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25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 07:15
Dépendance. Vers une hécatombe dans les Ehpad ? (Alexandra Chaignon, L'Humanité, 23 mars 2020)
Lundi, 23 Mars, 2020
Dépendance. Vers une hécatombe dans les Ehpad ?

L’accroissement des cas de coronavirus, dans les établissements accueillant des personnes âgées, fait craindre le pire aux soignants. Ils prédisent un désastre si rien n’est fait.

 

Douze décès dans un Ehpad du Doubs, plusieurs dans l’Hérault, des foyers infectieux un peu partout sur le territoire… Les établissements, tout comme les services hospitaliers, accueillant les personnes âgées dépendantes ne sont pas épargnés par le coronavirus, particulièrement virulent pour les plus fragiles. « On commence à avoir de plus en plus de cas », confirme Romain Gizolme, directeur de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). De nombreux professionnels du secteur de la dépendance, exerçant notamment dans les zones de circulation du virus, restent alarmistes et tirent la sonnette d’alarme.

Le taux de contamination est exponentiel

Dans une lettre adressée au ministre de la Santé, ils font part de leur inquiétude, redoutant la mort de quelque 100 000 personnes sur les « plus d’un million de résidents » si rien n’est fait. « Cette population est assortie d’un taux de mortalité de 15 %, ce qui pourrait se traduire par plus de 100 000 décès dans l’éventualité d’une généralisation que nous n’osons imaginer », alertent les signataires. Ils rappellent que leurs patients, dont la moyenne d’âge est de 85 ans, cumulent en moyenne « près de huit maladies chroniques » et constituent « une cible à très haut niveau d’exposition au risque d’infection au coronavirus ».

En outre, cette population n’est jamais prioritaire en réanimation, déjà en temps normal. Ce que confirme Christophe Trivalle, gériatre et chef de service à l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif. « Compte tenu de leur comorbidité, on se pose toujours des questions en amont. C’est une pratique habituelle. On parle là de patients polypathologiques, très dépendants. Certains ne survivraient pas à un séjour en réanimation. Et ce serait de l’acharnement thérapeutique. Pour quelques malades, la question se pose mais, souvent, le Samu, les services de réanimation tentent de les récuser. Là, on ne pourra pas négocier. » Dans les services de gériatrie qu’ils gèrent, le nombre de cas a été multiplié par 13 en une semaine. « En soins de longue durée, on a secteur très infecté. Sur une unité de 34 patients, 9 au moins sont atteints. Le week-end dernier, ils n’étaient que 2. Au total, on doit avoir 26 cas », énumère-t-il, inquiet. À ce jour, il ne déplore qu’un décès d’une personne atteinte du Covid, « mais dont la mort n’est probablement pas liée », et deux malades « pas bien du tout ». « Au début, ils développent une forme pas trop grave, avec un peu de fièvre. Mais apparemment, au bout de 5, 6 jours, ça s’aggrave. On y arrive. »

La difficulté face à l’augmentation des cas, c’est aussi les moyens humains. « On essaye de renforcer les équipes, explique Christophe Trivalle. On rouvre des lits. On est en train de monter une unité “Covid” dans un couloir qui avait été fermé. Mais, de base, on manque de personnel. Et les boîtes d’intérim rechignent à venir dans les secteurs infectés. »

Pas assez de personnels ni de matériels

Mais cet isolement n’est pas forcément transposable dans les Ehpad. « Il faut trouver des moyens d’isolement. En résidence, les gens vivent dans leur logement. Et il est compliqué de demander aux vieux messieurs et vieilles dames de déménager », précise Romain Gizolme, qui reconnaît qu’on « fait avec les moyens, humain et matériel, du bord ». Mais à ce stade, et sans vouloir « minimiser la situation », ce dernier refuse de parler « d’hécatombe » : « La plus grande vigilance s’impose. Il faut que nous ayons des masques dans la durée et en nombre suffisant », assure-t-il. Pour éviter le désastre, les auteurs de la lettre au ministre de la Santé réclament sans délai la livraison de pas moins de « 500 000 masques par jour » à l’ensemble du personnel soignant. « Une mesure centrale » alors qu’il « est encore temps de limiter la propagation du virus au sein de ces structures ».

Un point de vue pas forcément partagé par tous. « C’est terrible, ils ont décidé de sacrifier les petits vieux », s’émeut ainsi Laurent Picon, aide-soignant à l’hôpital de Beaumont, dans l’Oise, et délégué syndical SUD. « L’hôpital de Beaumont est en train de monter une unité Covid gériatrie pour accueillir les patients de l’unité de gériatrie aiguë contaminés, où d’ailleurs les personnels, qui sont possiblement porteurs du virus, n’ont pas de masque. Mais on n’a pas de réanimation sur place. À Pontoise, on ne voudra pas d’eux. Ça veut dire qu’ils mourront là. C’est terrible… » témoigne-t-il, la voix entrecoupée de sanglots.

Alexandra Chaignon
 
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25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 07:11
Pourquoi la colère monte face à la stratégie française de dépistage limité  du coronavirus - Alexandre Fache, Nadège Dubessay, L'Humanité, 23 mars 2020
Lundi, 23 Mars, 2020
Pourquoi la colère monte face à la stratégie française de dépistage « limité » du coronavirus

La France s’est distinguée de beaucoup d'autres pays devant affronter l’épidémie par le faible nombre de tests pratiqués. Le résultat d’un manque de « réactifs », expliquent les uns. D’une impréparation coupable, accusent d’autres. Explications.

 

« Testez, testez, testez. Nul ne peut combattre un incendie les yeux bandés. » En faisant le point, le 16 mars, sur la pandémie de Covid-19, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a convoqué répétition et métaphore pour tenter de se faire entendre. Un message que de nombreux pays (Corée du Sud, Allemagne…) n’ont pas attendu pour pratiquer un dépistage massif. D’autres, à commencer par la France, semblent avoir beaucoup de mal à en faire une priorité. Après des semaines de déni, le ministre de la Santé a fini par reconnaître, samedi, que la « doctrine » française en la matière devait « évoluer ». « L’OMS nous demande de tester, on doit désormais suivre cette voie », a déclaré Olivier Véran, promettant de « multiplier les tests », mais seulement « quand nous aurons levé le confinement ».

Suffisant ? Pas sûr. De nombreux scientifiques, comme le Pr Didier Raoult, infectiologue à Marseille et membre du comité scientifique chargé de conseiller l’État, plaident au contraire pour un dépistage aussi massif et précoce que possible. « Pour sauver des vies, nous devons réduire la transmission. Cela signifie qu’il faut trouver et isoler le plus grand nombre de cas possibles, et mettre en quarantaine leurs contacts les plus proches », indiquait déjà le patron de l’OMS, le 12 mars. « Même si vous ne pouvez pas arrêter la transmission, vous pouvez la ralentir et protéger les établissements de santé, les maisons de retraite et autres espaces vitaux – mais seulement si vous testez tous les cas suspects. » « L’identification plus systématique des sujets porteurs pourrait contribuer significativement à l’écrasement ou l’étirement du pic épidémique », écrivaient aussi, le 13 mars, dans le Quotidien du médecin, Laurent Lagrost (Inserm) et Didier Payen (ex-chef de la réanimation à l’hôpital Lariboisière). Las, malgré des objectifs affichés similaires, la France a choisi de ne pas procéder ainsi, et se retrouve face à une propagation invisible et plus large que les chiffres égrenés chaque jour. Il y aurait « entre 30 000 et 90 000 » personnes infectées en France, a d’ailleurs estimé samedi Olivier Véran. Soit bien plus que les 14 459 cas positifs relevés officiellement.

La France atteint péniblement les 5000 tests par jour, depuis peu

Pourtant, jusqu’à il y a quelques jours, l’idée de tester plus largement la population était écartée sans autre forme de procès. « En circulation active, le test n’a pas beaucoup d’intérêt, aucun pays ne l’a fait », assurait ainsi le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, le 17 mars, au lendemain de l’injonction de l’OMS. « La France n’est pas visée » par cette déclaration, voulait croire le haut fonctionnaire, infectiologue de profession. Ah bon ? Mais qui cette supplique visait-elle alors, sinon les pays limitant encore drastiquement leur politique de dépistage ? Lors de la première semaine de mars, tandis qu’elle n’avait encore constaté aucun décès lié au Covid-19, l’Allemagne a testé 35 000 personnes, 100 000 la suivante, et peut désormais dépister 160 000 personnes chaque semaine, selon le président de l’Institut de santé publique Robert-Koch, Lothar Wieler. La France atteint péniblement les 5 000 tests par jour, depuis peu.

Et début mars, c’était pire. « Pour toute la Seine-Saint-Denis, nous avions une limite de 14 tests, 28 à partir du 9 mars, se souvient Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes (Amuf). C’était totalement dérisoire ! Résultat : on ne testait que les cas ultra-prioritaires. Une erreur ! Cela laissait dans la nature de nombreux cas douteux. » Pour le médecin de l’hôpital Avicenne, à Bobigny, « le gouvernement a manqué à la fois de réactivité – en ne mettant pas la pression sur les labos pour produire massivement des tests – et de clarté – avec son discours invitant à “maintenir l’activité” tout prix ».

Cette stratégie de dépistage limité était-elle le résultat d’un manque de stocks ? C’est ce qu’affirme l’immunologiste Jean-François Delfraissy, qui préside le comité scientifique mis en place le 11 mars. « Nous sommes incapables (…) de tester à la même échelle que la Corée du Sud », a-t-il affirmé dans l e Monde ce week-end, du fait d’un « énorme problème (d’approvisionnement – NDLR) en réactifs », qui viennent « de Chine et des États-Unis ». Une explication qui ne satisfait pas la cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, Pauline Londeix (lire entretien en p. 4). Dans un courrier envoyé jeudi à Édouard Philippe, elle rappelle avoir tiré la sonnette d’alarme, à l’automne, « sur les problèmes généraux du marché du diagnostic en France », auprès d’Olivier Véran, alors rapporteur du projet de loi sur la Sécurité sociale, et Agnès Buzyn. En vain : « Nous constatons que rien n’a été fait depuis », se désole-t-elle.

Seuls quelques laboratoires seraient opérationnels

La France, pourtant, compte sur son territoire de nombreux laboratoires, publics ou privés, en mesure de réaliser des tests (120 selon la DGS). Mais seuls quelques dizaines seraient opérationnels. Et un industriel français est spécialisé dans cette activité : BioMérieux et ses 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Ont-ils été sollicités assez tôt par le gouvernement ? Le scénario actuel permet d’en douter. Convaincus que toutes les mesures n’ont pas été prises à temps, trois médecins, représentants d’un collectif de soignants, ont déjà porté plainte jeudi, devant la Cour de justice de la République, contre le premier ministre et l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn. D’autres ont saisi en référé le Conseil d’État vendredi, réclamant un confinement plus strict. Le même jour, une tribune de cinquante soignants interrogeait : « Le gouvernement fait-il vraiment la guerre au coronavirus ? » Le signe d’une colère qui se propage presque aussi vite que le virus.

Alexandre Fache
Lundi, 23 Mars, 2020
Dépistage du Covid-19. «  L’anticipation de la crise n’a pas été à la hauteur  »

Olivier Véran a annoncé samedi un « changement dans la stratégie de dépistage ». Une évolution bien tardive, regrette la militante Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.
 

 
Pourquoi la France n’a-t-elle pas dépisté plus massivement, comme la Corée du Sud ? Y a-t-il eu une erreur de stratégie ?

PAULINE LONDEIX C’est évident. La gestion, l’anticipation de la crise n’ont pas été à la hauteur. Les confidences d’Agnès Buzyn le montrent. Il y a eu un pilotage à vue, le gouvernement ne s’est pas posé les bonnes questions au bon moment. Notamment sur le dépistage. Le comité scientifique n’a été installé par Olivier Véran que le 11 mars. Ça veut dire que, pendant toute la phase ascendante de l’épidémie, il n’y en avait pas. Autre problème, ce comité a rendu trois avis entre le 12 et le 16 mars : rien, pas un mot sur la question du dépistage. C’est étonnant. Certes, il n’était pas évident de prédire l’ampleur de cette crise. Mais si, en janvier, le gouvernement avait réfléchi à une stratégie de dépistage plus importante s’appuyant sur des producteurs locaux publics, peut-être aurait-on pu freiner l’épidémie. Plus tard, on aurait aussi dû tirer des leçons plus rapides de ce qu’ont fait la Corée du Sud ou l’Allemagne.

Olivier Véran assure que des tests ont été menés largement en Haute-Savoie ou dans l’Oise, mais que, après la vaste dissémination de cas depuis Mulhouse, ce n’était plus possible. Cette explication tient-elle ?

PAULINE LONDEIX Pas vraiment. Le gouvernement nous dit qu’il n’a pas assez de tests pour dépister massivement, mais quand nous appelons les hôpitaux, on s’aperçoit que les stocks de réactifs ne sont pas épuisés… Deuxième point : l’exécutif aurait pu faire pression sur les producteurs pour obtenir plus de tests, plus vite. Mais on n’a jamais eu l’impression que c’était une priorité. Vendredi, Jean-François Delfraissy a affirmé que nous manquions de certains composants fabriqués en Chine ou aux États-Unis. Mais nous avons appelé des producteurs français : ils n’importent rien de ces pays, mais plutôt d’Allemagne et du Royaume-Uni. Le ministre de la Santé a annoncé samedi soir que la France allait revoir sa stratégie. C’est bien, mais tardif.

La France, prétend-il, se contente de suivre les recommandations de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)…

PAULINE LONDEIX Le problème date d’il y a environ un mois. Les épidémiologistes alertent sur le fait que la France va faire face à une vague très importante de l’épidémie. Pourtant, les mesures restent très modestes. L’OMS a certes un peu tardé, mais désormais, elle l’affirme clairement : la priorité, c’est de dépister. La France, elle, donne le sentiment de réagir après tout le monde. Jusqu’à vendredi matin, Édouard Philippe affirmait que si on ne dépistait pas massivement, c’était en application d’une prétendue « doctrine médicale ». Mais de quelle doctrine parle-t-il ? Il essaye de faire passer pour un choix scientifique la conséquence du sous-investissement dans la santé et une certaine forme d’improvisation. Cela fait douze jours que nous demandons au gouvernement de publier la liste des tests utilisés, l’origine des réactifs, leur prix, qui sont les producteurs mobilisés, publics ou privés, quels sont les volumes attendus, pour quand. Aucune réponse.

Que révèle cette crise sur nos fragilités dans l’accès aux produits de santé essentiels ?

PAULINE LONDEIX On a laissé le secteur du médicament, des produits médicaux et de diagnostic aux seuls industriels du secteur privé, ce qui est une très mauvaise idée. Or, en cas de pandémie, ils ne sont pas en première ligne. Ce qui nous sauve dans l’urgence actuelle, ce sont les infrastructures publiques : les hôpitaux, la recherche… Pas le privé. Cela montre bien qu’il faut sortir ce secteur des logiques de marché.

C’est ce qu’a promis le président de la République le 12 mars. Vous y croyez ?

PAULINE LONDEIX Il nous a déjà habitués à ce type de décalage entre le discours et les actes. Cynthia Fleury appelle ça la falsification du langage. En mai dernier, devant l’Organisation internationale du travail (OIT), Emmanuel Macron avait vertement critiqué le libéralisme. On voit ce que ça a donné depuis… Le résultat, c’est qu’on est dans la pire situation possible pour faire face à une pandémie comme celle du Covid-19. Ce n’est pas la faute de ce seul gouvernement. Mais il a sa part de responsabilité.

Vous comprenez les médecins qui ont porté plainte devant la Cour de justice de la République ou le Conseil d’État ?

PAULINE LONDEIX Oui, parce qu’il y a eu trop de dysfonctionnements. Agnès Buzyn dit avoir alerté le premier ministre dès janvier. Sans résultat. Malgré cette conscience du danger, elle décide de quitter son ministère, en pleine crise… Et alors que celle-ci s’aiguise, début mars, qu’annonce Édouard Philippe ? Le 49.3 pour la réforme des retraites ! Si on ajoute à ce tableau l’absence de dépistage systématique, le manque de masques ou les ruptures en gel hydro­alcoolique, on voit qu’il y a eu des problèmes à tous les niveaux. C’est grave.

Entretien réalisé par Alexandre Fache
Lundi, 23 Mars, 2020
« Pas de test, malgré la prescription de mon médecin »

Jean-Jacques Michot a contracté le Covid-19 dans un bureau de vote, à Saint-Ouen. Alors qu’il cumule les facteurs à risque et malgré l’ordonnance de son généraliste, il n’a pu être dépisté.

 

C’est une toux sèche et persistante qui alerta la femme de Jean-Jacques Michot, mardi 17 mars. Le lendemain matin, la fièvre s’était installée. Latifa n’hésite plus, elle appelle le médecin traitant. « En téléconsultation, il nous a expliqué comment évaluer ma fréquence respiratoire », explique Jean-Jacques. Il le sait aujourd’hui, il a été contaminé alors qu’il tenait un bureau de vote de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).

À 72 ans, avec un traitement pour l’hypertension et un autre contre le psoriasis, il cumule ce que l’on nomme les facteurs à risque. Le même jour, Latifa récupère l’ordonnance au cabinet médical. « Il fallait absolument que mon mari soit sous surveillance », explique-t-elle. L’ordonnance destinée aux urgences indique « forte suspection de Covid-19 » et décrit les pathologies, les antécédents – notamment un cancer de la peau – du patient. « En même temps qu’il me parlait, le médecin a essayé d’appeler le 15, raconte Latifa. Sans succès. Il a aussi contacté un service ambulancier. Mais ce dernier a répondu qu’il ne faisait pas le trajet des urgences… » De son côté, Latifa appelle une compagnie de taxis. Même refus. « On a laissé tomber, des voisins pourront amener Jean-Jacques si vraiment son état s’aggrave, mais il ne fera pas le test. On ne va pas engorger les urgences alors que le médecin m’a dit que de toute façon, les tests, il n’y en a plus. »

De nombreux scientifiques préconisent un dépistage massif

Pourtant, tout comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de nombreux scientifiques préconisent un dépistage massif afin de mieux mesurer l’évolution de la pandémie. « En France, l’estimation du nombre de cas est basée uniquement sur les malades testés », déplore le docteur Henri Partouche, le médecin généraliste de Jean-Jacques Michot. Il espère que le réseau Sentinelles, qui assure le suivi des épidémies en médecine de ville, adapté au Covid-19 depuis le 16 mars, « permettra de tester le nombre exact de cas à partir d’un réseau de médecins généralistes ». Habiliter les médecins de ville à tester leurs patients, c’est pouvoir « mieux affiner le diagnostic » et aussi « améliorer plus tôt les comportements de confinement », assure le Dr Partouche. En attendant, il a expliqué à son patient comment surveiller sa fréquence respiratoire, sa température. Et il l’appelle régulièrement. « Nous sommes passés brutalement d’une médecine sociale, de relation, à une médecine de guerre », soupire-t-il. Malgré la fatigue, Jean-Jacques tient à garder le moral : « Je sais que j’en ai pour un moment, mais ça va passer. » Surtout, le couple sait qu’il peut compter sur la formidable solidarité des voisins de leur résidence.

Nadège Dubessay
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25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 07:07
Les travailleurs indépendants craignent de se retrouver livrés à eux-mêmes (L'Humanité, 24 mars 2020, Marie Toulgoat)
Mardi, 24 Mars, 2020
Les travailleurs indépendants craignent de se retrouver livrés à eux-mêmes

Alors que leur activité est frappée de plein fouet, les indépendants déplorent l’insuffisance des mesures prises par le gouvernement, qui laissent sur le carreau les plus fragiles d’entre eux.

 

« J’ai perdu tout ce que j’aurais dû toucher, entre les contrats annulés et les événements auxquels je ne pourrai pas participer. En mars, 4 000 euros ont dû s’évaporer comme ça. Ce sera 2 500 euros supplémentaires pour chaque mois. » Plusieurs semaines après le début de l’épidémie en France, Emma Birski, photographe indépendante, accuse le coup. Avec la plupart de ses contrats auprès de labels de musique ou de marques annulés ou reportés, c’est la majorité de son activité qui s’est envolée. « J’essaye d’organiser la prévente de tirages pour sauver un peu les choses ; je ne sais pas si ça va suffire. Depuis décembre déjà, je pioche dans mes économies, elles sont en train de fondre. » Pour l’artiste, l’épidémie est une double peine : non seulement ses recettes ont fondu, mais elle ne pourra pas bénéficier du fonds de solidarité annoncé par l’État. Pour être concerné, il faut en effet percevoir moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires annuel et démontrer une perte d’au moins 70 % en mars 2020 par rapport à mars 2019. En activité depuis moins d’un an, la photographe n’entre pas dans cette catégorie.

« Il y a plus de 2 millions d’entreprises de moins de 10 salariés en France. Selon nos calculs et les annonces faites il y a une semaine par le ministre de l’Économie, la mesure ne devrait couvrir que 600 000 entreprises. Beaucoup vont rester en dehors du dispositif. Si on a seulement 60 % de pertes ou si on vient de se lancer, on en est exclu », déplore Marc Sanchez, secrétaire national du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI). Celui-ci réclame un élargissement massif de la mesure, qui laisse pour compte les travailleurs les plus fragiles.

L’État doit mettre les assureurs au pas

Restauratrice depuis sept ans à Nantes et avec un chiffre d’affaires d’environ 300 000 euros, Caroline Deguet pourra bénéficier du fonds de solidarité. Si elle applaudit la mise en place de cette aide, le montant de l’indemnisation reste trop dérisoire pour amortir complètement la fermeture de son restaurant. « C’est une bonne mesure, mais le montant est ridicule : 1 500 euros, ce n’est même pas mon loyer. » Dans le lot des annonces faites aux indépendants par Bercy, par ailleurs, une mesure manque pour la propriétaire du restaurant : la mise au pas des compagnies d’assurances. « Pour les assureurs, la pandémie ne fait pas partie des catastrophes naturelles. Je pensais être couverte pour mes pertes d’exploitation, mais je n’ai le droit à rien. Ce n’est pas normal, l’État devrait intervenir auprès des assurances. »

Concernant le report du paiement des charges sociales et fiscales annoncé par le gouvernement, il n’y a pas non plus de quoi se réjouir, considère la photographe Emma Birski. « Je trouve que c’est inutile, je vais quand même devoir payer plus tard une somme que je n’ai pas touchée », explique-t-elle. Si Caroline Deguet est moins sévère envers le report, qui lui permettra de dégager un peu de trésorerie pour payer son loyer et avancer le chômage partiel de ses trois salariés, remboursé a posteriori par le gouvernement, l’État n’a pas pris la mesure de la situation pour les indépendants les plus fragiles. « Je connais quelqu’un qui a débuté son activité il y a un mois. Même avec ces mesures, ça va être une catastrophe pour lui », craint-elle. Un point sur lequel le SDI a voulu appuyer : « Ce que nous avons demandé, c’est le dégrèvement des charges pour les indépendants pour les mois concernés par l’épidémie, et pas simplement le moratoire. »

 

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24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 06:17
Coronavirus : la science ne marche pas dans l’urgence !

Je suis Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille. Mon équipe travaille sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus.

En 2002, notre jeune équipe travaillait sur la dengue, ce qui m’a valu d’être invité à une conférence internationale où il a été question des coronavirus, une grande famille de virus que je ne connaissais pas. C’est à ce moment-là, en 2003, qu’a émergé l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et que l’Union européenne a lancé des grands programmes de recherche pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence. La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication. Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience.
C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. 


Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un scandale Mediator-bis.

Dans mon équipe, nous avons participé à des réseaux collaboratifs européens, ce qui nous a conduits à trouver des résultats dès 2004. Mais, en recherche virale, en Europe comme en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite, on oublie. Dès 2006, l’intérêt des politiques pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheur·ses de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Avec des collègues belges et hollandais·es, nous avions envoyé il y a cinq ans deux lettres d’intention à la Commission européenne pour dire qu’il fallait anticiper. Entre ces deux courriers, Zika est apparu…

La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate.

Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de travail que l’on a vu peu à peu se dégrader. Quand il m’arrivait de me plaindre, on m’a souvent rétorqué : « Oui, mais vous, les chercheur·ses, ce que vous faites est utile pour la société… Et vous êtes passionnés ».

Et j’ai pensé à tous les dossiers que j’ai évalués.

J’ai pensé à tous les papiers que j’ai revus pour publication.

J’ai pensé au rapport annuel, au rapport à 2 ans, et au rapport à 4 ans.

Je me suis demandé si quelqu’un lisait mes rapports, et si cette même personne lisait aussi mes publications.

J’ai pensé aux deux congés maternité et aux deux congés maladie non remplacés dans notre équipe de 22 personnes.

J’ai pensé aux pots de départs, pour retraite ou promotion ailleurs, et aux postes perdus qui n’avaient pas été remplacés.

J’ai pensé aux 11 ans de CDD de Sophia, ingénieure de recherche, qui ne pouvait pas louer un appart sans CDI, ni faire un emprunt à la banque.

J’ai pensé au courage de Pedro, qui a démissionné de son poste CR1 au CNRS pour aller faire de l’agriculture bio.

J’ai pensé aux dizaines de milliers d’euros que j’ai avancé de ma poche pour m’inscrire à des congrès internationaux très coûteux.

Je me suis souvenu d’avoir mangé une pomme et un sandwich en dehors du congrès pendant que nos collègues de l’industrie pharmaceutique allaient au banquet.

J’ai pensé au Crédit Impôt Recherche, passé de 1.5 milliards à 6 milliards annuels (soit deux fois le budget du CNRS) sous la présidence Sarkozy.

J’ai pensé au Président Hollande, puis au Président Macron qui ont continué sciemment ce hold-up qui fait que je passe mon temps à écrire des projets ANR.

J’ai pensé à tou·tes mes collègues à qui l’ont fait gérer la pénurie issue du hold-up.

J’ai pensé à tous les projets ANR que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés.

J’ai pensé à ce projet ANR Franco-Allemande, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de la re-déposer telle quelle un an après, et qu’on m’a finalement refusé faute de crédits.

J’ai pensé à l’appel Flash de l’ANR sur le coronavirus, qui vient juste d’être publié.

J’ai pensé que je pourrais arrêter d’écrire des projets ANR.

Mais j’ai pensé ensuite aux précaires qui travaillent sur ces projets dans notre équipe.

J’ai pensé que dans tout ça, je n’avais plus le temps de faire de la recherche comme je le souhaitais, ce pour quoi j’avais signé.

J’ai pensé que nous avions momentanément perdu la partie.

Je me suis demandé si tout cela était vraiment utile pour la société, et si j’étais toujours passionné par ce métier ?

Je me suis souvent demandé si j’allais changer pour un boulot inintéressant, nuisible pour la société et pour lequel on me paierait cher?

Non, en fait.

J’espère par ma voix avoir fait entendre la colère légitime très présente dans le milieu universitaire et de la recherche publique en général.

Vous pouvez également lire une interview de Bruno Canard parue dans le Monde le 29/02/2020.

 

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La revue Progressistes est un trimestriel articulant les enjeux du monde du travail, de l’environnement, et les avancées scientifiques et techniques.

Chaque numéro est organisé autour d’un dossier spécifique et des rubriques régulières en lien, plus ou moins distendu, avec l’actualité immédiate.

Nombre de ses articles font appel à des spécialistes dont les préoccupations vont bien au delà des seuls aspects purs de la science, de la technologie ou de la technique qu’on peut habituellement retrouver ailleurs.

 

 

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24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 06:14

 

Dans le concert des pays devant affronter l’épidémie, la France s’est distinguée par le faible nombre de tests pratiqués. Le résultat d’un manque de « réactifs », expliquent les uns. D’une impréparation coupable, accusent d’autres.

« T estez, testez, testez. Nul ne peut combattre un incendie les yeux bandés. » En faisant le point, le 16 mars, sur la pandémie de Covid-19, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a convoqué répétition et métaphore pour tenter de se faire entendre. Un message que de nombreux pays (Corée du Sud, Allemagne…) n’ont pas attendu pour pratiquer un dépistage massif. D’autres, à commencer par la France, semblent avoir beaucoup de mal à en faire une priorité. Après des semaines de déni, le ministre de la Santé a fini par reconnaître, samedi, que la « doctrine » française en la matière devait « évoluer ». « L’OMS nous demande de tester, on doit désormais suivre cette voie », a déclaré Olivier Véran, promettant de « multiplier les tests », mais seulement « quand nous aurons levé le confinement ».

Suffisant ? Pas sûr. De nombreux scientifiques, comme le Pr Didier Raoult, infectiologue à Marseille et membre du comité scientifique chargé de conseiller l’État, plaident au contraire pour un dépistage aussi massif et précoce que possible. « Pour sauver des vies, nous devons réduire la transmission. Cela signifie qu’il faut trouver et isoler le plus grand nombre de cas possibles, et mettre en quarantaine leurs contacts les plus proches », indiquait déjà le patron de l’OMS, le 12 mars. « Même si vous ne pouvez pas arrêter la transmission, vous pouvez la ralentir et protéger les établissements de santé, les maisons de retraite et autres espaces vitaux – mais seulement si vous testez tous les cas suspects. » « L’identification plus systématique des sujets porteurs pourrait contribuer significativement à l’écrasement ou l’étirement du pic épidémique », écrivaient aussi, le 13 mars, dans le Quotidien du médecin, Laurent Lagrost (Inserm) et Didier Payen (ex-chef de la réanimation à l’hôpital Lariboisière). Las, malgré des objectifs affichés similaires, la France a choisi de ne pas procéder ainsi, et se retrouve face à une propagation invisible et plus large que les chiffres égrenés chaque jour. Il y aurait « entre 30 000 et 90 000 » personnes infectées en France, a d’ailleurs estimé samedi Olivier Véran. Soit bien plus que les 14 459 cas positifs relevés officiellement.

La France atteint péniblement les 5000 tests par jour, depuis peu

Pourtant, jusqu’à il y a quelques jours, l’idée de tester plus largement la population était écartée sans autre forme de procès. « En circulation active, le test n’a pas beaucoup d’intérêt, aucun pays ne l’a fait », assurait ainsi le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, le 17 mars, au lendemain de l’injonction de l’OMS. « La France n’est pas visée » par cette déclaration, voulait croire le haut fonctionnaire, infectiologue de profession. Ah bon ? Mais qui cette supplique visait-elle alors, sinon les pays limitant encore drastiquement leur politique de dépistage ? Lors de la première semaine de mars, tandis qu’elle n’avait encore constaté aucun décès lié au Covid-19, l’Allemagne a testé 35 000 personnes, 100 000 la suivante, et peut désormais dépister 160 000 personnes chaque semaine, selon le président de l’Institut de santé publique Robert-Koch, Lothar Wieler. La France atteint péniblement les 5 000 tests par jour, depuis peu.

Et début mars, c’était pire. « Pour toute la Seine-Saint-Denis, nous avions une limite de 14 tests, 28 à partir du 9 mars, se souvient Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes (Amuf). C’était totalement dérisoire ! Résultat : on ne testait que les cas ultra-prioritaires. Une erreur ! Cela laissait dans la nature de nombreux cas douteux. » Pour le médecin de l’hôpital Avicenne, à Bobigny, « le gouvernement a manqué à la fois de réactivité – en ne mettant pas la pression sur les labos pour produire massivement des tests – et de clarté – avec son discours invitant à “maintenir l’activité” tout prix ».

Cette stratégie de dépistage limité était-elle le résultat d’un manque de stocks ? C’est ce qu’affirme l’immunologiste Jean-François Delfraissy, qui préside le comité scientifique mis en place le 11 mars. « Nous sommes incapables (…) de tester à la même échelle que la Corée du Sud », a-t-il affirmé dans l e Monde ce week-end, du fait d’un « énorme problème (d’approvisionnement – NDLR) en réactifs », qui viennent « de Chine et des États-Unis ». Une explication qui ne satisfait pas la cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, Pauline Londeix (lire entretien en p. 4). Dans un courrier envoyé jeudi à Édouard Philippe, elle rappelle avoir tiré la sonnette d’alarme, à l’automne, « sur les problèmes généraux du marché du diagnostic en France », auprès d’Olivier Véran, alors rapporteur du projet de loi sur la Sécurité sociale, et Agnès Buzyn. En vain : « Nous constatons que rien n’a été fait depuis », se désole-t-elle.

Seuls quelques laboratoires seraient opérationnels

La France, pourtant, compte sur son territoire de nombreux laboratoires, publics ou privés, en mesure de réaliser des tests (120 selon la DGS). Mais seuls quelques dizaines seraient opérationnels. Et un industriel français est spécialisé dans cette activité : BioMérieux et ses 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Ont-ils été sollicités assez tôt par le gouvernement ? Le scénario actuel permet d’en douter. Convaincus que toutes les mesures n’ont pas été prises à temps, trois médecins, représentants d’un collectif de soignants, ont déjà porté plainte jeudi, devant la Cour de justice de la République, contre le premier ministre et l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn. D’autres ont saisi en référé le Conseil d’État vendredi, réclamant un confinement plus strict. Le même jour, une tribune de cinquante soignants interrogeait : « Le gouvernement fait-il vraiment la guerre au coronavirus ? » Le signe d’une colère qui se propage presque aussi vite que le virus.

Alexandre Fache

 

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 19:13
Le PCF demande le confinement général et la mise à l’arrêt les secteurs non indispensables (Fabien Roussel)
Publié le 23/03/2020 par PCF
Le PCF demande le confinement général et la mise à l’arrêt les secteurs non indispensables (Fabien Roussel)

16 018 cas recensés, 1 746 cas graves et 674 décès, soit 112 morts supplémentaires en seulement 24 heures... Le bilan en France de l'épidémie de Covid-19 est terrible. Son évolution rapide exige d'intensifier le confinement des populations, premier rempart à la propagation de l’épidémie.

Les ministres Le Maire, Véran et Pénicaud demandent aux entreprises et à leurs salarié-es de travailler. C'est inadmissible ! Airbus envisage de réouvrir ses lignes de productions tandis que des entreprises du BTP ne savent plus quoi faire ! Le gouvernement devrait concentrer ses efforts sur la mobilisation des cliniques privées pour la prise en charge des malades.

La seule solution pour stopper l'épidémie, freiner sa propagation, c'est le confinement général. Pourtant 45 % des salarié-es sont aujourd'hui contraint-es de travailler dans des secteurs non indispensables à la gestion de l'urgence sanitaire.

Il est donc urgent que le gouvernement, en lien avec les organisations syndicales et patronales, décide de mettre à l’arrêt des secteurs non indispensables au fonctionnement du pays dans les conditions actuelles. Cette décision ne peut pas relever du bon vouloir des employeurs.

Nous demandons le confinement général et le maintien des rémunérations des salarié-es concerné-es par cette suspension et la prise en charge des indépendants tel que les livreurs.

Pour les salarié-es actuellement en 1ere ligne, personnels soignants, force de l'ordre et de sécurité, auxiliaires de santé, et autres professions nécessaires au fonctionnement du pays dans cette période, nous demandons toutes les mesures de protection et l'arrivée rapide de matériel de protection (masques, gants, gel, ou encore désinfection des locaux collectifs…).


Fabien Roussel, secrétaire national du PCFdéputé du Nord

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 18:06
Lucien Sève disparu : la pensée communiste en deuil. Par Patrick Le Hyaric (Lundi 23 mars - L'Humanité)
Lundi, 23 Mars, 2020
Lucien Sève disparu : la pensée communiste en deuil. Par Patrick Le Hyaric
 
C’est un choc. Une douleur. Un monument vient de tirer sa révérence. La peine des militants communistes et progressistes est à hauteur du legs que nous laisse Lucien Sève : immense. Il était un authentique ami de L’Humanité, avec la volonté de toujours la porter plus haut pour qu’elle soit toujours plus utile. C’est lui qui inventa lors d’une rencontre alors qu’il en était le rédacteur en chef d’un jour le concept de « Cortex » devenu une rubrique chaque vendredi. 
 
 
Lucien aura consacrée sa longue et riche existence à faire vivre obstinément la pensée communiste. Le communisme originel. Récemment encore, du haut de ses 90 années, Lucien s’attaquait à une somme colossale, « Penser avec Marx aujourd’hui ». Une tétralogie laissée inachevée pour remettre la pensée de Marx sur ses pieds et penser le communisme au futur.
En révolutionnaire convaincu, il faisait preuve d’une abnégation exemplaire à remettre sur le métier l’ouvrage d’une vie pour faire vivre l’idée selon laquelle « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous », comme l’écrivait Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste
L’âge ne lui faisait pas peur et nous avions l’impression déroutante que toute année de plus signifiait pour lui, plus d’audace, plus de courage, plus d’engagement. La quête du communisme était en somme son bain de jouvence. Il parlait ces derniers mois et années avec un appétit insatiable des sujets de recherche qui mobilisaient ses journées pour éclairer encore et toujours le mouvement transformateur. Il ne loupait rien de l’actualité et de ses ressorts pour nourrir, en rapprochant dans son dernier livre Jaurès de Marx, une « évolution révolutionnaire » à visée communiste.
Sa vie, Lucien la traça au cœur du phénomène communiste français, endossant très jeune, dès l’après-guerre, d’importantes responsabilités au sein des instances du Parti communiste. Très actif dans les différentes régions de France où il s’établissait par nécessité, le jeune professeur, normalien et agrégé de philosophie, fit face à l’opprobre et la censure des administrations qui voyaient d’un mauvais œil ce militant communiste, sagace et impertinent. Il a été en quelque sorte victime « d’interdit professionnel » et des avancements qui lui aurait ouvert les portes des plus grands centre de recherches universitaires. 
Mobilisé dans le comité Maurice Audin 1959, il s’engagea dans les luttes anticoloniales et contre les dérives bonapartistes du gaullisme. Parallèlement il intégra la rédaction en chef de la Nouvelle Critique où il se saisit des questions relatives à l’histoire de la philosophie. Entré au comité central du PCF lors du XVIe congrès en 1961, Lucien Sève fit valoir ses compétences et son intelligence dans les débats qui secouaient alors le mouvement communiste. Travaillant ardemment à sortir le parti communiste du stalinisme, il fut néanmoins très attentif à son ancrage théorique et à la fidélité aux concepts issus du marxisme. Il tint alors, contre vents et marées, une position originale et solidement argumentée entre l’humanisme de Roger Garaudy et le structuralisme de Louis Althusser. Sa position fut théorisée dans un ouvrage au fort retentissement publié en 1969 Marxisme et théorie de la personnalité qui se fixait pour objectif d’exposer une conception marxienne de l’individu, à rebours d’une conception désincarnée du socialisme alors en vogue.  
A la tête des Éditions sociales dès 1970, Lucien contribua à faire rayonner la maison d’édition au croisement des nouvelles disciplines en sciences sociales. L’indépendance acquise par Lucien lui permit d’ouvrir les Editions sociales à l’ébullition intellectuelle propre à cette décennie, tout en poursuivant un travail d’édition remarquable des œuvres de Marx et de ses héritiers. 
Nommé en 1983 par le Président Mitterrand au Comité consultatif national d’éthique, Lucien prit la tâche avec son sérieux coutumier pour laisser quelques ouvrages importants sur les questions, ô combien actuelles, relatives à la bioéthique. Bien qu’il ait assumé dès les années 80 des désaccords avec le parti communiste, il restait très attentif à son évolution et indéfectiblement fidèle à ses militants – ses camarades. 
Récemment encore, Lucien nous témoignait de son attachement viscéral à l’Humanité qu’il jugeait indispensable à tout combat commun. « La prise de la bastille aujourd’hui, c’est la prise conscience » disait-il en février dernier pour soutenir l’Humanité dans ses difficultés. Régulièrement invité par notre journal- le sien- et à la fête de L’Humanité, il épatait par son agilité, ses idées qui s’entrechoquaient à une vitesse surprenante sans jamais perdre de leur cohérence. 
Sa disparation nous plonge dans une infinie tristesse. Souhaitons que l’œuvre qu’il aura patiemment construite, avec sa rigueur,  ses audaces, ses intuitions et ses fulgurances, et parmi elle ces deniers ouvrages offerts à la postérité pour penser le communisme,  puisse être abondamment partagée et commentée. L’Humanité s’y consacrera car son œuvre est féconde. Porteuse d’avenir et d’espoir au moment ou trébuche les thèses du capitalisme. Lucien nous manquera, mais son immense œuvre le fera vivre.  
 
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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 17:57
Lucien Sève : son œuvre, gigantesque et plurielle, restera une contribution majeure et précieuse (Fabien Roussel)
Lucien Sève : son œuvre, gigantesque et plurielle, restera une contribution majeure et précieuse (Fabien Roussel)

Le Covid-19 aura donc emporté Lucien Sève, à 93 ans. On redoutait le jour où cet infatigable communiste achèverait sa course. Mais, malgré les années, il avait une telle détermination, il conservait une telle vigueur intellectuelle qu’on ne pouvait croire ce jour imminent. Il y a quelques mois encore, il était venu au siège national du Parti communiste français présenter le beau film que Marcel Rodriguez lui a consacré avec la Fondation Gabriel-Péri. Fidèle à lui-même, il avait à nouveau frappé l’auditoire par la force et la clarté de son propos.

Brillant intellectuel, il intègre l’École normale supérieure en 1945 avant d’être reçu à l’agrégation de philosophie en 1949. Résolu à changer ce monde, il rejoint le Parti communiste en pleine Guerre froide et en paie l’âpre prix : carrière barrée, bataillons disciplinaires en guise de service militaire… Cela ne détournera pas le jeune professeur du combat communiste. Militant très actif, il prend des responsabilités dans les fédérations de la Haute-Marne, de la Gironde ou des Bouches-du-Rhône, au gré des postes auxquels il est affecté. Il entre au Comité central comme membre suppléant en 1961 puis titulaire en 1964. Là, il s’affirme comme un des dirigeants importants du PCF, jouant un rôle majeur lors du comité central d’Argenteuil organisé en 1966 autour des questions culturelles et idéologiques, prenant bientôt la direction de la maison d’édition communiste, les Éditions sociales.

Communiste désireux de transformer effectivement le monde, il lie indissociablement le combat politique à une haute exigence théorique. Aussi, il ne cessa de mener un lourd et scrupuleux travail intellectuel autour de Marx mais aussi de Lénine qu’il tiendra, jusqu’à la fin de sa vie, comme une référence de tout premier plan. Déterminé à marier rigueur conceptuelle et accessibilité, il multiplie, avec une disponibilité jamais prise en défaut, les initiatives pour faire connaître au plus grand nombre, les élaborations théoriques les plus pointues.

En 1969, il publie un ouvrage très novateur, Marxisme et théorie de la personnalité, vite traduit en plus d’une dizaine de langues. Suivent des décennies de réflexions partagées au travers de livres mais aussi d’articles dans La Nouvelle Critique ou La Pensée. Quelles qu’aient été les controverses sur tel ou tel aspect de son œuvre, Lucien Sève s’affirme, sans conteste, comme un acteur majeur de débats intellectuels de très haute qualité, sans jamais sacrifier à la polémique dégradante, y compris dans ses oppositions vives à Louis Althusser.

 À l’écart des grandes structures universitaires, Lucien Sève, un temps directeur adjoint de l’Institut de recherches marxistes, paie aussi dans l’univers académique et éditorial l’orientation révolutionnaire maintenue de ses recherches, à l’heure où le marxisme n’était, disait-on, plus de saison. Longtemps minoré par l’Université et les maisons d’édition non communistes, la qualité de ses travaux a fini par avoir raison de cette guerre froide sans fin. Membre du Comité consultatif national d’éthique dans les années 1980, il publie alors chez Odile Jacob des ouvrages remarqués avant, plus récemment, de livrer des Écrits philosophiques de Marx chez Flammarion.

Pourtant, sa fidélité et son combat seront consacrés jusqu’à la fin de sa vie aux Éditions sociales, maison d’édition pour laquelle il dépensa sans compter son énergie quand la faillite emporta le groupe Messidor, participant à la création de La Dispute avec son ami et complice Richard Lagache. C’est à cet éditeur qu’il confie la grande tétralogie « Penser avec Marx aujourd’hui » initiée en 2004 et qui devait s’achever prochainement par un ultime volume. C’est encore à La Dispute qu’il œuvre, avec son épouse Françoise, à la redécouverte du psychologue Vygotski. C’est avec les Éditions sociales recréées qu’il travaille si durement à ce que les francophones disposent d’une Grande Edition Marx-Engels en français, soutenant de jeunes chercheurs et traducteurs avec cette bienveillance, cette exigence et cette générosité qui le caractérisaient si profondément.

Assurément, dès les années 1980, les relations avec le Parti communiste ne seront pas toujours simples et Lucien Sève quittera notre parti au début du XXIe siècle. Pour autant, il demeurera jusqu’à son dernier souffle un communiste résolu, toujours disposé au dialogue. Son œuvre, gigantesque et plurielle, restera une contribution majeure et précieuse pour les femmes et les hommes décidés à faire grandir cette ambition communiste qui était la sienne et qui demeure la nôtre. Une ambition dont l’urgence, aujourd’hui, se fait sentir plus que jamais.

 

Fabien Roussel, Secrétaire national du PCF, Député du Nord 

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 16:00
Lucien Sève : « Oui, le communisme vient à maturité objective »
Vendredi, 9 Novembre, 2018

En finissant la rédaction de la dernière partie, sur « le communisme », de sa grande tétralogie Penser avec Marx aujourd’hui, le philosophe parachève l’œuvre capitale de sa vie. Il dévoile, avant la parution en 2019, plusieurs grands partis pris de ce travail théorique et politique.

Le communisme est le sujet du dernier volume de votre tétralogie Penser avec Marx aujourd’hui , à paraître chez la Dispute en 2019. En quoi est-ce un travail d’ordre philosophique, historique et politique ?

Lucien Sève C’est quoi, « le communisme  » ? Dans le parler médiatique, c’est l’Union soviétique et les pays de même sorte au XXe siècle, les partis de même orientation. Mais la question se repose : en quoi est-ce « le communisme » ? En ceci, dit-on, qu’ils se réclament d’un avenir social ainsi nommé et qui ne s’est nulle part réalisé. On est ainsi renvoyé à la vaste anticipation historique exposée dans le Manifeste du parti communiste. En parler est donc d’abord nécessairement affaire de théorie, y compris philosophique. Mon livre commence par un long chapitre sur la formation de cette vue par Marx et Engels, et sa complexe évolution dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Si on ne tire pas bien au clair ce qu’on met sous le mot communisme – et sous le rapport terriblement équivoque qu’a avec lui le mot socialisme –, on s’expose aux pires malentendus, à moins qu’on ne cherche à en jouer. Ce que faisait le fameux Livre noir du communisme, où sur 800 pages il n’y a pas même un paragraphe pour dire ce qu’on est en droit de nommer communisme – « le communisme », ce serait Staline et Pol Pot… Partant d’une analyse approfondie du communisme marxien et de ses conditions de possibilité historique, je vais à sa recherche attentive dans un autre long chapitre consacré au XXe siècle et, disons-le en bref, je ne le trouve nulle part. Donner l’URSS pour un « pays communiste », ou même « socialiste », c’est ce que son grand historien Moshe Lewin appelle une complète « erreur d’étiquetage ». L’objet de mon livre, écrit aux trois-quarts, c’est l’histoire critique de cette visée communiste. Il est donc historique et politique du même mouvement que théorique.

Des enquêtes d’opinion publiées par l’Humanité en 2017 et 2018 ont montré que le mot communisme est décrié aujourd’hui. Comment, selon vous, lui redonner du sens ?

Lucien Sève Décrié est peu dire. Ce que montrent ces sondages, c’est que communisme est le terme le plus discrédité de tout le vocabulaire politique. Si on ne prend pas le fait avec un total sérieux, comment espérer inverser la tendance ? Or, c’est quoi, un total sérieux ? C’est revenir sans lésiner sur le pire : le stalinisme. Comment être crédible en donnant le communisme pour ce qui va nous faire sortir du capitalisme et inaugurer une civilisation supérieure sans s’expliquer en clair sur ce qui a pu faire s’ensuivre de la révolution d’Octobre tant d’horreurs sanglantes puis d’aberrations navrantes ? Se croit-on quitte avec l’immense affaire qu’est le stalinisme pour l’avoir condamné ? Mais qui va s’en satisfaire ? Quand c’est tout le sens de ce qui s’est passé depuis le Manifeste jusqu’à l’implosion de l’URSS qu’il faut donner à comprendre, donc d’abord comprendre soi-même. C’est la question centrale de mon deuxième chapitre, où je m’occupe longuement du stalinisme. Le faire en toute exigence disqualifie radicalement la vulgate qui proclame : « Le communisme est mort pour toujours, Dieu merci ! » Pour nous, qui nous réclamons plus que jamais du communisme et voulons commencer de faire bouger les lignes à son sujet, il est crucial, en cette époque des centenaires de 1917 et 1920, que nous éclairions bien davantage cette histoire. Sans faire toute la lumière sur notre passé, comment apparaître porteurs de futur ?

Vous parlez de la « visée communiste marxienne ». Pourquoi ce terme de visée, et quel est son contenu essentiel?

Ce n'est pas un tic de langage mais un choix fondamental. J'entends dire parfois que visée serait une révision en baisse de projet. Je soutiens le contraire. Projet est un terme programmatique, qui décide d'avance des contenus et formes de la société future. C'est utopique. Marx refusait de faire du communisme un "idéal" sur lequel l'histoire devrait se régler, à quoi il opposait le "mouvement réel" qui tend vers un au-delà radical de l'état de choses actuel. C'est ce que dit visée. De plus, projet est purement subjectif - on peut projeter ce qu'on veut, mais au risque terrible de vouloir forcer l'histoire, et c'est tout le drame du stalinisme. Visée est au contraire à la fois subjectif et objectif, comme l'action politique même: c'est nous qui visons, mais il y a une cible et des conditions pour l'atteindre auxquelles il est impératif de se plier. Oui, vraiment, visée communiste, et non pas projet. Quant à l'essentiel de cette visée, on peut le dire en trois mots: sortir de l'aliénation historique, au grand sens que prend l'aliénation dans le Capital, c'est-à-dire l'écrasement général des humains par les immenses puissances sociales qu'ils créent, et qui faute d'être appropriées par tous ne sont maîtrisables par personne. Ce que suggère assez bien une formule populaire: l'humanité va dans le mur. 

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 15:02
Table-ronde à l'Agora de la fête de l'Humanité: Lucien Sève - Jean Quétier - Bernard Vasseur - Isabelle Garo: le communisme pour dépasser le capitalisme (L'Humanité, 27 septembre - Pierre Chaillan)
Table ronde. Le communisme pour dépasser le capitalisme
Vendredi, 27 Septembre, 2019

Sur fond de crise du capitalisme et face aux menaces environnementales, le communisme, avec le recours à Marx, est pleinement d’actualité. Extraits de la rencontre organisée le 14 septembre à l’Agora de la Fête de l’Humanité.
Avec la participation des philosophes Lucien Sève Philosophe et auteur de Communisme ? (Éditions sociales) , Isabelle Garo  autrice de Communisme et stratégie (Éditions Amsterdam), Bernard Vasseur Philosophe et auteur de Communiste ! Avec Marx (Éditions PCF 93) et Jean Quétier Doctorant en philosophie, traducteur de Karl Marx et de Friedrich Engels.

 

En quoi le communisme de Karl Marx nous est-il utile pour penser un monde nouveau ?

 

-

JEAN QUÉTIER

Depuis une dizaine d’années, la référence à Marx a fait un retour sur la scène intellectuelle notamment. On peut même parler d’un recours nouveau à Marx. Les publications le concernant se multiplient dans différentes disciplines. L’an dernier, le bicentenaire de sa naissance a eu un rayonnement international. Cela montre que l’œuvre de Marx est incontournable. Ce n’est pas un hasard si cette réémergence de la pensée de Marx date de la crise financière de 2008. Dans ce retour à Marx, on a mis en avant la pertinence de ses analyses des contradictions qui traversent le mode de production capitaliste. En philosophie, on y revient pour penser l’aliénation. Plus récemment, on a mis en lumière le caractère précurseur de ses analyses sur l’environnement en lien avec la problématique écologique. Toutes ces directions de recherche sont décisives, mais je dirais qu’il y a un autre apport de sa pensée qui fait le lien avec le thème de ce débat et qui devrait être davantage mis en avant. C’est ce que l’on appelle le Marx politique : le Marx communiste pour le dire en une expression. Le film de Raoul Peck le Jeune Karl Marx lui donne d’ailleurs la part centrale. On peut alors s’interroger : en quoi la conception de communisme chez Marx est-elle novatrice ? On le sait, le philosophe n’est pas l’inventeur du communisme, ni du mot ni de la chose.

 

Quel est alors son apport singulier ?

JEAN QUÉTIER Avec Marx, le communisme cesse d’être une utopie, au sens d’une recette toute faite, pour devenir le nom d’un engagement au cœur de la pratique réelle de la classe des travailleuses et des travailleurs. Le communisme devient chez Marx, au cours des années 1840, une question d’organisation. Cela va le conduire à participer à l’émergence pratique et théorique de la forme moderne de l’organisation du mouvement ouvrier : le parti politique. En rompant avec un communisme de nature utopique, Marx rompt également avec une forme d’organisation de la société secrète ou de la secte, liée au communisme archaïque et utopique dont le caractère était fondamentalement antidémocratique. Cette intervention sur le terrain stratégique ouvre alors un nouveau champ du possible pour le communisme. On aurait intérêt à réinvestir cette direction de recherche.

Bernard Vasseur, vous venez de publier Communiste ! Avec Marx. Pourquoi faut-il être communiste aujourd’hui ?

 

-

BERNARD VASSEUR

En 2020, ce sera le centenaire du Parti communiste, et ce sera l’occasion de parler à la société. Je vois bien ce que l’on pourra dire du passé : Jaurès, la tuerie de la guerre de 1914-1918, le Front populaire, la Résistance, etc. Mais sur l’avenir ? Les médias ne vont pas manquer de nous envoyer à la figure : « 100 ans, c’est un bel âge pour mourir. Il faudrait songer à renoncer et à faire autre chose. Par exemple, devenez le parti du commun ou des communs, ou encore le parti du peuple ou le parti de la planète, ou tout simplement un parti de gauche un peu plus à gauche. » Nous répondrons, je l’espère : « Nous devons être communistes, mais l’être d’une manière nouvelle. » Le Parti communiste est très fier de s’appeler ainsi, mais ne parle pratiquement jamais du communisme. On en parle au moment du congrès. Le problème est de parler du communisme et de le faire vivre dans des batailles, dans des pratiques politiques, dans ce qui est en quelque sorte l’aliment du combat. C’est au nom du pour quoi on se bat qu’on est bien plus fort que dans le contre quoi on agit. La conscience du contre est impuissante à secréter la conscience du pour. C’est en partant de là qu’on peut lire Marx de manière nouvelle, car il est un acteur du communisme. Lorsque Marx avec Engels écrivent le Manifeste du Parti communiste, ils sont des penseurs et des acteurs du communisme. De l’autre côté existe un mouvement ouvrier où ceux qui sont majoritaires portent l’appellation de socialisme. Cette distinction entre communisme et socialisme se poursuit au XXe siècle, notamment lors de la révolution d’octobre 1917 pour d’autres raisons. Ce que nous a légué l’histoire des deux siècles derniers, c’est cette idée que le communisme ne pouvait jamais être à l’ordre du jour des luttes sociales du présent, parce qu’il y a toujours eu un préalable : le socialisme. Le communisme a toujours été repoussé dans un horizon lointain. Pour moi, il faut mettre à jour cela afin de le détricoter pour enfin accéder à la pensée de Marx telle qu’elle a été formulée et revenir au communisme : la critique de l’exploitation du capitalisme dans le travail, mais aussi celle de l’aliénation dans tous les domaines, la dépossession des leviers de sa propre vie. Le but de la société communiste est « le développement humain comme fin en soi », ce que Marx appellera aussi l’émancipation.

 

Isabelle Garo, dans Communisme et stratégie, vous affirmez que l’enjeu stratégique peut ouvrir une nouvelle voie alternative au capitalisme ?

 

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ISABELLE GARO

Il est frappant de voir ressurgir le terme de communisme, alors que les alternatives subissent une crise aussi profonde que le capitalisme lui-même. De fait, ce retour est surtout théorique, voire rhétorique : le communisme comme concept, ou comme idéal, reste séparé d’un véritable projet politique incluant la question des conditions pour y parvenir. Parler du communisme, c’est donc commencer par se confronter à l’état désastreux du mouvement ouvrier, organisations politiques et syndicales comprises, à la montée d’un néolibéralisme autoritaire qui fait le lit de l’extrême droite : il y a urgence. Face à cette urgence, une visée communiste grandiloquente, mais sans consistance politique, nous condamne à une stratégie qui se résume aux accords électoraux par en haut, les yeux braqués sur les élections et qui conduisent à perdre et à perdre encore. Elle entretient aussi et par contrecoup le dégoût de la politique institutionnelle, dont se nourrissent l’abstention, le désespoir et le fascisme. Une stratégie digne de ce nom doit rendre au mot de communisme son sens politique au présent. Pour autant, l’arracher au monde des songes creux ne veut pas dire renoncer à la théorie, cela signifie penser ensemble les conditions concrètes de la construction du grand soulèvement social et politique dont nous avons besoin.

 

Comment alors y parvenir ?

ISABELLE GARO Le propre de la stratégie ne consiste pas à définir les moyens d’un but prédéfini, mais à relier une finalité (un projet de société non capitaliste) et des conditions concrètes (la situation sociale et politique). L’utilisation du mot socialisme est de ce point de vue à reconsidérer. Sur un terrain où l’intervention ne peut être que collective et concertée, je voudrais surtout insister sur ce constat : l’éclatement présent des projets et des perspectives. Il s’agit alors de se préoccuper des moyens de nous mobiliser et d’organiser les classes populaires autour de la construction d’un projet commun, rompant radicalement, de façon globale et concertée, avec un capitalisme toujours plus mortifère et violent, irréformable. Marx lu comme stratège nous aide à penser ce que peut être non le communisme comme idéal, mais une politique communiste, comme moyen et médiation pour parvenir à ce qui est le plus gigantesque effort de l’humanité consciente, le communisme. Il s’agit d’un processus long et conflictuel, qui s’invente à mesure qu’il s’incarne. Ainsi, le communisme n’est pas seulement un autre mode de production et d’autres rapports sociaux, mais un mode de dépassement et d’invention historique, permettant de sortir du capitalisme et de l’emporter face à des classes dominantes. C’est bien la construction d’un bloc populaire émancipateur et anticapitaliste qui est la condition de la réélaboration progressive et collective d’une alternative radicale viable, face à l’urgence sociale et environnementale. Bref, toutes les luttes, bien distinctes, sont à considérer ensemble, à relier sans les réduire. Le mot de communisme, et surtout l’adjectif communiste, en incluant les organisations qui s’en réclament, mais bien au-delà d’elles, désignent ce long combat et la nécessité de faire le bilan de nos victoires autant que de nos échecs, d’utiliser les structures existantes, mais aussi de les réinventer radicalement. Un avenir humain en dépend.

Lucien Sève, vous présentez le quatrième tome « Le communisme ? » de votre grande œuvre Penser avec Marx aujourd’hui, où vous insistez sur le communisme en tant que mouvement ?

 

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LUCIEN SÈVE

En effet, je viens juste de publier ce livre de près de 700 pages auquel j’ai travaillé quatre ans, et qui n’est pourtant que sa première partie, le second volet, à paraître, abordera la question cruciale de « Quel communisme pour le XXIe siècle ? ». J’ai voulu d’abord exposer la genèse et le contenu de ce que j’appelle la visée communiste marxienne. C’est une affaire complexe, bien trop peu approfondie à mon sens, et de capitale importance pour comprendre ce qui s’est produit de si grandiose et si terrible à la fois au XXe siècle. À ce sujet, passionnante est déjà la formation première de cette visée entre 1843 et 1848, à Paris d’abord, au contact de ce prolétariat français qui a plébiscité en 1840 le mot communisme, et à laquelle Marx, à moins de 30 ans, va donner un contenu d’une richesse et d’une clairvoyance impressionnantes. Mais aux chances ainsi ouvertes se lie souterrainement un grave risque ensuite. Non que Marx se soit trompé sur le fond, bien au contraire : il a entrevu juste, mais avec une énorme avance sur le mouvement de l’histoire. Car passer du capitalisme au communisme comporte de drastiques conditions de possibilité sociales et humaines. Et au XXe siècle, même dans les pays les plus avancés, elles sont encore trop peu rassemblées, à plus forte raison dans des pays en lourd retard comme la Russie. Ainsi se noue une redoutable contradiction entre maturité de la révolution politique et immaturité de l’immense transformation sociale visée. Il y a du drame dans l’air…

 

Comment qualifieriez-vous ce « drame » ?

LUCIEN SÈVE Je résume d’une phrase : au XXe siècle, le communisme aurait été essayé, et ce fut le plus effroyable des échecs – disqualification définitive et sans appel ! Ici se joue donc la réponse à la question qui nous assaille avec violence : allons-nous pouvoir sortir du capitalisme avant qu’il nous ait conduits à des catastrophes écologiques et anthropologiques définitives ? Et ce n’est là rien d’autre que l’incontournable question renaissante du communisme. Oui, mais ça, se disent la plupart, on a vu au siècle dernier que c’est le pire de tout. On n’a donc aucune chance de rendre à nouveau crédible et même désirable le communisme si l’on ne tire pas radicalement au clair pour tous la question apparemment rebattue et en vérité entièrement mystifiée du stalinisme. Peut-on oser, la tête haute, se réclamer encore du communisme après Staline ? Oui, si ce qui a été vécu sous Staline fut le contraire même du communisme. Par là, tout le communisme du XXe siècle, malgré ses mérites et plus d’une fois son héroïsme, va se trouver dévoyé, paralysé, disqualifié. Par-delà la légende qu’entretiennent soigneusement ses adversaires et que partagent naïvement même des marxistes, la vérité pure et simple est que le communisme n’a jamais nulle part été mis en œuvre jusqu’ici. Conclusion politique capitale : il n’est pas derrière nous comme le pire des échecs, il est devant nous comme la plus précieuse des chances. À condition que nous ayons la lucidité et le courage de sa repensée fondamentale et de sa reconstruction novatrice. Le fait nouveau crucial est que le passage à une société sans classes n’est enfin plus une chimère, le capitalisme est d’évidence en bout de course historique, les déjà-là de communisme se multiplient – leur mise en relief sera une part centrale de la deuxième partie du livre dont j’ai commencé la rédaction. L’heure est à engager sans attendre le dépassement communiste d’un capitalisme qui nous tue. Énormément de travail nouveau est à faire, de débats à mener. Le communisme est et doit être le « mouvement réel d’aujourd’hui ». C’est vital, et c’est urgent. Allons-y !

Compte rendu et animation de la table ronde par Pierre Chaillan
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