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3 août 2019 6 03 /08 /août /2019 05:30

 

L’exemple d’une candidate PDG à la Française des jeux (FDJ) -  Eric Bocquet  -  12 juillet 2019

Qu’est-ce que c’est que ce machin ? Le mot apparaît souvent dans le débat public depuis quelques années. Bizarrement, je ne sais pas pourquoi, le mot oligarque est associé à l’adjectif « russe », propriétaire de yachts somptueux ou encore de clubs de football très prestigieux.

Consultation d’un dictionnaire de la langue française, le Robert pour ne pas le nommer, selon cette étrange formule de notre belle langue de Molière, voici comment est défini le terme, oligarchie : « régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à quelques familles, à une classe restreinte et privilégiée. Par analogie : élite puissante, par exemple une oligarchie d’hommes d’affaires, de hauts fonctionnaires ». Fin de la définition.

Eh bien, cette situation nous l’avons touchée du doigt à l’occasion de la réunion de la commission des finances du Sénat la semaine dernière. Il y avait, ce mercredi-là, au menu, l’audition de la candidate aux fonctions de PDG de la FDJ, la Française des Jeux.

La personne en question s’appelle Madame Stéphane Pallez (oui une dame), PDG sortante reconduite sur proposition de Jupiter en son palais de l’Elysée. Comme la procédure est « démocratique », les deux commissions des finances du Parlement auditionnent l’intéressée et émettent un vote. L’on nous communique son CV, il est édifiant.

Sortie de l’ENA en 1984, Madame Pallez a occupé 28 fonctions jusqu’à aujourd’hui. Haut fonctionnaire de Bercy, finances, budget pour la partie publique… passage à France Telecom, CNP assurances, Crédit Agricole, administratrice pour l’Etat de GDF-Suez devenue Engie en 2015.

Le même CV indique, en préambule, ceci : « Fille de M. Gabriel Pallez, Inspecteur général des Finances Publiques et Président d’honneur du Crédit Commercial de France (je viens de comprendre enfin le sens du « en même temps » macronien), sœur de M. Christophe Pallez, Secrétaire général de la Questure de l’Assemblée Nationale, et enfin, mariée à François Auque, Cour des Comptes et Président de François Auque Consulting »… Du beau linge à l’évidence ! Un cas d’école qui devrait passionner nos amis sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot.

Mais au bout de l’audition, après une petite recherche sur Internet, on comprend les raisons du choix présidentiel, Madame Pallez a piloté, en son temps, les privatisations de Air France, Thomson et le GAN. C’est bien pour ses compétences qu’elle a été choisie.

Décidément, ce nouveau monde jupitérien fleure tellement bon l’Ancien Régime… Ce n’est plus du Macron, c’est du Bourbon. Pour notre part, nous n’avons pas pris part au vote.

 

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3 août 2019 6 03 /08 /août /2019 05:26

 

Rencontre avec les citoyens qui font vivre le combat contre la privatisation d’ADP sur le terrain et se démènent  pour obtenir la tenue du premier référendum d’initiative partagée de l’histoire.

C’est l’été, l’heure devrait être au farniente. Avec un peu de chance, on pourrait même prendre un avion pour s’envoler vers une plage dorée. « Oui, bah, en parlant d’avion, moi, je ne veux pas qu’on privatise Aéroports de Paris. » Christiane a les bras remplis de tracts et pas mal de réserves dans un chariot. « Bonjour ! La vente des aéroports, ça vous parle ? » Au marché Daumesnil, samedi, à Paris, elle concurrence les vendeurs qui haranguent les passants. L’un d’eux s’arrête, échange quelques mots et tombe de très haut. Il blanchit. « J’étais très mal renseigné. Je croyais que c’était seulement la galerie marchande qui allait être vendue. Pas tout l’aéroport ! » souffle Yannick. Dégoûté, il se dit prêt à signer pour l’organisation du référendum sitôt rentré chez lui. « Ils vont vendre Charles-de-Gaulle au privé, se désole Roger, qui rejoint la conversation. Roissy, Orly, Le Bourget et tout le foncier qui appartient à ADP, soit plus de 8 600 hectares. C’est n’importe quoi. J’ai pas mal galéré, mais j’ai déjà signé. » Les deux interlocuteurs se quittent, l’air entendu. Une vieille dame passe quelques instants après et demande si elle peut prendre un bon paquet de tracts pour les mettre dans les boîtes aux lettres de sa résidence. « Après le scandale des autoroutes, on ne va pas se laisser faire. Vous savez que les sociétés privées se sont déjà remboursées et ont fait plus de 20 milliards de profits ? Tout ça, c’est sur notre dos. C’est autant de manque à gagner pour l’État », expose-t-elle.

Le rôle précieux des militants

Ce genre de scène a lieu à plusieurs endroits d’Île-de-France et du pays, depuis quelques mois. Des militants PCF, FI, PS, EELV, Génération.s, Attac et d’autres tiennent le pavé et les bouches de métro pour organiser le tout premier référendum d’initiative partagée (RIP). Plusieurs étapes ont déjà été franchies. Il a d’abord fallu que suffisamment de parlementaires s’accordent pour lancer le processus. Cela a été possible grâce à l’entente de 248 députés et sénateurs de tous bords (hors RN). Puis il a fallu que le Conseil constitutionnel valide la démarche. Il faut désormais franchir la marche la plus haute et recueillir 4,7 millions de signatures d’ici au 12 mars pour que le référendum ait bien lieu. Un travail de titan dans lequel les milliers de militants et de citoyens engagés jouent un rôle précieux. « L’État n’agit pas suffisamment. Il fait le minimum et ne joue pas du tout le jeu de la démocratie », regrette Lucille, présente dimanche place des Fêtes, à Paris. Aucune campagne d’information publique n’est prévue. « Le site lancé par le gouvernement est indigent. La démarche trop complexe. Il y a de gros bugs. C’est vraiment scandaleux, cette façon de décourager l’esprit civique et la participation citoyenne », reprend un passant.

Ni une, ni deux, il faut trouver des réponses. Au marché Daumesnil, Christiane a une solution : « Si vous avez un souci avec le site, allez à la mairie. Il y a quelqu’un qui vous fait signer en cinq minutes. » Place des Fêtes, Myriam est venue avec son ordinateur personnel et réalise elle-même les démarches de tous ceux qui s’arrêtent. « Ce n’est pas évident. Il faut parfois faire plusieurs essais avec la carte d’identité et aussi la carte électorale, car les informations inscrites dessus ne sont pas toujours les mêmes », pointe cette chargée en communication. Elle compte revenir tous les dimanches jusqu’en décembre : « C’est très chaleureux. C’est un beau moment de sensibilisation politique. Ce RIP, c’est un outil démocratique. Il est essentiel de s’en saisir. » À ses côtés, Vincent, gilet jaune, appelle lui aussi à se mobiliser pour ADP. Et au-delà. Pour lui, comme pour d’autres, il y a urgence à mettre un coup d’arrêt au rouleau compresseur lancé par Emmanuel Macron. « Il faut arrêter avec cette façon de faire de la politique sans nous, contre nous. Le RIP, c’est un outil pour envoyer un signal fort et reprendre peu à peu le pouvoir pour le mettre là où il doit être : dans les mains des citoyens ! » assène François.

Arrêtés par des militants au métro Jules-Joffrin, Jean, puis Nicole, sont plus que dubitatifs. « J’irai voter si le référendum a lieu. Mais je ne signe pas en ligne. Il faut s’identifier. On se retrouve fiché dans la boîte. Je ne vais pas faire ce cadeau au pouvoir macroniste qui menace de plus en plus les libertés publiques et individuelles », argumente le premier. « Qu’est-ce qui garantit que le résultat d’un tel référendum soit respecté ? On a bien voté contre le projet de Constitution européenne, qui est finalement passé dans notre dos avec le traité de Lisbonne », souligne Nicole. Interloqués, les promoteurs du RIP font une pause. Puis se reprennent. « Non, mais le RIP est un droit. Il est dans la loi. Il faut utiliser les outils à notre disposition. On ne peut pas se laisser déborder tout le temps. On ne fait rien, sinon », expose Matthieu, tracts en main. Peine perdue, cette fois-ci. Le passant suivant sera, lui, convaincu, malgré un début d’échange difficile. « Mais ça sert à rien, les pétitions ! Depuis quand ça change les choses ? » démarre le nouveau venu. Matthieu sourit, et fait mouche : « Là, si on atteint le bon nombre de signatures, il y aura forcément un référendum. C’est la loi. » En voilà un de plus qui s’éloigne, décidé à signer. Il se retourne et balance : « C’est dingue ce truc, j’étais même pas au courant que ça existe ! »

Un autre ignorait qu’ADP doit être vendu. « Et même la Française des Jeux et Engie ! » ajoute Christiane. Ravie d’être bien mieux accueillie ce samedi que quand elle « tracte pour les élections », l’insoumise mesure que la plupart des passants s’opposent à ces privatisations : « Il y en a bien qui s’en foutent ou trouvent ça bien : c’est vrai que vendre au privé, c’est un peu passé dans les mœurs. Mais la majorité des personnes croisées trouvent que ce projet est scandaleux, ça rassure. » 

« J’ai fait signer 65 personnes »

Ce qui ne rassure pas, par contre, ce sont les 4,7 millions de signatures à recueillir fissa pour que le référendum ait bien lieu. Hier, le score était de 573  769. Après un démarrage en trombe, la courbe s’est mise à décliner. « C’est pas mal du tout, vu que le gouvernement fait tout pour tasser l’initiative. Mais on va devoir mettre les bouchées doubles et multiplier les initiatives et rendez-vous partout, en région parisienne comme en province, où les signatures sont plus difficiles à obtenir », mesurent les chevilles ouvrières de la mobilisation. Il y a largement de quoi convaincre, à les entendre. ADP est la première frontière de la France et son principal point d’entrée. Comment confier au privé un rôle si régalien ? ADP est rentable : le groupe a généré plus de 600 millions d’euros de bénéfices en 2018 et rapporté à l’État plus d’un milliard d’euros de dividendes entre 2006 et 2016. Pourquoi se priver de cette manne ? ADP est aussi au cœur des questions d’aménagement du territoire et de régulation des flux, indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique. « Tout pousse à rejeter cette privatisation », estiment les opposants au projet, qui veulent faire tache d’huile. Matthieu, contrôleur aérien à Aix-en-Provence, appelle à ce qu’un maximum de monde se jette dans la bataille. « J’ai fait signer 65 personnes à mon boulot ! » lance celui qui prévoit de continuer toute l’été.

Aurélien Soucheyre avec Ilona Cler

 

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2 août 2019 5 02 /08 /août /2019 13:07

 

Après des économies sur les aides au logement et le financement des HLM, l’État se sert dans l’organisme qui gère les cotisations destinées à loger les salariés.

Le logement décidément n’est pas une priorité du gouvernement. C’est même un des secteurs les plus mis à contribution pour honnorer ses promesses en matière budgétaire. La semaine dernière, une information diffusée par les Échos révélait que l’État avait décidé de puiser 500 millions d’euros dans la trésorerie d’Action Logement, l’organisme paritaire (ex-1 % logement) qui gère les cotisations patronales destinées à loger les salariés. « On assiste encore une fois à une logique de pillage du 1 % logement. C’est pourtant l’argent des salariés, pas celui de l’État ! » s’agace Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement.

Action Logement n’est pas en difficulté. Pour la première fois en juillet dernier, il a publié ses résultats et ils sont florissants. « Le bilan consolidé du groupe s’élève à plus de 83,4 milliards d’euros, dont 55,2 milliards d’euros de patrimoine immobilier », soulignait un communiqué du groupe, surtout administré, dans les faits, par le Medef. Sa vocation est pourtant d’utiliser ces fonds pour offrir des logements accessibles aux salariés, notamment via ses filières HLM. Pas de remplir, comme il le fait régulièrement, les trous du budget de l’État. Souvent accusé de garder sa trésorerie en réserve au lieu d’investir dans cette mission première, Action Logement avait d’ailleurs annoncé, lors de la présentation de ses résultats, le doublement du nombre de logements sociaux construits, pour atteindre 45 000 en 2023, contre 22 000 en 2018. « C’est la fin de l’argent qui dort », avait promis son directeur général, Bruno Arcadipane.

le gouvernement a puisé dans l’argent des HLM

Action Logement n’est pas la première victime du peu d’intérêt du gouvernement pour un secteur qui a pourtant un impact essentiel sur le niveau de vie de beaucoup de Français, à commencer par les plus modestes. En plus de la très médiatisée baisse de 5 euros des aides personnelles au logement (APL), à l’été 2017, le gouvernement a puisé dans l’argent des HLM. Pour la première fois depuis des décennies, il a réduit à zéro la participation de l’État à leur financement. Surtout, il leur a fait porter seuls, via une réduction des loyers, une nouvelle baisse des APL de 60 euros. Avec les autres mesures, comme la hausse de la TVA sur la construction et les réparations, le gouvernement a ainsi fait près de 6 milliards d’euros d’économies en trois ans au détriment du logement social. Action Logement avait été mis à contribution pour amortir le choc en proposant des prêts avantageux aux organismes HLM. Il a aussi augmenté sa contribution au programme de rénovation urbaine (NPNRU) de 5 à 7 milliards d’euros.

Sans cesse menacé de voir l’État mettre définitivement la main sur ses fonds en les transformant en impôts, Action Logement n’est pas en mesure de protester contre les ponctions décidées par le gouvernement. Face à l’appétit de Bercy, l’organisme a multiplié les gestes de bonne volonté. L’annonce, en avril, d’un plan d’investissement de 9 milliards d’euros pour aider au financement de toute une série de plans gouvernementaux, de la rénovation des salles de bains à celle des passoires thermiques, n’aura pourtant réussi qu’à limiter les appétits de l’exécutif.

Malgré cette foire d’empoigne sur les fonds, Action Logement partage une certaine vision du secteur avec le gouvernement. L’organisme piloté par le Medef, qui gère un nombre important de logements sociaux, est à la pointe de la logique de regroupement des organismes HLM prônée par la loi Elan. Il est surtout très favorable à leur vente, porte ouverte à une privatisation. En février, il a ainsi créé un opérateur national de vente ouvert à tous les bailleurs sociaux. « On assiste à une sorte de médéfisation du secteur, soutenue par la partie du logement social liée aux entreprises », résume Eddie Jacquemart.

Camille Bauer

 

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2 août 2019 5 02 /08 /août /2019 13:05

 

Une note du 12 juillet du nouveau patron de l’administration fiscale, que révèle Mediapart, a choqué les syndicats de Bercy. Elle ordonne aux agents du fisc de se montrer accommodants avec les entreprises jugées « de bonne foi », en favorisant remises et transactions. Sollicité, Bercy assume une approche « pragmatique ».

Le titre de la note parle de lui-même : « Orientations générales en faveur d’une conclusion apaisée des contrôles fiscaux. » Ce document, que Mediapart s’est procuré, est signé par Jérôme Fournel, directeur général de l’administration fiscale depuis trois mois et ancien directeur de cabinet du ministre de l'action et des comptes publics Gérald Darmanin. Envoyée le 12 juillet à tous les services chargés du contrôle fiscal, cette « note de service » ordonne aux agents de se montrer accommodants avec les entreprises.

Ces instructions sont l’application de la loi Essoc de juillet 2018, qui introduit un « droit à l’erreur » pour les usagers de l’administration se trompant de bonne foi. En application du « en même temps » cher à Emmanuel Macron, une seconde loi renforçant la lutte contre les plus gros fraudeurs a été votée trois mois plus tard.

Reste que la note d’application de la loi Essoc envoyée le 12 juillet dernier traduit l’orientation très pro-entreprises d’Emmanuel Macron. Le patron de la DGFIP (Direction générale des finances publiques) y indique à ses agents qu’ils doivent créer une « nouvelle relation de confiance avec les entreprises » tournée vers « l’acceptation sociale » des contrôles fiscaux (notre document ci-dessous).

La note envoyée le 12 juillet 2009 par le patron de la DGFIP (l'administration fiscale), Jérôme Fournel. © Document Mediapart

La note envoyée le 12 juillet 2009 par le patron de la DGFIP (l'administration fiscale), Jérôme Fournel. © Document Mediapart

Les contrôleurs doivent désormais « privilégier des modalités de conclusion plus consensuelles et plus rapides des opérations de contrôle, toutes les fois que cela est possible » : réduction des pénalités, « règlement d’ensemble » des litiges complexes, et recours aux transactions pour éviter les contentieux judiciaires devant les tribunaux.

Les agents sont invités à mettre en œuvre « une application mesurée de la loi » avec les contribuables de bonne foi. « Une application à la lettre de la loi fiscale peut en effet être mal comprise et perçue comme injuste, précise la note. Elle est susceptible dès lors d’alimenter la défiance envers l’administration, à rebours des orientations gouvernementales et de délégitimer les sanctions sévères qu’appellent les comportements les plus frauduleux. »

Cette note a choqué les principaux syndicats de Bercy dans un contexte déjà lourd, avec la suppression de 2 130 postes dans l’administration fiscale cette année. « Pour nous, cela revient à laisser libre cours aux fraudeurs et leur dire indirectement que frauder n’est pas grave », réagit Olivier Villois, secrétaire national de la CGT Finances publiques.

Pour Vincent Drezet, secrétaire national de Solidaires Finances publiques, ces instructions traduisent un « basculement » déjà à l’œuvre depuis plusieurs années, qui « s’est accéléré » avec la loi Essoc. « L’idée est de préserver l’attractivité fiscale de la France, de ne pas se montrer trop intrusifs, regrette-t-il. Le contrôle fiscal tend à devenir une mission de conseil ou de prestation de services aux contrôlés plutôt qu’un contrôle de la loi dans l’intérêt général. »

Hélène Fauvel, secrétaire générale de FO DGFIP, n’est pas surprise par le contenu de la note : il s’agit selon elle de la stricte application de la loi Essoc, que son syndicat avait qualifiée de « câlinothérapie ».

 

 

Interrogée par Mediapart, la DGFIP répond que la note de son directeur général « s’inscrit pleinement dans les orientations générales fixées par le ministre [des comptes publics Gérald Darmanin – ndlr] en matière de contrôle fiscal, consistant à nouer une relation fondée sur la confiance, et non sur la suspicion, avec les contribuables de bonne foi et d’adopter une attitude différenciée selon que les contribuables ont commis des erreurs de bonne foi ou qu’ils enfreignent intentionnellement la législation fiscale ».

La DGFIP souligne que le gouvernement a aussi décidé un « renforcement de la lutte contre la fraude » au travers de la loi d’octobre 2018, qui a créé une police fiscale, renforcé les sanctions, ou encore levé partiellement le « verrou de Bercy » qui laissait au ministère l’exclusivité des poursuites pénales.

Les syndicalistes soulignent que toutes les mesures accommodantes prévues dans la note du 12 juillet 2019, comme la réduction des pénalités ou l’« application mesurée de la loi » pour les contribuables qui se trompent de bonne foi, ne sont pas nouvelles. Elles sont déjà appliquées sur le terrain au cas par cas, par exemple en cas d’erreur de déclaration sur un point législatif récent ou complexe, ou en faveur des entreprises en difficulté. 

« Ce qui est choquant, ce ne sont pas ces dispositifs, c’est qu’on nous demande d’en faire une application démesurée, souligne Vincent Drezet, de Solidaires. On nous incite à mettre en œuvre tout ce qui peut alléger le contrôle et la note finale. » « Le problème, c’est que ça devient systématique, c’est une remise en cause claire de notre mission de contrôle », ajoute Olivier Villois, de la CGT.

Les syndicalistes redoutent que cette note ne renforce les inégalités devant l’impôt, car les nouvelles mesures bénéficieront avant tout aux plus grandes entreprises, qui sont aussi « les mieux conseillées ».

« Il n’y a aucune incitation à baisser les bras face aux fraudeurs », dément la DGFIP, qui ne voit « rien de choquant à rappeler l’utilité d’outils parfaitement connus des vérificateurs, qui existent depuis longtemps ».

Pour justifier les contrôles « apaisés », le directeur général des finances publiques indique dans sa note que cela favorise « le consentement à l’impôt du contribuable » et permet de « sécuriser le recouvrement » (c’est-à-dire faire rentrer l’argent dans les caisses de l’État) et de « réduire le contentieux ».

Le souci, c’est que la note ne se limite pas à accorder des facilités aux contribuables de bonne foi. Le patron de la DGFIP demande à ses agents de privilégier au maximum les transactions amiables en cas de conflit, afin d’éviter que les contribuables ne contestent le redressement devant les tribunaux. « Il est préconisé de transiger lors du recours pré-contentieux, sur les montants accessoires aux droits », précise la note.

Ces instructions concernent aussi les dossiers complexes, comme les montages d’optimisation fiscale des grandes entreprises. En cas d’incertitude juridique, les directions du contrôle fiscal « sont invitées à envisager un règlement d’ensemble du dossier pour favoriser sa résolution avant le stade contentieux ».

Ce dispositif, qui consiste pour le fisc à négocier globalement les droits et pénalités à la baisse pour éviter un procès, a été critiqué en 2018 par la Cour des comptes, qui dénonce son absence de « base légale », mais aussi de « règles de procédure » garantissant l’égalité des contribuables devant la loi. En réponse au rapport de la Cour, la note de Bercy invite d’ailleurs les directions à créer « un dispositif adapté d’harmonisation des décisions ».

La note de la DGFIP du 12 juillet dernier peut laisser penser que le fisc baisse les bras sur le terrain judiciaire face à la puissance de feu des multinationales adeptes de l'optimisation fiscale agressive, qui peuvent s’offrir des armées d’avocats fiscalistes redoutablement efficaces.

La DGFIP a ainsi perdu ses procès contre Google, dont le redressement fiscal de 1,1 milliard d’euros a été annulé par le tribunal administratif en 2017, puis en appel le 26 avril dernier. En juin dernier, le fisc a préféré, après plusieurs contentieux judiciaires, trouver un accord amiable avec Microsoft, tout comme il l’avait fait auparavant avec Amazon et Apple.

« La tentation historique de Bercy a toujours été de sécuriser les rentrées d’argent, indique Vincent Drezet, de Solidaires. Si la loi est floue, c’est positif pour l’État. Mais dans la version négative, cela peut signifier que face à des entreprises mieux conseillées que nous, on semble renoncer à investir dans l’expertise et le renforcement des moyens pour faire respecter ou évoluer certains aspects du droit. »

Sollicitée par Mediapart, la DGFIP « assume […] une approche pragmatique » : « Les contentieux sont longs et coûteux pour tout le monde, que ce soit pour l’administration comme pour les contribuables (certains peuvent durer plus de dix ans). Et comme vous le savez, leur issue est incertaine quand les problématiques sont complexes. »

La note du patron de la DGFIP rappelle également une nouvelle disposition issue non pas de la loi Essoc sur le droit à l’erreur, mais de la loi d’octobre 2018 renforçant la lutte contre les gros fraudeurs : « Il est désormais possible de conclure une transaction, y compris lorsque les contrôles doivent faire l’objet d’une dénonciation au procureur […] ou lorsque l’administration fiscale a déposé plainte », alors que c’était jusqu’à présent interdit.

S’il s’agit là encore de l’application stricte de la nouvelle loi, cette mesure passe mal à Bercy. Comme le souligne la secrétaire générale de FO DGFIP, Hélène Fauvel, « on a du mal à comprendre comment on peut faire une transaction avec un contribuable alors qu’on a (porté plainte) ou qu’on envisage de porter plainte ».

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez vous connecter au site frenchleaks.fr.

 

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2 août 2019 5 02 /08 /août /2019 13:02

 

Selon un document de travail de l’Unédic, l’organisme qui gère l’argent de l’assurance-chômage, l’ensemble des mesures impactera négativement au moins 1,2 million de personnes… sur les 2,6 millions qui touchent chaque mois une somme de Pôle emploi.

La réforme des conditions d’accès à l’assurance-chômage, annoncée le 18 juin par le gouvernement, aura des conséquences néfastes pour près de la moitié des demandeurs d’emploi indemnisés par Pôle emploi. Selon un document de travail de l’Unédic, l’organisme qui gère l’argent de l’assurance-chômage, l’ensemble des mesures impactera négativement au moins 1,2 million de personnes… sur les 2,6 millions qui touchent chaque mois une somme de Pôle emploi (1 010 euros en moyenne).

Mediapart dévoile ce document, également publié en partie par RTL et évoqué par Les Échos (qui indiquent faussement que seules 500 000 personnes seront affectées). La note, préparée en vue d’une « réunion des conseillers techniques » de l’Unédic qui a eu lieu le 2 juillet, fait le tour, à un « premier niveau d’approximation », des mesures telles que détaillées dans le dossier de presse. Elle bat en brèche l’estimation du gouvernement, qui avait comptabilisé 600 000 à 700 000 personnes impactées par au moins l’une des mesures présentées. Ce sont en fait deux fois plus de chômeurs, en grande partie les plus précaires, qui seront touchés, en partie dès le mois de novembre, puis à plein en avril prochain. 

Le ministère du travail précise systématiquement que l’on ne peut pas parler de « perdants », puisque cela serait supposer que « les personnes et les entreprises ne modifieront pas leurs pratiques, ce qui reviendrait à dire que la réforme n’aura aucun impact ». Peut-être. Il est néanmoins incontestable que la réforme réduira les droits des chômeurs, avec un net durcissement des conditions d’accès à l’assurance-chômage et de renouvellement des droits, ainsi qu’une nouvelle façon de calculer les indemnités versées, qui pénaliseront les demandeurs d’emploi ayant occupé des emplois peu stables.

L’Unédic anticipe trois effets à la réforme, qui pourront d’ailleurs toucher plusieurs fois les mêmes personnes : « moins de demandeurs d’emploi ouvriront un droit » ; « pour certains allocataires la durée du droit sera plus courte » ; « l’allocation journalière sera plus faible pour les personnes ayant travaillé de manière discontinue ». 

« Ces mesures vont contribuer efficacement à lutter contre le chômage de masse », avait assuré Édouard Philippe le 18 juin. Le premier ministre table sur une baisse « de 150 000 à 250 000 » demandeurs d’emploi, rien que par les mesures dévoilées. Au vu de leur sévérité, on peut en effet penser qu’elles pousseront certains chômeurs à reprendre à tout prix un emploi, même sous-qualifié, privant par là-même de postes d’autres demandeurs d’emploi moins diplômés. D’autres chômeurs seront tout simplement éjectés du régime d’indemnisation, sans garantie de retrouver réellement un emploi.

L’Unédic souligne d’ailleurs que les « éjectés » du régime vont peser sur les minimas sociaux, eux aussi sous la menace d’une réforme qui pourrait contribuer à leur amoindrissement (lire ici notre papier sur le RUA) : « Des effets de transferts sont à attendre vers d’autres prestations sociales, notamment la prime d’activité, le RSA et les aides au logement. En particulier, sous conditions de ressources du foyer, 1 euro d’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) se substitue à 1 euro de prime d’activité. »

Dans le détail, la mesure qui permettra à l’État d’économiser le plus d’argent (80 % des 3,4 milliards d’euros d’économies programmées d’ici à la fin 2021) concernera environ 500 000 personnes, selon l’Unédic. Il s’agit du durcissement des conditions d’entrée dans le régime de l’assurance-chômage : pour être indemnisé par Pôle emploi, il faudra avoir travaillé l’équivalent de 6 mois durant les 24 mois précédents, alors qu’aujourd’hui, seuls 4 mois travaillés sur 28 (et sur 36 mois pour les plus de 53 ans) sont nécessaires. Tous les allocataires ayant une affiliation inférieure à 6 mois, y compris ceux qui rechargent leur droit, seront donc concernés. 

Par ailleurs, l’organisme de gestion de l’assurance-chômage estime que le passage de la période de référence de 28 à 24 mois pour les moins de 53 ans devrait raccourcir la durée de droit « d’un peu moins de 250 000 allocataires ».

La note rappelle aussi cette évidence : c’est la fin des « droits rechargeables », qui furent pourtant considérés comme une avancée notable, notamment aux yeux de la CFDT. Aujourd’hui, un mois travaillé suffit à rouvrir des droits au chômage. À partir du 1er novembre, il faudra avoir travaillé six mois. « La notion de rechargement ne présente plus aucune spécificité au regard d’une ouverture de droits, dans la mesure où la condition d’affiliation minimale est identique à une admission », rappelle l’Unédic. À compter du 1er avril, les règles de calcul de l'indemnisation seront aussi revues. 

Au lieu d’être calculées à partir des jours travaillés seulement (comme elles le sont depuis exactement 40 ans), les indemnités le seront à partir du revenu moyen des mois où un salarié a travaillé. Y compris s’il n’a rien gagné pendant plusieurs semaines de ce mois.

Pour l’Unédic, « il est délicat à ce stade d’estimer la population concernée ». Mais en se basant sur diverses analyses élaborées depuis trois ans, elle évalue à environ 1,2 million de personnes touchées par ce nouveau mode de calcul, qui pourra aboutir à des baisses importantes d’indemnisation, soit « environ la moitié des entrants » à Pôle emploi ! Économies attendues : 690 millions d’ici à 2021.

 

Le « bonus-malus » sera effectif en 2021 et non en 2020 comme annoncé au départ

Ces mesures très dures contre les chômeurs sont à mettre en balance avec la prudence du gouvernement pour mettre en place le « bonus-malus » sur les cotisations sociales payées par les entreprises utilisant trop d’emplois courts. Déjà évoquée par le candidat Macron pendant la campagne présidentielle, la mesure est citée comme primordiale au ministère du travail depuis le lancement des premières pistes sur la réforme, en octobre 2017.

Pourtant, seuls sept secteurs professionnels sur trente-huit seront finalement concernés, et deux mastodontes ayant massivement recours aux contrats courts y échapperont : le bâtiment et le médico-social. Les petites entreprises de moins de douze salariés ne seront pas visées et le montant de la modulation maximale sera faible : les employeurs dont les effectifs tournent beaucoup verront leurs cotisations sociales alourdies de 0,95 % au maximum. Et ceux dont la main-d’œuvre est la plus stable auront droit à un bonus pouvant aller jusqu’à 1,05 %. Et surtout, alors que le ministère du travail avait annoncé que les « bonus-malus » entreraient « en application au 1er janvier 2020 », la mesure ne sera en fait effective qu’un an plus tard, à partir du 1er janvier 2021.

À plusieurs reprises, l’Unédic pose la question du coût et du financement des dispositifs d’accompagnement. La réforme propose ainsi trois nouveautés, un « pack démarrage » pour les chômeurs qui s’inscrivent à Pôle emploi, un « pack de remobilisation » pour les inscrits qui cumulent emploi et chômage, et un renforcement de l’accompagnement à la formation. 

« Le recours à des opérateurs privés se fait-il à moyens constants ? », interrogent benoîtement les rédacteurs de la note. « Les recrutements supplémentaires à Pôle emploi correspondent-ils à des postes pérennes ? », puisque pour le moment le renfort se limite selon le gouvernement à 1 000 CDD de longue durée. Et surtout : « Comment le budget de Pôle emploi est-il abondé pour financer ces postes ? ». Des sujets plus épineux qui devraient être tranchés dans le cadre de la « convention tripartite » entre Pôle emploi, l’Unédic et l’État, qui devrait être signée en septembre, avec 9 mois de retard sur les délais prévus.                         

D’autres interrogations, multiples, parsèment la note concernant les conséquences concrètes de la réforme annoncée, et son articulation avec les mesures déjà existantes. Elles montrent le flou dans lequel évoluent les acteurs institutionnels du dossier, et il n’est pas certain que les décrets détaillant les mesures annoncées, attendus dans les semaines à venir, apportent toutes les réponses. Un seul exemple des effets de bords non mentionnés par le gouvernement : « La baisse du montant de l’allocation entraînera une diminution du financement des points de retraite complémentaire » des demandeurs d’emploi indemnisés.

Le 18 juin, dans un gigantesque lapsus, Muriel Pénicaud avait vanté « une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage et pour la précarité » (à 40’30” de cette vidéo). Elle n’avait pas menti.

 

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1 août 2019 4 01 /08 /août /2019 07:50

 

Dans l’ombre d’Uber et de Deliveroo, d’autres plateformes de travail s’adressent aux étudiants ou aux personnels de l’hôtellerie. Plutôt qu’une « ubérisation » généralisée, ces acteurs mettent en lumière les failles de notre modèle social.

«Nous, les plateformes de travail, sommes très différentes des Uber et Deliveroo. On est vraiment tripartites, il y a un travailleur, un employeur, et une plateforme qui sert d’intermédiaire », explique Florent Malbranche, visiblement sur la défensive lorsqu’il réalise qu’il s’adresse à l’Humanité. Le cofondateur de Brigad était présent à Vivatech, énorme raout de la « start-up nation », qui s’est tenu mi-mai, à Paris, à la porte de Versailles. Sa plateforme s’adresse avant tout aux métiers de la restauration et de l’hôtellerie. « Déjà, nous, on paye à l’heure, pas à la tâche », assure-t-il. Sur le stand d’à côté, Staff Me. Cette application met à disposition d’étudiants des petits boulots, principalement dans l’événementiel. Student Jobs ou Side proposent le même genre d’emplois, d’autres encore tentent de se placer sur le créneau de l’intérim.

Augmentation de l’externalisation de la main-d’œuvre

Toutes, en tout cas, prennent leurs distances avec les Uber et Deliveroo, qui donnent une mauvaise image du travail sur les plateformes. « Si on peut remarquer des différences, on retrouve tout de même des constantes. Les plateformes représentent un nouvel espace qui autorise ou augmente l’externalisation de la main-d’œuvre, principalement des petits boulots peu qualifiés, via l’autoentreprenariat », explique la sociologue Sarah Abdelnour, chercheuse à l’université Paris-Dauphine. Le monde académique n’utilise pas le mot « ubérisation », mal défini. Le centre de recherche de Dauphine étudie plutôt la plateforme comme occasion, avec le passage en ligne, de faire basculer des activités qui relevaient du salariat, vers l’indépendance. Ce phénomène n’est pas nié par ces plateformes. Brigad défend même le statut. « Cela permet une flexibilité autant appréciée des travailleurs que des hôtels et restaurants. La preuve, alors qu’il y a une quantité de CDD et CDI non pourvus dans le secteur, les 300 personnes qui travaillent tous les jours sur notre plateforme ont choisi l’indépendance », argumente Florent Malbranche. Pour lui, c’est l’État qui doit aligner la Sécurité sociale de l’indépendant sur celle du salarié, quitte à augmenter les prélèvements obligatoires. « On n’est pas contre cotiser plus. En attendant, on s’organise. Par exemple, on a soumis au vote de nos travailleurs l’idée que la plateforme prenne un pourcentage supplémentaire sur leurs revenus, pour créer une caisse de chômage », poursuit le cofondateur de Brigad. 

Du côté de Staff Me, l’autoentreprenariat n’est pas sacré, mais est actuellement la solution la plus simple. « On aimerait qu’il existe en France une forme de contrat étudiant, un peu comme il y a en Allemagne, propose Jean-Baptise Achard, directeur général de la plateforme. Un contrat encadré, avec un certain nombre d’heures sur un an, qui permette à l’étudiant de travailler lorsqu’il le peut, par exemple en vacances, mais pas en période d’examens, et de lisser ses revenus sur l’année scolaire. » Une idée qui séduit tout autant Ouriel Darmon, cofondateur de Student Pop : « Les étudiants devraient avoir un statut spécifique, protégé. Il faut d’autant plus les aider que le prix des études augmente, mais pas le montant des bourses. Et dans certains secteurs comme le commerce, les écoles privées sont de loin les plus côtées… » Raison pour laquelle ces plateformes répondent à une demande réelle. Elles offrent des petits boulots, comme de la distribution de prospectus dans la rue, des opérations marketing en magasin, mais aussi de l’hôtessariat dans l’événementiel, du remplacement de vendeur en boutique, ou encore des missions de service client sur Internet ou par téléphone. Avec des revenus moyens à 11 euros de l’heure pour ces petits boulots, ou à 17 euros pour les missions dans l’hôtellerie et la restauration, les travailleurs disent y trouver leur compte. « Le succès de ces plateformes est en tout cas symptomatique d’une faillite de l’État social. Que ce soit pour les jobs étudiants ou les livreurs à vélo, il y a une demande de leur côté de trouver des emplois rapides, pour faire rentrer de l’argent rapidement, et c’est bien souvent la seule possibilité, pour une petite partie d’entre eux, de dépasser un peu le Smic horaire. Même s’il faut rappeler que la majorité des indépendants touche, à la fin du mois, bien moins que le salaire minimum », explique Sarah Abdelnour. Observatrice des autoentrepreneurs depuis la création de ce statut, la sociologue estime que ces formes d’indépendance représentent « un arbitrage à court terme.  Sans chômage, ni fiche de paye, ni moyen de faire un emprunt, de louer un appartement, la souplesse proposée par ces statuts tient mal sur le moyen-long terme ».

Cette position des plateformes comme intermédiaires les amène à se placer en situation d’organiser une forme de dialogue social. Plusieurs proposent chaque semaine des accueils pour leurs travailleurs. Ils y reçoivent de brèves formations, partagent leurs expériences, et font remonter les problèmes techniques, les revendications sur les tarifs… « La valeur des plateformes, ce sont les gens qui sont dessus », assure Florent Malbranche. Ce n’est pas que le slogan de Brigad : ces entreprises se rémunèrent en ponctionnant un pourcentage de la paye du travailleur, donc pour eux, plus le salaire est élevé, plus la plateforme gagne de l’argent, cela crée une forme de communauté d’intérêts. « J’ai déjà contacté la CGT et la CFDT pour essayer de leur expliquer ce qu’on fait, leur montrer que l’image qu’ils ont du travail de plateformes est erronée, poursuit Florent Malbranche. Il faut qu’ils viennent nous voir, plutôt que de rejeter le phénomène en bloc, qu’ils essayent de comprendre ce qui se passe chez nous, pour protéger les travailleurs de demain. » C’est un dialogue à trois : employeurs, travailleurs et plateforme, dans lequel tout le monde se dit en faveur d’un dialogue social. « Si tout le monde se dit d’accord, c’est qu’il faut se méfier, tempère Sarah Abdelnour. Est-ce qu’il y a vraiment un accord sur la finalité de ce dialogue social ? Et sur le cadre juridique général, la discussion se passe-t-elle entre travailleurs et employeurs, ou entre fournisseurs de services et clients (puisque certaines plateformes revendiquent d’être de simples intermédiaires qui vendent un service à des travailleurs qui seraient dès lors leurs clients) ? »

Le gouvernement très favorable à ces nouvelles formes d’emploi

Son expérience de la tentative de création d’un dialogue du côté d’Uber et de ses chauffeurs a rendu la sociologue méfiante. « C’est à double tranchant, la plateforme accepte de créer des espaces de discussion et un accès à des formations tant que l’État garantit qu’il ne verra pas cela comme un salariat déguisé », prévient-elle. Le gouvernement actuel est de ce point de vue très favorable à ces nouvelles formes d’emploi. Il s’évertue à passer un texte de loi, réintroduit récemment dans la loi d’orientation sur les mobilités, qui garantit les plateformes contre le salariat s’ils rédigent une charte de bonne conduite, facultative. « Il reste l’arène juridique, encore ouverte, même si il n’y a pas de jurisprudence incontestée, avance Sarah Abdelnour. Des entreprises traditionnelles à l’activité encadrée, si elles se sentent en danger, attaqueront les plateformes en justice pour concurrence déloyale. » Mi-juin, la plateforme Side s’est d’ailleurs transformée en agence de travail temporaire, afin d’éviter ces risques judiciaires. Les autoentrepreneurs deviendront des intérimaires.

La mobilisation des travailleurs eux-mêmes n’est pas à négliger, même si, à part chez les livreurs à vélo dont les conditions de travail concentrent tous les abus, elle ne semble pas engagée. « En travaillant sur les autoentrepreneurs, je retrouve ce que décrivait le sociologue Robert Castel dans ses derniers écrits, autour du précariat, constate Sarah Abdelnour. Il montrait qu’il y a, notamment chez les jeunes des quartiers populaires, une forte résignation. Ils ne croient plus qu’ils bénéficieront un jour d’un emploi qui les protège, et encore moins d’une retraite correcte. Cette résignation est doublée par la banalisation du travail indépendant dans les emplois non qualifiés. » La sociologue estime aussi que, lorsque le gouvernement attaque les garanties autour du salariat, c’est une manière de rendre le travail indépendant moins inquiétant. D’autres activités, comme le nettoyage, les aides à domicile où les caissières, sont ainsi susceptibles d’intéresser les plateformes. Des métiers peu qualifiés déjà grandement externalisés, mais où le salariat résiste encore.

Pierric Marissal

 

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1 août 2019 4 01 /08 /août /2019 07:48

Règlement du budget et approbation des comptes de l’année 2018 (nouvelle lecture)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons une nouvelle fois le projet de loi de règlement et d’approbation des comptes de l’année 2018.

Afin d’avoir un échange utile et d’expliquer la position de notre groupe, je vais prendre un poste particulier de dépenses : les baisses d’impôts et de cotisations dédiées, selon vous, monsieur le secrétaire d’État, et selon votre majorité, à la résorption du chômage.

L’analyse du budget 2018 montre que vous vous êtes évertué à continuer les baisses d’impôts sur les plus riches et sur les sociétés. Vous avez poursuivi la suppression de l’ISF – hop ! un cadeau de 3,2 milliards d’euros aux riches contribuables ; vous avez diminué le taux de l’impôt sur les sociétés, pour près de 1,2 milliard d’euros. Puis, vous lancez la première étape de la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers, qui a coûté 3 milliards d’euros. Enfin, vous instaurez le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, soit 1,6 milliard d’euros abandonnés à ceux qui touchent des revenus financiers. Tout cela, une fois de plus, au nom de la lutte contre le chômage !

Pourtant, un simple regard historique montre qu’offrir des cadeaux fiscaux aux plus riches ne fait pas reculer le chômage. Le taux marginal d’imposition sur le revenu et le taux d’imposition sur les sociétés sont en baisse quasi continue depuis 1986. À cette date, il était encore à 65 % pour l’impôt sur le revenu, tandis que le taux d’imposition sur les sociétés était de 45 %.

Si 1986 a été le point de départ d’une baisse continue de l’imposition des contribuables les plus riches, la courbe du chômage, elle, n’a pas suivi le même chemin. Elle n’est jamais passée durablement sous le seuil des 9 % d’alors.

En fin de compte, les mêmes recettes conduisent aux mêmes résultats. Notre vote contre trouve ici sa première justification : le refus d’une politique qui, en définitive, subventionne de manière déguisée le chômage.

Vous mobilisez un second outil : les allégements de cotisations sociales sur les salaires. Vous prétendez encore qu’il s’agit de favoriser l’emploi. Une solution miracle grâce à laquelle la France triomphe, d’ailleurs...

Bravo à votre majorité, monsieur le secrétaire d’État : savez-vous dans quel domaine nous sommes les premiers, les meilleurs, les leaders dans la zone euro ? Notre pays est celui qui offre le plus d’allégements de cotisations sociales en Europe ! Nous sommes les champions !

En 2018, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi a vu son taux passer de 6 % à 7 %, ce qui a coûté à nos finances publiques 3,5 milliards d’euros. Et vous avez acté sa transformation en allégements de cotisations sociales : 3,5 milliards d’euros, qui s’ajoutent à presque 100 milliards d’euros. Cela restera dans l’histoire sociale, économique et financière ! Depuis 2013, on aura mis 100 milliards d’euros dans le CICE. Avec quel effet tangible sur l’emploi ?

Soyons précis et concrets. Je voudrais confronter l’efficacité de ces mesures à la situation de l’emploi dans mon département du Val-de-Marne. Cette comparaison démontre le caractère passéiste et assez idéologique de votre politique. Les premiers allégements de cotisations sociales ont été lancés par M. Balladur – rendez-vous compte ! –, en 1993. Pourtant, entre 1989 et 2000, le chômage dans mon département est passé de 6,2 % à 7,2 %. Aucun effet positif, donc.

Loin de s’arrêter, les cadeaux fiscaux ont continué : la ristourne dite « Juppé », lancée en 1996 et accentuée en 2003 sur l’initiative de M. François Fillon, a eu les mêmes effets ! Si bien que, à la moitié de la décennie, en 2005, dans mon département, le taux de chômage avait encore grimpé pour atteindre 8,3 %. Vous noterez que ces données excluent la crise économique.

Une fois encore, mes chers collègues, il n’y a aucune efficacité des cadeaux fiscaux dans la lutte contre le chômage ! Voici la seconde raison pour laquelle nous nous opposons à votre politique fiscale.

Aussi, je vous en conjure, il faut sortir des dogmes qui règnent depuis des décennies. Cette après-midi, lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement, mon collègue Pierre Ouzoulias a posé une question au sujet de Conforama.

M. Jean Bizet. Comme par hasard !

M. Pascal Savoldelli. Imaginez que vous soyez salarié de cette entreprise et que vous appreniez sa liquidation, en même temps que l’on vous annonce qu’elle a touché 62 millions d’euros d’aides publiques. Ne croyez-vous pas qu’il puisse y avoir au moins une colère sourde et un sentiment d’injustice ?

L’emploi est la première préoccupation des Françaises et des Français, et le chômage pénalise en premier lieu les jeunes et les femmes. Pourtant, en plus d’offrir des cadeaux fiscaux injustes et inefficaces, vous réduisez les moyens permettant de lutter contre le chômage, monsieur le secrétaire d’État. C’est la troisième raison pour laquelle nous nous opposons à votre politique.

Le niveau d’exécution de la mission « Travail et emploi » recule de 2 323 millions d’euros par rapport à 2017, les programmes « Accès et retour à l’emploi » et « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi » étant les principaux concernés par cette baisse. La fin de l’aide en faveur de l’embauche PME et la réduction du nombre de contrats aidés ont fortement pesé.

Vous n’êtes ensuite pas capables de tenir vos promesses, puisque, en exécution, les missions « Travail et emploi » voient leurs crédits reculer de près de 700 millions d’euros par rapport à ce que nous avions voté en loi de finances initiale.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Savoldelli. De même, près de 500 millions d’euros de crédits ont été annulés sur cette même mission !

Il est tout de même particulier de faire preuve de tant de satisfaction s’agissant de l’emploi et du chômage – je dis cela aussi à l’attention de mon collègue Didier Rambaud, du groupe La République En Marche –, alors que vous avez supprimé 223 équivalents temps plein du ministère du travail ! Voilà le résultat. Nous voterons contre ce texte.

 

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1 août 2019 4 01 /08 /août /2019 05:56

 

Durcissement des conditions d’accès et des règles de calcul, « bonus-malus » peu ambitieux pour limiter les contrats courts : les nouvelles règles de l’assurance-chômage, publiées au Journal officiel, sont conformes à ce qui avait été annoncé. Mais le décret recèle aussi deux surprises, peu réjouissantes pour les chômeurs.

Cette fois, la réforme est bien lancée. Dimanche 28 juillet, le décret réformant les règles d’accès à l’assurance-chômage a été publié au Journal officiel. En six articles et 190 pages d’annexe, le texte décrit dans tous ses détails la vaste réforme, dont la majeure partie entrera en vigueur le 1er novembre.

Comme nous l’avions indiqué lors de leurs présentations par le gouvernement le 18 juin, les nouvelles règles vont imposer presque tous les efforts aux chômeurs les plus fragiles, qui devront supporter la quasi-intégralité des 3,4 milliards d'euros d'économies imposées par le gouvernement.

Dans une première approximation, l’Unédic, qui gère le budget de l’assurance-chômage, a estimé que la réforme impactera négativement 1,2 million de personnes, soit presque la moitié des 2,6 millions qui touchent chaque mois une somme de Pôle emploi (1 010 euros en moyenne). Le ministère du travail conteste ce chiffrage, estimant que les comportements des salariés et des employeurs vont évoluer sous l’effet de la réforme. L’exécutif estime que 700 000 personnes seront concernées.

L’Unédic anticipe trois effets à la réforme, qui pourront d’ailleurs toucher plusieurs fois les mêmes personnes : « moins de demandeurs d’emploi ouvriront un droit » ; « pour certains allocataires la durée du droit sera plus courte » ; « l’allocation journalière sera plus faible pour les personnes ayant travaillé de manière discontinue ». 

Le gouvernement avait par ailleurs omis de présenter deux mesures contenues dans le décret. Avec la première, ce sont les chômeurs eux-mêmes qui financeront, au moins en partie, « l’accompagnement renforcé » vanté par le gouvernement en direction des demandeurs d’emploi. Avec la seconde, l’exécutif affirme encore plus sa reprise en main du système, et le déclin de la notion de paritarisme, qui voulait que depuis sa création en 1958, le régime soit géré conjointement par les représentants des salariés et du patronat.

Les partenaires sociaux ont pu prendre connaissance du texte en projet le 10 juillet, et ont donné leur avis, purement consultatif, à son propos le 16 juillet. Sans surprise, tous les syndicats s’y sont opposés, tout comme le patronat, qui rejette le « bonus-malus » qui visera certaines entreprises ayant trop fréquemment recours aux contrats courts.

« Ce décret confirme toutes nos craintes », a indiqué la CGT. « Le décret contient des mesures réductrices de droit, en particulier, pour les demandeurs d’emploi les plus précaires », a confirmé FO, dénonçant des « mesures particulièrement injustes ». La CFDT n’est pas en reste, jugeant que ce sont les « fondamentaux » même du régime qui sont ébranlés, et critiquant « une réforme purement budgétaire qui va faire beaucoup d’économies et sans doute beaucoup plus qu’annoncées, tellement les règles sont dures ».

Au passage, les syndicats contredisent le gouvernement, qui explique que les économies demandées aux demandeurs d’emploi sont pensées pour assurer la survie globale du régime. Le 19 juin sur BFMTV, la ministre du travail Muriel Pénicaud assurait que « si on ne fait pas d’économies, dans dix ans on n’aura plus de quoi indemniser les chômeurs ». Mais le 12 juillet, l’Unédic a livré ses projections financières, et indiqué que si les règles n’avaient pas été touchées, le régime de l’assurance-chômage serait revenu à l’équilibre fin 2020, pour un excédent de 1,2 milliard en 2021 et de 3,3 milliards en 2022.

Conditions d’entrée et règles de calcul durcies

La CFDT, elle, insiste sur la présentation erronée de la principale mesure contenue dans la réforme, le durcissement des conditions d’entrée dans le régime : pour être indemnisé par Pôle emploi, il faudra dès le 1er novembre avoir travaillé l’équivalent de 6 mois durant les 24 mois précédents, alors qu’aujourd’hui, seuls 4 mois travaillés sur 28 (et sur 36 mois pour les plus de 53 ans) sont nécessaires.

Ce changement profond, qui devrait toucher environ 500 000 personnes, permettra d’économiser 80 % des 3,4 milliards d’euros d’économies programmées d’ici à la fin 2021. Il a été justifié par le gouvernement par le fait que lorsque la période de référence de 4 mois a été instituée, en 2008, il s’agissait de répondre à la crise économique brutale qui déferlait sur le monde, à la suite de la crise américaine des subprimes.

En revenant à une période de 6 mois, il s’agirait simplement, assure le ministère du travail, de revenir à ce qui prévalait avant 2008, la crise économique étant passée. Or, la CFDT, qui préside l’Unédic, rappelle que le passage de 6 à 4 mois n’était lié à aucune crise, dont les conséquences ont plutôt commencé à se faire sentir en France en 2009. Il s’agissait surtout de toucher plus de jeunes, qui accumulent des périodes courtes de travail. Ce qui est toujours le cas aujourd’hui.

Ce durcissement des conditions d’accès au chômage vaudra aussi pour tous ceux qui alternent emploi et périodes d’inactivité : depuis 2014, il est prévu que si un demandeur d’emploi retravaille, il allonge la période pendant laquelle il peut toucher de l’argent de Pôle emploi. Un mécanisme qui peut durer indéfiniment, pour peu qu’il travaille au moins 150 heures, c’est-à-dire environ un mois. À partir du 1er novembre, ce seuil sera multiplié par six : il faudra aussi avoir travaillé six mois pour pouvoir prolonger son indemnisation.

Outre ce réel durcissement, un bouleversement va toucher, à compter du 1er avril, le calcul de l’indemnité qui sera versée aux chômeurs. Au lieu d’être calculées à partir des jours travaillés seulement (comme elles le sont depuis exactement 40 ans), les indemnités le seront à partir du revenu moyen des mois où un salarié a travaillé. Y compris s’il n’a rien gagné pendant plusieurs semaines de ce mois.

On passe donc d’un calcul sur une base journalière à une base mensuelle : si un salarié n’a travaillé qu’une semaine sur trois pendant 18 mois, il a droit aujourd’hui à une indemnité pendant six mois, calculée à partir de son salaire quotidien (72 % en moyenne, 79 % pour un Smic). À partir d’avril, il touchera une indemnisation pendant 18 mois, mais à un niveau bien plus faible : au minimum, 65 % du salaire net mensuel moyen touché pendant 24 mois, qui englobe les périodes travaillées, mais aussi celles où il n’aura touché aucun salaire.

Les promesses de campagne sont tenues, mais restent peu ambitieuses

Les 70 000 à 80 000 chômeurs qui perçoivent les plus grosses allocations vont également voir le montant de leur allocation baisser drastiquement au bout de six mois, à compter du mois de mai prochain. Tous ceux qui percevaient une rémunération de plus de 4 500 euros brut (3 645 net) par mois lorsqu’ils étaient en poste – ils faisaient partie des 10 % des salariés les mieux payés – verront leur indemnisation réduite de 30 % au bout du septième mois. La mesure ne s’appliquera pas aux plus de 57 ans, qui ont énormément de mal à retrouver un travail.

Sous les apparences du bon sens, voire d’une certaine justice sociale, la proposition est contestée par tous les syndicats, de la CGT à la CFE-CGC, le syndicat des cadres. Aucune étude économique au monde n’a conclu à l’efficacité de la dégressivité des allocations. Elle a déjà existé en France, entre 1992 et 1996, et une étude de l’Insee en 2001 a conclu que sa mise en place avait « ralenti le retour à l’emploi ». Un récent travail de l’OFCE a de même rappelé, fin 2017, que cette mesure était tout sauf efficace.

Les observateurs les plus pessimistes craignent aussi qu’en touchant d’abord aux droits des plus riches, le gouvernement ne cherche surtout à installer l’idée qu’il est possible de diminuer les allocations chômage, quelle que soit la population visée, et ne cherche à étendre la mesure dans un deuxième temps.

Enfin, la promesse de campagne du candidat Macron sera bien respectée : l’indemnisation chômage sera ouverte aux démissionnaires ayant travaillé dans la même entreprise au cours des cinq dernières années. Elle sera conditionnée à un projet de reconversion professionnelle ou de formation solide, évalué par « la commission paritaire interprofessionnelle » (qui succède aux Fongecif) de la région du salarié.

Les indépendants bénéficieront, eux, d’une allocation forfaitaire (800 euros par mois pendant six mois) en cas de liquidation judiciaire. L’activité professionnelle devra avoir généré un revenu minimum de 10 000 euros par an sur les deux dernières années avant la liquidation. Dans ces conditions, une allocation sera versée pendant six mois, mais dont le montant n’est pas encore clairement précisé. Les deux dispositifs ne devraient pas bénéficier à plus de 60 000 personnes en tout.

Enfin, malgré l’hostilité affichée du patronat, un système de « bonus-malus » est bien créé, concernant la cotisation d’assurance-chômage payée par les entreprises dans sept secteurs grands consommateurs de contrats courts et d’intérim (hébergement restauration, agroalimentaire, transports…).

Mais deux secteurs ayant massivement recours aux contrats courts y échapperont : le bâtiment et le médico-social. Les petites entreprises de moins de douze salariés ne seront pas visées et le montant de la modulation maximale sera faible : les employeurs dont les effectifs tournent beaucoup verront leurs cotisations sociales alourdies de 0,95 % au maximum. Et ceux dont la main-d’œuvre est la plus stable auront droit à un bonus pouvant aller jusqu’à 1,05 %. Et surtout, alors que le ministère du travail avait annoncé que les « bonus-malus » entreraient « en application au 1er janvier 2020 », la mesure ne sera en fait effective qu’un an plus tard, à partir du 1er janvier 2021.

L’État reprend encore un peu plus la main sur l’assurance-chômage

Le décret contient aussi son lot de surprises, désagréables pour les syndicats. D’abord, le financement de Pôle emploi par l’Unédic va augmenter en proportion : pour 2019, l’Unédic doit consacrer 10 % de ses ressources pour financer le service public de l’emploi, mais à partir de l’an prochain, ce sera 11 %, a décidé le gouvernement. Une hausse de 370 millions d’euros, « au titre du renforcement de l’accompagnement » des personnes privées d’activité.

Le gouvernement a en effet annoncé l’embauche de 1 000 CDD de trois ans pour mieux accompagner les chômeurs. Le budget total de Pôle emploi dépasse 5 milliards d’euros, et l’Unédic y contribuera donc pour presque 3,9 milliards. Le reste est assuré par l’État lui-même.

Or, le budget de l’Unédic est uniquement abondé par prélèvements sur les salaires : cotisations patronales et cotisations salariales transformées depuis octobre dernier en CSG. Autrement dit, cette nouvelle mesure revient à faire payer par les chômeurs eux-mêmes leur accompagnement renforcé, et détourne une partie des sommes mises en commun pour assurer le versement des allocations chômage.

Une telle évolution n’était pas anticipée par les partenaires sociaux, qui espéraient plutôt réussir à imposer à l’État une meilleure répartition du financement de Pôle emploi entre Unédic et pouvoirs publics. Mais la « convention tripartite » entre Pôle emploi, l’Unédic et l’État, qui devait régler ce point, était en attente de signature depuis décembre 2018. Le gouvernement a finalement décidé de s’affranchir de toute discussion, et a imposé unilatéralement sa solution.

Dernière illustration de la plus forte emprise de l’État sur le régime d’assurance-chômage : désormais, la revalorisation des allocations sera décidée chaque année par arrêté ministériel, et non par décision commune des syndicats et du patronat, réunis dans le conseil d’administration de l’Unédic.

Le changement est majeur, mais n’est rien d’autre que la conséquence logique des dispositions contenues dans la loi sur l’emploi et la formation votée en août 2018. Depuis octobre dernier, le financement de l’assurance-chômage a changé de nature, comme Mediapart l’a déjà détaillé : les salariés ne se voient plus prélever aucune cotisation chômage sur leur salaire. Ces cotisations alimentaient jusqu’ici les caisses de l’Unédic. Désormais, ce sont tous les Français qui contribueront à financer les allocations chômage, via un relèvement de la CSG, un impôt directement versé à l’État, qui pourra ensuite en disposer à sa guise.

C’est la fin de ce que l’on nomme le modèle assurantiel : chaque salarié versait une partie de son salaire pour s’assurer contre la perte de son emploi, et les indemnités chômage versées dépendaient de la durée d’emploi et de la rémunération précédente. Désormais, c’est l’État qui décide quelle part de son budget doit être affectée au financement du système de chômage. Sans aucune garantie qu’à terme, le montant des allocations chômage ne baisse pas drastiquement, comme l’exécutif vient de s’en ménager ouvertement la possibilité.

 

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31 juillet 2019 3 31 /07 /juillet /2019 08:06
Éliane Assassi Présidente PCF du groupe CRCE au Sénat (photo L'Humanité, 30 juillet)

Éliane Assassi Présidente PCF du groupe CRCE au Sénat (photo L'Humanité, 30 juillet)

Référendum sur la privatisation d'ADP - Éliane Assassi : « Nous nous faisons un devoir d’informer les Français»
Mardi, 30 Juillet, 2019

Audrey Loussouarn

La sénatrice PCF Éliane Assassi déplore le manque de volonté du gouvernement, qui, en ne faisant pas vivre cet exercice démocratique, ne respecte pas la Constitution.

Quel regard portez-vous sur les débuts de cette campagne ?

Éliane Assassi : Au-delà de la période estivale, qui n’est pas la plus favorable à ce type d’initiative, un aspect est frappant : les Français sont peu informés. C’est la raison pour laquelle les parlementaires signataires de la proposition de loi avaient demandé un rendez-vous avec le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel – NDLR) et les médias publics. Nous avons rencontré le premier, qui nous a opposé une fin de non-recevoir en estimant que son rôle n’est pas d’établir les lignes éditoriales des chaînes de télévision. Pour ce qui est de ces dernières, nous n’avons à ce jour reçu aucun retour. C’est pourtant un exercice démocratique inédit auxquels sont appelés à participer nos concitoyens. Encore faut-il qu’ils en soient informés par spots télévisés.

En la matière, l’exécutif se contente du service minimum…

Éliane Assassi : Le gouvernement est hors des clous, ne respectant pas l’article 11 de la Constitution. C’est quand même un comble ! Cet argument va être porté avec force à la rentrée, car c’est aussi le fond de l’affaire. Nous avons rencontré Christophe Castaner la semaine dernière et il s’est contenté de répondre à notre demande d’un décompte régulier des signatures, en se retranchant derrière le Conseil constitutionnel. Nous allons donc demander à ce dernier que les chiffres soient rendus non pas tous les mois mais au minimum toutes les semaines. Avant cela, il devrait communiquer officiellement d’ici à jeudi. Ce qui, je pense, créera une dynamique.

Quelles seront donc les suites de cette campagne ?

Éliane Assassi : Chaque parti politique prendra des initiatives, au-delà d’un rendez-vous commun à la rentrée. Évidemment, ce n’est pas ce qui remplacera une information officielle au public, mais nous nous faisons un devoir d’informer les Français, en rappelant notamment qu’il ne s’agit pas d’être pour ou contre la privatisation mais de soutenir la demande d’un référendum, avant que ne vienne le débat d’idées. Nous allons devoir être créatifs, notamment en direction des maires, qui ont la possibilité d’ouvrir des lieux dédiés au recueil des signatures. Nombre de conseils municipaux vont aussi se réunir pour voter des vœux, au mois de septembre. Parallèlement se tiendront les initiatives des militants et la diffusion du bon de soutien donnant accès à la Fête de l’Humanité, qui va être un élément accompagnateur. Pour la première fois, les deux groupes parlementaires communistes auront un stand consacré principalement au recueil de signatures.
Entretien réalisé par Audrey Loussouarn

ADP: Eliane Assassi, présidente du groupe communiste CRCE au Sénat: Un devoir d'informer les Français (L'Humanité, 30 juillet 2019)
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31 juillet 2019 3 31 /07 /juillet /2019 08:01
André Chassaigne :  Un combat sans merci contre tout ce qui peut s’opposer à leur politique régressive. (L'Humanité, 25 juillet, interview avec Benjamin Konig: bilan de la session parlementaire pour les députés communistes)
André Chassaigne : « Un combat sans merci contre tout ce qui peut s’opposer à leur politique régressive. »
Jeudi, 25 Juillet, 2019
André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme, président du groupe GDR à l’Assemblée nationale dresse un bilan de la session parlementaire qui s’achève, des difficultés d’Emmanuel Macron et de sa politique autoritaire.
 

En tant que président du groupe GDR, quel bilan pouvez-vous tirer de cette session parlementaire, marquée par un contexte de luttes sociales  ?

D’abord, c’est la nature des textes mis en débat, et qui, bout à bout, constituent une entreprise de démolition. Parmi les plus importants, la loi Pacte, avec ses privatisations de la FDJ et d’ADP – laquelle a conduit à l’immense mouvement pour le référendum. Ensuite, le texte sur le système de santé, qui renvoie à 2022 toute amélioration alors que l’urgence est immense. Ce matin (le 18 juillet – NDLR), le vote de la loi sur la fonction publique, qui est un coup extrêmement grave et vise à l’aligner sur le privé… Bref, toute une série de textes de dérégulation, qui témoignent d’une volonté de privatiser tout l’espace public. Quant aux luttes sociales, elles se développent malgré la stratégie utilisée par LaREM et le pouvoir : une forme d’illusion, un gouvernement qui n’a que le mot confiance à la bouche, un habillage jamais vu en termes de com’. Comme le dit l’expression auvergnate, ils ont la queue du renard qui leur sort de la gueule et disent qu’ils ne l’ont pas croquée ! Il y a une défiance également à l’égard de la presse : le fameux « Qu’ils viennent me chercher », ou le procès fait à la presse dans l’affaire Rugy.

Paradoxalement, Macron et le gouvernement sont parfois en difficulté et doivent renoncer sur plusieurs sujets, par exemple, la réforme constitutionnelle ou la réduction du déficit public, avec les mesures accordées suite à la crise des gilets jaunes, ou encore la réduction du nombre de fonctionnaires beaucoup moins importante que prévu… Est-ce perceptible à l’Assemblée ?

Pas vraiment. Ils peuvent avoir quelques reculs, des inflexions, mais pas une fois ils ne s’attaquent à l’essentiel, à l’argent. Les soi-disant 10 milliards des gilets jaunes, ils font payer l’addition par le reste du peuple. Il n’y a pas le moindre petit début d’une remise en cause du système. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ne peuvent rien faire en matière d’écologie, ils sont dans une contradiction très forte. Et sur la réforme constitutionnelle, n’oublions pas que s’il y a un recul – pour le moment –, ils ont mené à terme une réforme du règlement de l’Assemblée nationale, qui sape le pouvoir législatif. Quant au RIP concernant ADP, ils multiplient les obstacles. Ils mènent un combat sans merci contre tout ce qui peut s’opposer à leur politique régressive.

Gilets jaunes, urgentistes, professeurs, journalistes ou militants écologistes : la seule réponse du gouvernement semble la répression brutale. Cela témoigne de quoi, selon vous ?

C’est le refus de voir en face la réalité et d’affronter le mécontentement social. Ils le masquent par une diabolisation des résistances, par des interventions policières dures, en essayant de culpabiliser ceux qui luttent, comme on le voit avec les profs ou les urgentistes. C’est la politique de l’esquive, de l’occultation des vrais problèmes, d’une défiance obsessionnelle à l’égard du peuple.

Vous avez un peu d’expérience en tant qu’élu : avez-vous déjà connu cela ?

Jamais. J’ai vécu de durs affrontements politiques et idéologiques, mais c’était dans le cadre d’un débat démocratique, contre des gouvernements et leurs majorités, classe contre classe. Aujourd’hui, c’est une espèce de bulldozer qui écrase les affrontements politiques, pour que le vrai débat ne remonte pas à la surface. Cela signifie qu’il faut bâtir autour du mouvement social pour s’attaquer au système.

Propos recueillis par B. K.
André Chassaigne :  Un combat sans merci contre tout ce qui peut s’opposer à leur politique régressive. (L'Humanité, 25 juillet, interview avec Benjamin Konig: bilan de la session parlementaire pour les députés communistes)
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