne diminue pas. « Elle se concentre entre les mains d’un nombre d’actifs de plus en plus petit, qui ont des exploitations de plus en plus grandes. »

« Il s’agit d’un hold-up sur la valeur ajoutée »

Sans connaître son confrère d’Indre-et-Loire, il fait ce même constat, en employant presque les mêmes mots : « Entre l’amont et l’aval, les agriculteurs font vivre beaucoup de monde autour d’eux, alors qu’eux et leur famille ont souvent du mal à se dégager un revenu. Il s’agit d’un hold-up sur la valeur ajoutée qu’ils créent. » Comme Jean-Paul Potier, qui décrit des coopératives laitières dans lesquelles les éleveurs ont perdu la main, Nicolas Girod dénonce des structures géantes qui font pression sur les prix à la production « au lieu de faire du marketing ou de chercher des débouchés ». Pour s’en sortir, il prône le modèle des fruitières de comté où il est coopérateur. Des structures à taille humaine, où le produit est valorisé sous appellation d’origine protégée (AOP) et où les volumes sont régulés : « Pour y parvenir, il faudra que la PAC soit orientée différemment. Plutôt que de faire des cahiers des charges au minimum, sous le prétexte de n’exclure personne, il faut que la PAC permette de changer les pratiques pour avoir un cahier des charges exigeant. Les consommateurs s’y retrouveraient car ils auraient des produits de qualité, et les paysans seraient fiers de fournir un produit de qualité qui soit bien rémunéré. » Mais, pour y parvenir, prévient l’agriculteur, « il faudra que les politiques arrêtent de se faire guider par les pouvoirs économiques ». Dans les fermes, si les coups sont parfois durs, on se dit toujours que « demain, il fera jour ».

(1) Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé. (2) Le jour où on a vendu nos vaches. Ludivine et Christophe Le Monnier. Éditions Flammarion, 300 pages, 19 euros.

 

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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 06:27

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16 février 2019 6 16 /02 /février /2019 06:21

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16 février 2019 6 16 /02 /février /2019 06:19

 

Mathilde Basset était infirmière en Ehpad, Anne-Sophie Pelletier est auxiliaire de vie. Toutes deux, « dégoûtées, attristées », racontent et alertent sur le sort que la société réserve aux aînés et à ceux qui prennent soin d’eux.

Elle parle de Juan les yeux embués de chagrin, encore aujourd’hui. Lorsque Anne-Sophie Pelletier fait sa connaissance, elle a quitté son poste confortable de direction d’établissements hôteliers et recommencé sa vie professionnelle pour devenir aide à domicile chez les personnes âgées. Elle devait intervenir chez Juan une heure, chaque matin. Aider au lever, préparation du petit déjeuner et ménage. La fiche de poste n’en disait pas plus. Le vieil homme vivait dans un taudis. Très vite, il lui demanda de partager avec lui son café et ses tartines et lui raconta sa vie, moitié en espagnol, moitié en français. Il avait fui la dictature de Franco. Il avait été mécanicien et travaillé dur toute sa vie. Une fois partie, elle l’imaginait seul toute la journée, dans son gros fauteuil, devant la télévision. Son état se dégradait de jour en jour. Il était grand temps de réclamer un certificat d’aggravation d’état de santé afin de financer un lit médicalisé. « J’ai dû attendre trois semaines. Juan est mort quelques jours avant. Il était mon urgence, un être humain en souffrance. Aux yeux de l’administration, un simple numéro de dossier. » Elle a de la colère dans la voix. La faute à l’État, dit-elle. Qui ne sait pas, ne veut pas mettre les moyens humains nécessaires. Et qui, au final, a abandonné Juan. Anne-Sophie Pelletier raconte cette histoire, et bien d’autres, dans un livre empli d’engagements, de colère et surtout d’humanité, « Ehpad, une honte française », sorti le 28 janvier aux éditions Plon.

La décision s’impose comme une évidence un soir, durant le dîner, après la mort de sa grand-mère tant chérie : à 43 ans, Anne-Sophie Pelletier décide de changer radicalement de métier pour se consacrer aux aînés, à domicile puis en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). « Je me suis lancée dans le grand bain, sans aucune formation, sans jamais avoir vu une personne âgée nue. » Son tout premier contrat la mènera chez Georgette, 94 ans. Elle reste à son chevet en attendant l’infirmière pour la toilette. « Elle n’enleva même pas son manteau, dit à peine bonjour, remplit la bassine et débuta la toilette. Elle déshabilla Georgette, à vrai dire sans grande délicatesse. Elle commença par lui laver le torse ; Georgette était seins nus. J’étais gênée. Son regard dans le mien, je n’osais imaginer ce qu’elle vivait. Sa pudeur était sacrifiée sur l’autel de l’efficacité, du temps à ne pas perdre », écrit Anne-Sophie Pelletier. Rentrée chez elle, elle pleure, longtemps. Elle avait compris ce matin-là que « la société refusait de prendre ses anciens en compte, elle préférait les cacher ».

Non-assistance à personne en danger

Aide à domicile puis auxiliaire de vie pour une association en Camargue, et à l’Ehpad des Opalines à Foucherans (Jura), elle prend très vite conscience de ce manque d’humanité dans la prise en charge des aînés. « Non seulement l’État ne remplit pas son devoir, mais il y a aussi non-assistance à personne en danger. Il laisse le champ libre aux associations d’aide à domicile, qui se frottent les mains devant ce juteux marché qui leur tend les bras. » Elle raconte comment Fantine a dû quitter sa chambre du jour au lendemain : la direction de l’Ehpad privé à but lucratif lui avait fait croire à un concours de tricot, sinon, elle ne serait jamais partie. Les soignants n’avaient pas été informés de cette décision. Tout avait été organisé en petit comité. « Si vous n’avez plus les moyens de payer, on vous vire, on vous place là où c’est moins cher. Ici, pas de trêve hivernale pour les expulsions ! » Anne-Sophie Pelletier tempête. « Après cette mascarade, je n’oublierai jamais que je travaille pour des actionnaires, pas pour des philanthropes. » Dans les maisons de retraite, elle est confrontée à une course permanente contre la montre. Les soignants enchaînent les chambres sans respecter le rythme des personnes. Au suivant ! Les douches ? Pas toujours le temps. Elle dénonce les « 3F » : « Figure, fesses, fauteuil. » Trois lettres qui symbolisent ce que les soignants sont contraints de faire. « Sans le vouloir, nous sommes acteurs de la régression des aînés. »

La jeune infirmière en Ehpad, Mathilde Basset, témoigne dans son livre « J’ai rendu mon uniforme », sorti le 23 janvier aux Éditions du Rocher, des mêmes cadences, insoutenables, dangereuses souvent. « Lorsqu’on est seule pour quatre-vingt-dix-neuf résidents, on a à peine cinq minutes à consacrer par personne. On en devient délétère. Quand on doit surveiller une femme qui est en train de faire un œdème aigu du poumon et qu’en même temps on distribue les médicaments sans regarder la prescription car il faut gagner du temps, on peut faire des bêtises… » Dans son ouvrage, elle raconte les difficultés d’une profession à bout de forces, des équipes en sous-effectif chronique dont la formation ne correspond pas à la réalité de leur quotidien, entre distribution de pilules et soins à la chaîne, avec le sentiment, tenace, de bâcler le travail et de totalement négliger la relation humaine.

La 400e fortune de france

Fraîchement sortie de sa formation, Mathilde Basset se voit peu à peu devenir « stressée, stressante et maltraitante ». Elle fulmine. « Expliquer qu’il faut soigner toujours plus de personnes avec de moins en moins de moyens, cela se nomme des injonctions contradictoires. C’est juste pas possible ! » Elle porte le douloureux souvenir de ces résidents, réveillés dès 7 heures le matin parce qu’il y en a dix-sept autres à voir derrière. « On adapte le résident à l’organisation des soins alors qu’il faudrait faire le contraire ! De quel droit décide-t-on de bafouer les habitudes et la dignité des personnes sous prétexte qu’elles se retrouvent en collectivité ? » Elle se voit encore s’enfermer dans les toilettes d’un couloir et pleurer à chaudes larmes « pour essayer de supporter un peu la pression », avant de reprendre le service les yeux rougis.

Mathilde Basset et Anne-Sophie Pelletier passeront par les mêmes chemins : l’épuisement, le sentiment d’impuissance, les larmes – beaucoup de larmes –, la colère et l’engagement. Le 27 décembre 2017, Mathilde Basset rentre chez elle plus démoralisée que jamais. La boule au ventre, elle décide de quitter son service et elle lance sur Facebook un cri de colère, une bouteille à la mer. Elle dénonce le manque de moyens, décrit l’épuisement des soignants, la souffrance des personnes âgées dans ce qui est devenu une véritable usine. « Je me suis aperçue que je n’étais pas seule. Très vite, 20 000 personnes avaient partagé ma lettre. » Elle écrit alors à la ministre de la Santé, comme un exutoire, sans espoir d’un quelconque retour. « J’ai peur, Madame la ministre. Votre politique gestionnaire ne convient pas à la logique soignante. Ce fossé que vous avez créé, que vous continuez de creuser, promet des heures bien sombres au “système de santé”. Venez voir, rien qu’une fois. Moi, je rends mon uniforme, dégoûtée, attristée. » Une lettre qui restera sans réponse. Mais qui aura un écho retentissant.

Anne-Sophie Pelletier choisira, elle, de mener le combat par la grève. « Les burn-out se multipliaient dans l’équipe, les pleurs, les boules au ventre en arrivant au travail – notre quotidien. Il était temps de faire entendre nos voix, nous ne pouvions décemment plus être ces soignants qui souffraient », écrit-elle. Une réunion de crise est mise en place. Viennent sur la table les salaires des aides-soignantes diplômées, en moyenne à 1 250 euros pour onze heures de travail par jour. Le manque d’effectifs criant… « Nous n’avons pas les moyens de prendre des intérimaires ! » assène la direction de l’Ehpad des Opalines. « Pas les moyens ? Nos actionnaires sont la quatre centième fortune de France et vous n’avez pas les moyens ? » rétorque le personnel. « La précarité féminine est très présente dans ces métiers, rappelle Anne-Sophie Pelletier. Il y a cette conscience collective qui dit que, comme les femmes savent s’occuper des enfants – c’est dans leurs gènes –, elles peuvent donc très bien aussi s’occuper des personnes âgées. Eh bien non ! Si nous ne sommes pas formées, on s’accidente, on se tue. Le métier de soignant compte plus d’accidents du travail que ceux du bâtiment. »

Seniors : une richesse, pas un coût

Aux Opalines, le mot est lâché. La grève est décidée. Cent dix-sept jours où l’auxiliaire de vie va « manger, dormir, vivre grève ». Elle adhère à la CGT, devient la porte-parole emblématique du conflit social. La presse s’empare de l’affaire. « L’Humanité » d’abord, puis « le Monde », puis toute la presse nationale. « Je crois que le thème que l’on défendait – la prise en charge de nos aînés – a touché tout le monde. » Le deuxième livre d’Anne-Sophie Pelletier portera uniquement sur cette lutte. « Ce sera un message d’espoir, pour dire que, oui, l’exemple des Opalines prouve qu’il est possible de l’emporter, même dans un village. Ce combat, nous l’avons commencé à 12 et, au final, nous étions des milliers. » Grâce à la solidarité citoyenne et au soutien des syndicats, aucun des grévistes n’aura perdu un centime de salaire. Depuis, les conditions de travail et de vie dans les Ehpad sont connues de tous.

Pourtant, la victoire a un goût amer. Car, finalement, « rien n’a changé », écrit-elle. « Sur le terrain, les soignants sont en souffrance, les familles cadenassées dans leur parole, et l’État dans une logique illogique avec recours à des groupes privés, dont beaucoup n’ont comme mot d’ordre que la rentabilité. » Mathilde Basset l’affirme : la priorité absolue passe par l’augmentation des effectifs. Aujourd’hui infirmière en psychiatrie, elle a rendu son uniforme en Ehpad par souci d’honnêteté professionnelle. « Je ne voulais pas cautionner ce fonctionnement, qu’un tel travail soit admis. » Anne-Sophie Pelletier, elle, a choisi d’entrer en politique : elle est candidate aux élections européennes sur la liste de la France insoumise. Elle compte porter haut et fort l’idée que la vieillesse doit être considérée comme une richesse, une transmission des valeurs et non comme un handicap. « Aujourd’hui, l’Union européenne prône dans ses traités l’ouverture à la concurrence de nos services publics, on le voit avec La Poste, la SNCF… Des sujets de société régaliens ne doivent pas entrer dans le champ de la privatisation. La vieillesse en fait partie. » En modifiant les lois, en s’engageant en politique, sa résistance commence.

 

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  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
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